[Comptes-rendus d’ouvrages à la Société des Bonnes Etudes]

Informations générales
  • TD49.101
  • [Comptes-rendus d'ouvrages à la Société des Bonnes Etudes]
  • Rapport sur le travail de Mr Meunier. Commission composée de M.M. Dulac, Guyo et d'Alzon rapporteur.
  • Orig.ms. CU 123; T.D. 49, pp. 101-106.
Informations détaillées
  • 1 AUTORITE RELIGIEUSE
    1 BON PRETRE
    1 BONNES OEUVRES DES LAICS
    1 CHRISTIANISME
    1 COLERE
    1 CONSTITUTION
    1 CRITIQUES
    1 CULPABILITE
    1 DIEU LE PERE
    1 DROITS DE L'HOMME
    1 ENSEIGNEMENT
    1 ESPRIT ETROIT
    1 ESPRIT FAUX
    1 ETRE HUMAIN
    1 FIERTE
    1 FORTUNE
    1 JUSTICE
    1 MEDISANCE
    1 MENDIANT
    1 MENSONGE
    1 MISERICORDE
    1 PAUVRETE
    1 PEUPLE
    1 VOLONTE DE DIEU
    2 ALZON, EMMANUEL D'
    2 DU LAC, JEAN-MELCHIOR
    2 GUYHO, CORENTIN
  • 1829-1830
  • Paris
La lettre

De toutes les prérogatives que peut réclamer une assemblée législative, une seule nous manquait; nous n’avions point encore reçu les honneurs des pétitions; hé bien, grâce à certaines personnes dont Mr Meunier a bien voulu ici voulu se faire l’interprète, nous ne nous plaindrons plus que ce droit sacré, comme on l’appelle, nous soit refusé. Qu’est-ce autre chose en effet qu’une pétition, le manifeste d’un mendiant constitutionnel, si l’on en veut seulement changer le titre? A moins que pour n’y rien changer du tout, il vous plaise de vous ranger constitutionnellement dans quelqu’une des classes de mendicité, dont il est fait une ample énumération. Cet honnête mendiant constitutionnel, que ne lui devons-nous pas, pour toutes les belles et bonnes choses qu’il vient nous apprendre! et que nous devons remercier Mr Mounier d’avoir par ses longues études des habitués du boulevard Montparnasse et sa profonde connaissance des mystères de la grande chaumière, d’avoir pu, dis-je, rédiger les plaintes de son client en termes convenables pour le solliciteur et pour les circonstances.

Votre commission, Messieurs, en examinant un mouvement aussi curieux du progrès des lumières politiques, littéraires, voire philosophiques, parmi les mendiants de pain et de pièces de deux sous, a été sur le point de dépasser les limites de ses pouvoirs, et voulait vous soumettre quelques réflexions pour vous déterminer à prendre en considération ou à passer à l’ordre du jour sur la demande du mendiant constitutionnel quand le souvenir des paroles de Mr le président lui a indiqué la marche qu’elle avait à suivre. Elle ne s’est point arrêtée au sujet même du manifeste, sa critique sera purement littéraire, seulement elle se permettra de porter leurs yeux sur quelques questions subsidiaires qui se présentent en foule.

Considérons d’abord l’ensemble de l’ouvrage. Les convenances, et ici il ne donne à ce mot que le sens qu’on lui accorde comme terme de rhétorique, les convenances, dis-je, ont-elles été toujours parfaitement observées? J’en doute. On remarque dans les paroles de ce mendiant constitutionnel une hauteur qui dispose peu en sa faveur: ses semblables sont ordinairement plus humbles. Ils paraissent sentir davantage leur position et ne viennent pas commander aux riches de se dépouiller pour eux, encore moins aux législateurs de conserver intacts leurs droits et leur liberté. Qu’il prenne exemple sur ceux de nos poètes qui ont chanté des chiens et des petites filles d’aveugles. Est-ce par des termes de fierté qu’ils ont ému nos âmes? non, ils ont emprunté la voix du malheur, et ils ont obtenu ce qu’ils demandaient.

Sans doute le mendiant constitutionnel eût pû se présenter à nous non seulement comme notre semblable, mais aussi comme notre égal, comme notre frère; il eût pû faire valoir des droits encore plus grands que ceux qu’il expose dans son manifeste et, la menace à la bouche, nous forcer de les lui conserver, mais il fallait alors s’appuyer sur des motifs que son avocat, je le dis à regret, paraît avoir trop dédaignés. Que ne mettait-il en oeuvre le grand mobile de la religion, dont les véritables mendiants connaissent si bien la puissance, dont ils abusent même quelquefois? alors au nom de ce père commun qui ne voit dans tous les hommes qu’une grande famille, il eût pû exiger qu’on réparât pour lui l’inégalité des fortunes. Mais ôtez ce motif, nul autre ne pourra excuser des paroles fières; elles n’inspireront jamais que le sentiment du mépris pour une faiblesse orgueilleuse. Si de ce défaut général nous passons aux défauts de détail, car vous devez penser, Messieurs, que notre devoir n’est pas de nous appesantir sur les éloges, nous demanderons à ce mendiant, comment il sait que les habitants de la chaussée d’Antin, autrement dit MM. les Banquiers, ne feraient jamais une bonne oeuvre, si un de ses confrères ne leur rendait l’important service de se tenir soir et matin à leur porte? Serait-ce parce qu’il ne leur en voit pas faire d’autres? Mais a-t-il jamais dépassé le seuil du palais de celui qui lui fait l’aumône et ne doit-il pas conclure, au contraire, que puisque tous les jours il lui donne de quoi acheter du pain, il en fournit également à tous ceux qui s’adressent à lui. En vérité, qu’il y prenne garde, cette assertion me paraît au moins un jugement téméraire. Je ne parlerai pas des nobles habitants du noble faubourg, que leurs noblesses s’arrangent entre elles. Je ne dirai rien non plus de cette convocation générale de tous les mendiants qui doivent se réunir dans notre salle je ne sais trop où, du moins quand nous l’occupons; peut-être voulait-il dire que le rendez-vous serait sur la place de l’Estrapade, où ils attendaient nos décisions suprêmes, comme autrefois le peuple romain aux portes du sénat. Mais ce qui m’effraye beaucoup, c’est la colère de ces braves gens qui se supposant réunis, comme plus tard ils supposent avoir prouvé ce qu’ils avancent et [en] tirent les conséquences, tout comme [ils] viennent nous parler de colère et puis de pitié.

Et pourtant il faut en convenir, la pitié n’est ici que trop fondée quand ils déroulent l’effrayant tableau de ceux que la mendicité compte dans ses rangs. Oui, leur nombre [est] incalculable, effrayant; oui, il y a des mendiants d’argent, des mendiants de places. Heureux celui qui est au-dessus de tout ce que le vulgaire sollicite si bassement! Sans doute les conclusions du mendiant constitutionnel sont parfaitement justes, mais par malheur les passions et l’amour-propre blessé les rendent absolument inutiles. Et en effet, croit-il que l’auteur à qui l’on vient dire vous mendiez la gloire, c’est-à-dire vous cabalez pour qu’on vous applaudisse; que le capitaliste dont on révèle toutes les turpitudes, sous prétexte de lui apprendre qu’il mendie de l’argent; que l’homme haut placé, tourmenté par les derniers cris d’une conscience qu’il vient de vendre et à qui l’on dit: tu n’es qu’un mendiant comme moi; croit-il, dis-je, que tous ces hommes dont il veut bien faire ses confrères, flattés d’un pareil avantage s’établiront ses protecteurs, ou plutôt qu’ils ne favoriseront pas de tous leurs efforts une décision qui enfermant l’importun diseur de vérités entre quatre murailles, doit les délivrer d’une voix qui semble s’être chargée de remplacer celle du remords; tant il est vrai que toute vérité n’est pas bonne à dire. Me sera-t-il permis de faire au mendiant constitutionnel un reproche non moins grave? La manière dont il s’exprime sur les preuves religieuses est au moins ambigüe. Qu’est-ce que cette autorité qui par elle-même n’est pas une autorité, mais dont l’autorité n’exerce pas moins une grande influence sur de profonds raisonneurs?

Je ne vois que deux sens à cette phrase: elle s’applique ou à l’autorité religieuse et alors la proposition est fausse et erronée – ou bien à l’autorité humaine telle que l’explique la doctrine du témoignage; mais ici je ne vois pas quelle peut être sa place à côté des textes de l’Ecriture. Les conclusions ici ne me paraissent pas plus justes que les prémisses, et je ne sais comment l’on peut déduire de ce qui a été posé que la pauvreté est d’institution divine.

Qu’est-ce que la pauvreté? Le châtiment d’un crime antérieur. Or Dieu inflige-t-il un châtiment pour un crime qui n’a pas été commis? Cela répugne; il faudrait plutôt dire que l’homme auteur du crime provoque nécessairement la punition et alors la pauvreté sera d’institution humaine.

Ce n’est pas tout et notre mendiant passe de la théologie à la politique, avance des principes, les suppose prouvés, quand ils sont loin de l’être pour tout le monde, traite d’insolents ses ennemis qu’il croit victorieux, leur met dans la bouche ses propres paroles pour leur apprendre ensuite qu’ils ont dit une sottise. La chose n’est-elle pas curieuse? pour moi, j’y vois une preuve nouvelle du danger que l’on court d’enseigner au peuple ce qui est au-dessus de sa portée: il est conduit à raisonner tout de travers sur des choses qu’il ne peut comprendre. Et qui de vous en effet, Messieurs, peut porter son amour pour l’instruction du peuple jusqu’à lui ouvrir la barrière dans la grande querelle de l’athéisme de nos lois? dépourvu, quoi qu’on fasse, des connaissances nécessaires, il portera non seulement des jugements faux et tirera des conséquences injustes, mais il renverra sur les personnes le blâme qui doit être attaché aux doctrines, et pour citer un exemple que le mendiant constitutionnel m’offre lui-même, quel homme devrait lui être plus cher que cet abbé qu’il poursuit de son ironie! Cet abbé qu’on a vu si souvent se reposer de ses méditations sublimes en consolant un malheureux sur son lit de douleurs; cet abbé qui montrant par ses exemples ce que c’est qu’un prêtre, enseignait le catéchisme à quelques petites filles en même temps qu’il plaidait en ces termes la cause de la mendicité. [Ici citation sans doute de l’abbé de la Mennais].

Nous ne suivrons pas le mendiant constitutionnel dans la récapitulation qu’il fait de tous ses arguments, pas plus que dans ses jugements sur les directeurs de police. Nous nous contenterons de quelques observations sur ce que je me permettrai d’appeler la péroraison de sa harangue.

Il s’adresse aux poètes de la nature pour leur déclarer qu’eux seuls ne sont pas mendiants, parce qu’ils nous ont arraché des applaudissements en parlant des chiens et des petites filles de ses confrères. Sans doute je ne dispute [pas] la gloire de MM. les poètes de la nature, parce qu’ils ont chanté des petites filles et des chiens, mais ce sujet est-il le seul qui ait trouvé grâce parmi nous? Je le nie positivement, et sans sortir des limites de la poésie je me rappelle avoir applaudi de fort bon coeur une certaine pièce où ce n’était pas un chien, mais un chat qui était le héros de l’intrigue.

Le style de Mr Mounier est correct, mais quelquefois un peu dur; peut-être a-t-il voulu, comme je l’ai fait observer plus haut, prendre celui qui convenait au sujet. Nous ne dirons pas qu’il l’ait parfaitement saisi, ce serait presqu’un reproche, mais nous reconnaîtrons sans flatterie qu’il a fait parler son mendiant aussi bien que pourrait le faire un mendiant constitutionnel qui combat pro aris et focis.

Guyho, Du Lac, d'Alzon.
Notes et post-scriptum