Notes sur l’épître de saint Paul aux Romains.

Informations générales
  • TD49.262
  • Notes sur l'épître de saint Paul aux Romains.
  • Chapitre II [de l'épître aux Romains].
  • Orig.ms. BJ3, pp. 225-241; T.D. 49, pp. 262-276.
Informations détaillées
  • 1 ABUS DES GRACES
    1 ANGOISSE
    1 APOSTOLAT
    1 BIEN SUPREME
    1 CALVINISME
    1 CATHOLICISME
    1 CHARITE ENVERS LE PROCHAIN
    1 CHATIMENT DU PECHE
    1 CLASSES SOCIALES
    1 COLERE
    1 COMPORTEMENT
    1 CONNAISSANCE DE SOI
    1 CONNAISSANCE MORALE
    1 CONSENTEMENT
    1 CONTRITION
    1 CRAINTE
    1 CULPABILITE
    1 DESSEIN DE SALUT DE DIEU
    1 ENFER
    1 ENNEMIS DE DIEU
    1 ENSEIGNEMENT
    1 ESPECE HUMAINE
    1 EVANGILE DE JESUS-CHRIST
    1 FOI
    1 HONNEURS
    1 HYPOCRISIE
    1 INSENSIBILITE
    1 JUGEMENT DERNIER
    1 JUIFS
    1 JUSTICE DE DIEU
    1 LIBERTE DE CONSCIENCE
    1 LOI ANCIENNE
    1 LOI MORALE
    1 LOI NOUVELLE
    1 LUTTE CONTRE SOI-MEME
    1 MALADIES
    1 MECHANTS
    1 MISERICORDE
    1 MISERICORDE DE DIEU
    1 MORT
    1 MORT DE L'AME
    1 NOUVEAU TESTAMENT
    1 PAGANISME
    1 PAIX
    1 PAIX DE L'AME
    1 PANTHEISME
    1 PECHE
    1 PECHES CONTRE LE PROCHAIN
    1 PREDESTINATION
    1 PRESOMPTION ENVERS DIEU
    1 PROVIDENCE
    1 REFORME DE L'INTELLIGENCE
    1 REFORME DU COEUR
    1 REGNE DE VERITE
    1 RESTAURATION DES MOEURS CHRETIENNES
    1 REVELATION
    1 SAGESSE DE DIEU
    1 SALUT DU GENRE HUMAIN
    1 SAUVEUR
    1 SCANDALE
    1 SOCIETE
    1 SOUFFRANCE ACCEPTEE
    1 SOUMISSION DES SUJETS
    1 SOUVERAIN JUGE
    1 TRISTESSE
    1 VERTUS
    1 VICES
    1 VOIE UNITIVE
    2 ABRAHAM
    2 ESAU
    2 ISMAEL, BIBLE
    2 LAZARE
    2 MOISE
    2 PAUL, SAINT
  • vers 1837-1840
La lettre

v. 1. – « Propter quod inexcusabilis es, o homo qui judicas. In quo enim judicas alterum, teipsum condemnas, eadem enim agis quae judicas. »

La sagesse de saint Paul est ici admirable, car après avoir lancé des anathèmes si terribles contre les pécheurs, il semble qu’il devrait, pour donner horreur de ces crimes, citer quelques exemples terribles de ces grands prévaricateurs. Mais comme la charité pourrait en être blessée, il garde un profond silence. Vous êtes inexcusable, ô homme qui entreprenez de juger. Je vous ai donné la loi, mais non pas afin que vous jugiez les autres. Je vous l’ai donnée, afin que vous vous jugiez vous-même, afin que vous voyiez ce qu’il y a en vous de misères, de prévarications, et que vous songiez sérieusement à vous corriger; sinon, vous serez inexcusable. In quo enim judicas et alterum, teipsum condemnas. Car vous vous condamnez dans les jugements que vous portez sur les autres. Comment cela? Le voici: Eadem enim agis, quae judicas. C’est une remarque bien frappante que les gens vertueux crient beaucoup contre le vice et fort peu contre les pécheurs, et qu’au contraire les gens vicieux crient beaucoup contre ceux qui leur ressemblent et fort peu contre le vice en lui-même. La raison en est toute simple. Les personnes qui à force d’efforts sur elles-mêmes, ont acquis une vertu solide, savent ce qu’il en coûte d’efforts, de combats pour arriver à une certaine perfection; elles n’ont pu triompher d’elles-mêmes que par une longue considération sur la beauté de la vertu et la laideur du vice. Par conséquent partout où elles verront le vice, elles le trouveront hideux. Mais parce que même les plus parfaits n’ont pas toujours remporté la victoire, plus ils détestent le vice en lui-même, plus ils sont portés à avoir pitié de ceux qui ont été plus faibles qu’eux. Au contraire, ceux qui pour ainsi dire ne comptent leurs luttes que par leurs défaites, ou qui même sans prendre la peine de lutter courent pour ainsi dire au devant du joug, ceux-là ne peuvent parler trop fortement contre le vice, alors qu’ils le trouvent en eux-mêmes et qu’ils sentent bien qu’ils ne pourraient le condamner sans prononcer leur propre condamnation. Tandis qu’ils s’arrêtent avec complaisance sur les fautes de leur prochain, parce qu’ils sont bien aises de montrer des gens aussi mauvais et même plus mauvais qu’eux, ils trouvent un peu de dédommagement au mal qu’ils font dans le plaisir de pouvoir dire: Nous ne sommes pas les seuls, et ils ne pensent pas que par là ils aggravent leur jugement et rendent plus présente leur condamnation devant le souverain juge.

v. 2. – « Scimus quoniam judicium Dei est secundum veritatem in eos qui talia agunt. » Nous savons, observe s. Paul, que le jugement de Dieu est conforme à la vérité, et il resterait à expliquer que le jugement de Dieu était conforme à la vérité, parce que ceux qui agissaient ainsi se condamnaient eux-mêmes; ou bien il a voulu dire que Dieu ne juge jamais que conformément à la vérité, et il resterait à expliquer que le jugement de Dieu dans la circonstance présente est en effet conforme à la vérité. Dans le premier cas il est bien évident que le bon Dieu rend un juste jugement, car il peut dire au pécheur, comme dans la parabole du mauvais serviteur: Je vous juge d’après vos propres paroles; vous blâmez votre frère, vous savez donc qu’il était coupable, vous savez donc qu’il violait une loi; pour savoir qu’il la viole, vous la connaissez; et si vous la connaissez, comment la violez-vous vous-même? Dans le second cas, il est encore bien évident que le jugement de Dieu est conforme à la vérité, car pour être conforme à la vérité il n’a besoin que d’être conforme à la justice, et Dieu étant la justice par excellence, tout ce qui n’est pas conforme à lui est injuste, est mauvais, est contre la vérité. Par conséquent, il doit punir celui qui ne se conforme pas à ses lois.

v. 3. – « Existimas autem hoc, o homo, qui judicas eos qui talia agunt, et facis ea, quia tu effugies judicium Dei? » C’est quelquefois une tactique fort adroite de certaines gens de crier beaucoup contre le dérèglement des moeurs, et de cacher sous un manteau de censeur une conduite aussi coupable que celle de ceux qu’on critique le plus impitoyablement. On ne trouve pas assez d’expressions pour flétrir les débordements de l’époque et surtout les désordres de tel ou tel. On citera les histoires les plus scandaleuses, et l’on en gémira au nom de la vertu, et l’on espérera cacher aux yeux des hommes tout ce que l’on a en soi de corruption en détournant leur attention sur la corruption des autres. Cette tactique réussit souvent, au moins est-elle fort souvent tentée. Mais elle ne saurait réussir avec Dieu, qui voyant le fond des coeurs sans qu’on le lui découvre, sait bien la perfidie infernale de ceux qui noircissent leurs frères afin qu’on n’aperçoive pas leurs taches. Aussi tous les efforts sont inutiles. Il y a plus. Au lieu de diminuer le poids de la condamnation, ils l’aggravent, car Dieu punit dans ces pécheurs leurs hypocrites efforts pour les déguiser.

v. 4. – « An divitias bonitatis ejus et patientiae et longanimitatis contemnis? Ignoras quoniam benignitas Dei ad paenitentiam te adducit? » S. Paul ici nous révèle tout l’ordre et toute la conduite de la Providence envers les hommes, mais surtout envers les pécheurs. D’abord il est vrai de dire que tous les hommes étant coupables plus ou moins, personne ne saurait se plaindre du temps que Dieu accorde au pécheur pour faire pénitence; car il n’est personne qui n’ait eu besoin de pénitence, personne qui s’il eût été retiré de ce monde, appelé devant le tribunal divin au moment où il venait d’offenser Dieu, n’eût à subir les peines terribles du purgatoire, et peut-être celles de l’enfer. Or Dieu dans sa bonté punit quelquefois instantanément et dans l’acte même du crime, afin de nous faire tenir sur nos gardes, mais le plus souvent il attend. Il est patient, parce qu’il est éternel. Il ne veut pas punir, pour nous donner le temps de nous reconnaître et de revenir à lui. Il est vrai que plus nous différons, plus nous nous rendons coupables et plus notre sentence sera sévère. Mais aussi si nous revenons, nous pouvons espérer de réparer par la pénitence nos fautes passées.

Or dans ce verset je remarque deux choses: 1° le mépris du pécheur de la patience et de la longanimité divines, mépris qui plus il est prolongé, plus il rend le retour à Dieu difficile. 2° la justification de la Providence, à qui l’on reproche de laisser le crime impuni. Elle ne le laisse pas impuni, mais son amour pour les hommes lui fait différer une punition méritée, quoique encore dans ce monde-ci elle ne laisse pas d’infliger certains châtiments méritoires. Mais encore ces châtiments ne sont-ils pour la plupart que des avertissements pour ceux qu’ils atteignent, et c’est en cela précisément que brillent les richesses de la patience et de la longanimité divines.

v. 5. – « Secundum autem duritiam et impenitens cor, thesaurizas tibi iram in die irae et revelationis justi judicii Dei. « 

Ce verset renferme d’importantes leçons. Nous voyons la conduite générale des hommes. Dieu les avertit; qui l’écoute? Dieu les attend; qui se hâte de revenir à lui? Les prières de Dieu devraient toucher, sa patience devrait émouvoir les coeurs. Loin de là; sa bonté endurcit et les leçons qu’il donne poussent à l’impénitence. Voilà la conduite, sinon universelle, du moins générale. Mais écoutez: thesaurisas tibi iram in die irae. Parce que vous avalez l’iniquité comme l’eau, il ne s’ensuit pas que Dieu oublie vos fautes. Qu’elles tombent goutte à goutte ou qu’elles se précipitent par torrents, elles n’en tombent pas moins dans les bassins de la justice divine et elles y sont conservées. Dieu les amoncelle pour ainsi dire, afin de vous les présenter quand le moment sera venu. Il les renferme dans ses trésors où elles se convertissent en colère. Lors donc que vous l’offensez avec tant d’insolence, lorsque vous entassez crimes sur crimes, vous croyez que Dieu vous a oubliés? Ecoutez: Thesaurisas tibi iram in die irae. Qu’est-ce que le jour de la colère? C’est le jour où vos iniquités étant parvenues à leur comble, Dieu fera taire sa bonté pour ne plus écouter que sa justice. C’est pour ce jour-là que vous amassez des trésors de colère: et revelationis justi juidicii Dei, c’est-à-dire que ce jugement ne sera pas seulement entre lui et vous. De même que vous l’avez offensé devant tous les hommes, de même serez- vous condamné et puni devant tous les hommes.

Premièrement, afin de recevoir par là une peine proportionnée à vos offenses. Secondement, afin que ceux qui auront été scandalisés par vous comprennent que Dieu ne vous a pas traité plus favorablement que les autres. Troisièmement, afin que ceux que vous avez publiquement offensés soit par vos paroles, soit par vos exemples, reçoivent une réparation publique de vos offenses envers eux, et c’est en cela que le jugement de Dieu sera vraiment juste. C’est aussi pour cela qu’il faudra qu’il soit révélé.

C’est ainsi qu’en essayant, autant qu’il est permis à une nature bornée, de scruter les secrets conseils de Dieu, l’on est effrayé de cette merveilleuse justice qui tantôt se cache, tantôt se montre: se montre pour effrayer et encourager, se cache pour laisser le temps au repentir d’effacer le mal et de fermer les blessures que le péché fait à l’homme. Oh! si les hommes comprenaient cette justice, s’ils entraient dans les secrets de cette sagesse, quelle reconnaissance ne ferait pas place à leurs blasphèmes, mais surtout de quelle crainte tous ne seraient-ils pas saisis? Crainte utile, car en même temps que cette pensée: combien y a-t-il de temps que je fatigue la patience de Dieu nous glacerait d’effroi, cette autre pensée: Dieu qui est si patient ne m’abandonnera pas si je reviens à lui, cette pensée, dis-je, nous soutiendrait et nous aiderait à dissiper les trésors de colère que nous amassons depuis si longtemps, pour les remplacer par des trésors de pénitence, et de miséricorde et d’amour.

v. 6-7-8. – « Qui reddet unicuique secundum opera ejus, iis quidem qui secundum patientiam boni operis, gloriam et honorem, et incorruptionem quaerunt, vitae aeternam, iis autem qui sunt ex contentione et qui non acquiescunt veritati, credunt autem iniquitati, ira et indignatio. »

Nous voyons d’abord que Dieu rendra à chacun selon ses oeuvres. Donc Dieu, tout en aidant l’homme, lui laisse la liberté de faire le bien et le mal; car si chacun est récompensé selon ses oeuvres, il faut dire nécessairement ou que Dieu n’est pas juste, ou qu’il laisse à chacun les moyens d’acquérir la récompense qu’il propose. Or s’il laisse cette liberté, il est faux de dire que tout arrive dans ce monde par nécessité. Ce n’est pas tout. Si Dieu rend à chacun selon ses oeuvres, il permet le vice et récompense la vertu. Mais s’il punit, il punit des êtres distincts de lui, car il ne saurait se punir lui-même. Donc s’il récompense ou punit chacun selon ses oeuvres, s’il exerce son jugement, il est faux de dire que l’univers soit un tout qui est Dieu. Donc la panthéisme est absurde: car dans le panthéisme il ne saurait exister de vice ni de vertu, ou il faudrait dire que le vice n’est pas puni – ce qui serait affreux, ou que Dieu est puni, ce qui serait absurde.

v. 9 et 10. – « Tribulatio et angustia in omnem animam hominis operantis malum, Judaei primum et Graeci, gloria autem et honor et pax omni operanti bonum, Judaeo primum et Graeco. »

L’anathème est porté. Le fruit du mal, c’est la tribulation, c’est l’angoisse. Le fruit du bien, c’est la gloire, l’honneur, la paix. Pesons bien ces paroles: tribulatio. Le mal a apporté la tribulation, c’est-à-dire le désordre. Ceci est vrai et en général et en particulier. Le mal a apporté le désordre, parce qu’il a brisé les rapports qui subsistaient entre les hommes et leur auteur, entre les hommes et leurs semblables. Tribulatio signifie encore persécution et pourra être ici placée en opposition à angustia, qui signifie la souffrance intérieure. En effet les conséquences du mal sont intérieures et extérieures. Depuis la faute du premier père, il faut que le supplice des coupables soit extérieur, afin d’augmenter leur honte et d’effrayer ceux qui seraient tentés de les imiter. Elles sont intérieures, parce qu’elles vicient le coupable. Il y aurait bien des choses à dire sur ces troubles, sur ces remords et ces angoisses de l’âme qui se livre au mal. On la peindrait entrant en lutte avec Dieu et avec les hommes, leur faisant tout le mal dont elle est capable: à Dieu, en lui refusant l’honneur qui lui est dû, anéantissant autant qu’il est en elle la vérité par ses erreurs, la justice par ses crimes, la bonté par son désespoir; aux hommes par le scandale en leur communiquant ses plaies, en les entraînant dans l’abîme où elle est entraînée. Et recevant de Dieu et des hommes la tribulation, c’est-à-dire de la part de Dieu l’ignorance, les ténèbres, l’aveuglement, la souffrance, les maladies, la mort; de la part des hommes la haine et tout ce que peut enfanter la haine. Ensuite rentrant dans l’intérieur de l’homme, on examinerait ce qu’il devient, quand le mal qu’il a commis lui fait pour ainsi dire perdre l’empire de lui-même, quand il comprend l’isolement où le mal l’a placé, et bien plus encore la lutte contre Dieu et les hommes. De quelles frayeurs ne doit-il pas être [alors] assailli?

Tribulatio et angustia. Prenez un pécheur, un homme qui fasse profession de ne pas suivre la loi de Dieu, trouvez-en un seul qui ne soit pas livré à la tribulation et à l’angoisse, dans le sens le plus rigoureux de ces deux mots. Tous souffrent, tous gémissent, tous aspirent à un état meilleur. Ils ne peuvent pas toujours se faire une idée de ce qu’ils voudraient, mais ils veulent autre chose que ce qu’ils ont. Ils espèrent et désespèrent tour à tour. Quelquefois les plaisirs les étourdissent, mais l’enivrement n’est pas long. Bientôt la réalité se représente et ne leur laisse aucun espoir que celui du tombeau. Quel espoir pour le pécheur et même pour l’incrédule?

Que si de l’homme isolé nous passons à la considération d’une société qui fait le mal, quelle effrayante évidence, quelle terrible manifestation de la justice! C’est alors que l’on peut dire tribulatio et angustia, tribulation et angoisse. Ce sont les partis qui se déchirent, ce sont les plus forts qui oubliant toute loi oppriment, tyrannisent les vaincus. Ce sont les terribles représailles de ceux-ci, quand la fortune leur devient favorable. Chacun cherche à prendre son point d’appui dans la force brute, et la force brute est un point d’appui insuffisant. Il faut bien autre chose pour que les sociétés subsistent et marchent. Aussi voyez, la force seule n’amène que de funestes collisions, et jamais l’ordre, jamais la prospérité, la paix.

Gloria autem, et honor et pax. Mais passons à un autre spectacle, la gloire, l’honneur. L’honneur et la paix à ceux qui font le bien. Il paraît que ce n’est pas de la vie future que saint Paul veut parler ici, mais bien de la vie présente. Donc, même selon saint Paul, la vertu est récompensée dès ce monde. Je dis la vertu. Car, quoiqu’il soit bien vrai que ceux qui la pratiquent obtiennent dès ici-bas une grande récompense, ils ne sont cependant pas toujours honorés et glorifiés comme ils devraient l’être. Cependant plusieurs le sont et cela suffit. Et même lorsqu’on poursuit l’homme vertueux, on le persécute, non pas parce qu’il est vertueux, mais parce qu’on pense qu’il ne l’est pas, en sorte que même lorsqu’on poursuit l’homme vertueux, la vertu reçoit encore un certain hommage. Mais quand même l’homme vertueux ne reçoit pas de son vivant la gloire et l’honneur que lui promet saint Paul, il la reçoit après sa mort. Pour combien d’hommes la mort n’a-t-elle pas soulevé le rideau qui cachait la vérité, en sorte que l’on n’a apprécié certains hommes que lorsqu’il n’était plus temps.

Et en cela la disposition providentielle est admirable. Dieu épargne à la vertu cachée l’écueil d’une gloire qui pourrait la briser par les révoltes de l’orgueil. Et cependant il lui accorde même ici-bas ce qu’il lui a promis, afin d’encourager les faibles en leur présentant comme des arrhes de récompenses plus grandes. Mais ce que Dieu donne et ce qui fait le fond de la récompense du juste, dès ici-bas, c’est la paix. Je ne veux pas dire qu’il n’y ait plus aucun combat à livrer. S’il y avait sur la terre un juste absolu, on pourrait peut-être soulever cette question. Mais comme il n’en subsiste point, il ne saurait y avoir aussi de paix absolue. Cependant Dieu dans son infinie bonté permet que certaines âmes après de longs combats ou par une faveur spéciale, soient affranchies du péché. C’est ce qu’on appelle être confirmé en grâce. Celui qui est confirmé en grâce ne pèche plus, quoiqu’il puisse éprouver les suites du péché, mais ces suites ne sont pas de nature à apporter le désordre chez lui, au moins dans la partie supérieure de son être. Il pourra être troublé extérieurement, mais comme Jésus-Christ se troubla en entrant dans la caverne où était enseveli Lazare. Mais ce trouble ne passe pas dans la partie intime de l’esprit. Là tout est calme, tout est tranquille, Dieu y établit comme un sanctuaire impénétrable et dans la paix la plus profonde il se communique à sa bien-aimée.

v. 11. – « Non enim est acceptio personarum apud Deum. » Les Juifs ne voulaient pas souffrir que le culte du vrai Dieu se répandît, ils voulaient en faire un monopole, comme les Romains du droit de cité. Il faut remarquer cependant que pendant longtemps Dieu avait voulu cette séparation des Juifs et des Gentils, comme plus tard il ne la voulut plus. Il la voulut tant que le peuple Juif fut gouverné par la loi mosaïque, loi sociale qui ne pouvait s’appliquer à tous les peuples de la terre, loi par conséquent transitoire. En effet, quand la plénitude des temps est venue, Dieu déchire cette loi imparfaite, loi de terreur et de figures, pour y substituer une loi parfaite, la loi de grâce, de vérité et d’amour. Cette seconde loi, tous les hommes étaient appelés à la connaître, à jouir de ses bienfaits. Mais les Juifs qui ne comprenaient pas les desseins de Dieu, s’indignaient de ce qu’on cherchait d’abord à leur ôter leurs lois cérémoniaires et figuratives, quelque pesant que fût leur joug; en second lieu, de ce que l’on prétendait faire participer tous les peuples au bienfait de la rédemption. C’est pourquoi s. Paul, affirme que Dieu ne fait pas acception de personnes, quoiqu’il reconnaisse cependant que le Juif vient avant le Grec, mais ce n’est qu’une affaire de prééminence et non pas d’exclusion.

Il y a une foule de considérations à faire à ce sujet, je me borne à quelques-unes qui me frappent davantage. D’abord je vois dans ces paroles le principe et le fondement de l’égalité chrétienne. Si Dieu ne fait pas acception de personnes, le sujet peut espérer autant que le roi, le serviteur [autant] que le maître, le petit [autant] que le grand, le faible [autant] que le fort, l’ignorant [autant] que le savant, etc. Dès lors, ceux qui aux yeux du monde paraissent avoir plus ne doivent pas s’estimer plus que ceux qui ont moins, car Dieu seul scrute les coeurs et connaît le mérite de chacun. Donc il faut le respect pour tous. L’histoire des Juifs et leur répugnance à se désister de leurs privilèges ressemblent à ce que font les classes privilégiées, lorsque l’on veut les priver de leurs droits.

v. 12. – « Quicumque enim sine lege peccaverunt, sine lege peribunt, et quicumque in lege peccaverunt per legem judicabuntur. »

Ceci est à remarquer. Dieu ne demandera pas à chacun plus qu’il ne lui aura donné. Toutefois observons ces paroles: quicumque sine lege peccaverunt. Donc ils pouvaient ne pas pécher, il y en a qui ont péché sans la loi, il y en a qui n’ont pas péché. Saint Paul ne dit ni le nombre ni la proportion des uns et des autres; mais il est certain que tous n’ont pas péri. Car si tous ceux qui avaient été sans loi avaient péri, s. Paul n’aurait pas dit: quicumque sine lege peccaverunt. Donc on a pu se sauver sans la loi, quoique avec plus de difficulté. Tout ceci mérite une sérieuse attention, car si l’on a pu se sauver sans la loi et si l’on ne peut se sauver que par Jésus-Christ, comment se seront sauvés ceux qui se seront sauvés dans la loi? Pourquoi l’Apôtre met-il que ceux qui sont sans la loi périront, et que ceux qui ont péché dans la loi seront jugés par elle? Quelle différence y a-t-il entre être jugé et périr? Est-ce que ceux qui seront jugés ne périront pas ou que ceux qui périront ne seront pas jugés? Je crois d’abord que saint Paul met cette différence pour exprimer que ceux qui sont sans la loi seront exposés à de plus grands périls, parce qu’ils auront moins de moyens de se sauver et d’invoquer la justice divine; en second lieu, que leur jugement est prononcé d’avance et que la justification de ceux qui ne périront pas sera une exception.

v. 13. – « Non enim auditores legis justi sunt apud Deum, sed factores legis justificabuntur. » Condamnation de ces hommes qui, après avoir passé leur vie dans l’étude spéculative de la religion, n’y conforment pas leur conduite. Ne devons-nous pas voir là aussi la condamnation de la plupart des catholiques de nos jours? Ceux même qui ont la foi que font-ils pour la montrer par leurs oeuvres? On parle beaucoup de la puissance du catholicisme, de son influence sur la société, de ses bienfaits, des progrès qu’il a fait faire à l’esprit humain; on parle beaucoup de toutes ces choses et on les trouve merveilleuses, mais s’occupe-t-on de la pratique, avise-t-on aux moyens de prêcher par l’exemple autant qu’en paroles? Nullement, au contraire, on ne s’en occupe pas du tout. Qu’importe cependant la spéculation sans les conséquences qui sont la réforme des moeurs, la victoire sur les passions, la pratique des vertus? Mais qui aujourd’hui parmi tous les entrepreneurs de religion, parmi ces actionnaires d’oeuvres catholiques, pense à cela?

v. 14. – « Cum enim gentes quae legem non habent, naturaliter ea quae legis sunt, faciunt, ipsi sibi sunt lex. »

Faudrait-il conclure de ce passage que la révélation faite sur le Sinaï n’avait eu pour but que la loi particulière des Juifs, mais qu’auparavant toutes les grandes lois morales étaient déjà connues? Je crois en premier lieu qu’il faut reconnaître au moins que si ces grandes lois n’ont pas été promulguées alors ou si elles n’ont pas reçu certains développements, du moins elles ont reçu une sanction puissante et un cachet spécial de révélation. C’est Dieu qui donne les dix commandements à Moïse, il les donne au milieu de la foudre et des éclairs. On ne peut nier qu’il a parlé, et cela suffit. En second lieu, il faut examiner ce que saint Paul entend par le mot naturaliter. Veut-il dire que tous les hommes en naissant ont la loi écrite au fond de leur coeur ou qu’elle se grave naturellement, à mesure que l’homme se développe? Je crois à cette seconde interprétation, mais la première ne doit pas être rejetée. Toutes deux se tirent des différents systèmes de philosophie que l’on embrasse, mais on ne peut nier que la seconde ne soit plus conforme à l’histoire de l’humanité.

v. 15-16. – « Qui ostendunt opus legis scriptum in cordibus suis, testimonium reddente illis conscientia ipsorum, et inter se invicem cogitationibus accusantibus, aut etiam defendentibus, in die cum judicabit Deus occulta hominum, secundum Evangelium meum per Jesum Christum. »

Ici se présente une immense question. Ceux qui n’ont pas eu les lumières de la révélation seront-ils sauvés? Y a-t-il des hommes qui à un degré quelconque n’aient pas reçu les traces de la révélation? Si l’on ne peut être sauvé que par Jésus-Christ et si la révélation seule nous fait connaître Jésus-Christ, comment seront suvés ceux qui n’ont pas reçu la révélation? Que l’on ne dise pas que la révélation s’est éteinte, mais que les générations plongées dans les ténèbres ont été sauvées par la foi de leurs pères: car leurs pères, par cela même, qu’ils ne leur ont pas transmis la foi, ont montré qu’ils en avaient laissé périr le dépôt entre leurs mains et dès lors n’ont pu en jouir même pour eux. La foi des pères dans cette occasion ne me paraît donc pas pouvoir sauver les enfants. Cependant ils n’auront pas d’excuse, s’ils ne suivent pas la loi gravée dans leurs coeurs.

Mais comment y est-elle gravée? Ici les discussions recommencent, et cependant il est bien vrai que Dieu demandera à chacun compte du talent qu’il a reçu. Il est bien vrai que chacun sera jugé, selon l’évangile de saint Paul, par Jésus-Christ. Que si cet évangile est la règle, comment sera justement condamné celui qui ne le connaissant pas l’a violé? Il est, je crois, assuré qu’il ne sera pas condamné pour ce qu’il ne pouvait pas connaître; il ne le sera que pour ce qui était gravé naturellement dans son coeur et qu’il n’a pas pratiqué. Or on peut dire qu’il sera condamné. Car les hommes sont presque toujours plus mauvais que leur croyance, c’est-à-dire qu’ils sont toujours au- dessous de l’idée qu’ils se font de la vertu, et dès lors sont coupables de ne pas copier exactement le modèle qu’ils se créent, tout imparfait qu’il est. Car il est sûr que s’ils le réalisaient, Dieu leur montrerait une plus grande portion de la vérité, dissiperait davantage leurs ténèbres et les mettrait à même de devenir meilleurs et dignes d’une plus grande révélation. Mais parce qu’ayant une idée imparfaite, ils ne réalisent même pas cette idée, ils seront jugés selon cette idée imparfaite et condamnés conformément à l’évangile, quoique l’évangile donne de la vertu une idée parfaite.

v. 17 sq. – Toute la fin de ce chapitre qu’il est, je crois, inutile de transcrire, est la condamnation des Juifs qui ayant reçu la loi et les prophéties croyaient que ce privilège seul suffisait pour les sauver. Saint Paul leur reproche leur folie et leur montre que tous leurs titres sont nuls sans les oeuvres. Et ce passage, pour le dire en passant, est un des plus forts que l’on puisse alléguer contre les Calvinistes qui prétendent que la foi seule suffit pour nous sauver. Car il est bien sûr que le Juif qui s’enorgueillit de ses privilèges à la foi, comment en serait-il fier, s’il ne croyait pas les avoir reçus de Dieu? Comment en serait-il fier? Je crois bien qu’on peut dire que le Juif, qui à l’époque de saint Paul attendait le Messie et se fondait sur cette espérance pour croire sa nation la première de l’univers, je crois bien que ce Juif avait la foi au Rédempteur. Et cependant était-il sauvé, s’il n’ajoutait les oeuvres? Vous dites qu’il n’avait pas la foi. Alors pourquoi l’attendait-il? Et sur quoi reposait sa foi? N’était-ce pas sur la parole de Dieu, sur les prophéties légitimement interprétées? Et si cela est, que pouvez-vous dire pour prouver que cette foi n’était pas une véritable foi? Vous direz que cette foi n’était pas véritable, parce qu’elle ne donnait pas la force d’agir. Quoi! vous voulez dire que la foi sans les oeuvres est morte? Je suis de cet avis. Que les oeuvres sans la foi ne servent à rien, lorsqu’on peut avoir cette foi surnaturelle? Je suis encore de cet avis. Que voulez-vous dire encore une fois? Et voyez comme la suite confirme ce que je dis. Ce n’est pas, ajoute saint Paul, celui qui est Juif de fait, mais celui qui est Juif en réalité qui sera sauvé.

Qu’est-ce que le Juif de fait? C’est celui qui est né Juif. Qu’est-ce que le Juif en réalité? Celui qui est tout ce que doit être un Juif, tout ce qui distingue un Juif des autres peuples ou ce qui distinguait les Juifs. Ce n’était pas la circoncision, puisque la circoncision appartenait à tous les enfants d’Abraham, c’est-à-dire aux peuples sortis d’Ismaël et d’Esaü, etc. Ce qui faisait du Juif un être à part, c’était la loi. Or la loi ne commandait que peu de choses à croire ou plutôt elle ne commandait rien, elle supposait la foi. Mais elle commandait les oeuvres et beaucoup d’oeuvres. Le véritable Juif était seul sauvé. Donc celui-là seul était sauvé qui faisait les oeuvres de la loi. Donc ce sont les oeuvres qui sauvent.

Notes et post-scriptum