[Cahier de sermons de 1838-1839]

Informations générales
  • TD50.096
  • [Cahier de sermons de 1838-1839]
  • [Sermon sur le] Délai de la conversion.
  • Orig.ms. BL1, pp. 121-145; T.D. 50, pp. 96-107.
Informations détaillées
  • 1 AMOUR DES AISES
    1 APATHIE SPIRITUELLE
    1 BIEN SUPREME
    1 CHARITE ENVERS LE PROCHAIN
    1 CHATIMENT
    1 CHATIMENT DU PECHE
    1 CHRETIEN
    1 CHRISTIANISME
    1 CLERGE
    1 COMPORTEMENT
    1 CONFESSION SACRAMENTELLE
    1 CONSEQUENCES DU PECHE
    1 CONTRARIETES
    1 CONVERSION SPIRITUELLE
    1 CORRUPTION
    1 CRAINTE
    1 DEVOIRS DE CHRETIENS
    1 DIMANCHE
    1 DOUTE
    1 EFFORT
    1 EMPLOI DU TEMPS
    1 ENFER
    1 EUCHARISTIE
    1 FAUTE D'HABITUDE
    1 HAINE CONTRE DIEU
    1 IDEES DU MONDE
    1 ILLUSIONS
    1 INCONSTANCE
    1 INDIFFERENCE
    1 INSTRUCTION RELIGIEUSE
    1 INTELLIGENCE
    1 MARIAGE
    1 MAUVAIS PRETRE
    1 MISERICORDE DE DIEU
    1 MISSION DES LAICS
    1 MORT DE L'AME
    1 ORGUEIL DE LA VIE
    1 PASSION DE JESUS-CHRIST
    1 PECHE ORIGINEL
    1 PECHEUR
    1 PERE DE FAMILLE
    1 PEUPLE DE DIEU
    1 PRATIQUE RELIGIEUSE DES LAICS
    1 RESPECT HUMAIN
    1 RESPONSABILITE
    1 SAINTE COMMUNION
    1 SALUT DES AMES
    1 SALUT DU GENRE HUMAIN
    1 SCANDALE
    1 SERMONS
    1 SOUVERAIN JUGE
    1 SUICIDE
    1 TRISTESSE
    1 VANITE
    1 VERTUS SACERDOTALES
    1 VOLONTE PROPRE
    1 ZELE APOSTOLIQUE
    1 ZELE POUR LE ROYAUME
    2 JEHU
    2 JEZABEL
    2 SALOMON
    2 SENNACHERIB
  • 1838-1839
La lettre

Vae qui trahitis iniquitatem in funiculis vanitatis, et quasi vinculum plaustri peccatum. Is.

Le prophète ne croit pas pouvoir employer une comparaison plus juste pour représenter le pécheur courbé sous le poids de ses fautes et y persévérant, que de nous le présenter, semblable à une bête de somme retenue par des liens et attachée par des traits à un char. Malheur à vous, s’écrie-t-il, partisans des vaines pensées de la terre, qui vous laissez enchaîner ici-bas et dont l’âme captive ne peut plus prendre un libre essor vers les cieux! Vae qui… Vous avez beau faire, vous ne pouvez, vous, fuir le péché, pas plus que le boeuf ne peut se séparer du char auquel il est attaché par le joug, et quasi vinculum plaustri peccatum. A qui ces paroles s’adressent-elles, sinon à vous, mon frère, qui depuis longtemps déjà subissez les conséquences de cette honteuse servitude, et qui averti de songer à votre salut préférez porter les marques d’un ignoble esclavage! Vae qui…

Déjà je vous ai montré de quelle importance il était pour vous de songer sérieusement à votre salut, mais vous n’avez point peut-être encore compris un pareil langage. Je reviens donc aujourd’hui à la charge, mais prenez-y garde, les avertissements à mesure qu’ils se multiplient, préparent, si vous n’y prêtez l’attention qu’ils méritent, préparent sur votre tête des charbons ardents. Je veux examiner avec vous pourquoi vous ne songez pas à votre salut, et je trouve qu’à cet égard vous pouvez être dans deux différentes positions, que je veux sérieusement examiner, convaincu que si je puis vous montrer votre erreur ou votre illusion, j’ai assuré votre bonheur pour l’éternité.

Vous ne songez pas à votre salut: ou par pure indifférence ou de propos délibéré. Si vous ne songez pas à votre salut par indifférence, il y a folie de votre part; si c’est de propos délibéré, il y a crime. Folie et crime de ceux qui diffèrent l’oeuvre de leur salut, voilà toute ma division.

Première partie. Folie de ceux qui négligent leur conversion.

Lorsqu’on vient vous parler de votre salut, mon cher auditeur, on vous trouve, je le suppose du moins, dans l’intention de vous en occuper. Vous êtes à cet égard dans les meilleures dispositions et vous formez les plus beaux projets. Mais à peine ces projets sont-ils formés qu’aussitôt ils s’évanouissent. Une fleur piquée par un insecte ne se fane pas plus vite aux premières ardeurs du soleil; en sorte que des résolutions les plus généreuses qu’on vous a vu prendre le matin, il ne vous reste souvent le soir qu’un souvenir presque effacé.

Or cette nonchalance, cette indifférence que vous apportez à ce que vous savez être l’affaire la plus importante de votre existence, il faut l’attribuer à divers motifs que je viens successivement réfuter.

La première, la grande raison que vous mettez toujours en avant et à laquelle tout doit céder, c’est que vous êtes absorbé par le tourbillon des affaires. Que dites-vous donc aux envoyés du père de famille lorsqu’il envoie ses serviteurs vous inviter aux noces de son fils? Que répondez-vous, pour parler clairement, aux ministres du Seigneur, lorsqu’ils vous avertissent de l’obligation de vous préparer à la table sainte? Ce que répondirent autrefois les amis de cet homme qui avait préparé les noces de son fils: Villam emi. Voyez-vous, j’ai besoin de repos; livré pendant la semaine à de sérieuses occupations, j’ai besoin de respirer de temps à autre un air plus pur, j’ai donc acheté une campagne et vous comprenez que lorsque à un emploi, à un négoce il faut joindre les soucis de cultivateur, on n’a pas grand temps de songer à la piété. La semaine se passe à la ville et le dimanche à la campagne. Ne trouvez donc pas mauvais que je m’exempte quelquefois de la messe, que du moins j’entende la plus courte et que je n’assiste jamais aux grandes cérémonies de l’Eglise. J’ai acheté une campagne, excusez-moi: Villam emi, rogo te, habe me excusatum.

Un autre a reçu un modeste héritage de ses pères et n’en est pas satisfait, il veut l’accroître, il ne songe qu’à cela. Il est vrai que l’évangile vous avertit de chercher d’abord le royaume de Dieu, le reste doit nous être donné par surcroît. Mais qui a le temps de lire l’évangile? Qui a le temps surtout de le méditer? Pardonnez-moi, vous dira-t-il, mais je viens de faire une excellente spéculation, elle n’est pas encore arrivée à une conclusion définitive, il faut que je fasse une expérience définitive. J’ai fait un placement des plus avantageux, mais il faut que je m’en assure d’une manière irrécusable. Pardonnez-moi, si je me laisse entraîner par mes réflexions, mais absorbé dans mes calculs je ne puis songer aux choses de Dieu, Quinque juga boum emi, rogo te, habe me excusatum.

Ou bien c’est un jeune homme qui sent le besoin de fixer la trop longue instabilité de ses affections; il veut s’établir et dès qu’il n’aura plus qu’à jouir des charmes d’un intérieur, il reviendra à des pensées plus sérieuses. Du reste, il a pris toutes les précautions pour s’attirer le choix d’une personne accomplie, et pour fixer son choix il a eu le soin de la tromper, comme il arrive d’ordinaire, et sur sa position, et sur sa fortune, et sur son caractère; mais peu importe, il voulait une compagne vertueuse, il avait ses raisons pour cela. Mais oh! malheur, la ruse qu’il avait employée pour obtenir un parti avantageux, on l’a employée contre lui-même. Cette personne si accomplie s’est trouvée n’avoir pas un meilleur caractère, cette fortune si brillante s’est tout à coup, on ne sait comment, trouvée ruinée de moitié, et au lieu d’entrer dans vie de paix, de calme, après tant d’orages, on se trouve lancé sur une mer d’affaires, d’embarras, de chagrins. Excusez cet homme s’il ne peut travailler à son salut, il vient de se marier: Uxorem duxi, rogo te, habe me excusatum.

Et vous pensez que tous ces vains subterfuges seront agréés de la part du Seigneur? Non, non, le Seigneur ne permet pas qu’on l’insulte, non irridetur Dominus. Livrez-vous aux soins de vos campagnes, aux spéculations de votre commerce, aux jouissances de la famille, mais souvenez-vous que malheur à ceux qui se bercent pour croupir dans leur péché des illusions d’une vanité menteuse: Vae qui trahitis iniquitatem in funiculis vanitatis.

Mais vous ne dites pas positivement que vous ne voulez pas vous sauver, vous voulez seulement ne pas paraître trop extraordinaire, vous seriez fâché que l’on vous remarquât. Dans une ville où les hommes s’approcheraient souvent des sacrements, peut-être vous verrait-on communier tous les mois; que faire quand personne ou presque personne ne se confesse, faut-il aller s’afficher dans un confessionnal, se faire remarquer pour un dévot? Cela n’est pas dans mon caractère, me dites-vous. Je veux bien songer à mon salut, mais non pas me singulariser. Je veux marcher avec le plus grand nombre. Avec le plus grand nombre, mon frère, et ne savez-vous pas que depuis trois mille ans le Saint-Esprit a dit que le plus grand nombre était celui des sots: Stultorum infinitus est numerus; et si vous voulez que je vous dise quelque chose de plus sérieux, ignorez-vous que c’est le petit nombre qui se sauve et que c’est le grand nombre qui se perd? Et vous voulez être du grand nombre. Oh! vous êtes insensé.

Mais ce n’est pas cela, mon frère. Je veux vous dire ce qui vous retient; c’est que vous manquez d’instruction, et vous avez des doutes sur la religion. Alors vous ne pouvez vous déterminer à une démarche qui vous paraît exiger de trop grands sacrifices. Vous avez des doutes et vous méritez d’en avoir. Ecoutez-moi et rougissez. Autrefois vous n’aviez pas de doutes, comment sont-ils venus? Rappelez-vous vos souvenirs, car mieux que vous je sais votre histoire. Vous avez commencé à avoir des doutes, quand vous avez eu intérêt à en avoir; vous avez douté de la confession, quand vous avez commencé à rougir de vous confesser. Vous avez eu des doutes sur l’enfer, quand vous avez eu commis des crimes que vous saviez mériter l’enfer. Vous avez eu des doutes sur l’existence de Dieu, quand vous avez eu intérêt à ce que Dieu ne vînt pas vous frapper dans les abominations de vos coupables intérêts. Les doutes sont montés de votre coeur comme une fumée épaisse et fétide pour obscurcir votre intelligence, c’est dans son coeur que l’insensé commence à dire qu’il n’y a point de Dieu; car je vous l’ai déjà dit: vous n’êtes qu’un insensé. Vous avez des doutes, mais avez-vous jamais pris la peine de les éclaircir? à quelque profession que vous apparteniez, dans quelque carrière que vous marchiez, avez-vous jamais vu les doutes d’un ignorant compter pour quelque chose? Vous avez des doutes? Mais avez-vous fait pour les dissiper ce qu’un médecin, un avocat, un militaire, un physicien font pour seconder les doutes de leur science? Allez, consultez dans la simplicité de votre coeur et vous serez éclairé; mais prenez-y garde, il faut pour cela que vous fassiez ce qui dépendra de vous. Dieu n’est obligé à rien à votre égard, tant que vous n’aurez pas mis du vôtre. Mais non, me direz-vous, Dieu m’a fait la grâce de croire. Tant mieux, mon frère, qui donc vous arrête? Ah! voyez-vous, je ne puis avoir confiance aux prêtres. Vous n’avez pas confiance aux prêtres. Hé bien, vous avez raison. Pardon, m. v. confrères, si pour un moment je vous suppose autant de défauts et de vices que vous avez de vertus. Pardon surtout à ce vieillard vénérable dont les cheveux ont blanchi dans les fatigues de l’exil, dans les travaux de sa vie apostolique, et dont les forces ne secondant plus le zèle, veut encore par sa présence au milieu de vous, vous témoigner sa paternelle charité. Hé bien, je vous l’accorde, les prêtres ne méritent pas votre confiance; les prêtres ne disent plus, où est le Seigneur: Sacerdotes non dixerunt: ubi est Dominus; tenentes legem, nescierunt me, et pastores praevaricati sunt in me, prophetae prophetaverunt in Baal, et idola secuti sunt. Hé bien, tout cela est vrai, les prêtres ne vous indiquent plus de quel côté est le Seigneur. Ceux qui interprètent la loi ne se laissent plus guider par l’esprit d’en-haut. Les pasteurs prévariquent, les prophètes prophétisent au nom du père du mensonge et adorent à leur tour de honteuses idoles. C’est à cause de cela même que je vous jugerai plus sévèrement: propterea adhuc judicio contendam tecum. Ce que vous croyez une excuse va devenir contre vous une nouvelle accusation, et sicut populus, sic sacerdos. C’est vous insensé qui vous avez préparé ces prêtres à qui vous dites n’avoir point de confiance, et c’est pour cela que le Seigneur va entrer en jugement avec vous, et va vous reprocher ses autels profanés, ses temples détruits, ses croix renversées, propterea adhuc judicio contendam tecum. Il va vous demander compte du petit nombre de prêtres qui se préparent pour les générations futures.

Ne nous donnez donc plus cette raison, nous ne saurions l’admettre, et votre folie est grande, dans tous les cas, de prononcer contre vous-même votre sentence. Mais vous ne pouvez vous mettre en rapport avec le clergé, il ne comprend pas les questions du jour. Prenez garde, mon frère, que ce ne soit vous qui ne compreniez pas, et qu’on ne puisse vous appliquer cette parole de l’apôtre: Imbecilles facti estis ad audiendum. Oui, vous êtes devenus incapables et grandement incapables de comprendre qu’il n’y avait qu’une chose importante pour vous. C’est ce qu’il vous redit sans cesse, mais est-ce de la faute des prêtres si vous ne comprenez pas? Est-ce la faute des prêtres si vous êtes sourd?(1) Aux raisons que vous me donnez pour ne point travailler à votre salut, laissez-moi en ajouter une, moi, qui vous fera quelque peine peut-être mais qu’il faut vous indiquer cependant, parce que je vous aime et que vous m’inspirez une sincère pitié. Voulez-vous savoir pourquoi vous ne travaillez pas à votre salut? parce que vous êtes un homme de plaisir.

Hélas! hélas! mon frère, qu’il est pénible d’avoir à vous tenir ce langage! mais il le faut, mais je le dois. Hé bien, pour vous adoucir l’amertume de semblables paroles, ce ne sera pas moi qui vous parlerai, mais un homme qui a savouré toutes les jouissances que l’homme peut désirer ici-bas. Au terme de sa carrière, il jette un regard sur la vie qui lui échappe et n’a que ces mots d’une indicible tristesse, risum reputavi errorem, et gaudio dixi: quid me frustra deciperis. J’ai considéré le rire comme une erreur et j’ai dit à la joie: pourquoi fais-tu de vains efforts pour me tromper?

Ah! j’ai vu qu’il n’y avait rien que vanité et affliction d’esprit, et que rien ne restait sous le soleil. Vidi in omnibus vanitatem et afflictionem, et nihil permanere sub sole. Tel est est le dernier cri qui échappe toujours à la vanité, et vous vous attachez à une ombre, vous vous attachez à la vanité. Ah! que je vous plains!(2)

Enfin, mon frère, connaissez-vous le terrible anathème porté contre ceux qui s’occupent, avec l’indifférence que je vous reproche, de votre salut. Maudit soit celui qui fait l’oeuvre de Dieu lâchement! Maledictus qui facit opus Dei negligenter. Si vous ne le connaissiez pas, tremblez d’être depuis longtemps peut-être sous ce terrible anathème. Tremblez que cette malédiction n’éclate tout à coup sur votre tête. Tremblez que le père de famille ne vienne, au moment où vous y songez le moins, vous demander compte de votre administration. Tremblez de ne pouvoir répondre aux questions qui vous seront adressées. Tremblez à la pensée de la sentence du juge. Mais si vous connaissez votre état et si malgré cela vous persévérez dans votre négligence, dans vos retards, ah! vous n’êtes pas seulement insensé, vous êtes encore coupable. Il faut vous le prouver après un moment de repos.

Deuxième partie. Crime de celui qui diffère sa conversion.

Vous savez que vous devez vous convertir et vous ne vous convertissez pas. Je n’ai plus à écouter vos raisons, mon frère, il m’est impossible de raisonner contre un homme qui avoue tout, et qui de propos délibéré agit contre sa propre raison. Seulement comme il est impossible que vous n’ayez pas sérieusement réfléchi sur cet important sujet, écoutez de quoi je vous accuse. Je vous accuse premièrement de suicide envers vous-même; secondement de scandale envers le prochain; troisièmement d’ingratitude et de révolte envers Dieu.

Premièrement, de suicide envers vous-même. Qu’est-ce que le péché? n’est-ce pas la mort de l’âme? Et vous commettez volontairement tous les jours le péché; tous les jours ne donnez-vous pas la mort à votre âme? mais vous le savez et on vous l’a dit bien des fois, le péché donne non seulement la mort à l’âme en la séparant de Dieu, mais au commencement il fut la cause de la mort du corps. Hé bien, ne reprochez pas à votre premier père de vous avoir dévoué à la mort en vous rendant responsable de son péché. Tous les jours, et plusieurs fois par jour, vous vous suicidez vous-même. Stipendium peccati mors, et tous les jours peut-être, vous méritez la mort plusieurs fois. Mais vous exagérez, me direz-vous. Ah! plût à Dieu, mon frère, mais comme il ne dépend ni de vous ni de moi de changer les lois du Seigneur, il a juré et ne se repentira pas. Il a parlé une fois pour inviter les hommes à le servir par la miséricorde. Mais en même temps il rend à chacun selon ses oeuvres: Quia tu reddes unicuique secundum opera sua. Mais prenez garde, en vous donnant la mort à vous-même par le péché, vous commenciez à trouver dans cette première mort les prémisses du châtiment qui vous attend; mais vient le moment où vous aurez à subir un autre châtiment, et ce premier supplice sera suivi d’un autre supplice. Mais faites-y attention, une sérieuse attention, vous n’accuserez point d’autre que vous-même, vous aurez voulu la mort, vous l’aurez. En négligeant de vous sauver, vous déclarez renoncer aux espérances du ciel. Vous dites à la pourriture: vous êtes ma mère, et aux vers: vous êtes mes frères et mes soeurs.

Je dis en second lieu que vous vous rendez coupable d’un scandale envers le prochain. Il y a une loi de responsabilité que l’on chercherait en vain à décliner. Quelques philosophes modernes ont prétendu que c’était une des conquêtes nouvelles de l’humanité qui progresse. Il me serait facile de leur prouver le contraire, mais comme, grâce au ciel, je n’ai pas à faire à eux en ce moment, qu’il me suffise de vous dire que rien n’est plus certain que ce principe, les chrétiens seront jugés sur le bien ou le mal qu’ils auront fait à leur semblable. Mais si c’est un mal de priver son frère de sa fortune, quel mal n’est-ce pas de le priver des biens éternels? Hé bien, mes frères, voilà ce que vous faites en ne vous en confessant pas. Il suffirait que l’on sût que vous êtes en grâce avec Dieu pour que dix hommes peut-être songeassent à se mettre en règle, et vous ne le faites pas. Le Seigneur vous a établi pour donner l’exemple, et vous ne le donnez pas. Et non seulement vous ne le donnez pas, mais vous en donnez de mauvais, et vous croyez n’avoir rien à payer pour cela, et vous croyez n’avoir rien à solder à la justice de Dieu lorsqu’elle vous dit: malheur à celui par qui le scandale arrive! Franchement, mon frère, depuis combien de temps vivez-vous dans cet état? combien de personnes savent que [vous] négligez la pratique de vos devoirs? Ah! qu’il sera lourd à porter le poids des reproches, et des reproches éternels peut-être, que vous adressera une épouse que vous avez constamment gênée dans l’exercice de ses devoirs religieux! qu’ils seront amers les reproches de ces enfants que vous formez à l’incrédulité! car vous avez beau dire que vous faites ce qui dépend de vous pour les former, ou bien que sont vos paroles contredites sans cesse par vos exemples? et ne pourrais-je pas vous appliquer les paroles de l’apôtre, lorsque s’adressant aux Juifs il leur disait: pourquoi vous vanter [d’avoir] le dépôt de la loi divine, quand chaque jour vous démentez par votre conduite ce que cette loi prescrit? Qui ergo alium doces, te ipsum non doces; qui praedicas non furandum, furaris. Quoi! vous aurez le courage de recommander à votre enfant une sévère probité; s’il commet le plus léger vol, il sera sévèrement puni, et dans le même temps vous vous livrez aux spéculations les plus suspectes, pour ne rien dire de plus, et cet enfant sait que cette fortune dont il héritera un jour est le fruit de l’injustice, il sait que vous vivez dans l’injustice afin de lui laisser un nom dans le monde, et vous voulez que votre injustice ne lui devienne pas chère? Qui dicis non maechandum, maecharis; vous faites tous vos efforts pour préserver vos fils de la connaissance du mal, et de cela je vous loue; mais à peine a-t-il atteint un certain âge que vous ne vous gênez plus devant lui, et vous voulez que cet enfant ait de l’attrait pour la vertu contre laquelle protestent et tous vos actes et toutes vos paroles? vous lui recommandez de fuir les mauvaises compagnies, mais quelles compagnies fréquentez-vous? vous en gémissez peut-être, tant mieux, mais encore un coup que faites-vous pour voltre enfant?

Et cette responsabilité, ne croyez pas qu’elle [se] restreigne dans la seule intimité de la famille. Il y a une grande famille, composée de tous les chrétiens, et dans cette famille il y a des membres qui rougissent de leur nom et qui trouvent un affreux plaisir à se vanter du mal, même de celui qu’ils n’ont pas fait, Laetantur in rebus pessimis. Seuls ils ne seraient pas mauvais, mais l’atmosphère du monde les enivre, et ils croient qu’ils ne peuvent y paraître qu’en hommes corrompus. J’ai connu de ces malheureux jeunes gens qui mettaient toute leur gloire dans les désordres auxquels ils ne s’étaient pas livrés, et irritaient ainsi mutuellement leur soif de mal faire. Que dire et que penser? Hélas! hélas! malheur à celui par qui le scandale arrive!

Mais, mon frère, quel reproche n’encourrez-vous pas de la part du Seigneur? Quoi! dira-t-il, si vous vouliez vous perdre, ne pouviez-vous vous perdre seul? Quoi! vous avez attaqué par vos scandales ce qui m’est le plus cher, le salut des hommes, vous me forcez de les punir, moi qui ai donné mon sang pour les sauver. Ah! vous serez doublement puni.

Je dis en troisième lieu que le délai de la conversion est une révolte contre Dieu. Que l’homme pèche, certes c’est déjà le plus grand des maux, mais sa faiblesse, la corruption de sa nature peuvent servir à l’expliquer. Mais que l’homme persévère [dans son péché et le refus de] sa conversion(3), c’est le comble de la révolte, et cependant c’est ce qui se voit tous les jours. Quand une fois on a avancé dans cette voie, il est difficile de s’arrêter. Sur quoi comptez-vous, après tout, mon frère? sur le sommeil de Dieu? Oui, je l’avoue, Dieu s’endort quelquefois, il semble oublier le pécheur sur la terre et lui donne un bonheur au moins apparent. Encore un coup, je vous l’accorde, mais qu’en conclurez-vous? Dieu s’endort et l’Ecriture sainte le proclame, au lieu de le nier, elle dit que Dieu s’endort, mais elle dit aussi qu’il se réveille: Excitatus est tamquam dormiens Dominus, tamquam potens crapulatus a vino, inimicos suos percussit in posteriora, opprobrium sempiternum dedit eis. Oui, il se réveille. Or je vous le demande, voulez-vous subir les conséquences de ce réveil? Oui, le Seigneur supporte longtemps avec patience, mais quand il a assez attendu, il prend son glaive: Nisi conversi fueritis, gladium suum vibrabit, arcum suum tetendit, et paravit illum, et comparavit vasa mortis. Et tandis qu’il frappe ses ennemis de ses flèches embrasées, l’enfer dilate ses portes afin de recevoir un plus grand nombre de victimes. Mais le Seigneur est bon; Venez, dit-il, et vous serez sauvés: Venite ad me, et salvi eritis; converte nos, Domine, et convertemur.

Notes et post-scriptum
3. Le ms porte: "que l'homme persévère sa conversion", ce qui n'a pas de sens. Les T.D. proposent: "que l'homme persévère [dans son péché et] sa conversion...", ce qui n'est guère satisfaisant non plus.1. Vous ne vous mettez pas en devoir de songer à votre salut, parce que la piété vous est en dégoût. Hélas! mon frère, pourquoi n'a-t-elle pas ses peines? mais comment voulez-vous qu'elle ne vous soit pas à dégoût, quand vous faites tout ce qui dépend de vous pour vous en éloigner? Comment voulez-vous que la piété ne vous soit pas en dégoût, quand toutes vos pensées sont tournées d'un autre côté? Comment voulez-vous que la piété ne vous soit pas à dégoût, quand vous avez peur et que vous ne faites rien pour la dissiper? La piété vous est à dégoût, et le remède qui doit rendre la santé au malade lui est aussi à dégoût.
2. Mais l'expérience de Salomon ne vous suffit pas. Hé bien, poursuivez le cours de vos fêtes. Seulement souvenez-vous que l'armée de Sennacherib était dans l'ivresse que donne l'espoir d'une victoire assurée, quand l'ange du Seigneur [lui enleva plus de] 100.000 [hommes]. Souvenez-vous que Jésabel songeait encore à plaire par ses appas, quand Jéhu la fit précipiter du haut de son palais et livra les lambeaux de son cadavre aux chiens de Samarie. Balthazar aussi se livrait à l'orgie du festin, lorsqu'une main divine grava sur la muraille son arrêt de mort.