[Cahier de sermons de 1838-1839]

Informations générales
  • TD50.131
  • [Cahier de sermons de 1838-1839]
  • [Sermon sur les] Maux que l'orgueil cause à l'homme.
  • Orig.ms. BL1, pp. 235-245; T.D. 50, pp. 131-137.
Informations détaillées
  • 1 APATHIE SPIRITUELLE
    1 ATHEISME
    1 AUTORITE DIVINE
    1 CHATIMENT DU PECHE
    1 COMMANDEMENTS DE L'EGLISE
    1 CONFESSION SACRAMENTELLE
    1 DECADENCE
    1 DEGOUTS
    1 DIEU
    1 DOGME
    1 DOUTE
    1 ENFER
    1 HERESIE
    1 HUMILITE
    1 INTELLIGENCE
    1 JESUS-CHRIST DOCTEUR
    1 MANQUE DE FOI
    1 MENSONGE
    1 ORGUEIL
    1 ORGUEIL DE LA VIE
    1 PAGANISME
    1 PHILOSOPHIE MODERNE
    1 RACE DE SATAN
    1 RATIONALISME
    1 SATAN
    1 SERMONS
    1 VERITE
    2 JEAN, SAINT
    2 JEROME, SAINT
    2 PAUL, SAINT
    2 REGULUS
    3 AFRIQUE
  • 1838-1839
La lettre

Initium omnis peccati est superbia; qui tenuerit illam, adimplebitur maledictis. Eccli.

Nous avons déjà considéré, m.f., l’orgueil dans quelques-uns des châtiments que le Seigneur exerce contre l’orgueilleux. Mais le Seigneur n’a pour ainsi dire rien à faire. L’orgueilleux trouve dans son orgueil même son plus grand châtiment, puisqu’il y trouve sa plus grande dégradation. L’orgueil le porte à s’élever, l’orgueil qui l’abaisse dans son intelligence en la privant de la vérité dans son coeur, en en bannissant la vertu. Et voilà les deux principales considérations auxquelles je m’arrête. L’orgueil cause de la dégradation de l’intelligence. L’orgueil cause de la dégradation du coeur. En d’autres termes: l’orgueil rend impossible pour l’homme la connaissance de la vérité et la pratique de la vertu.

L’orgueil, dégradation de l’intelligence en la privant de la vérité. Pour comprendre ce que j’avance ici, il faut établir que Dieu est la vérité même, que cette vérité est le rayon qui découle sur les hommes pour éclairer leur intelligence, comme le rayon sort du soleil pour échauffer la terre. Or de même que lorsque le soleil se retire de la terre, la terre rentre dans les ténèbres, de même, lorsque le soleil de la vérité se couche sur une intelligence, elle reste plongée dans une profonde nuit. Or, que Dieu soit la lumière des intelligences, c’est ce que lui-même a le soin de nous déclarer, lorsque saint Jean nous apprend qu’il est la vraie lumière qui éclaire tout homme venant en ce monde: Erat lux vera, quae illuminat omnem hominem venientem in hunc mundum. Si donc nous voulons voir quelque chose, il faut que nous soyons éclairés de Dieu même, l’oeil de notre intelligence ne peut voir qu’à cette condition. Mais comment voulez-vous que l’orgueilleux connaisse la vérité et soit éclairé de son flambeau, puisque le premier pas que fait l’orgueil l’éloigne de Dieu? Initium superbiae hominis apostare a Deo. Donc dès que l’homme avance dans l’orgueil, il s’éloigne de Dieu, il s’éloigne de la vérité. Et remarquez qu’il y a deux manières de s’éloigner de Dieu: la première en ne restant pas dans la vérité, tout en y croyant; la seconde, en opposant à la vérité des erreurs. Je m’explique: Jésus-Christ nous déclare que Satan dans sa chute ne resta pas dans la vérité: In veritate non stetit. Et cependant, il a toujours cru à la vérité. Oui, il l’a crue, il la croit encore. Mais il ne la veut pas. Il voudrait ne pas la voir, et son supplice dans les enfers est semblable en quelque sorte à celui que les carthaginois firent subir à Regulus, à qui ils avaient coupé les paupières et qu’ils exposaient ensuite aux rayons du soleil d’Afrique. Les feux de la vérité brûlent aussi les yeux de satan, et c’est là son supplice. Et c’est sous ce rapport que saint Paul reprochait aux philosophes qui ont connu Dieu de ne l’avoir pas honoré comme Dieu: Qui cum Deum cognoverunt, non sicut Deum glorificaverunt. On voit la vérité, mais on ne la rapporte pas à sa source, on se glorifie de la découverte de la vérité comme si toute vérité n’appartenait pas à Dieu. Jéhovah avait fait graver sur la mitre du grand-prêtre: sanctum Domino, la sainteté au Seigneur, et qu’y a-til de plus saint que la vérité?

Mais il y a une seconde manière de s’éloigner de la vérité, en s’éloignant de Dieu par l’orgueil, et sur laquelle il nous faut insister davantage. C’est que non seulement l’homme ne reste pas dans la vérité en se séparant de celui à qui elle appartient, mais encore, il ne connaît plus la vérité. Il y a pour lui impuissance à la connaître. Ecoutez, je vais vous révéler la cause de la maladie de notre siècle. N’entendez-vous pas dire tous les jours que l’on ne croit plus? et le juste, et vous-même, mon frère, ne vous êtes-vous pas surpris, craignant de perdre votre foi, demander à Dieu de vous sauver au milieu de ce naufrage universel de la vertu et de la vérité? Salvum me fac, Domine, quoniam defecit sanctus, quoniam diminutae sunt veritates a filiis hominum. Les vérités diminuent parmi les enfants des hommes, et depuis trois siècles, en effet, quelle vérité n’a pas été attaquée? la vérité n’a pas diminué, elle est éternelle, immuable. Mais sa connaissance s’est affaiblie, un nuage épais s’étend entre sa lumière et l’oeil de l’homme. Hé bien, savez-vous pourquoi la vérité diminue? Je vais vous le dire, c’est que Dieu, depuis que l’homme a péché, n’enseigne plus la vérité à l’homme que par la foi, et que pour croire il faut humilier son esprit. La foi c’est l’humilité du coeur, mais l’humilité est l’opposé de l’orgueil. Là où il y a orgueil, la foi diminue. Je serai bien plus surpris de trouver un orgueilleux avec la foi qu’un orgueilleux incrédule. Du reste, ces réflexions ne sont pas de moi, elle sont du Sauveur des hommes lui-même. Interrogé par les pharisiens sur sa doctrine, il veut bien leur répondre; mais ces orgueilleux ne croient point et se glorifient de leur incrédulité. Que fait le Seigneur? Leur veut-il prouver qu’ils ont tort? il savait que l’essai serait inutile, il leur prouve seulement qu’il est impossible qu’ils aient la foi: Quomodo vos potestis credere, qui gloriam ab invicem accipitis et eam quae a solo Deo est, non quaeritis. Comment pouvez-vous croire, homme plein de vous-même et du désir de paraître, qui n’aspirez qu’à une chose, découvrir une nouvelle vérité? Vous dites: tous mes devanciers ont erré, et vous seriez bien fâché qu’il en fût autrement, vous n’auriez pas le mérite d’avoir découvert cette vérité que six mille ans de recherches n’ont pu montrer aux hommes. Comment pouvez-vous croire, puisqu’à vous entendre, la vérité devra être la fille de votre intelligence, et que la vérité c’est la fille de Dieu? Comment pouvez-vous croire, oh! mon frère? car quel est le but de ces recherches? Est-ce le désir de connaître la vérité? non, franchement non, mais le désir de plaire aux hommes. Et la vérité, Dieu ne la donne qu’à ceux qui la cherchent en lui et pour lui: Quomodo potestis credere?

Mais les inventeurs de systèmes ne sont pas les plus nombreux, mais il y a une fraction considérable d’hommes qui se mettent au service d’une idée, qui ont entendu dire qu’il fallait marcher avec son siècle et qui ont dit: marchons. Ne leur demandez pas vers quel but; ils seraient peut-être fort embarrassés pour vous le dire. Peut-être quelques-uns en sauront assez pour vous répondre, vers la perfectibilité. Et lorsque vous leur demanderez ce que c’est que la perfectibilité, leurs idées seront tellement confuses, embrouillées que vous reconnaîtrez sans peine que la clarté de leurs idées est fort susceptible de perfectionnement. Malheureux, qui s’embarquent sur un principe dont ils ne connaissent pas la portée, qui s’enflent parce qu’ils ont retenu des mots sonores, et qu’ils croyaient que ces mots signifiaient quelque chose. Comment voulez-vous qu’ils croient, eux qui ne veulent que raisonner et qui ne savent pas seulement ce que c’est que la raison? M.f., ne vous étonnez pas de ce que je dis. On parle beaucoup de la raison, et j’ai suivi une discussion fort sérieuse entre les plus habiles philosophes du siècle pour savoir ce qu’ils entendaient par ce mot raison, et j’ai découvert à ma grande surprise qu’ils étaient loin de le savoir et d’en convenir entre eux. Comment voulez-vous qu’on croie, quand on ne veut admettre que ce que la raison proclame et qu’on ne connaît pas ce que c’est que la raison? Quomodo vos potestis credere?

Et de fait, mon frère, que m’objectez-vous, quand vous refusez d’admettre les vérités religieuses? N’est-ce pas qu’elles répugnent à votre raison? Juste ciel! Et qu’est donc votre raison? Ne l’avez-vous pas vue mille fois porter des jugements faux? et cependant votre orgueil ne vous permet pas de vous soumettre à un autre juge. Ah! mon frère, je comprends que la foi soit loin de votre intelligence: Quomodo vos potestis credere?

Et voilà la raison de toutes les hérésies, il convenait que le fondateur de l’Eglise nous la donnât. Tous les hérésiarques n’ont été que des orgueilleux; tous ont dit: Je n’obéirai pas à l’autorité divine, tous ils ont écouté leur orgueil, tous ils se sont enflés dans leur vaine gloire, tous ont recherché les applaudissements des hommes. Lisez leur vie, lisez leurs oeuvres, pas une exception à cette règle. Et Jésus qui les voyait de son regard divin attaquer l’édifice de l’Eglise, le leur avait bien dit: Comment pourriez-vous croire? Quomodo vos potestis credere?

Incedo per ignes. Passons sur ces temps funestes, sur ces lamentables histoires, hâtons-nous d’arriver à notre époque. Que voyons-nous, que des animaux de gloire, pour emprunter l’expression de S. Jérôme, partout; partout l’orgueil et la vanité, et partout l’incrédulité. Vous êtes surpris qu’il y ait des gens qui ne croient pas. Je serais bien plus surpris du contraire. La défection d’une foule d’intelligences, loin d’ébranler ma foi, la fortifie, j’aperçois sur leur front le sceau d’orgueil dont satan les a frappés en leur disant: tu m’appartiens. Je ne saurais être surpris que la foi se fût retirée de leur âme. Ah! malheureux, restez si vous le voulez dans votre incrédulité, elle est toute expliquée pour moi. L’orgueil vous a aveuglés, et je comprends pourquoi vous ne pouvez voir la lumière: Quomodo… credere?

Eh! m.f., voulez-vous être franc avec moi. Si jamais vous avez eu le malheur d’éprouver des doutes, n’a-ce pas été quand les vérités qu’elle enseigne fatiguaient votre orgueil, quand vous avez dû vous soumettre à une prescription humiliante? et pour le dire en passant, n’avez-vous pas désiré que cette parole souvent répétée autour de vous se trouvât vraie: les prêtres ont inventé la confession? Ce n’était pas pour que vous eussiez examiné les preuves pour ou contre, non, ce n’est point ce qui vous a tourmenté. Mais quoi donc? il était humiliant pour vous d’aller vous mettre aux genoux d’un de vos semblables et de lui avouer des fautes honteuses peut-être, votre réputation en aurait souffert à ses yeux, et vous vous êtes efforcé de croire que la confession était une invention humaine. Quand avez-vous eu des doutes sur l’Eglise? quand il fallu accomplir ses préceptes, en présence d’hommes qui auraient plaisanté de votre obéissance à ses lois. Votre orgueil s’est soulevé à la pensée de passer pour un homme à vains préjugés et vous avez déclaré que vous ne croyez plus à de superstitieuses prescriptions bonnes pour le moyen âge, mais absurdes au siècle des lumières(1). Ah! je comprends maintenant et vos doutes et vos objections, et il y a 1800 ans que J.-C. me les a expliqués: Quomodo, m.f., qu’il est donc terrible cet orgueil qui nous cache ainsi la vérité, qui nous la fait perdre lorsque nous avons le malheur de la posséder! qu’ils sont affreux les ravages qu’il apporte à notre âme, mais après l’avoir vu aveuglant notre intelligence, il faut voir jusqu’à quel degré il avilit notre coeur.

Notes et post-scriptum
1. Et pourtant que l'homme s'agrandit lorsqu'il cherche la gloire de Dieu! Qu'est-ce que la gloire de Dieu et celle des hommes, si on les compare?