[Cahier de sermons de 1838-1839]

Informations générales
  • TD50.065
  • [Cahier de sermons de 1838-1839]
  • [Sermon sur les] Caractères de la pénitence.
  • Orig.ms. BL1, pp. 29-59; T.D. 50, pp. 64-80.
Informations détaillées
  • 1 ACTES HUMAINS
    1 AMOUR DES AISES
    1 AMOUR DIVIN
    1 CHATIMENT
    1 CHATIMENT DU PECHE
    1 CHOIX
    1 COMPORTEMENT
    1 CONCUPISCENCE DE LA CHAIR
    1 CONCUPISCENCE DES YEUX
    1 CONSEQUENCES DU PECHE
    1 CORPS
    1 CREATEUR
    1 CREATURES
    1 CROIX DE JESUS-CHRIST
    1 CULPABILITE
    1 DECADENCE
    1 DESOBEISSANCE
    1 DOMINATION DE DIEU
    1 DROITS DE DIEU
    1 EGOISME
    1 ENERGIE
    1 ENFER
    1 ENNEMIS DE DIEU
    1 ERREUR
    1 ETERNITE
    1 EXAMEN
    1 FAUTE D'HABITUDE
    1 FRANCHISE
    1 GRACES
    1 HAINE CONTRE DIEU
    1 HONTE
    1 HONTE DU PECHE
    1 IGNORANCE
    1 ILLUSIONS
    1 IMITATION DES SAINTS
    1 INCONSTANCE
    1 INGRATITUDE ENVERS DIEU
    1 INTELLIGENCE
    1 JESUS-CHRIST MODELE
    1 JUSTICE DE DIEU
    1 LOI DIVINE
    1 LOI NOUVELLE
    1 LUTTE CONTRE LE MAL
    1 LUTTE CONTRE LE MONDE
    1 LUTTE CONTRE LE PECHE
    1 LUTTE CONTRE SOI-MEME
    1 MAJESTE DE DIEU
    1 MALADIES
    1 MISERICORDE DE DIEU
    1 MORT
    1 MORTIFICATION CORPORELLE
    1 ORDRE SURNATUREL
    1 ORGUEIL
    1 PAIX
    1 PARDON
    1 PASSION DE JESUS-CHRIST
    1 PASSIONS MAUVAISES
    1 PECHE
    1 PECHE MORTEL
    1 PECHE ORIGINEL
    1 PECHEUR
    1 PENITENCES
    1 PENSEE
    1 PERSEVERANCE
    1 PUISSANCE DE DIEU
    1 PURIFICATION
    1 RACE DE SATAN
    1 REFORME DE LA VOLONTE
    1 REVOLTE
    1 ROUTINE
    1 SACREMENT DE PENITENCE
    1 SACRIFICE DE JESUS CHRIST
    1 SAGESSE DE DIEU
    1 SALUT DES AMES
    1 SALUT DU GENRE HUMAIN
    1 SANG DE JESUS-CHRIST
    1 SANTE
    1 SATAN
    1 SCANDALE
    1 SENSIBILITE
    1 SERMONS
    1 SOUFFRANCE ACCEPTEE
    1 SOUFFRANCE SUBIE
    1 TRISTESSE PSYCHOLOGIQUE
    1 TYRANNIE DES SENS
    1 UNION A JESUS-CHRIST
    1 VIE HUMAINE
    1 VOLONTE DE DIEU
    1 VOLONTE PROPRE
    2 GREGOIRE DE NAZIANCE, SAINT
    3 THEBAIDE
  • 1838-1839
La lettre

[Note préliminaire]

La pénitence est pour moi la réparation du péché. Cette réparation a été faite surabondamment par le sacrifice de Notre-Seigneur, mais il est nécessaire de nous en appliquer les mérites par des actes analogues à ceux dont Jésus-Christ nous a donné l’exemple. Il faut que cette réparation ait lieu par des moyens analogues à ceux par lesquels le péché s’est introduit dans nos âmes: 1° le péché est une révolte de l’orgueil et ne peut être réparé que par l’humiliation; 2° le péché est un acte de haine contre Dieu, il ne peut être réparé que par la haine du mal; 3° le péché est la recherche d’un plaisir défendu, il faut qu’il soit réparé par la douleur(1).

Per quae quis peccaverit, per haec et torquetur.

Telle est la loi, loi d’une souveraine justice qui fait trouver le châtiment du crime dans le crime même. Loi qu’il serait intéressant d’étudier dans ses détails, on y verrait l’action de Dieu et de sa justice dans le châtiment du pécheur.

Mais je veux vous parler d’autre chose que de la justice qui s’exerce par une peine impuissante, de la miséricorde qui se manifeste dans l’expiation.

Dieu dit à l’homme: « je renonce à mes droits, mais tu te puniras toi-même ». Or dans la punition que l’homme s’imposera, il faut trouver le sceau de la sagesse de Dieu, il faut également qu’il y ait rapport entre la nature du crime et la nature de la réparation.

Une des plus admirables lois de l’ordre moral est celle qui prend le châtiment au crime dans la nature du crime même, et la cause de la souffrance dans une volontaire séparation du bien. Or ce que Dieu a établi dans la manifestation de sa justice, se reproduit encore alors que dans sa miséricorde, au châtiment il fait succéder l’expiation, lorsqu’en échange du supplice il accepte la satisfaction. L’homme qui doit, au lieu d’une peine fatale, est admis à offrir à Dieu une pénitence volontaire, rendue méritoire par l’effusion du sang de Jésus-Christ. L’homme doit donner à ce qu’il présente à Dieu un caractère de ressemblance avec ce que Dieu aurait eu le droit d’exiger. La nature de la pénitence doit donc être puisée dans la nature même du péché. Or lorsque la suite de nos instructions nous aura conduits à parler du péché, nous reconnaîtrons que le péché est: 1° une révolte de l’orgueil; en second lieu l’amour du mal et la haine du bien; en troisième lieu la recherche d’un plaisir défendu. La révolte de l’orgueil s’opère dans l’esprit, l’amour du mal et la haine du bien bouleversent le coeur, la recherche d’un plaisir défendu dégrade le corps. La pénitence doit donc agir sur l’esprit, sur le coeur, sur le corps. Elle doit expier l’orgueil de l’esprit, l’amour désordonné du coeur, la concupiscence du corps. Elle immolera donc l’orgueil par l’humiliation, l’amour coupable par la haine du mal, la concupiscence par la mortification. Tel est tout mon sujet, et vous serez peut-être étonnés, mes frères, que cette loi si simple et si féconde en même temps ne soit autre que celle qui a présidé dans la pensée de Dieu à l’institution du sacrement de pénitence; car pour être absous que faut-il, sinon s’humilier de ses péchés par la confession, les détester par la contrition, les expier par la satisfaction.

Mais mon but n’est aujourd’hui que de considérer la pénitence comme réparation du péché, et je m’arrête à ces trois caractères généraux: humiliation à cause du péché, détestation du péché, souffrance pour le péché; en d’autres termes: pénitence de l’esprit, pénitence du coeur, pénitence du corps. Je commence.

Première Partie. Pénitence de l’esprit.

Que le péché soit une révolte c’est, je crois, ce qui est assez évident pour n’avoir pas besoin d’être prouvé. Oui, le péché est l’insurrection la plus déplorable, et la plus inconcevable en même temps, d’un être faible, misérable, qui ne possède rien en propre, contre une infinie majesté, contre le principe des êtres, contre l’éternelle puissance. Le pécheur disant à Dieu: je ne vous obéirai pas, le brave et l’insulte autant qu’il est en lui; et s’il ne le dépouille pas de son empire, c’est que ses efforts insensés semblables aux flots de la mer viennent se briser irrésistiblement contre les marches du trône éternel. Mais il n’est pas moins vrai que l’homme a fait tout ce qu’il a pu pour renverser ce trône, et que si ses tentatives ont été vaines, elles n’en sont pas moins coupables. Et quel était le principe de cette révolte? n’était-ce pas l’orgueil? qui a dit: je m’élèverai au plus haut des cieux et je serai semblable au très haut? L’orgueil, dont le serpent souffla le venin sur la première femme, lorsqu’il lui dit: Vous serez comme des dieux: eritis sicut dei. Or, il faut que Dieu tire vengeance d’une insulte infinie dans l’intention de celui qui la commet. Et il se venge en imprimant un sceau de dégradation sur les fronts rebelles. Mais voici un des plus consolants mystères de la religion. C’est dans cette dégradation même que l’homme peut trouver le principe de son salut et qu’en apaisant la justice de Dieu il peut en recevoir la paix. La justice a le bras levé pour frapper, mais la miséricorde est toujours à côté, et si l’homme rentrant dans la vérité se laisse instruire par ses malheurs, la justice se tait et embrasse la paix: Justitia et pax osculatae sunt.

Il faut que l’homme accepte cette humiliation à laquelle il est réduit, mais il faut qu’il montre qu’il l’accepte librement par d’autres humiliations volontaires, auxquelles il devra se soumettre. Rentrez donc courageusement en vous-même et ne vous faites aucune illusion sur votre état. Hélas! que voyez-vous, qu’éprouvez-vous? Ne subissez-vous pas tous les jours cette douloureuse influence du péché dans l’affaissement de votre esprit? ne comprenez-vous [pas] que des limites lui sont posées de toutes parts, et qu’en dehors de ces limites si resserrées il ne peut faire un pas sans errer. Ignorance ou erreur, voilà son partage lorsqu’il cherchera la vérité, et il ne palpera dans ses tâtonnements que le mensonge, il sentira au-dedans de lui-même le besoin d’une lumière et les ténèbres seules lui répondront. Oh! qu’elles sont désolantes ces ténèbres! Avez-vous jamais été témoin de la tristesse qui entoure un homme qui perd insensiblement la vue? Mais qu’est-ce que la vue du monde physique auprès de la vue du monde intellectuel! Et l’esprit de l’homme livré à lui-même sent ses yeux se couvrir d’écailles. Le dernier mot de la sagesse antique fut celui-ci: Je ne sais qu’une chose, c’est que je ne suis rien. Qu’il est douloureux d’être obligé à chaque instant de dire: je me suis trompé! Et n’est-ce pas ce que vous éprouvez tous les jours, et votre foi elle-même n’en est-elle pas quelquefois ébranlée? Et si nous aimons la vérité, si nous sommes épris de son éternelle beauté, non par ce que nous avons vu, mais par ce que nous en avons entendu dire, n’est-ce pas avec un indicible regret qu’il faut nous réduire à n’en posséder qu’une partie, à cause de la faiblesse de notre mémoire, de notre entendement ou même de nos organes?

Tu as voulu savoir, dit le Seigneur, hé bien, je te le permets, seulement parce que tu n’as pas cherché en moi l’objet de la science et la lumière qui devait éclairer tes yeux, je vais retirer de toi cette lumière, je vais briser ou affaiblir les instruments de tes recherches; maintenant marche seul si tu peux. Et il faut que l’homme accepte la honte de cette dérision divine, et il faut que l’homme dise à Dieu: j’ai mérité mon aveuglement.

Ces humiliations, Dieu les imprime dans le coeur et il faut les accepter encore. Hélas! qui n’a pas à rougir au fond de lui-même des déplorables égarements de cette faculté si noble? quel est celui dont le coeur ne fut jamais souillé par le souffle de quelque passion? Ou plutôt quel est celui qui ne les sent pas toutes murmurer au-dedans de lui-même, prêtes à déborder de sa poitrine comme les mugissements souterrains annoncent une irruption incessante? Hé bien, il faut encore vouloir cela, il faut vouloir non pas le mal que font les passions, mais leurs tristes, leurs déplorables conséquences, il faut accepter la honte qui les suit.

Dieu ne frappe pas seulement la portion la plus noble de nous-mêmes, il imprime aussi au corps la peine qui lui revient. Ah! c’est bien ici que se manifeste le châtiment divin, non qu’il ne se reconnaisse également dans les autres portions de nous-mêmes, mais c’est que nous étant peu à peu retirés de la vie de l’esprit, ce qui est des sens nous touche davantage. Et Dieu n’y a- t-il pas complètement pourvu? Et voyez, le corps lui-même est un objet de honte? N’y a-t-il pas une loi bien profonde dans cette honte éprouvée par l’homme? Quand un criminel est exposé sur les places publiques, n’est-ce pas que s’il a quelque sentiment de pudeur il cache son visage entre ses mains? Et voilà la honte que Dieu nous inflige: Timui eo quod nudus essem, et abscondi me. Si j’avais le temps, je voudrais vous montrer que l’humilité est pour l’esprit ce que la modestie est pour le corps, et que la honte de notre corps nous oblige à la modestie, de même que la honte de notre esprit devrait nous obliger à l’humilité.

Mais outre cela la faiblesse de nos organes ne nous avertit-elle pas qu’il y a quelque chose de brisé en nous, comme la tyrannie de nos sens nous avertit qu’en nous il y a quelque chose de dégradé? et l’affaiblissement du corps, à mesure qu’il se livre à l’empire du monde extérieur, n’est-il pas une preuve frappante de la peine portée contre notre premier père? Que dire des maladies, que dire de l’envahissement de la mort? Hé bien, il faut vouloir tout cela comme conséquence du péché, il faut bénir en rougissant la main qui nous frappe, et par là trouver dans les ravages du poison le remède contre le poison même, dans la honte du péché le remède et le préservatif du péché.

Mais ne croyez pas qu’il suffise de nous humilier en présence du châtiment, qu’il suffise de le subir avec honte et résignation, si vous ne vous humiliez de la cause qui l’a produit. Il ne suffit pas d’avoir honte de la peine du péché, si l’on n’a pas honte du péché même, car c’est en ceci que l’on prouve que la honte attachée au supplice est volontaire.

Nous faisions remarquer dans la dernière instruction l’horreur que Dieu avait pour l’homme qui se disait innocent. Mais autant le Seigneur est irrité contre celui qui dit: Je n’ai point péché, autant il est prêt à pardonner à celui qui avoue sa faute. J’ai dit, s’écrie le prophète, je confesserai mon iniquité devant le Seigneur, et déjà vous aviez pardonné l’impiété de son crime. Dixi: confitebor adversum me injustitiam meam Domino, et tu remisisti impietatem peccati mei.

J’accepte donc, ô mon Dieu, la honte qui peut me revenir de cet aveu. Je l’accepte puisque dans cet aveu vous voulez me faire trouver le principe du pardon, puisque vous me dites par votre prophète combien cet aveu vous est agréable, car vous n’avez pour ainsi dire pardonné mon crime, avant même que ma résolution fût éclose sur les lèvres, que parce que vous en découvriez la sincérité au fond de mon coeur. J’irai donc à vous, ô mon Dieu, et après avoir accepté la honte des châtiments du péché que je porte en moi, j’accepterai la honte du péché même, afin que la confusion qui en rejaillira sur mon visage vous touche en ma faveur. Oui, je l’ai dit, et ma promesse est inébranlable: Dixi: confitebor. Hélas! lorsque je considère tant de promesses que je n’ai pas tenues, je ne sais que faire, je ne sais que dire, mais Seigneur, je me tourne vers vous et j’espère dans la grâce du pardon retrouver la grâce de la persévérance dans des voies meilleures.

Cette honte, vous voulez que je la confesse en général devant vos créatures, mais en particulier devant un de mes frères, pécheur comme moi; ainsi ferai-je, Seigneur, quoi qu’il m’en coûte.

Mais le péché n’est pas seulement une révolte contre Dieu, c’est encore un acte de haine contre lui, il faut que cette haine soit réparée par la haine du mal que l’on a aimé plus que Dieu, et le regret de l’insulte commise, et tel est le second caractère de la pénitence.

Deuxième Partie. Pénitence du coeur.

Le péché est un acte par lequel on préfère la créature au créateur, et par conséquent un acte de haine contre Dieu et d’amour déraisonnable pour la créature. Dieu ne peut être qu’infiniment irrité de cet acte de haine, et pour le réparer il faut que l’homme déteste non pas l’objet aimé qui peut être bon en soi, mais l’amour excessif qu’il en a éprouvé, mais la haine qu’il a eue pour Dieu.

Du moment que l’on a établi que le péché est une révolte contre la loi divine, il faut en conclure que le péché est un acte de haine contre Dieu. Oui, le péché est un acte de haine contre Dieu, et l’acte de haine le plus grand que l’on puisse concevoir. Si, en effet, le péché ne va à rien moins qu’à renverser la puissance de Dieu qu’il brave, à nier la sagesse éternelle dont il trouble les lois, à insulter l’amour de Dieu dont il méprise les bienfaits, celui qui s’en rend coupable déclare par cela même que, s’il pouvait, il anéantirait Dieu. Mais peut-on avoir d’un Dieu infiniment puissant, sage et bon, des sentiments pareils sans le haïr et sans la plus affreuse ingratitude? Or, pour réparer cette ingratitude, il faut rappeler que le péché étant un amour désordonné de soi, mis à la place de l’amour de Dieu, il faut détruire cet amour par des sentiments opposés, par le regret et par le repentir. Or ce regret et ce repentir doivent être proportionnés: 1° à la gravité de l’acte par lequel on a manifesté sa haine; 2° au sentiment d’affection désordonné pour la créature que l’on éprouve en l’accomplissant. Mais si le degré de haine que nous avons contre Dieu en péchant doit être la mesure de notre repentir, quelle détestation ne devons-nous pas concevoir du péché, quelle horreur ne doit-il pas inspirer à notre âme?

Le péché mortel, nous venons de le dire, ne va à rien moins qu’à anéantir Dieu. Et nous n’aurons pas l’horreur la plus vive pour un crime semblable? Souvenez-vous, mes frères, de ce qu’est Dieu, quelle majesté infinie vous avez outragée. Ici, je ne saurais trop vous le répéter, ce ne sont pas dans les balances humaines qu’il faut peser la gravité de vos fautes; les balances des hommes sont menteuses, mendaces filii hominum in stateris. Il faut prendre les balances de la justice divine elle-même. Or voyez, le poids de votre péché, c’est le sang de Jésus-Christ. Et encore ce sang ne suffit-il pas, si dans le bassin où vous le placerez, vous ne mettez en même temps une douleur et un regret aussi vifs que votre coeur est capable de les concevoir.

Mais, me direz-vous, vous exagérez, en commettant le péché je n’ai pas de haine contre Dieu. Je vous l’accorde, mais vous n’en faites pas moins ce qui dépend de vous pour l’anéantir et le déshonorer. Vous n’éprouvez aucune haine contre votre prochain, et cependant vous le dénigrez autant que vous le pouvez et uniquement pour passer le temps. Vous êtes cause par vos médisances et vos calomnies que sa fortune est détruite, sa réputation anéantie, et qu’il ne peut survivre au déshonneur dont vous l’avez couvert. Qu’eût fait de plus son plus cruel ennemi? Il en est de même de votre péché contre Dieu. Ce n’est pas en haine du Seigneur que vous commettez le mal, mais par votre conduite vous le livrez à Satan et vous pouvez dire tous les matins: « Mon Dieu, je crois fermement que je suis l’esclave du démon et je veux rester dans mes chaînes ». Vous enlevez à Dieu son bien, vous donnez à Satan le droit de l’insulter. Quel acte de haine plus grand pouviez-vous commettre? Que ferez-vous donc pour réparer votre faute? car voulez-vous avoir l’idée de la gravité du péché par l’indignation que votre haine cause à Dieu, écoutez le prophète: Deus aemulator, et ulciscens Dominus; ulciscens Dominus, et habens furorem; ulciscens Dominus in hostes suos, et irascens ipse inimicis suis. Telle est l’indignation que le Saint-Esprit veut nous manifester dans ces paroles qu’en aussi peu de mots il revient jusqu’à trois fois sur la vengeance qu’il prétend exercer. Or cette indignation vous ne pouvez la faire cesser qu’en la prenant en vous-même, et en haïssant le péché qui l’a causée comme Dieu lui-même le déteste, s’il est possible.

Voulez-vous connaître encore la mesure de la haine de Dieu contre le péché? Voyez comme il le punit: Pourquoi a-t-il précipité Satan du haut du ciel? pour un seul péché. Pourquoi a-t-il chassé l’homme du paradis? pour un seul péché. Pourquoi a-t-il donné pour base à l’enfer son éternité même? pour punir le péché. Ah! détestez le péché, surtout quand à côté de cette haine infinie contre le péché vous voyez un amour infini pour le pécheur, tant qu’il est sur la terre. Jésus ne se charge-t-il pas, pour nous en affranchir, de ce qu’il y a de plus douloureux dans le supplice que réclame la colère divine? Ne dit-il pas: prenez en vous la haine du péché, et moi je prendrai du châtiment tout ce que vous n’en pouvez subir. O amour de Dieu, vous ne demandez qu’à vous montrer et dès que l’homme consent à revenir vers vous, vous l’inondez de votre miséricorde, vous le couvrez de votre pardon.

La haine du péché doit en second lieu être proportionnée à l’amour désordonné que l’on a porté à la créature, de préférence au créateur. Les créatures ne sont pas mauvaises en elles-mêmes, et comme nous avons eu l’occasion [de le dire], on peut user des créatures. Mais observons avec saint Augustin qu’il est permis d’user des créatures, mais non pas d’en jouir. Jouir des créatures, c’est y mettre son repos et le terme de sa félicité. Or le repos et la félicité pour l’âme n’est qu’en Dieu. Le sentiment par lequel nous nous arrêtons à la créature le déshonore donc infiniment, puisque nous lui préférons un objet créé, un peu d’or, un peu de fumée, [un peu] de gloire, un visage. Que peut-on dire de plus triste et de plus humiliant pour l’homme? Et pourtant voilà ce qui est, et la difficulté que vous avez à vous convertir ne prouve-t-elle pas cette injuste, cette coupable préférence. Vous ne voulez pas vous séparer de ce qui charme votre concupiscence; vous ne voulez pas sacrifier cette idole de chair, à laquelle vous immolez vos plus nobles sentiments, votre fortune, votre santé, votre honneur. Vous ne voulez pas renoncer à cet or injuste, pas acquis, et faire cesser les murmures des pauvres que vous avez dépouillés; vous ne voulez pas renoncer à cet amour effréné de vous-même, vous ne le voulez pas et Dieu le veut, et voilà pourquoi vous souffrez.

Mais pour vous engager à revenir à des sentiments plus dignes de vous, voulez-vous que je vous suggère quelques considérations?

Etablissez donc pour autant un parallèle entre l’objet que vous avez préféré à Dieu et Dieu lui-même. Quelle créature qui n’ait reçu sa beauté de la beauté toujours ancienne et toujours nouvelle? Quelle richesse comparable à la richesse du créateur de toutes choses? Quelle gloire semblable à la gloire de posséder le royaume de Dieu et d’être glorifié par lui devant les anges et les hommes? Quel bonheur plus grand que d’être enivré des torrents de volupté qui découle[nt] du séjour qu’il habite et où il nous appelle? Quel objet plus aimable que Dieu? Cherchez, vous n’en trouverez point, et d’autre part, qui vous aimera plus que lui? Personne, non, jamais personne. Il vous donne son Fils pour payer votre dette, il le sacrifie, il l’immole; et son Fils lui-même accepte ce sacrifice et vous dit: armez-vous contre vous-même de l’indignation de mon Père, et moi je me charge des suites et des effets de cette indignation. Quel amour pour tant de haine! Lava a malitia cor tuum Jerusalem ut salva fias; usquequo morabuntur in te cogitationes noxiae. Jos. 2, 12.

Troisième Partie. Pénitence du corps.

L’homme n’est pas seulement une pure intelligence; composé de deux substances, le péché a établi entre elles une lutte, dans laquelle le corps s’efforce sans cesse d’usurper l’empire, d’asservir l’âme qui elle-même cède trop facilement sa supériorité. Or le but de la pénitence étant de réparer l’ordre troublé, il faut, lorsque l’âme a repris à l’aide de la grâce son pouvoir sur le corps souffre pour la part qu’il a prise dans la révolte de l’âme contre Dieu. D’où résulte un troisième caractère de la pénitence. Je veux parler de la pénitence du corps. J[e n’] ignore pas combien cette parole: faites pénitence, est dure aux oreilles de ceux pour qui le corps est une idole, et qui craignent sans cesse de lui enlever quelques degrés de vie, de santé, de force, de beauté ou de bien-être. Mais la loi de Jésus-Christ n’en est pas moins toujours vivante. Il n’en est pas moins vrai que le Christ a sauvé le monde par la douleur, et qu’il y a par conséquent dans la douleur une vertu expiatrice. Comme les illusions au sujet de la pénitence sont en général on ne peut plus étranges, il faut entrer dans la considération de quelques motifs par lesquels nous ferons comprendre, autant qu’il dépendra de nous, la nécessité de la pénitence du corps.

La première et la plus forte objection que l’on puisse faire contre la pénitence du corps est celle-ci: Si Dieu est bon, quel avantage peut-il trouver à tourmenter de pauvres et misérables créatures? Dieu est bon, sans doute, mais il est juste, et à ce titre il veut le maintien de l’ordre; et il faut, lorsque l’ordre est troublé, que Dieu le répare par une expiation prise dans la nature de l’être qui l’a troublé. Il faut ramener par la douleur l’ordre troublé par la violence. Dieu veut se faire servir et connaître, et il se fait servir comme maître par ceux qui ne veulent pas le servir comme père. La douleur que Dieu fait éprouver dans les enfers est proportionnée à la grandeur de l’offense des damnés, et c’est pour cela qu’elle est infinie dans sa durée ne pouvant l’être dans son intensité. Mais si elle est éternelle dans l’enfer, unie à celle de Jésus-Christ sur la terre, elle peut avoir un terme, elle peut être acceptée, mais enfin faut-il offrir quelque chose; et pourriez-vous me dire ce que vous offrez?

Après tout il faut que l’homme comprenne ce qu’il ne comprend pas autrement, qu’il a offensé Dieu et que, de plus, il reconnaisse dans son corps l’offense que dans son corps il a faite à Dieu. Car, remarquez-le bien, le corps est un instrument pour l’âme, mais un instrument de telle nature qu’il est sur la terre indissolublement uni à l’esprit, de sorte que l’esprit ne fait rien sans le corps. Aucune pensée, aucun sentiment dont le corps ne soit l’organe; l’oreille, les yeux, la langue l’aideront à se lancer dans le monde de la pensée; il a besoin pour cela de mots, et les sens les lui ont fournis. Qu’un sentiment d’amour ou de haine l’anime, et son coeur aussitôt battra avec violence, et ses yeux étincelleront, et ses paroles auront un accent particulier, et s’il agit, son corps nécessairement lui prêtera son aide. Car après tout l’homme ne pèche pas seulement dans sa pensée, il en vient aux actions, et ses actions ne peuvent s’accomplir qu’à l’aide du corps. Il faut donc que le corps soit puni de la participation qu’il a prise au mal. Mais, me direz-vous, le corps n’est qu’un instrument aveugle, il est mu, et il se meut. Quand nous ne verrions autre chose dans le corps, il y en aurait bien assez pour comprendre la nécessité de la souffrance pour lui; ce qui serait incompréhensible, ce serait de comprendre la pitié qu’on éprouve pour un instrument. Que vous importe donc, s’il n’est pas autre chose, qu’il souffre ou qu’il ne souffre pas! Laissez s’accomplir la justice de Dieu.

Mais c’est qu’il y a quelque chose de plus dans le corps, et la tendresse que vous avez pour lui le manifeste bien assez. Oui, il y a quelque chose de plus dans le corps. Non seulement il est instrument de péché, mais encore il est cause de péché. Ah! rentrez donc en vous-mêmes, examinez attentivement votre position, et vous verrez qu’une grande partie de vos fautes découlent de votre corps. Pourquoi éprouvez-vous des dégoûts dans la prière, cette répugnance à vous instruire de vos devoirs, à connaître les rapports qui subsistent entre Dieu et vous? C’est, la plupart du temps, que vous ne vivez que la vie des sens, et qu’animalis homo non percipit ea quae sunt spiritus Dei. Il n’est pas nécessaire pour cela de se livrer au désordre des passions, il suffit de vivre de cette vie à laquelle nous nous laissons malheureusement entraîner tous les jours, vie de routine, vie de coutume.

Pourquoi éprouvons-nous cette fatigue de la vertu, cette lutte entre le bien que nous voudrions faire et le mal que nous faisons? N’est-ce pas parce que l’esprit est prompt et que la chair est faible? Et tous ces divertissements que vous cherchez avec tant d’avidité, et dans lesquels vous dépensez votre temps et perdez le goût des choses saintes, pourquoi vous y livrez-vous? Est-ce l’âme qui vous y pousse, ou ne sont-ce pas plutôt les sens? Le corps est donc une cause et une cause malheureusement trop fréquente de péché. Il faut donc faire cesser cette cause, et c’est par la pénitence qu’on pourra la retrancher. Le corps recherche son bien-être, et la pénitence consiste à lui refuser ce bien-être dont le désir immodéré l’entraîne au mal. La pénitence du corps pourrait donc être mesurée à la facilité avec laquelle vous êtes entraînés à satisfaire d’une manière coupable le désir de bien-être qui vous entraîne vers le mal; voilà la règle. Jugez d’après cela.

L’esprit est asservi au corps dans une foule de circonstances, on peut même dire toutes les fois que l’homme pèche, car il est bien rare de trouver un fait dans lequel l’esprit se révolte contre Dieu sans qu’aussitôt le corps ne se révolte contre l’esprit. Et comme malheureusement l’esprit est sans cesse entraîné vers le mal, sans cesse aussi le corps est entraîné vers la révolte. Mais de même que l’âme doit avouer son péché et en éprouver du repentir, afin de satisfaire à la justice de Dieu et rentrer dans la voie de l’obéissance; de même aussi il doit sans cesse lutter contre le corps pour l’asservir à ses lois et c’est pourquoi il doit l’obliger à faire pénitence. Il faut que l’esprit apprenne au corps à redouter les suites de sa révolte. On n’a pas assez observé que le corps contracte des habitudes de péché, qui deviennent à la fin fatales à l’esprit. Hé bien, il faut que l’esprit y oppose des habitudes de pénitence et combatte ainsi les unes par les autres.

Mais le corps qui n’est pas mauvais par lui-même et qui n’est qu’un instrument, après avoir servi d’instrument au mal, peut servir d’instrument au bien et à beaucoup de bien. Il suffit pour cela de le purifier de ses souillures, d’en enlever la rouille, et telle est encore la tâche de la pénitence. Non seulement elle suffit à faire disparaître les fautes graves, mais encore elle assure une énergie toute particulière à l’âme. C’est à ce point de vue qu’il convient de considérer les pénitences effrayantes des pères du désert. Le moyen qu’ils avaient employé pour bannir le péché de leur être les aidait à les en tenir éloignés. La pénitence avait donné à leur âme une habitude d’autorité, dont ils se servaient avec avantage lorsqu’ils s’employaient à des oeuvres de salut. C’est pour cela que tous les saints qui ont fait de grandes choses dans l’Eglise, ont tous été des saints pénitents. Je vous défie de trouver une exception à ma proposition. Pour vous, mes frères, vous auriez peut-être à faire pénitence pour un parent, pour un ami que vous avez entraîné dans le mal, peut-être auriez-vous à faire pénitence pour réparer le mal que vous avez fait par vos scandales, peut-être que dans l’enfer, ou au moins dans le purgatoire, plus d’une voix accusatrice s’élève contre vous. Mais je ne veux pas examiner ce que vous devez aux autres. Je ne vous demande pas de convertir le genre humain, je ne vous demande pas même de faire pénitence pour la conversion de ceux que vous avez pervertis: je vous demande seulement de faire assez pénitence pour vous convertir vous-même.

La loi est universelle, elle ne souffre pas d’exception. Mais, me direz-vous, ma santé? Voulez-vous ce détail. Je classe les hommes en trois portions: votre santé est forte, et vous n’avez aucun prétexte dans les fatigues de votre état, point d’excuse pour vous. Votre santé est faible. Eh! grand Dieu, privez-vous seulement de ce qui peut l’altérer. Je me contente de cela, privez-vous de ce qui pourrait lui nuire, je ne vous demande pas davantage. Mais il y a deux mesures: On n’est pas trop faible pour passer les nuits au bal; on est trop faible pour faire le carême; on n’est pas assez faible pour s’interdire certains aliments, on est trop faible pour s’en refuser aux temps d’abstinences. Deux poids et deux mesures. Je vous plains.

En troisième lieu, vous êtes malades, mais c’est bien assez. Votre bourreau, ce sera votre médecin, vos instruments de pénitence les remèdes. Vous souffrez, c’est assez. Emparez-vous de ces souffrances et par un acte d’amour offrez-les à Dieu. Acceptez la maladie; acceptez-en les ravages lents et pénibles; croyez-vous qu’il n’y ait pas une vertu expiatrice dans la lente agonie d’une santé délabrée qui se voit par degrés descendre vers le tombeau?

Vous tenez à la vie, acceptez la mort. Voyez, comme par avance, l’oeuvre des vers dans le sépulcre. Quel sujet de mérite bien autrement grand que celui que vous trouverez dans des mortifications volontaires!

Mais que d’illusions ne se fait-on pas! Et que je tremble pour vous! Quelle mesure, si vous êtes en santé? Point d’autre que la mesure de vos fautes. Voyez quelle est la nature de vos fautes, les scandales que vous avez donnés. Mais, me direz-vous, nous ne sommes pas des solitaires de la Thébaïde. Et non, mes frères, et c’est pour cela que vos fautes sont plus graves; au lieu d’être cachées dans la solitude du désert ou du cloître, elles ont des témoins qu’elles scandalisent, leur effet est contagieux, et c’est pour cela que faisant plus de mal vous êtes obligés à une réparation plus grande.

Ou si vous voulez ne proportionner votre pénitence qu’à l’horreur que vous inspire le péché, souvenez-vous seulement que la pénitence vous est d’autant plus nécessaire que le péché vous inspire moins d’horreur.

En finissant, mes frères, laissez-moi vous inviter à réfléchir sérieusement sur cette pensée. Saint Grégoire de Nazianze considérant la profonde dégradation de l’homme par le péché, voyant les ravages que cette affreuse révolte opérait en lui, s’écriait: Hélas! je suis tombé tout entier, totus cecidi. Oh! oui, nous sommes tombés tout entiers, et il n’est aucune partie de notre être qui n’ait pu se préserver de cette lamentable chute. Je suis tombé tout entier. Il faut donc que tout entier je me répare. Le moyen m’est offert, Seigneur, faites que je l’embrasse avec courage et que par votre grâce, tout entier je puisse me relever.

Notes et post-scriptum
1. Isolé à la p. 28 du ms, entre le sermon sur la "Nécessité de la pénitence" (BL1, pp. 1-27) et celui sur les "Caractères de la pénitence" (pp. 29-59), ce paragraphe nous semble appartenir plutôt au second dont il annonce les trois parties. Les T.D. l'ont fait dépendre du premier.