[Comptes-rendus d’ouvrages à la Société des Bonnes Etudes]

Informations générales
  • TD49.107
  • [Comptes-rendus d'ouvrages à la Société des Bonnes Etudes]
  • Rapport sur le travail de M. Résal intitulé: Philosophie des Campagnards. Commission composée de MM. Laval, d'Alzon et d'Aulnois rapporteur.
  • Orig.ms. CU 124; T.D. 49, pp. 107-119.
Informations détaillées
  • 1 ACTE DE PERFECTION
    1 ADMINISTRATION DES SACREMENTS
    1 ADMINISTRATION PUBLIQUE
    1 AGRICULTEURS
    1 AGRICULTURE
    1 AMBITION
    1 ATHEISME
    1 ATTENTION
    1 AUTEURS SPIRITUELS
    1 BEAU LITTERAIRE
    1 BON PRETRE
    1 BONHEUR
    1 BOURGEOISIE ADVERSAIRE
    1 CALOMNIE
    1 CATHOLICISME
    1 CELIBAT
    1 CITE
    1 CLASSES INFERIEURES
    1 CLASSES SUPERIEURES
    1 CLERGE PAROISSIAL
    1 COMMANDEMENTS DE DIEU
    1 CONCILE OECUMENIQUE
    1 CONFESSEUR
    1 CONNAISSANCE
    1 CONSCIENCE MORALE
    1 CRITIQUES
    1 CULPABILITE
    1 CURE
    1 DEFAUTS
    1 DEVOIRS DE CHRETIENS
    1 DEVOIRS DE SOCIETE
    1 DOCTRINE CATHOLIQUE
    1 DON DE CRAINTE
    1 DOUCEUR
    1 ECOLES
    1 ENFANTS
    1 ENNEMIS DE L'EGLISE
    1 ENSEIGNEMENT
    1 ENSEIGNEMENT DE L'HISTOIRE
    1 ENSEIGNEMENT PRIMAIRE
    1 ENSEIGNEMENT SUPERIEUR
    1 ERREUR
    1 ETAT
    1 EVANGILES
    1 EVEQUE
    1 FOI
    1 GOUVERNEMENT
    1 HIERARCHIE ECCLESIASTIQUE
    1 IMITATION DE JESUS CHRIST
    1 IMITATION DES SAINTS
    1 IMMORTALITE DE L'AME
    1 JUSTICE DE DIEU
    1 LEGISLATION
    1 LIBERTE DE CONSCIENCE
    1 LIVRES
    1 LOI ECCLESIASTIQUE
    1 LOISIRS
    1 LUTTE CONTRE LE MONDE
    1 LUTTE CONTRE LE PECHE
    1 LUXURE
    1 MAITRES
    1 MAUVAIS PRETRE
    1 MAUVAISES LECTURES
    1 MINISTERE SACERDOTAL
    1 MOEURS SACERDOTALES
    1 MOINES
    1 MONARCHIE
    1 MORALITE
    1 OPINION PUBLIQUE
    1 PAIX
    1 PASSIONS MAUVAISES
    1 PENSEE
    1 PHILOSOPHIE CHRETIENNE
    1 PIETE
    1 POLITIQUE
    1 PRATIQUE DES CONSEILS EVANGELIQUES
    1 PREDICATION
    1 REFORME DU CLERGE
    1 REPRODUCTION
    1 REVOLUTION ADVERSAIRE
    1 RUSE
    1 SAGESSE HUMAINE
    1 SALUT DES AMES
    1 SCANDALE
    1 SIMPLICITE
    1 SYMBOLE DES APOTRES
    1 THEOLOGIE MYSTIQUE
    1 TRAVAIL
    1 TRAVAIL MANUEL
    1 TRAVAUX AGRICOLES
    1 VANITE
    1 VERTUS
    1 VICES
    1 VIE CONTEMPLATIVE
    1 VIE RELIGIEUSE
    1 VOLONTE DE DIEU
    2 ALZON, EMMANUEL D'
    2 AULNOIS, CHARLES-ANTOINE
    2 BERNARDIN DE SAINT-PIERRE, HENRI
    2 BOSSUET
    2 CONSTANTIN LE GRAND
    2 COUSIN, VICTOR
    2 DELILLE, JACQUES
    2 FENELON
    2 FLORIAN
    2 FONTANES, LOUIS DE
    2 FONTENELLE, BERNARD
    2 FRANCOIS DE SALES, SAINT
    2 FRAYSSINOUS, DENIS-ANTOINE
    2 HAYND
    2 LAROMIGUIERE, PIERRE
    2 LAVAL, MONSIEUR
    2 LOUIS, SAINT
    2 MICHEL-ANGE
    2 PIGAULT-LEBRUN
    2 RESAL, MONSIEUR
    2 SIMON STYLITE, SAINT
    2 TORQUATO TASSO
    2 VINCENT DE PAUL, SAINT
    2 VOLTAIRE
    2 ZIMMERMANN
    3 CEVENNES
    3 FRANCE
    3 MEILLERAYE-DE-BRETAGNE, LA
    3 NANTES
    3 OUEST
    3 PARIS
    3 VENDEE
  • 1829-1830
  • Paris
La lettre

M.M.

Xavier reçoit une lettre de son ami. Celui-ci habitant de la campagne reproche au citadin son mépris pour les villages et les hameaux. Le paysan, quoiqu’il ne se serve pas des règles du syllogisme, n’en a pas moins une raison dont il doit suivre et dont il suit, en effet, les inspirations. La superstition qu’on lui reproche n’est pas sa faute, mais celle des administrations civiles ou religieuses qui ne veulent pas d’instruction pour les classes inférieures de la société, qui repoussent les instituteurs qui se présentent; c’est aussi la suite de la défaveur où on laisse tomber l’agriculture, défaveur qui fait germer, dans l’esprit des habitants de la campagne, des idées d’ambition et les portent à donner à leurs enfants une éducation qui n’est point en rapport avec leur position. Mais le laboureur a cependant sa philosophie, il ne s’épuise pas en vaines recherches sur la métaphysique. Il croit en Dieu, il contemple ses perfections adorables. Il croit [à] l’immortalité de l’âme, les peines et les récompenses à venir; il sait qu’il a un libre arbitre, qu’il est fait pour la société. Sa moralité est meilleure que celle des villes. Sa vanité est du moins sans excès, il a des idées plus simples et plus justes sur la politique. Il connaît les devoirs de la famille, il apprécie le bonheur de la paix, quoique toujours prêt à la guerre. Il jouit des beautés de la nature. Voilà sa philosophie.

Tel est, Messieurs, le résumé du travail de M. Résal. Certes c’est une idée très heureuse que celle de comparer ainsi les moeurs des habitants des villes et des campagnes. Peut-être a-t-elle le défaut de ne pas être très neuve, et l’esprit se reporte comme par entraînement vers Bernardin de Saint-Pierre, Florian, De Lille, etc., qui ont tracé des tableaux si touchants de la simplicité du bonheur des paisibles villageois, bergers et laboureurs. Il a paru à la commission que M. Résal accordait à ce qu’il appelle la Philosophie des Campagnards la préférence sur celle des orgueilleux habitants des villes; mais il y a un peu de confusion dans l’expression de ses idées relativement à cette espèce de philosophie elle-même. Est-il bien vrai que les paysans aient une philosophie? La croyance simple de l’existence de Dieu, de l’immortalité de l’âme, les habitudes de la vertu et d’une vie humble sont-elles une philosophie? Oui, dans ce sens que c’est une partie de la vérité et de la sagesse, mais alors il fallait mettre en parallèle la philosophie des habitants des villes qui lui est analogue, sans cela c’est prendre deux points de comparaison qui n’ont pas le moindre rapport. Si j’entends bien le mot Philosophie, c’est la recherche de la vérité, l’étude, la raison des choses, c’est la réflexion selon M. Cousin, c’est l’attention selon M. de La Romiguière, c’est le sens intime selon les uns, c’est la sensation selon les autres. Mais en définitive ce n’est pas, du moins comme on l’entend aujourd’hui, la simple et naïve foi et la pratique du bien. Cela est tout bonnement de la religion.

Quoi qu’il en soit, on aime à étudier ce que M. Résal appelle la Philosophie des Campagnards, à porter ses regards vers ces hommes qui n’ont pas du moins les passions et les vices des villes, et tout en restant à Paris on ne peut s’empêcher d’aller en esprit visiter les champs et les campagnes; les souvenirs ou l’imagination ou la poésie nous y conduisent, des affections et des habitudes nous y attachent, et je ne doute pas que plus de paix et de bonheur ne s’y rencontrent ordinairement. Ainsi le travail de M. Résal a cet avantage de défendre les habitants de la campagne contre la vanité des citadins, et de faire apercevoir plus de vraie philosophie chez les uns que chez les autres. Cette idée est juste, si elle n’est pas absolue. Peut-être que notre cher collègue aurait pu la revêtir de quelques peintures un peu plus vives, et donner à sa composition un peu plus d’ordre. Il eût été à désirer aussi que les bons et excellents principes qui servent de base à sa composition ne se soient pas trouvés quelquefois à côté de quelques réflexions qui semblent les atténuer, ou du moins qui autorisent à penser qu’il n’y a pas dans l’ensemble du travail une harmonie complète. Ce qui manque, c’est un peu de suite et de déduction. Des observations détachées vont le faire sentir facilement.

La commission n’approuve pas l’exagération avec laquelle l’habitant de Paris parle des paysans crottés jusqu’aux oreilles. Je ne cache pas, en effet, que le plus impertinent de nos petits maîtres ait jamais dit que ces braves gens n’ont jamais su ce que c’était que parler et penser, et qu’il faut venir dans la capitale pour y puiser le bonheur à sa source. Il n’est pas très juste, non plus, de supposer que les habitants des villes méprisent les paysans. M. Résal le dit plusieurs fois. S’il combat l’idée d’un individu, il peut avoir raison, mais dans un discours comme le sien adressé à une sorte de public, il ne fallait pas avancer que le paysan est méprisé. De ce que les campagnards ne jouissent pas de la considération accordée à d’autres positions sociales, cela ne veut nullement dire qu’on les dédaigne. Les mépriser est une sottise en même temps qu’une faute.

M. Résal parle beaucoup de la raison humaine; il la voit, et certainement il ne se trompe pas, dans le paysan; il veut qu’il s’en serve, qu’il en suive les inspirations, et que le sens intime soit la base de ses opinions; cependant il reconnaît que ce moyen de connaître la vérité et de se diriger dans le chemin de la vie peut devenir défectueux par le dérèglement des passions. La commission se borne à cette observation, qui est la seule qu’il faille faire désormais aux rationalistes individuels. Comment peut-on savoir que la raison, le sens intime ne sont pas déréglés par les passions? Il n’est pas tout à fait exact non plus de dire que l’homme plongé dans les désordres des passions ne doive suivre désormais que les opinions d’autrui. La plupart du temps, au contraire, cet homme se conduira par lui-même, et, tout au plus, il suivra les idées et les exemples de ceux qui penseront et agiront comme lui.

M. Résal en veut aux administrations civiles ou religieuses qui ne donnent pas d’instruction aux paysans. Il y a dans toute cette partie de son travail des contradictions assez visibles, à moins que la commission n’ait pas bien saisi ses idées. Je ne m’arrêterai pas aux accusations portées contre ceux qui mettent des entraves à l’instruction des campagnes. Que M. Résal soit d’un pays où quelques esprits bizarres soient tout à fait éteignoirs, cela est possible; que ces esprits soient administrateurs civils ou religieux, cela est encore possible, mais ce ne serait là qu’une personnalité qui ne pourrait pas être convertie en proposition générale. Que des curés, des maires ou d’autres notabilités villageoises aient repoussé l’enseignement mutuel, ou tel maître d’école, avec plus ou moins de raison, cela veut dire seulement qu’ils ne voulaient pas le moyen d’instruction – et non pas l’instruction elle-même.

Les paysans ne doivent-ils recevoir qu’une éducation primaire? votre commission, Messieurs, toujours considérant cette question en thèse générale, est convaincue de l’affirmative. Or c’est ce qui a lieu partout, dans toutes les communes il y a un maître d’école et les paysans trouvent le moyen de faire apprendre à leurs enfants à lire, à écrire et à compter. Je ne sais si dans le pays de M. Résal les magisters sont assez ignares pour ne pas savoir leurs quatre règles; on peut le croire, puisque notre collègue prétend que ce n’est que par une bienveillance peu commune qu’on enseigne les premiers éléments du calcul; mais dans tout le reste de la France, autant que je puis le savoir, les membres de l’Université qui apprennent à lire et à écrire apprennent aussi l’addition, la soustraction, la division et la multiplication. On ne peut donner aux paysans autre chose qu’une éducation primaire, pour la bonne raison qu’ils n’en veulent pas davantage, à quelques exceptions près; ensuite qu’ils n’ont pas les moyens pécuniaires suffisants pour en avoir une plus étendue, enfin parce qu’une instruction plus développée arrache les enfants de la charrue qu’ils méprisent, et de leur famille qu’ils abandonnent. M. Résal le comprend très bien, et il fait à cet égard des observations fort judicieuses. Pour remédier à ce malheur du bouleversment des positions sociales, il demande qu’on environne l’agriculteur de plus de considération, et qu’on accorde aux paysans des écoles d’encouragement pour que leurs enfants aillent y perfectionner leur art et le plus sublime de tous.

Qu’il faille accoder des encouragements à l’agriculture, je le crois, et il me semble à cet égard que le gouvernement depuis plusieurs années remplit sa mission. Que l’agriculture soit le plus sublime des arts, je ne le crois pas, mais c’est à Michel-Ange, à Haydn, au Tasse et à Canova à se débattre avec M. Résal. Quant aux écoles d’agriculture, c’est une autre question. Vous aviez dans le sein de votre commission, Messieurs, un collègue fort entendu sur ce sujet. M. Laval ne partage nullement les idées de M. Résal, il ne voit aucune utilité pour le paysan dans les écoles d’agriculture, dont tout l’avantage est uniquement pour les grands propriétaires, qui doivent eux-mêmes se défier beaucoup des prétendus moyens d’améliorations agricoles qui sont souvent des essais ruineux.

M. Résal arrive à l’exposé de la Philosophie des Campagnards. Il a semblé à la commission que cette philosophie était plutôt celle de M. Résal que celle des paysans. Les paysans croient ce que leur enseignent leurs curés, ils font ce qu’ils voient faire; ils croient en Dieu, à l’immortalité de l’âme, à une autre vie, parce que tout cela est dans le Credo. Voilà tout simplement leur philosophie. A quelques distinctions près, c’est l’universalité des paysans qui se trouve dans cette position; et il ne peut en être autrement, à moins de transformer les fermes en universités, en sociétés littéraires, et de faire passer tout à tour les citadins à la place des paysans, pendant que ceux-ci viendront suivre les cours de Sorbonne ou les séances de l’académie de la place de l’Estrapade. M. Laval connaît bien son pays et les habitants des campagnes qui l’environnent, et c’est surtout lui qui s’est attaché à la commission à faire observer combien le paysan était peu susceptible, non pas à cause de ses facultés, mais de sa position et de ses habitudes, à faire un usage philosophique de sa raison, ce qui ne veut certainement pas dire qu’il ne puisse juger de beaucoup de choses; mais les objets les plus naturels de ses jugements seront tout ce qui l’intéresse matériellement; pour le reste, la contradiction ou le mauvais exemple le fait sortir de sa foi naïve. Je ne doute pas que ce ne soit pour son malheur, parce qu’il n’arrivera pas au degré de développement d’esprit qui puisse lui permettre de s’éclairer suffisamment.

M. Résal avance cette proposition: le paysan croit que celui-là ne saurait être agréable à Dieu qui renonce à être de la terre pour se livrer tout entier aux contemplations mystiques, et cette croyance est vraie s’il est permis de croire ce qu’a cru Bossuet. Dieu, en effet, ajoute-t-il, nous ayant placés ici-bas pour nous y reproduire sans cesse et y vivre en société, il a dû implanter dans nos coeurs des vertus de relation et des vertus de famille….. Il n’a pas voulu que nous quittassions l’idée de tous nos autres devoirs pour ne conserver que celle d’un seul, et l’on ne saurait être ici-bas rien que pieux sans impiété. Il y a dans tout cela plusieurs inexactitudes. D’abord le paysan ne croit pas que ce soit une impiété que de se livrer aux contemplations mystiques et de renoncer à la terre. Il ne faut pas jeter les yeux sur l’histoire de tout l’univers, et surtout des peuples chrétiens, pour être convaincu que le paysan avait au contraire beaucoup d’estime pour les mystiques. Il n’est pas vrai que Bossuet pense comme le paysan idéal de M. Résal, je renvoie notre cher collègue au traité de l’évêque de Meaux sur la vie cachée en Dieu, à celui des degrés d’oraison, à ses sermons dans des communautés religieuses et à ses lettres mystiques. Il n’est pas absolu que Dieu nous ait placés ici-bas pour nous y reproduire sans cesse. Il suffit pour le prouver de rappeler ici ce qu’on a dit une fois aux philosophes interprètes de ce passage de l’Ecriture: croissez et multipliez, qu’une partie de la population, qui varie selon les opinions du 5e au 8e, ne se marie et ne peut pas se marier par suite de mille circonstances très naturelles. Il n’est pas juste de dire que Dieu a implanté en nous la vertu, car sans cela nous ne serions plus des hommes libres. La vertu est un acte de notre libre arbitre tout à fait distinct de nos facultés physiques et intellectuelles. Il est surtout très faux de dire que c’est une impiété de n’être pas pieux. D’abord parce que la piété n’est pas autre chose que l’exactitude, le dévouement, la ferveur à remplir non seulement les devoirs de la religion, mais encore les devoirs de famille, d’état, de société, et que la piété est aussi bien le devoir de l’homme appelé à vivre dans le monde qu’à [= que de] tout autre. Ensuite parce que la vie religieuse, dont, sans doute, M. Résal veut parler ici, étant non un précepte mais un conseil évangélique pratiqué par les plus saints, enseigné dans l’Eglise comme le sublime de la perfection, il y a impossibilité qu’il y ait là impiété. Je ne puis ici discuter à fond cette thèse, mas M. Résal me permettra de l’engager, pour fixer ses idées à cet égard, de lire avec quelque attention le livre cinquième du Génie du christianisme, le traité de la solitude par Zimmermann, la Chartreuse de M. de Fontanes; je n’ose pas lui parler des ouvrages de Fénelon et d’une conférence ad hoc de l’abbé de Frayssinous. Si notre collègue veut ensuite aller passer seulement quelques instants à la Trappe de La Meilleraye il verra les riches défrichements de ces solitudes, il assistera à leurs écoles où ils réunissent les enfants des hameaux, il visitera leurs instruments aratoires dont l’ingénieux perfectionnement a été couronné par la société d’agriculture de Nantes. M. Résal, on le voit bien par son ouvrage, a une âme religieuse et chrétienne, il n’a besoin que d’un peu de réflexion pour ne pas se mettre dans les rangs de ces déclamateurs de mauvaise foi qui prononcent sans avoir lu toutes les pièces du procès.

La commission ne croit pas, comme le dit M. Résal, que la loi proposée sur le droit d’aînesse ait été si bien appréciée par les paysans. M. Laval a jeté au milieu de nos observations celle-ci qui mérite d’être rapportée, que la loi sur le droit d’aînesse a été repoussée dans les anciens pays de droit écrit et approuvée dans ceux de droit coutumier, parce que celui-ci posait en principe que les aînés devaient être avantagés dans les successions. Quoi qu’il en soit, les paysans ne philosophent pas sur la loi, ils ne le comprenaient même pas; son effet seulement, lorsqu’on le leur indiquait, leur faisait dire oui ou non selon le journaliste, le narrateur, le gros bon sens ou des sentiments personnels et des positions particulières.

M. Résal soutient qu’il y a plus de vertu chez les paysans que chez les citadins. Nous sommes de son avis. Cependant M. Laval, qui loue beaucoup les bonnes moeurs des paysans de la Vendée, prétend qu’en général ils sont fort intéressés et qu’ils trompent très volontiers dans les marchés. M. d’Alzon en dit aurant de ceux des Cévennes; quant à moi, habitant de Paris, je n’ose parler des paysans des environs qui prêtent furieusement à la médisance. Si ceux-ci, nous a fait remarquer M. Laval, raisonnent effectivement, ils parlent de tout, ils ont de l’instruction, ils ont enfin leur philosophie. Malheureusement cette immoralité commence à s’introduire dans l’Ouest, grâce au Voltaire des Chaumières, aux veillées du soir où Pigault-Lebrun vient éclairer ces pauvres gens; dans ce pays, continue notre collègue, les moeurs subsistent où la religion se conserve, elles s’évanouissent où les mauvais livres pénètrent et aussi par suite des mauvais exemples des bourgeois. M. Résal veut des moeurs certainement, mais il n’approuve par cette manière: prenez sur vos sens un empire absolu. Il l’appelle insensé. J’en suis fâché, mais que notre collègue me permette de lui rappeler que c’est tout l’évangile, et, s’il veut je lui indiquerai les textes formels qui sont l’expression de ce précepte. Qu’il me permette de lui citer l’Imitation, ce livre, dit Fontenelle, le plus parfait qui soit sorti de la main des hommes, puisque l’Evangile est divin. Qu’il me permette de lui nommer seulement S. François de Sales. Personne ne dira qu’il fut un dévot chagrin et exagéré. C’est pourtant là sa maxime de prédilection et le moyen souverain qu’il indique sans cesse pour devenir meilleur et trouver plus de bonheur ici-bas. M. Résal n’en voudra pas à la commission, si elle ne partage pas sa façon de penser, les bornes d’un rapport m’empêchent de lui expliquer nos observations philosophiques et morales à ce sujet.

Il y a un passage fort bien écrit sur la vanité des habitants des campagnes et des villes et sur la manière dont ils s’occupent les uns et les autres de la politique. M. Résal paie le tribut exigé en parlant des journaux, des courtisans et du cri déplorable d’une ambition rentrée; mais on voit qu’il ne connaît pas aussi bien les moeurs des villes que celles des campagnes, lorsqu’il avance que nous ne sommes plus au siècle où l’esprit remuant de quelques ambitieux, etc. Cela est assez vrai que les courtisans ne sont pas grand chose aujourd’hui autour du monarque, mais les intrigues n’en sont pas moindres dans l’Etat, elles se passent autour des ministères; le gouvernement représentatif n’a pas tué l’ambition ni l’intrigue il ne les a que déplacées, je suis convaincu qu’il les a beaucoup accrues. Voilà huit ans que je suis en position de le voir, et dans ma petite sphère, je me ris beaucoup de voir tous ces hommes qui ont fait tomber le ministère déplorable, et qui intriguent à leur tour tant et plus et demandent avec une curieuse impudence pour eux, pour leurs amis des places, de même des débits de tabac…..

Je finis les observations particulières de la commission par celle qui est résultée du passage de M. Résal contre le clergé. Il dit que la religion est sapée par la base dans l’esprit des villageois par le clergé. 1re Proposition générale que les prêtres viennent dans les campagnes avec des préventions irréfléchies et un zèle qui n’est pas selon la science. 2° Proposition générale. Et croyant que tous leurs paroissiens doivent, sous peine d’excommunication, se conduire comme les saints, ils lancent toutes les foudres de la menace au nom d’un Dieu miséricordieux. Il leur arrive de refuser à la table sainte le pain de l’Evangile aux pénitents, de désespérer les âmes au tribunal de pénitence et de chercher par la confession à s’immiscer dans les secrets des ménages et à apporter ainsi par un zèle malentendu la désunion dans les familles. Tout cela, ajoute M. Résal, n’est que trop vrai, ce ne sont pas de vaines déclamations. Il faudrait que tous les prêtres fussent d’un âge mûr, et qu’ils gardassent la foudre de l’anathème pour les grands pécheurs.

M. Résal, il faut l’avouer, est bien absolu dans ses propositions. Qu’il y ait des ecclésiastiques qui compromettent leur caractère et qui fassent beaucoup de mal aux paysans par leur conduite mauvaise ou irréfléchie cela est vrai. Mais qui osera dire de bonne foi que cela est universel? D’abord voilà que deux membres de la commission déclarent que c’est absolument faux pour la Vendée et les Cévennes, ils avouent qu’il y a eu de tristes exemples. – Qui en doute? Cependant je ne sais de quel pays est M. Résal, et il est possible qu’il ait jugé de toute la France d’après sa province et même seulement d’après son département. Un pareil état de choses serait certainement très fâcheux; mais ce qui me rassure c’est qu’il dit en finissant son travail qu’il connaît des prêtres, véritables pères de leurs paroisses qui sont entourés de la vénération publique. Ainsi les propositions de M. Résal sont trop tranchantes, et il a trop de tact pour ne pas sentir que dans un sujet si grave il y aurait de l’injustice à envelopper dans une seule accusation les bons et les mauvais. Ensuite est-il bien convenable de venir faire ces tristes confidences dans un discours public, cela n’a rien ni de poétique, ni de littéraire, ni de philosophique. S’il y a quelque chose de vrai à cet égard, il faut employer quelques moyens charitables pour y remédier, et se souvenir de cette belle parole de l’Empereur Constantin: Si je savais qu’un prêtre etc.

C’est encore de l’exagération de dire que le clergé veut que tous les paysans soient saints sous peine d’excommunication. Que M. Résal connaisse 1, 2 ou plusieurs prêtres qui soient sans aucune lumière, cela est possible, mais j’avoue qu’il entre bien difficilement dans l’esprit des membres de la commission que des prêtres soient assez peu instruits pour demander autrement qu’en thèse générale l’imitation des saints. Qu’il faille avoir la douceur de saint François de Sales, la charité de saint Vincent de Paul, la résignation de saint Louis, rien de mieux, mais il me faudrait supposer des prodiges d’extravagance pour admettre qu’il y ait des hommes qui ordonnent sous peine d’excommunication, de monter sur la colonne de saint Simon Stylite, d’aller conquérir la Terre sainte, ou de se livrer aux austérités des solitaires de la Thébaïde. Qu’il y ait des prêtres qui aient peu de tact dans la distribution des sacrements, je le crois, j’ajoute que c’est un très grand malheur; mais qui peut en être le juge? qui peut pénétrer les mystères de la conscience? Ce sont de ces choses auxquelles on ne remédiera pas par des accusations vagues: et dans la supposition que l’ignorance soit plutôt du côté du prêtre que des pénitents – ce qui n’est pas, surtout dans les campagnes – le seul remède est dans la plainte religieusement [transmise] aux Evêques qui ont seuls le pouvoir de mettre un terme à ces maux. L’accusation portée contre le clergé de chercher à s’immiscer dans les secrets des ménages par la confession est bien vieille et bien peu fondée pour être reproduite aujourd’hui. Encore une fois, qu’il y ait des mauvais prêtres, cela est certain; mais pour Dieu, sachez donc qu’il ne faut pas juger du général par le particulier. Et puis quel intérêt ou quel agrément y a-t-il donc à entrer dans les secrets des ménages, à moins qu’on ne suppose d’odieux projets? Quelle facilité, surtout de nos jours, de pénéter ainsi dans les familles? Direz-vous que c’est par un zèle malentendu qui amène à sa suite la désunion et le trouble. Oui, si tous les ecclésiastiques sont des tartuffes, ce qui est une odieuse calomnie. Et non, bien certainement, si les prêtres sont en général les ministres du Dieu de paix. Que les prêtres amènent quelquefois la désunion dans les familles, cela est très vrai dans ce sens qu’ils en convertissent quelques membres, contre lesquels ceux qui restent dans leurs mauvaises habitudes se déchaînent avec haine et persécution. Cela me rappelle un fait qui m’est bien connu d’un usurier qui criait que les missionnaires avaient apporté la désunion dans la famille, parce que sa femme ne faisait plus l’usure avec lui.

M. Résal a raison, il serait à désirer que les prêtres fussent tous d’un âge mûr, mais cela ne se peut pas, encore pendant plusieurs années, à cause de la lacune que la révolution a laissée dans le clergé; je suis bien de son avis aussi qu’ils doivent surtout conduire les âmes au salut par la douceur et la persuasion. C’est là tout l’Evangile, mais je ne puis oublier cependant cette parole: initium sapientiae timor Domini. Quant aux foudres et aux anathèmes, cela est vrai qu’il faut s’en servir avec discernement surtout aujourd’hui qu’elles font peu d’impression sur les esprits; mais il y a tant de gens qui prennent pour de l’exagération ce qui n’est que la règle qu’on peut penser que leurs accusations sont au moins hasardées. M. Résal croit qu’il faut les réserver pour les grands pécheurs. D’abord ceux-ci les méprisent très facilement; ensuite il n’est pas le moins du monde abandonné à la liberté d’un simple prêtre de prononcer une excommunication quelconque. Toutes les fautes qui les attirent sont formellement exprimées dans les lois de l’Eglise et il n’est pas plus permis à un curé d’en inventer de nouvelles que de se dispenser de proclamer les monitions déterminées par les conciles et qui ne sont pas tombées en désuétude.

En général la commission a jugé qu’il y avait, quoi qu’en dise notre collègue, un peu de déclamation dans la partie de son travail où il parle du clergé.

La commission a loué le style de M. Résal qui est concis, serré; il y a quelques expressions peu convenables comme celles-ci: au bout du compte: Dieu a créé l’homme un être raisonnable, L’homme qui se vautre dans le bourbier des passions: l’âme en travail de l’immortalité. Mais, en résultat, la société doit se féliciter d’avoir reçu M. Résal au milieu d’elle. La section de philosophie le comptera avec plaisir parmi ses membres et lui demandera son concours pour en soutenir et en hausser les travaux.

Laval.|E. d'Alzon.
Notes et post-scriptum