[Sermons et fragments de sermons 1844-1854]

Informations générales
  • TD50.017
  • [Sermons et fragments de sermons 1844-1854]
  • [Sermon sur la] Pentecôte.
  • Orig.ms. BK3, pp. 211-239; T.D. 50, pp. 17-30.
Informations détaillées
  • 1 ACCEPTATION DE LA VOLONTE DE DIEU
    1 ACTION DE DIEU
    1 AFFRANCHISSEMENT SPIRITUEL
    1 AMOUR DE DIEU POUR SA CREATURE
    1 AMOUR DIVIN
    1 ANEANTISSEMENT
    1 APOTRES
    1 ATHEISME
    1 BAPTEME
    1 BIEN SUPREME
    1 CHARITE ENVERS DIEU
    1 CHARITE ENVERS LE PROCHAIN
    1 CRAINTE
    1 CRECHE DE JESUS-CHRIST
    1 CROIX DE JESUS-CHRIST
    1 DECADENCE
    1 DESSEIN DE SALUT DE DIEU
    1 DIEU CENTRE DE LA VIE SPIRITUELLE
    1 DOMINATION DE DIEU
    1 DONS DU SAINT-ESPRIT
    1 EGOISME
    1 ENFANTS DE DIEU
    1 ENNEMIS DE DIEU
    1 FORMATION DE JESUS CHRIST DANS L'AME
    1 GLOIRE DE DIEU
    1 GLOIRE DE LA SAINTE VIERGE
    1 GRACE
    1 HAINE CONTRE DIEU
    1 HUMILITE
    1 IDEES DU MONDE
    1 LACHETE
    1 LIBERTE
    1 LOI DIVINE
    1 LUTTE CONTRE LE MONDE
    1 MERE DE DIEU
    1 MISERICORDE
    1 MORT
    1 MORTIFICATION CORPORELLE
    1 MYSTERE DU SALUT
    1 NATIVITE
    1 ORDRE SURNATUREL
    1 ORGUEIL
    1 PARDON
    1 PECHE
    1 PECHE ORIGINEL
    1 PENTECOTE
    1 PERFECTIONS HUMAINES DE JESUS-CHRIST
    1 PERSECUTIONS
    1 PEUPLE DE DIEU
    1 POSSESSION DE DIEU
    1 PROGRES DANS LA VIE SPIRITUELLE
    1 PUISSANCE DE DIEU
    1 REGNE
    1 SAINTS
    1 SALUT DU GENRE HUMAIN
    1 SATAN
    1 SAUVEUR
    1 SERMONS
    1 SOUFFRANCE SUBIE
    1 SOUVERAINETE DIVINE
    1 SPIRITUALITE TRINITAIRE
    1 TEMPLE DU SAINT-ESPRIT
    1 TRIOMPHE DE L'EGLISE
    1 UNIVERSALITE DE L'EGLISE
    1 VERTU D'OBEISSANCE
    1 VERTU DE FORCE
    1 VIE SPIRITUELLE
    1 VOLONTE DE DIEU
    1 VOLONTE PROPRE
    2 ABRAHAM
    2 ADAM
    2 DAVID, BIBLE
    2 ISAIE, PROPHETE
    2 JUDA
    2 MOISE
    2 PAUL, SAINT
    2 SALOMON
  • 1844-1854
La lettre

Charitas Dei diffusa est in cordibus nostris, per Spiritum Sanctum qui datus est nobis.

C’est sans doute, un grand et magnifique spectacle que celui d’un Dieu qui vient consommer son alliance avec les hommes, en venant fonder sur la terre une société nouvelle. C’est quelque chose de merveilleux que les premiers commencements d’une société qui se développe sous l’influence d’un souffle divin, et qui s’élevant au milieu des persécutions de tout genre, porte comme un temple infini son faîte jusqu’au ciel, et appelle et réunit dans son sein les peuples des quatre vents de la terre. Mais en admirant avec vous ce que ce temple présente de majeste dans son ensemble, de perfection dans ses lignes, de charme uni dans ses ornements extérieurs, je sais qu’un habile architecte se réserve ordinairement pour l’intérieur de l’édifice ce qu’il a de plus déclicat dans les beautés de son art. Le tabernacle que Moyse éleva au Seigneur dans le désert n’était extérieurement revêtu que de tissus grossiers, tandis que l’or et l’argent brillaient dans le saint des saints. Et donc les enfants de Juda, après avoir admiré les merveilleuses constructions que présentait de loin le temple que Salomon éleva au Seigneur, étaient encore plus surpris que la recherche des travaux antérieurs que ce roi avait fait exécuter.

Je viens aujourd’hui, mes frères, vous convier à quelque chose de semblable. Toute la beauté de la fille du roi est dans son intérieur, omnis decor filiae regis ab intus. Je viens vous parler des merveilles intérieures de ce temple que le Saint-Esprit élève aujourd’hui en fondant l’Eglise. Je viens vous parler des effets qu’il opère sur l’âme des chrétiens dans l’oeuvre de leur sanctification, et mon plan sera simple. Je vous montrerai le Saint-Esprit, principe de la force et de la grandeur du chrétien. Marie, épouse du Saint-Esprit, chef-d’oeuvre de sa grâce, priez pour nous.

Le Saint-Esprit force du chrétien. Première partie.

Sans aborder ici de trop longues considérations sur l’influence du péché dans l’homme, qu’il me soit permis seulement de faire observer que tout péché implique un acte d’amour de nous-mêmes par lequel nous nous préférons à Dieu, et un acte de haine contre Dieu par lequel nous nous révoltons contre lui. Or, il est facile de concevoir combien de pareils sentiments sont opposés à l’amour de Dieu, mais il faut en étudier les conséquences. L’homme en s’aimant jusqu’au péché et en faisant un acte de haine contre Dieu, se sépare de Dieu autant qu’il est en lui pour se retirer en lui-même; mais si Dieu lui accordait ce qu’il désire, qu’en résulterait-il? Que l’homme rentrerait dans le néant, car en se séparant de Dieu, il doit se séparer de ce qui est à Dieu; et premièrement des objets créés. Domini est terra, et plenitudo ejus. Tout l’univers est l’oeuvre du Seigneur, et rien de ce qui a été fait n’a été fait sans lui. L’homme pécheur doit donc d’abord renoncer à son domaine sur les créatures, à l’appui qu’il peut trouver en elles, puisqu’en [se] séparant de Dieu il perd tout droit sur elles; mais il ne peut pas plus s’appuyer sur ses semblables, car quel est le principe des relations entre les hommes? Je n’en connais que deux, l’intérêt et la charité. L’intérêt, et dans ce mot je comprends les passions dont le mobile est dans l’intérêt; l’intérêt, mais c’est un principe de division, mon intérêt personnel étant en dernier lieu et toujours opposé à l’intérêt des autres. La charité, mais la charité repose sur l’amour de Dieu, et l’amour de Dieu étant exclu par le péché, la charité n’est plus qu’un mot. Voilà donc l’homme livré à lui seul. Mais écoutez ce cri de saint Paul: « ô homme, qu’as-tu que tu n’aies reçu? mais si tout ce que tu as, tu l’as reçu, au moment où tu te sépares de ton Dieu, ne faudra-t-il pas que tu le lui rendes et n’a-t-il pas le droit de l’exiger? Ton corps ne t’appartient pas, rends-le à la terre; ton âme est un souffle de la bouche du Créateur; ô homme, que te reste-t-il? L’homme pécheur devrait donc rentrer dans le néant, mais il n’en est point ainsi et Dieu lui permet de vivre, mais cette intelligence qui a fait un effort pour se détruire prouve par cela même sa faiblesse, puisqu’elle est même dans l’impuissance de mourir. Oui, elle est grande, elle est immense la faiblesse de l’homme abandonné à lui-même, elle est immense cette faiblesse de cet être qui s’est volontairement séparé du principe de la vie, et qui suspendu sur l’abîme de la mort n’est violemment retenu dans l’existence que pour souffrir. Séparé de l’univers, de ses semblables, violemment brisé en lui-même, que reste-t-il à l’homme jeté sur la terre pour y maudire ses destinées et y gémir sur ses irrémédiables illusions, que lui reste-t-il qu’un sentiment profond de son impuissance à sortir de cet état?(1) Car à quoi se prendrait-il pour en sortir? à l’univers? mais quel bien pourront faire des créatures inanimées à cet être blessé dans son intelligence? Que pourront ses semblables écrasés, après tout, sous le poids d’une semblable destinée, traînant la même chaîne, poussés vers le même tombeau?

Il ne peut rien que par son Dieu, et ce Dieu il l’a irrité, il a blasphémé son nom, il a déclaré qu’il se passerait de lui; voulez-vous qu’il se prosterne en sa présence? Non, non, il ne le peut, toujours l’orgueil l’arrêtera et toujours le sentiment de ses maux augmentera sa haine et son désespoir.

Mais Dieu laissera-t-il sa créature marcher, s’enfoncer dans la voie fatale où elle est entrée? Ne se souviendra-t-il pas de l’oeuvre de ses mains? C’est ici, mes frères, qu’il faut adorer et bénir les impénétrables desseins de Dieu sur les hommes, car c’est sa faiblesse même qui attirera la miséricorde; c’est parce que l’homme est faible que Dieu aura pitié de lui; il a précipité Satan du haut du ciel, parce que Satan était plus parfait, mais l’homme dans sa faiblesse même trouve une protection. Et le Seigneur mettra sa gloire à rappeler des limites du néant cette créature rebelle et dégradée, qui en avait déjà touché les portes.

Le monde par le péché n’était plus qu’une sorte de chaos, mais comme autrefois l’esprit de Dieu descendra sur les eaux de l’abîme, et le chaos sera de nouveau fécondé.

Comment aura lieu ce prodige? Cum inimici essemus, reconciliati sumus per mortem filii ejus. Les hommes par le péché étaient les ennemis de Dieu, mais Dieu ne fut jamais leur ennemi. Dieu aimait encore le monde, alors que le monde le poursuivait de sa haine. Comment, en effet, remarque saint Augustin, s’il n’eût pas aimé les hommes pécheurs, eût-il envoyé son fils pour les sauver? Et c’est ici qu’il faut admirer le plan des desseins de Dieu. A peine l’homme par le premier péché a-t-il fait un acte de haine contre son auteur que Dieu, du haut du ciel, lui répond par un acte d’amour, et en le frappant à cause de sa révolte, fait briller à ses yeux dans la promesse d’un libérateur l’aurore de l’espérance; c’est ce même amour qui vient consoler les patriarches en leur montrant dans l’avenir les promesses qu’ils saluaient de loin, avant de descendre au tombeau. C’est lui qui sur la harpe de David ou sur les lèvres d’Isaïe fait entendre des chants d’allégresse, à la vue des triomphes du libérateur qui s’avance. Pendant quatre mille ans, par les ombres de la loi, par les figures des patriarches et par les promesses des prophètes, il prépare son oeuvre, l’oeuvre de sa toute-puissance, en rendant aux hommes une vie nouvelle. L’amour divin opérera une seconde création. Et saint Thomas déclare que les hommes appelés à la sainteté par l’amour de Dieu, reçoivent une seconde création, in novo esse constituuntur ex nihilo.

Que dis-je? l’oeuvre de la réparation sera pour Dieu quelque chose de plus grand que la première création, puisque tous les jours l’Eglise en célébrant les saints mystères, lui dit: Deus qui humanae substantiae dignitatem mirabiliter condidisti, et mirabilius reformasti.

Et un prophète contemplant l’oeuvre de la réconciliation l’invite à faire comme un effort de sa toute-puissance: Excita potentiam tuam, et veni. Il viendra, en effet, manifester la toute-puissance de son amour, mais cela ne suffira pas, car cet amour agissant incessamment contre le principe de haine déposé dans le coeur de l’homme, en le forçant à aimer, détruira la cause de la faiblesse du pécheur. L’amour divin en triomphant détruira la faiblesse, suite du péché, et mettra à sa place la force même de Dieu. Le triomphe de l’amour de Dieu sur le péché a été, nous venons de le voir, l’effort de la toute-puissance divine, mais cette puissance ne l’y apporte que pour la lui communiquer.

Le voyageur contemple quelquefois sur son chemin les monuments, à demi détruits, de la vanité des hommes et s’asseyant au milieu des ruines de temples, d’amphithéâtres, de palais, jadis peuplés aujourd’hui déserts, il les reconstruit dans sa pensée, les remplit avec son imagination d’habitants, de spectateurs et de bruit, et quand il a médité un moment sur les restes de ce qui n’est plus, il s’éloigne et doute si les événements de la vie, une fois écoulés, ont plus de réalité quand ils sont accomplis que les illusions d’un rêve évanoui.

Je veux vous faire considérer quelque chose de semblable, mais bien autrement consolant. Voyez les ruines de l’humanité, contemplez ces sublimes débris, encore fumant des foudres vengeresses, que de grandeur passée ne révèlent-ils pas à côté d’affreuses misères! Comme ils montrent l’antique splendeur de l’homme, et comme ils montrent aussi que l’homme est tombé tout entier, et qu’il n’est plus en lui aucun principe d’énergie et d’action pour le bien, pour la vertu! Hé bien, venez et voyez cet esprit d’amour qui pendant quatre mille ans a préparé la régénération humaine, cet amour qui est Dieu et qui a conduit un Dieu aux abaissements de la crèche, aux souffrances de la croix. Cet [esprit] est envoyé par le Sauveur des hommes, il a rempli la terre, Spiritus Domini replevit orbem terrarum, et lui aussi va relever les ruines du monde, il va lui rendre la vie, mais une vie qui ne passera pas, une vie que les temps ne verront pas finir, [qu’] il va communiquer au monde.

Seigneur, ce sera votre chef-d’oeuvre, Emitte Spiritum tuum, et creabuntur, et renovabis faciem terrae.

Oui, la face de la terre sera renouvelée, et l’on verra des hommes obscurs, grossiers, ignorants, sans lettres et sans puissance, remplis de cet esprit, frapper le vieux monde à coups redoublés et faire surgir l’édifice du salut, l’Eglise. Mais cette force qui leur fut donnée pour la conversion de leurs frères, et que je n’envisage pas maintenant sous ce point de vue; cette même force, ils la reçurent pour eux, ils la reçurent pour la communiquer aux hommes, afin que chaque nouveau disciple qu’ils amenaient au pied de la croix pût coopérer lui-même à l’oeuvre de sa sanctification.

Car, remarquez-le, cet Esprit n’est autre que la troisième personne de l’adorable Trinité; dès lors sa puissance n’est autre que la puissance de Dieu même, et dès lors qui pourra lui résister? Et ce sera ce même Esprit qui viendra pour faire disparaître la faiblesse de l’homme et donner au chrétien sa propre force. Mais pour se faire une idée de ce mystère, il faut entrer dans la pensée de saint Paul qui nous la développe dans son épître aux Romains. Après avoir montré comment la loi de l’esprit de Dieu est en opposition à la loi du monde et de la chair, avoir montré les efforts et les gémissements de toute créature qui attend l’accomplissement de cette adoption des enfants de Dieu, par laquelle nous entrerons en possession du céleste héritage, il représente le chrétien livré à une grande attente, et l’Esprit-Saint venant en aide à notre faiblesse, Spiritus adjuvat infirmitatem nostram, faiblesse d’autant plus profonde que nous ne pouvons savoir le moyen de la faire cesser. Semblables à un malade qui ne peut connaître le remède qui guérirait le mal dont il est tourmenté, nous sentons un immense besoin, mais nous ne savons ce qui pourra l’apaiser, un vide immense, mais qui pourra le combler? Nous sentons que nous avons à demander quelque chose, mais les paroles expirent sur nos lèvres, Numquid oremus, sicut oportet, nescimus, et l’esprit demande, sollicite en nous avec des gémissements inénarrables. Sed ipse Spiritus postulat pro nobis gemitibus inenarrabilibus.

Maintenant faites-vous, si vous le pouvez, une idée de la puissance d’une prière divine? Comprenez, si vous le pouvez, un Dieu qui vient prier en vous et avec vous. Comprenez, si vous le pouvez, ce que n’obtiendra pas de Dieu l’amour de Dieu. Dieu peut-il se refuser quelque chose à lui-même? et le seul obstacle dès lors à ce que la prière soit exaucée, n’est-ce pas nous-mêmes. Poursuivez, grand Apôtre: Qui autem scrutatur corda, scit quid desideret Spiritus, quia secundum Deum postulat pro sanctis. Dieu connaît les désirs de son Esprit, et quand les désirs de son Esprit sont la sanctification des saints, qui empêchera que ces désirs ne se réalisent? Car nous savons que tout devient un avantage pour ceux qui aiment Dieu. Scimus autem quoniam diligentibus Deum, omnia cooperantur in bonum, iis qui secundum propositum vocati sunt sancti. Où je vous prie de considérer d’abord la force qu’acquiert le chrétien au milieu des événements de la vie, et comment il est introduit dans un monde nouveau. Tant qu’il s’est laissé guider par le principe humain, par l’intérêt personnel, par l’amour de lui-même, il a pu obtenir quelques biens rapides, fugitifs, mais force lui a été bientôt de sentir et de comprendre que la vie n’est qu’une déception. Pour celui qui aime Dieu, il en est tout autrement: tout lui devient un bien, un avantage: Diligentibus. Pourquoi? parce que, dès que l’amour de Dieu est entré dans son coeur, il a eu la pensée de dominer les événements, il a vu dans tout ce qui se passait en lui et autour de lui l’expression de la volonté de Dieu, à laquelle il est en tout soumis; car tout dans les plans éternels est préparé pour l’accomplissement des desseins de Dieu sur les élus qu’il veut faire arriver à la gloire. Mais quoi? s’écrie l’Apôtre, si Dieu est pour nous, qui sera contre nous? Si Deus pro nobis, quis contra nos? Entendez-vous, chrétiens? Ne me parlez donc plus d’obstacles, de dangers, que peuvent les ennemis de votre salut? Quoi! vous tremblerez quand l’Esprit de Dieu sera en vous? Quoi! vous aurez peur de Satan, de l’esprit de ténèbres? Quoi! vous aurez peur des convoitises du monde? Quoi! vous craindrez les séductions de vos semblables? Quoi! vous aurez peur de vous-même? Si Deus pro nobis, quis contra nos? Oui, le chrétien est bien fort, quand son Dieu est avec lui, quand son Dieu lui donne sa force, Omnia possum, in eo qui me confortat, force pour pratiquer la vertu. Le Saint-Esprit renverse les idoles dans le coeur(2).

Qui pourrait effrayer le chrétien, lorsque Dieu est avec lui? Les convoitises du monde? Ah! je l’avoue, depuis que le corps a consommé la révolte de l’âme, les hommes marchent l’oeil courbé vers la terre, et l’or et les plaisirs les enchaînent trop souvent; mais quand l’Esprit de Dieu, ouvrant les yeux de l’âme, manifeste au chrétien et les trésors et les délices de la patrie, aucun appât serait-il capable de l’arrêter? Oui, il lui en coûtera, mais il saura vaincre; voyez tant de religieux chercher dans le désert la séparation d’avec les créatures, Si Deus pro nobis, quis contra nos?

Les hommes, oui, les hommes veulent souvent que leurs semblables leur présentent un encens usurpé, ils veulent qu’on leur obéisse plutôt qu’à Dieu, et ils emploient la force et la violence pour arriver à leur but. Il [= l’homme] ne craindra pas de verser le sang de ses semblables, mais des millions de martyrs attestent que l’esprit de Dieu est plus fort que l’esprit de l’homme, Si Deus pro nobis, quis contra nos?

Le plus grand ennemi de l’homme c’est lui-même. Quelle guerre intérieure n’a-t-il pas à soutenir pour se soumettre à la volonté de Dieu? Non, jamais seul il n’y résistera, mais Dieu l’assiste, et que de chrétiens ne voit-on pas dompter leur orgueil par l’humilité, leur volonté par l’obéissance, leur corps par la mortification! Si Deus pro nobis, quis contra nos?

Vainement l’esprit tentateur redouble-t-il d’efforts, celui qui le chassa des temples de la terre le chassera encore du coeur de l’homme, où vainement il cherche une retraite. Le repaire de tous les vices deviendra le séjour de toutes les vertus. Ici appel à tous les saints. Si Deus pro nobis, quis contra nos?

Voilà ce que fait l’esprit de Dieu sur les saints, pourquoi ne le fait-il pas sur vous? Pourquoi? parce que vous paralysez ses efforts. Ah! je vous en conjure, Spiritum nolite extinguere. Appel à tous les saints qui ont vaincu.

Le Saint-Esprit, principe de la grandeur du chrétien. Deuxième partie.

N’oublions jamais que l’homme n’est rien par lui-même, qu’il n’a en propre que le néant. Et certes à ne le considérer que sous ce point de vue, je m’étonne qu’une seule pensée d’orgueil puisse se glisser dans son âme; mais si nous l’envisageons tel que le péché le fait, chargé des chaînes de satan, déshérité du ciel, souillé par la tache horrible de la révolte, quelle n’est pas sa dégradation! Cherchez sur la terre quelque chose de plus rebutant, vous ne le pourrez pas, il vous faudra aller au fond des abîmes préparés par la justice divine, aux anges révoltés pour trouver un terme de comparaison. Hé bien, c’est ce même homme ainsi descendu au dernier degré de l’échelle des êtres que Dieu prendra pour en faire tout ce qu’il y a de plus grand après lui. Oui, tout ce qu’il y a de plus grand. Et ne croyez pas que j’exagère ici. Par quoi la création est-elle rattachée à Dieu? Par un homme. Unus mediator Dei et hominum, homo Christus Jesus. Après Dieu, c’est un homme ou plutôt c’est la nature divine se réunissant à la nature humaine de manière à ne former qu’une seule personne, et dans ce seul homme tous les hommes réunis et tous les hommes sanctifiés, régénérés, et pour ce ministère il ne choisit pas les anges. Nusquam autem angelos apprehendit, sed semen Abrahae apprehendit. Dieu et l’homme ne faisant qu’un en Jésus-Christ, est-ce assez? Mais, me direz-vous peut-être, la gloire de Dieu rejaillit sur l’humanité de Jésus-Christ, parce qu’il est Dieu. Je vous l’accorde, et voilà pourquoi à côté de Jésus-Christ Dieu a voulu placer au-dessus des choeurs des anges une fille d’Adam, une femme, une pure créature, Marie, afin que tous les hommes sussent qu’inférieurs par nature aux intelligences célestes, les hommes pouvaient par la grâce s’élever aussi haut et plus haut encore, et que le trône de l’éternel était le seul terme où la grandeur humaine pût s’arrêter, quoiqu’elle le partageât avec Dieu dans la personne de son Fils. L’esprit se perd dans la considération de tant de grandeur, et comme la mère du Sauveur des hommes le chrétien est tenté de s’écrier: comment s’opéreront ces merveilles? Quomodo fiet istud? Marie, à qui l’on apprend qu’elle va devenir la mère de Dieu, s’arrête confondue en présence des abaissements divins. Le chrétien à qui l’on révèle sa grandeur s’arrête éperdu à l’aspect de tant de gloire et de merveilles qui lui sont destinés, Quomodo fiet istud? Tu te demandes, chrétien, l’explication de tant de bonté. Hé bien, je n’ai pas d’autre réponse à te faire que celle de l’ange. Si celui par qui Jésus s’incarne dans le sein de Marie est le même par qui Jésus veut prendre en toi une seconde naissance, ce sera l’oeuvre de l’esprit de Dieu, l’esprit divin descendra en toi, Spiritus Sanctus superveniet in te, et tu seras revêtu de la puissance du très-haut, et virtus altissimi obumbrabit tibi. Oui, le Christ s’incarnera en toi, et c’est parce que par l’esprit de Dieu tu ne feras qu’un avec Jésus-Christ, que tu auras part à sa gloire et à sa grandeur.

Mais il faut suivre successivement les divers degrés de transformation par lesquels le Saint-Esprit fait monter le chrétien pour l’élever jusqu’à la grandeur qu’il lui destine.

Il ne servirait de rien à un homme d’avoir de la force, s’il ne peut en faire usage. Que servent au guerrier et ses bras vigoureux et ces armes, dont les fers qui le couvrent lui interdisent l’usage? D’autre part, l’homme recevant un secours extérieur ne doit pas être tellement poussé par la grâce qu’il ne puisse lui résister. Il faut qu’il puisse user du secours qui lui est donné, il faut qu’il puisse le rejeter, afin qu’en s’appuyant sur le secours tout-puissant de Dieu, il puisse cependant acquérir des mérites. Ubi Spiritus Domini, ibi libertas.

Saint Paul nous fait comprendre ce mystère en deux mots, l’esprit que vous avez reçu n’est point un esprit de terreur, mais un esprit de puissance et d’amour, d’où vous voyez que la contrainte et la violence sont exclues, en même temps que sont garantis tous les droits de la liberté. Ce n’est point un esprit de crainte, c’est un esprit de puissance, mais de puissance qui soutient la faiblesse et d’amour qui invite sans contrainte, de telle sorte que sans que la liberté soit forcée, nous sommes doucement inclinés par l’amour vers le bien, et que nous recevons dans ce penchant vers le bien une nouvelle garantie de notre liberté car qui facit peccatum servus est peccati; mais ici plus nous faisons le bien, plus nous sommes libres, et par contre-coup, plus nous sommes libres, plus grands sont nos mérites. Ubi Spiritus Domini, est libertas.

C’est l’amour, ne l’oublions pas, qui est le principe de la liberté accordée à l’homme, c’est pourquoi l’amour ne s’arrêtera pas là, l’amour qui meut, qui dirige l’homme, le conduira jusqu’au privilège d’enfants de Dieu. Quicumque enim Spiritu Dei aguntur ii sunt filii Dei. Le chrétien est donc enfant de Dieu, dès qu’il a en lui l’esprit de Dieu. Vous avez, en effet, poursuit le même apôtre, vous avez reçu l’esprit d’adoption en qui nous crions: mon père, mon père. Non enim accepistis spiritum servitutis, iterum in timore, sed accepistis spiritum adoptionis, in quo clamamus: abba Pater. Ipse autem spiritus testimonium reddit spiritui nostro, quod sumus filii et haeredes. Et voilà que ce que je vous disais naguère, confirme d’une autre manière que nous avons part à l’héritage des cieux.

Deuxième titre de grandeur.

Mais cet esprit qui nous pousse, ce témoignage de l’esprit de Dieu suppose certaines communications, dont il faut se rendre compte. Dans l’ordre de la grâce, Dieu qui est la vie de l’âme se communique à l’âme, de même que les objets extérieurs se communiquent au corps. Le corps vit de deux manières, par la nourriture qu’il prend, et par l’air qu’il respire et où il puise en outre la lumière et la chaleur; de même l’Eucharistie est à l’âme ce que la nourriture est au corps; de même aussi ce que l’air est au corps, le Saint-Esprit, dans l’ordre de la grâce, l’est à l’âme. Et c’est dans ce sens que saint Paul dit: In ipso enim et vivimus, et movemur, et sumus. Or cet esprit n’est communiqué à l’âme que par un acte de l’amour de Dieu, et le don que Dieu fait à l’âme est Dieu lui-même. Gratia Dei donum est; donum autem maximum ipse Spiritus Sanctus est, et ideo dicitur gratia, dit saint Augustin. La grandeur, dans son sens le plus élevé, c’est le Saint-Esprit, c’est Dieu; mais comme Dieu est indivisible, c’est la Trinité se communiquant à l’homme par son amour qui est Dieu. Or vous me direz si l’on peut supposer quelque chose de plus grand qu’un être qui est appelé à respirer Dieu, dont la lumière est Dieu, dont le principe de chaleur est Dieu. Mais la Trinité est indivisible, donc la Trinité viendra par l’amour habiter dans le coeur du chrétien, et Jésus-Christ le promet formellement; il promet d’abord l’Esprit-Saint à ses disciples, et puis, dit-il, mon Père et moi nous viendrons, et nous ferons notre demeure en lui, Apud eum veniemus, et mansionem apud eum faciemus. Je te salue, chrétien, temple de la Trinité.

Arrêtons-nous un moment, chrétiens, à contempler tant de grandeur, voyez l’homme triomphant sur les ruines du péché à qui l’Esprit dit: Tu es libre; à qui Jésus-Christ dit: Tu es mon frère; à qui le Très-haut dit: Tu es mon fils. Voyez les communications entre Dieu et le chrétien s’établissant de la même manière qu’entre le Père et le Fils et l’Esprit de Dieu. Voyez le Saint-Esprit versant l’abondance de ses dons dans le coeur du chrétien, comme un fleuve immense de lumière et de vie, son intelligence éclairée, son coeur réchauffé, tout son être purifié, renouvelé, transformé, et le chrétien croissant et croissant sans cesse sous l’influence des eaux de la grâce et du foyer de l’amour divin. Où s’arrêtera-t-il, chrétiens? Je n’en sais rien, mais j’écoute l’Apôtre qui est mon guide en ce jour et je l’entends souhaiter aux chrétiens de la primitive Eglise, leur montrer que l’action du Saint-Esprit ne s’arrêtera pas aux choses du temps. Il faut que l’éternel communique des dons éternels, et l’Apôtre me dit: Qui suscitavit Jesum a mortuis, vivificabit et mortalia corpora vestra propter inhabitantem Spiritum ejus in vobis. Je l’entends dire que le Seigneur nous a marqués et nous a donné le gage de l’Esprit dans nos coeurs: Unxit nos Deus… et signavit nos, et dedit pignus Spiritus in cordibus nostris. Quoi! tout ce que nous recevons ici-bas n’est qu’un gage. Il faut bien qu’il en soit ainsi, chrétiens, car le même apôtre souhaite aux Ephésiens d’être remplis dans toute la plénitude de Dieu(3). Ici, je l’avoue, mon esprit se perd, qu’est-ce que la plénitude de Dieu, et comment cette plénitude infinie peut-elle être le partage d’une créature bornée? Comment peut-il posséder Dieu? Il y a là un mystère, chrétiens, qu’il faut adorer avec amour, car si l’homme peut contenir Dieu, il s’ensuivrait que l’homme est plus grand que Dieu. Gardons-nous, certes, d’aller jusques-là et concluons seulement que l’Apôtre n’a pas cru pouvoir fixer de limites à la grandeur de l’homme, laquelle va toujours augmentant. Ce que nous pouvons savoir, c’est que l’homme sanctifié par l’Esprit de Dieu subit deux transformations: la première qui commence au tombeau du baptême et qui par la confirmation, les autres sacrements et les grâces de tous les jours, se développe sans cesse; l’autre qui commence au baptême du tombeau et qui est le monde de la gloire; la vie de la grâce en est le commencement, puisque saint Thomas l’appelle le commencement de la gloire. Inchoatio quaedam gloriae.

Chrétiens, telles sont vos destinées, les trouvez-vous assez grandes, assez dignes de laisser enfin les choses de la terre pour commencer à regarder les choses du ciel? Jusques à quand donc vous pencherez-vous vers ce qui passe? Quand comprendrez-vous ce que Dieu vous destine? Usquequo gravi corde?

O Esprit divin, Vous seul pouvez opérer ces prodiges; rayon de la lumière divine, montrez-nous la vanité, le mensonge des illusions terrestres, montrez-nous les inénarrables réalités du ciel; foyer inépuisable de la vie, réchauffez nos coeurs refroidis par la mort et brûlez en nous ce qui est impur. Souffle de Dieu, apportez-nous sur la terre d’exil les parfums de la patrie. O lien du Père et du Fils, noeud qui unit l’adorable Trinité, c’est donc par vous que l’homme doit être uni à Dieu. Ah! venez, venez dans nos coeurs, et commencez sur la terre cette union(4) qu’au sein de la puissance infinie et dans les splendeurs de la gloire de Dieu vous consommerez pendant toute l’éternité. – Ainsi soit-il!

Notes et post-scriptum
2. Dans le ms, une ligne sépare ce paragraphe du suivant.
4. Trois lignes barrées dans le ms, non reprises ici.1. Il lui reste l'esclavage de Satan.
3. Il faut qu'ils soient fortifiés par l'Esprit dans l'homme intérieur.