[Essais de jeunesse]

Informations générales
  • TD49.134
  • [Essais de jeunesse]
  • Je croyais être dans un jardin de délices.
  • Orig.ms. CU 130; T.D. 49, pp. 134-136.
Informations détaillées
  • 1 ACCEPTATION DE LA CROIX
    1 CHATIMENT DU PECHE
    1 CHOIX
    1 COLERE
    1 DOULEUR
    1 ENFER
    1 JOIE
    1 LUXURE
    1 MORT
    1 SALUT DES AMES
    1 VERTU DE FORCE
    1 VIE HUMAINE
    1 VIE SPIRITUELLE
    1 VISION BEATIFIQUE
  • 1830-1833
La lettre

Les arbres chargés de fleurs et de fruits embaumaient l’air de leur parfum, et laissaient pendre et se balancer sur ma tête leurs branches appesanties. Un soleil doux et tempéré par un vent léger essuyait de ses rayons vivifiants les perles que la rosée avait suspendues aux brins d’herbe d’un gazon toujours vert; les brebis et des chèvres au poil long et soyeux venaient d’elles-mêmes me présenter leurs mamelles traînantes, et les oiseaux de divers plumages jouant dans les buissons s’exerçaient à répéter les chants que la nature leur avait enseignés. Tous à coup une vapeur noire s’éleva vers le ciel et se mêla aux nuages sombres que l’ouragan poussait avec violence, le vent siffla d’une manière horrible à travers les branches des arbres, un éclair traversa la nue, le tonnerre gronda, la nuit se fit, je ne distinguai plus rien.

Et quand un pâle crépuscule me permit de discerner tout ce qui s’était passé autour de moi, je me trouvai au milieu d’une plaine aride, immense, sillonnée par de profonds ravins, sans abri, sans arbre.

Le vent chassait rapidement des nuages épais et m’inondait par moments d’une pluie glacée.

Et j’entendis autour de moi les rugissements de bêtes de proie que la faim forçait à sortir de leurs cavernes.

Et me trouvant seul et sans arme je tremblai.

Et voilà que deux routes s’ouvrirent devant moi et j’aperçus une grande foule que je n’avais pas vue d’abord, et elle se pressait à l’entrée de ces deux routes, et plusieurs étaient indécis sur celle qu’ils devaient prendre, car il n’était pas permis de s’arrêter.

Mais le plus grand nombre s’élançait avec joie vers la route qui était à droite, parce qu’à l’entrée on apercevait des monceaux d’or, des tables chargées de mets appétissants, et des femmes très belles, couvertes de vêtements de soie et d’ornements très riches, attiraient par leurs regards et fascinaient les yeux de ceux qui les considéraient trop attentivement. A mesure que la foule se ruait sur les tables chargées de mets, et sur les femmes très belles, et sur les monceaux d’or, comme il n’y en avait pas assez pour tous, de grandes disputes s’élevèrent, et tandis que les uns riaient en se rassasiant, et repaissaient leurs yeux de la vue des femmes très belles, et remplissaient leurs poches de pièces d’or, les autres murmuraient et pleuraient. Et cependant il se trouvait que ceux qui avaient mangé avaient plus faim que ceux qui n’avaient pas mangé, et que ceux qui avaient rempli leurs poches de pièces d’or étaient plus pauvres que ceux qui ne les avaient pas remplies, et que ceux qui avaient pris plaisir à considérer les femmes très belles commençaient à perdre la vue; et tous éprouvaient de grandes douleurs, et ils se disputaient entre eux, s’accusant réciproquement de leurs maux, et des querelles s’élevèrent, et les uns furent tués et les autres reçurent de grandes blessures. Et la route qui d’abord avait été parfaitement unie, se couvrait de ronces et de cailloux, et comme leurs chaussures s’étaient promptement usées, le sang coulait de leurs pieds, et les uns ne voulaient pas avancer, et quelques autres faisaient effort pour revenir sur leurs pas, mais peu y réussirent, et quand ils furent arrivés à un certain endroit, la terre s’entrouvrit sous leurs pieds. Je vis une flamme rouge jaillir et puis je n’aperçus plus rien de ce côté.

Et pendant que je considérais ceci, je vis deux hommes s’avancer dans l’autre voie; l’un était un vieillard qui après de grandes fatigues était revenu de la première route, qu’il avait choisie d’abord, et sur lequel [on] apercevait de profondes et nombreuses plaies, mais une main amie les avait touchées, et quoiqu’elles ne fussent pas entièrement guéries, on voyait qu’elles n’étaient plus dangereuses. Le second était un enfant, il portait une robe blanche; sur sa tête une couronne de lys, et quand il regardait le ciel, on voyait son coeur se soulever sous sa tunique. Et l’un et l’autre avaient une croix pesante sur l’épaule, et de temps en temps je les entendais gémir lorsqu’ils posaient le pied sur un caillou aigu. Et les forces commençaient à leur manquer, et ils aperçurent une fontaine dont les eaux vives se répandaient avec un doux murmure dans le chemin, et ils lavèrent leurs pieds blessés, et ayant puisé de cette eau limpide dans le creux de la main, en burent avec délices. Et quand ils eurent lavé leurs pieds, ils n’y sentirent plus ni blessure, ni douleur; et quand ils eurent bu de cette eau, ils retrouvèrent en eux de nouvelles forces, et ils continuaient leur marche, et ils marchaient avec une grande joie. Et bientôt je ne les vis plus, parce qu’une haute montagne les cacha à ma vue, et je devins triste, parce que j’aimais beaucoup ce vieillard et cet enfant, et que j’aurais voulu pouvoir dire à l’un: mon père, et à l’autre: mon frère – et j’entendis une voix qui disait: heureux les morts qui meurent dans le Seigneur! Et j’aperçus dans le ciel deux anges conduisant par la main le vieillard et l’enfant, et l’un et l’autre me paraissaient d’une beauté merveilleuse et je louai le Seigneur.

Notes et post-scriptum