[Essais de jeunesse]

Informations générales
  • TD49.123
  • [Essais de jeunesse]
  • [Sur Bossuet, Bourdaloue et Massillon]
  • Orig.ms. CU 127; T.D. 49, pp. 123-125.
Informations détaillées
  • 1 CONTRITION
    1 DECADENCE
    1 DOUCEUR
    1 ENSEIGNEMENT DU DOGME
    1 ESPRIT FAUX
    1 HONNEURS
    1 INSTRUCTION RELIGIEUSE
    1 MAUX PRESENTS
    1 MINISTRE
    1 MINISTRES PROTESTANTS
    1 MONARCHIE
    1 MORT
    1 NOBLESSE
    1 PENSEE
    1 PERES DE L'EGLISE
    1 POLEMIQUE
    1 PREDICATION
    1 PROTESTANTISME ADVERSAIRE
    1 PSYCHOLOGIE
    1 RESTAURATION DES MOEURS CHRETIENNES
    1 RETOUR A L'UNITE
    1 SCANDALE
    1 SCOLASTIQUE
    1 SENSIBILITE
    1 SOCIETE
    1 VERTU DE FORCE
    2 BAUSSET, LOUIS-FRANCOIS DE
    2 BOSSUET
    2 BOURDALOUE, LOUIS
    2 CLAUDE, JEAN
    2 FENELON
    2 GRAMONT, ANTOINE-ALFRED-AGENOR DE
    2 JURIEU, PIERRE
    2 LA BRUYERE
    2 LOUIS XIV
    2 MASSILLON, JEAN-BAPTISTE
    2 RICHELIEU, ARMAND-JEAN DE
    2 SEVIGNE, MADAME DE
    3 EUROPE
    3 FRANCE
    3 PARIS
    3 VERSAILLES
  • 1830-1833
La lettre

Il est curieux de suivre l’influence des moeurs sur les trois plus grand orateurs qui montèrent successivement dans la chaire de Versailles. Je veux parler de Bossuet, Bourdaloue et Massillon.

Bossuet, comme le fait observer avec une grande justesse son historien Mr de Bausset, arrivant à Paris vers l’époque de la mort de Richelieu, reçut une forte impression des derniers honneurs rendus à ce ministre. Les troubles qui agitèrent la France, l’éclat qu’elle répandait par ses victoires, le développement que prenait la monarchie de Louis XIV, qui s’élevant peu à peu au-dessus des troubles de la régence planait déjà sur toute l’Europe; d’autre part, les luttes du protestantisme défendu alors par les plus habiles champions qu’il ait eus peut-être, les désordres des moeurs, fruits des désordres des idées, la vérité qui réparait ses faits [= pertes], de fréquentes abjurations qui en dépeuplant le camp ennemi doublaient les rangs des catholiques, donnèrent à ce génie déjà si puissant par lui-même des forces nouvelles. Les révolutions opérées sous ses yeux lui aidèrent à pénétrer le secret des révolutions passées; les progrès de la monarchie absolue avec laquelle renaissait un certain ordre; cette admiration pour le pouvoir qu’on lui a reproché d’avoir poussée trop loin; la logique de Claude et de Jurieu aiguisa sa puissance de raisonnement, les désordres des moeurs lui révélèrent la source des maux du coeur humain, qu’il peignit avec si profonde énergie et les succès soutenus de la vérité, s’ils n’augmentèrent pas sa foi, lui donnèrent ce sentiment de supériorité qui respire dans toutes ses oeuvres.

Bourdaloue vient ensuite; alors la victoire de la religion paraissait consommée. Aussi les preuves qu’il apporte s’adressent à des esprits déjà convaincus, mais qui ont besoin d’être instruits; il comprend bien encore qu’il a à parler à des courtisans, (Bourdaloue prêchait le carême à la cour tous les deux ans, il y prêcha plusieurs fois l’avent et à d’autres époques) que les phrases de sentiment touchaient peu, que les descriptions terribles n’effrayaient pas, il s’appliqua donc à les instruire. Voilà son but constant, il nous l’apprend lui-même dans cette célèbre passion que madame de Sévigné voulait entendre, parce qu’elle l’avait entendue l’année précédente. Il ne chercha pas à exciter des larmes stériles, mais à frapper, mais à subjuguer l’esprit, et il y parvint au moins le jour où le maréchal de Grammont se levant au milieu de son auditoire s’écriant en l’interrompant: « morbleu à il raison ».

Bourdaloue, nourri de la plus pure substance des Pères et des auteurs scolastiques, considère presque toujours le côté dogmatique des questions. Aussi a-t-on dit que la collection de ses sermons formait un excellent cours de théologie; j’en suis convaincu, car Bourdaloue savait très bien que les hommes auxquels il s’adressait avaient presque tous passé leur jeunesse dans les camps ou dans les agitations de la régence, que la foi n’était pas morte chez eux, mais qu’elle manquait pour ainsi dire d’aliment.

Suivent la gloire de Louis XIV et ses tristes désordres. L’influence que ces désordres eurent sur les moeurs ne furent [= fut] pas effacée par le retour du monarque à une vie moins licencieuse, le palais royal continua le scandale que ne donnait plus Versailles et laissait entrevoir ce que serait la régence. Vers ce temps un jeune oratorien que quelques succès obtenus en province avaient fait envoyer à Paris pour y étudier les maîtres de la chaire, interrogé par son supérieur sur le jugement qu’il portait des premiers prédicateurs, répondait: « Je sais bien que je ne prêcherai jamais de la sorte », et il avait raison, car les temps étaient changés, la foi s’affaiblissait, et s’affaiblissait parce que le coeur était gâté. Massillon sentait que les coups de tonnerre de Bossuet n’étonnaient plus une société qui commençait à se vanter de ne rien craindre, que les instructions de Bourdaloue n’éclaireraient des hommes qui fermaient volontairement les yeux. Massillon, si on le dépouille de l’esprit de la secte pour laquelle on lui reproche quelque penchant, Massillon cherche à réveiller dans le coeur de celui qui l’écoute le remords assoupi; il élève des doutes sur son état, afin de l’engager à en sortir. La vue du mal croissant avec une rapidité effrayante répand sur ses sermons bien plus que sur ceux de ses deux prédécesseurs cette tristesse évangélique dont parle La Bruyère. Elle domine aussi dans le peu que nous avons de Fénelon, dont le génie doux, humble, mais plus indépendant que celui de Bossuet, se fait moins d’illusions sur le présent et découvrait mieux l’avenir.

Notes et post-scriptum