[Cahier de sermons de 1838-1839]

Informations générales
  • TD50.137
  • [Cahier de sermons de 1838-1839]
  • [Sermon sur le] Respect humain.
  • Orig.ms. BL1, pp. 261-287; T.D. 50, pp. 137-149.
Informations détaillées
  • 1 AMBITION
    1 ANGOISSE
    1 APATHIE SPIRITUELLE
    1 ASSISTANCE A LA MESSE
    1 AUTORITE DE L'EGLISE
    1 BAPTEME
    1 BETISE
    1 BIEN SUPREME
    1 CAREME
    1 CATHOLIQUE
    1 CHATIMENT
    1 CHATIMENT DU PECHE
    1 CHRETIEN
    1 CLASSES INFERIEURES
    1 CLASSES SUPERIEURES
    1 COMMANDEMENTS DE L'EGLISE
    1 CONFESSION DU NOM DE JESUS-CHRIST
    1 CONFESSION SACRAMENTELLE
    1 CONNAISSANCE
    1 CONSCIENCE MORALE
    1 CONSEQUENCES DU PECHE
    1 CONVERSION SPIRITUELLE
    1 CRAINTE
    1 CROIX DE JESUS-CHRIST
    1 DEVOIRS DE CHRETIENS
    1 DON DE CRAINTE
    1 ECRITURE SAINTE
    1 EFFORT
    1 EGLISE EPOUSE DU CHRIST
    1 ENNEMIS DE L'EGLISE
    1 ENSEIGNEMENT DE JESUS-CHRIST
    1 ETERNITE
    1 FILS DE L'EGLISE
    1 FOI
    1 FRANCHISE
    1 HANDICAPS
    1 HONNETETE
    1 HONTE
    1 HUMILITE
    1 HYPOCRISIE
    1 IDEES DU MONDE
    1 IGNORANCE
    1 INTELLIGENCE
    1 JESUS-CHRIST DOCTEUR
    1 JESUS-CHRIST JUGE
    1 JUGEMENT DERNIER
    1 JUIFS
    1 LACHETE
    1 LUTTE CONTRE LE PECHE
    1 MORT DE JESUS-CHRIST
    1 MYSTERE
    1 ORGUEIL DE LA VIE
    1 PAGANISME
    1 PEUR
    1 PROTESTANTISME
    1 RECHERCHE DE DIEU
    1 RESISTANCE A LA GRACE
    1 RESPECT HUMAIN
    1 RESPONSABILITE
    1 ROI DIVIN
    1 SAINTE TABLE
    1 SAUVEUR
    1 SERMONS
    1 SIGNE DE LA CROIX
    1 SOCIETE
    1 VANITE
    1 VERTU DE FORCE
    1 VIE HUMAINE
    2 ELIE, PROPHETE
    2 HERODE ANTIPAS
    2 JEAN-BAPTISTE, SAINT
    2 JEAN, CUISINIER
    2 LUTHER, MARTIN
    2 NICODEME
    2 PIERRE, SAINT
    2 PILATE
    2 SHAKESPEARE, WILLIAM
    3 FRANCE
  • 1838-1839
La lettre

Attendite, ne justitiam vestram faciatis coram hominibus, ut videamini ab eis.

L’orgueil, nous l’avons déjà dit, est le principe de tous les péchés, mais ce désir d’estime et de louanges que nous portons au-dedans de nous et qui cherche à se satisfaire par tous les moyens prend des formes diverses. Tantôt il pousse un guerrier à ravager des provinces, tantôt il précipite un homme à la poursuite de la fortune. Je serais infini si je voulais dire tout ce qu’inspire l’orgueil. Je veux aujourd’hui le considérer dans une classe d’hommes malheureusement trop nombreuse qui ne sauraient avoir l’orgueil des grandes choses, et qui veulent cependant une parure à leur vanité. Je veux parler de l’orgueil chez les faibles et leur montrer comment l’influence de l’orgueil les affaiblit encore. Je viens vous parler du respect humain, et comme la matière est immense je l’aborde sur-le-champ, et voici sous quel point de vue je la considérerai. Je vous parlerai d’abord des caractères du respect humain, en second lieu de son universalité.

Ave, Maria.

Première partie. Caractères du respect humain.

Pour vous dire toute ma pensée, je vous dirai qu’un homme dominé par le respect humain me paraît faire preuve: 1° de folie; 2° de faiblesse d’esprit; 3° de lâcheté.

Qu’est-ce, en effet, que le respect humain? C’est un sentiment par lequel nous agissons en vue de plaire aux hommes. Sentiment d’après lequel nous accomplissons nos devoirs ou nous y manquons, mus que nous sommes par le désir de plaire à nos semblables, ou par la crainte qu’ils nous inspirent. Et sous ce point de vue il y a autant de respect humain à se montrer meilleur que l’on est, lorsque l’on n’a d’autre mobile que la crainte de déplaire, qu’il y en a à violer ses devoirs lorsqu’on craint en les accomplissant de perdre l’estime de ses semblables. Hé bien mon frère, considérez avec moi, je vous prie, quelle folie n’est pas celle du chrétien à qui je suppose la foi, la connaissance de sa religion, quelle n’est pas la folie du chrétien qui dans le cours de sa vie préfère l’estime des hommes à l’estime de Dieu! Que veut-il? des applaudissements? Ecoutez Jésus-Christ: Celui qui me confessera devant les hommes, je le glorifierai devant mon père qui est dans le ciel. Et dans un autre passage il nous déclare que ce sera en présence des anges et des hommes que notre gloire sera proclamée. Vous voulez de la gloire, des applaudissements? mais quelle gloire plus grande que celle que Dieu vous réserve, non pas en présence de quelques hommes, mais devant le genre humain rassemblé? non pas seulement devant le genre humain, mais devant toutes les créatures intelligentes, mais encore devant son Père: Confitebor et ego eum coram Patre meo, qui in caelis est. Vous voulez des applaudissements durables? mais qu’est-ce qui durera plus longtemps que l’éternité?

Vous savez, au contraire, que Dieu se venge et se venge d’une manière terrible de ceux qui par respect humain n’accomplissent pas leurs devoirs, malgré les remords de leur conscience. Vous le savez, mon frère, vous le savez et si par malheur vous l’avez oublié, souffrez que je vous le rappelle. Ecoutez cette sentence terrible prononcée contre ces hommes lâches qui n’osent pas se montrer ce qu’ils sont, qui ont la foi, qui ont sur le front le sceau du baptême, et qui cependant font leurs efforts pour en faire disparaître l’empreinte: Qui autem negaverit me coram hominibus, negabo et ego eum coram Patre meo, qui in caelis est. Quoi! mon frère, de sang-froid, catholique vomme vous êtes, vous consentez à être un jour renié par Jésus-Christ? Vous consentez à subir cet affront? Mais ne sont-ce pas les applaudissements que vous cherchez? et vous pourrez supporter la honte de cet opprobre éternel que le Seigneur vous infligera? C’est par honte que vous n’osez pas vous montrer ce que vous êtes, et vous aurez la force de supporter la honte de l’éternité? Qui autem negaverit me…

Mais laissez-moi donc vous demander si vous y avez réfléchi? Vous voulez de la gloire et vous avez raison. L’homme est né pour la gloire, mais pourrez-vous l’acquérir? Voyez ce guerrier fameux qui naguère avait pris les rênes de notre patrie et avait porté la gloire de la France jusqu’aux extrémités du monde, quelles réflexions faisait-il? A quoi bon tout cela? disait-il un jour, à mériter une demi-page dans un discours sur l’histoire universelle, pas autre chose. Mais s’il faut tant d’efforts pour un si petit résultat, pourrez-vous me soutenir qu’il vaille tant la peine de travailler pour mériter la gloire des hommes? Mais vous n’êtes pas si ambitieux, et dans la portion d’espace que vous réclamez, vous vous contentez de peu. Oh! oui, de bien peu, mon frère. Vous avez raison, de bien peu. Et c’est pour cela que je trouve votre folie encore plus grande, puisque je vous offre avec moins de peine beaucoup plus, et que je vous montre qu’en marchant dans la route où vous vous êtes engagé, non seulement vous n’avez pas ce que vous voulez, mais vous rencontrez tout le contraire: qui autem negaverit me… Je vais plus loin et je vous demande: après tout, même parmi les hommes dont vous recherchez l’estime, quel est celui que vous estimez? L’histoire romaine nous représente Sylla, après avoir tout fait pour usurper le pouvoir suprême, rejeter la pourpre de dictateur, déclarer qu’il ne pouvait plus supporter la charge pour laquelle il avait tant versé de sang, à cause du mépris que lui inspiraient les hommes. Et n’était la force de la religion, qui les connaîtrait bien ne les mépriserait-il pas? Or, franchement, mon frère, parmi les hommes dont vous briguez les applaudissements, quel est l’homme pour qui vous professez une estime réelle, quel est celui que vous n’avez pas déchiré absent, lorsque présent vous lui prodiguiez des éloges? Combien en comptez-vous? je vous le demande, et cependant ce sont les éloges de cet homme que vous ambitionnez, c’est à l’estime de cet homme que vous sacrifiez votre conscience, c’est à l’approbation de cet homme que vous sacrifiez l’approbation de Dieu et votre conscience. Allez, mon frère, votre folie est grande, et je ne sais quel sentiment de compassion s’empare de moi lorsque pour des applaudissements menteurs, et que peut-être encore vous ne pourrez obtenir, je vous vois sacrifier de gaieté de coeur les applaudissements des hommes et des anges, et encourir la honte que vous infligera Jésus-Christ en présence du ciel et de la terre, en présence de son Père: Qui autem negaverit me…

Mais vous n’êtes pas seulement insensé, et le respect humain qui vous enchaîne affaiblit encore votre esprit. Rappelez-vous ce docteur de la loi qui vint trouver Jésus pendant la nuit. C’était un homme bon, vertueux, qui voulait le bien; il occupait un certain rang parmi les Juifs, puisque l’évangéliste l’appelle prince des Juifs: Princeps Judaeorum. Il avait le sens droit et Dieu lui avait fait la grâce de connaître le Sauveur. Maître, lui dit-il, nous savons que vous êtes venu de la part de Dieu pour nous instruire, Rabbi, scimus quia a Deo venisti, magister. Et voyez cependant quel sentiment vulgaire s’attache à son nom. Il s’appelait Nicodème. C’était un pharisien, sorte d’orgueilleux que le Seigneur si doux habituellement poursuit d’une sorte d’acharnement, qu’il frappe sans cesse de ses anathèmes; c’étaient des hommes qui jeûnaient deux fois la semaine, jetaient avec ostentation d’abondantes aumônes dans les troncs placés à la porte du temple. Pour lui, il n’avait rien de semblable, car le Seigneur l’avait touché, et le Seigneur ne touche guère l’hypocrite. C’était un pharisien, mais le plus humble des pharisiens, si humble qu’il en était timide: Erat autem homo ex pharisaeis Nicodemus nomine, et cet homme s’appelait Nicodème.

Les pharisiens aimaient le bruit, la pompe, l’éclat, et c’est pour cela que toutes leurs actions devaient être publiées sur les toits; c’est pour cela encore qu’ils avaient sans cesse à la bouche quelques sentences de l’Ecriture Sainte; c’est pour cela que leurs bourses s’ouvraient avec jactance; c’est pour cela qu’ils avaient le visage amaigri. C’est pour cela qu’on les voyait discuter dans le temple et se poser en juges de toutes les questions; pour lui, au contraire, il ne craignait rien tant que le bruit, il aimait la vérité, mais non pas de jour, il venait l’écouter la nuit, il n’osait pas la chercher à la face du soleil, il lui fallait les ombres de la nuit. C’était un pharisien d’une nouvelle espèce. Erat autem homo ex pharisaeis Nicodemus nomine. Et cet homme s’appelait Nicodème. Lorsque les pharisiens étaient en présence de Jésus, leur bonheur était de lui poser des objections qu’ils espéraient insolubles. Le Sauveur savait bien leur répondre et les confondre par leurs propres paroles. Pour lui, il n’en était point ainsi; prêt au contraire à tout croire, il s’approche du Sauveur avec un sentiment de foi qui touche, mais il ne s’en approchera pas devant les membres de sa secte; il fera bien profession de foi, mais sans témoin et de manière à ce que Jésus seul pût l’entendre. Il serait dangereux pour lui de se compromettre, et les pharisiens pourraient lui en vouloir: Erat autem homo ex pharisaeis Nicodemus nomine, et cet homme s’appelait Nicodème.

Le Seigneur l’accueille avec bonté et lui parle de choses qui eussent dû lui être familières. Si l’homme ne renaît une seconde fois, il ne peut voir le royaume de Dieu. Il ne paraît pas, m.f., qu’en lui adressant ces paroles, [il] eut l’intention de le troubler. Il y avait même chez les Juifs, à côté des livres inspirés, certaines traditions dont le dépôt était particulièrement confié aux pharisiens. Ces traditions, telle que le dogme de l’immortalité de l’âme, de la trinité, etc., dont on ne trouve que quelques rares vestiges dans les livres de l’ancien testament, faisaient partie du domaine de la foi chez les Juifs. Ces traditions étaient tellement authentiques qu’un Juif des plus savants, à force de laborieuses recherches, a été conduit par la comparaison de la tradition judaïque avec la tradition de l’Eglise catholique, a été conduit, dis-je, à revenir à la religion de Jésus-Christ. Ces traditions notre timide les connaissait, mais le respect humain a tellement aveuglé son esprit qu’il ne comprend plus rien et que, tout pharisien qu’il est, il répond à Jésus-Christ par une absurdité. Comment, lui dit-il, un homme peut-il retourner dans le sein de sa mère? Erat autem homo ex pharisaeis Nicodemus nomine, et cet homme s’appelait Nicodème. Que fera le divin Sauveur? Il lui rappellera ce que le bon pharisien sait depuis longtemps: Quoi! lui dit-il, vous êtes maître en Israël et vous ingorez ces choses? Tu es magister in Israël, et haec ignoras? Le docteur n’y est plus, la peur de s’être compromis le préoccupe tellement qu’il oublie ce que, comme pharisien, il savait depuis longtemps à coup sûr, qu’il y a des mystères. Il s’agit bien de mystères pour lui, les pharisiens vont peut-être savoir la démarche imprudente qu’il a faite; tout Jérusalem saura, malgré ses précautions, qu’à la vérité il n’a pas paru applaudir aux instructions de Jésus dans le temple, mais quelque connaissance perfide l’aura guetté, l’aura surpris entrant le soir dans la retraite de l’envoyé de Dieu. Il n’en faut pas davantage pour troubler son esprit et lui lui faudra des explications à tout: Respondit Nicodemus, quomodo possunt haec fieri? Nicodème répondit, comment cela se peut-il faire? Maître en Israël, où en êtes-vous donc? ignorez-vous que le caractère même du mystère est d’être incompréhensible et que le caractère d’une religion divine est d’avoir des mystères? Oui, vous le savez, mais la peur des pharisiens a tout fait oublier, a considérablement affaibli son esprit: Erat autem homo ex pharisaeis Nicodemus nomine, et cet homme s’appelait Nicodème.

Mon frère, une seule question, cet homme timide et dont le respect humain a affaibli la raison, n’a-t-il jamais trouvé d’imitateurs? Ne connaissez-vous point de ces hommes qui proclameraient leur foi à la face du ciel et de la terre, à condition que personne ne les entendrait; qui s’approcheraient avec bonheur des tribunaux sacrés et de la sainte table, si les églises étaient entièrement désertes; qui n’assistent aux instructions que le soir, quand les flambeaux ne jettent pas trop de lumière; qui aiment le prêtre, mais qui ne voudraient l’aborder que la nuit; qui ont de l’instruction, mais qui n’approfondissent [pas] les fondements de la religion de peur d’y voir leur condamnation? Mais écoutez encore ce même docteur; l’évangéliste saint Jean, après nous l’avoir présenté avec toutes les angoisses du respect humain, nous le fera voir encore se fortifiant peu à peu: d’abord dans le conseil des princes des prêtres prendre la défense du Sauveur, s’opposer aux desseins coupables de mettre à mort le Messie, et lorsque l’iniquité aura prévalu, on le verra sur le Calvaire apporter son tribut à la sépulture du Sauveur, et témoigner par les honneurs qu’il rend à son corps privé de vie la foi qu’il n’avait jusque-là osé confesser. Catholiques, nous en sommes sûrs, si Dieu vous le demandait, ce ne seraient ni les persécutions ni les menaces qui vous empêcheraient de montrer votre foi; bien loin de là, elles exciteraient votre caractère. Mais pourquoi tant de faiblesses aujourd’hui? Pourquoi une peur si vive des jugements humaines? Ah! je vous en conjure, un peu plus de fermeté. Mais le respect humain n’affaiblit pas seulement l’esprit, il porte encore la lâcheté dans le coeur.

Oui, m.f., je vous en demande pardon, mais laissez-moi vous le dire: vous êtes un lâche quand vous cédez au respect humain. Quand un guerrier mérite-t-il le nom de lâche? N’est-ce pas lorsqu’il trahit son prince et son drapeau et qu’il prend la fuite, alors que la victoire était facile. En cédant au respect humain, vous trahissez votre roi Jésus-Christ, votre drapeau la croix; vous trahissez alors que la victoire était facile, car lorsque Dieu est avec nous, qui sera contre nous? et Dieu aurait été avec vous. Vous êtes un lâche.

Vous êtes un lâche, et vous le savez bien, car selon les hommes, vous pratiquez ou vous ne pratiquez pas,, et c’est ici que votre lâcheté revêt un caractère plus hideux car j’y découvre le germe de l’hypocrisie. L’hypocrite se masque pour être bon; vous vous masquez pour paraître mauvais; entre les deux je ne sais lequel choisir.

Vous êtes un lâche, alors que vous savez cependant que la vertu calme et ferme se fait toujours respecter. Voyez Jean-Baptiste. Vainement Hérode l’a-t-il fait enfermer, parce que le précurseur du Messie lui reprochait son crime, et cependant au fond de sa prison il l’envoie consulter et c’est d’après ses conseils qu’il se dirige dans les circonstances où sa coupable passion ne l’aveugle pas. Vous savez cela, m.f., vous avez sous les yeux des exemples assez nombreux encore de l’estime qui finit par entourer l’homme franchement chrétien; la vue d’hommes plus [vertueux ?] que vous vous donne des remords, mais ces remords vous ne vous sentez pas le courage de les écouter. Oui, vous êtes lâches. J’ai parlé d’Hérode, voyez dans son exemple ce que peut le respect humain. Il estime Jean-Baptiste, mais entraîné par les charmes d’une danseuse, il se décide à donner le dernier sceau à son iniquité. Qu’est-ce qui l’y détermine? le respect humain. Ah! c’est qu’il n’est aucun crime que la lâcheté ne décide à commettre; il n’est aucun crime auquel ne décide le respect humain. Car il n’est aucun crime que ne commet un poltron quand il est effrayé. Et vous voudriez être cet homme, mon frère, et si je sondais l’histoire de votre vie, peut-être que j’y trouverais bien de ces fautes que vous déplorez dans la solitude. Ah! mon frère, vous n’êtes pas seul, Dieu est avec vous, et il était aussi devant vous lorsque vous le sacrifiiez aux menaces des hommes.

Vous êtes un lâche, et votre lâcheté fait votre supplice. Vous êtes un lâche et je puis vous appliquer, quoique dans un autre sens, ces paroles du Saint-Esprit: Cum sit enim timida nequitia, dat testimonium condemnationis. Vous n’avez pas le courage du crime, mais vous en avez sa faiblesse et c’est cette faiblesse qui témoigne contre vous. Elle vous donne des remords importuns qui vous condamnent, elle commence votre supplice, car franchement, mon frère, si vous avez la foi, vous n’êtes pas heureux: Cum sit enim timida nequitia, dat testimonium condemnationis. O Dieu, qu’est-ce donc que le respect humain qu’il dégrade ainsi les hommes? et que sont les hommes qu’un si grand nombre subissent la dégradation du respect humain?

Et ces hommes se disent chrétiens! Ah! l’un des premiers prédicateurs du christianisme avait des sentiments bien opposés: Mihi autem pro minimo est, ut a vobis judicer. A quelle hauteur ne s’élève-t-il pas? Il méprise souverainement les jugements des hommes. Et qui ne conviendrait pas qu’il a raison? il les méprise, mais gardez-vous de croire que ce soit par orgueil: Sed neque meipsum judico, ajoute-t-il aussitôt. Voilà sa force, Dieu est son juge, il n’en reconnaît point d’autres. Chrétiens, quand aurons-nous le courage de ne craindre que Dieu?

Deuxième partie. Universalité du respect humain.

Le respect humain, m.f., quelque méprisable qu’il soit, est un mal tellement universel que je ne crains pas de dire qu’il est partout où il y a deux hommes, et je ne crains pas de dire que de même que le Sauveur avait assuré à ses disciples que là où deux ou trois seraient réunis en son nom, il s’y trouverait; de même aussi là où deux ou trois hommes sont réunis, satan s’y trouve au moins par le respect humain. C’est pour cela que je ne crains pas de dire qu’il est de tous les temps, de tous les lieux, de toutes les classes. Je serais infini si j’entrais dans tous les détails, je ne choisirai que les principaux.

Je dis, premièrement qu’il est de tous les temps. Et laissez-moi vous dire tout d’abord que s’il subsiste de nos jours, c’est bien une chose incompréhensible. Qu’à une époque où l’on affectait de protéger plus particulièrement la religion, des hommes à sentiments fiers et généreux craignant [= aient craint] qu’on ne prît leurs manifestations de christianisme pour une démarche d’ambition, absolument je le conçois; il y avait dans leur retenue, avec un principe faux, quelque chose de délicat. Mais aujourd’hui, qui songe à savoir si vous allez à la messe, si vous ambitionnez quelque poste? Non, non, mon frère, le prétexte est usé. Le grand avantage! non, ce n’est pas aujourd’hui qu’on ira demander à la religion des sujets. On lui demandera un appui moral, pas autre chose. Ne craignez donc pas, mon frère, de compromettre la délicatesse de vos sentiments en passant pour religieux, je craindrais plutôt le contraire. Croyez-moi, oui, il n’est que trop vrai, le respect humain est de tous les temps. Quel sera-t-il dans un temps comme le nôtre? faut-il vous l’apprendre? mon frère, vos prétextes pourront changer, mais votre peur sera toujours la même; autrefois vous ne pratiquiez point de peur de passer pour Jésuite, et il faut tout dire, peut-être avez-vous pratiqué afin de paraître pour tel. Aujourd’hui vous ne pratiquez pas, vraiment je n’en sais rien, car à coup sûr vos motifs devraient être tout le contraire de ceux que vous aviez autrefois.

Respect humain de tous les temps, mais vous le savez, il y a un temps plus particulier où le respect humain vous agite. C’est le temps où vous allez entrer, le temps pascal approche et vous savez fort bien que vous avez des devoirs à remplir. Vous le savez, mon frère, mais vous savez aussi que l’on parlera de vous. Que ferez-vous donc? C’est à vous à me l’apprendre. Qui l’emportera du respect humain ou du remords? Respect humain de tous les temps, mais plus particulièrement les jours d’abstinence. Vous feriez bien maigre, mais vous n’osez pas. Vous jeûneriez bien, mais vous n’osez pas. Vous ambitionnez la réputation que Shakespeare fait à l’un de ses héros, un honnête homme qui surtout ne mange jamais de poisson le vendredi. Vous n’osez pas, vaillant français, et vous rougissez de votre Dieu devant un garçon d’hôtel, comme saint Pierre devant une servante. Vous n’osez pas, je n’ai plus rien à vous dire. Je ne me charge pas de donner du courage à un poltron.

Mais enfin, direz-vous, l’Eglise a-t-elle le droit d’imposer une prescription odieuse? Ah! je vous arrête, ne changeons pas la question. L’Eglise, voyez-vous, mon frère, elle est tout d’une pièce, elle ne change pas comme les erreurs. Elle peut bien modifier ses préceptes selon le plus grand bien des peuples, mais son droit de commander ne l’attaquons [pas]. Si elle n’a pas mission pour vous imposer l’abstinence, elle n’a pas mission pour commander la foi. Ou vous êtes catholique ou vous ne l’êtes pas. Si vous ne l’êtes pas, je n’ai rien à vous dire, et si vous l’êtes, j’en suis fâché, mais il faut obéir.

Laissez-moi vous faire observer en passant que votre colère contre l’Eglise ne procède que d’un mouvement de respect humain. C’est ce que je vous disais l’autre jour. Vous vous prenez à douter quand vous avez intérêt à ne pas croire. Quand Luther eut intérêt à nier le mariage, il permit à je ne sais plus quel Landgrave de prendre deux femmes, mais vous qui grâces à Dieu n’êtes pas Luther, vous attendrez d’être plus calme pour décider qui des deux doit l’emporter, de l’autorité du respect humain ou de l’autorité de l’Eglise.

Le respect humain est de tous les lieux. Et d’abord dans les sociétés. Lorsque Israël entra dans la terre promise, le Seigneur lui adressa cet avertissement: Cave, ne cum habitatoribus terrae illius fungas amicitias, quae sint tibi in ruinam. Ne pourrais-je pas vous dire la même chose? jeune homme, jeune personne qui avez à peine posé le pied sur le sol de ce pays que l’on appelle le monde, et comme preuve des dangers qui vous menacent, ne pourriez-vous pas montrer les plus tristes expériences? Cave. Ah! oui, prenez garde. Vous rougissez à cause de cette personne, et peut-être cette personne rougit à cause de vous.

Respect humain en tous lieux. Pourquoi craignez-vous de faire le signe de la croix dans une assemblée? Respect humain en tout lieu. Quand venez-vous dans les églises, et pourquoi y venez-vous si rarement? Pourquoi tant d’offices manqués? pourquoi si mal entendus? pourquoi des postures si peu convenables? Pourquoi touché d’une instruction, affectez-vous d’en avoir tiré peu de fruit? Respect humain à la sainte Table. Je l’ai dit, respect humain au confessionnal, vous n’osez pas avouer votre péché.

Péché de toutes les classes. Incedo per ignes. Respect humain des catholiques, et d’autant plus incompréhensible qu’il semblerait, à cause même de la manière dont ils font profession de leur foi. Péché des catholiques. On les voit haïr les protestants; il faut haïr l’erreur et non celui qui la professe, et cependant ils se laissent influencer par leur opinion.

Respect humain des protestants. Combien qui se feraient catholiques s’ils osaient? ils n’osent pas.

Péché des savants qui connaissent la vérité et n’osent pas la défendre. Péché des ignorants qui se laissent guider par je ne sais quelle prévention funeste. Péché des petits, péché des grands.

Avez-vous jamais médité, m.f., sur le caractère de Pilate? Avez-vous vu tout ce qu’il y a de dégradé, de bas, de vil, de méprisable dans ce représentant du peuple-roi?

Il voit Jésus-Christ, il le reconnaît innocent et se lave les mains de son supplice, m.f.. Il ne s’agit plus de Pilate, il s’agit de vous. L’Eglise, cette épouse du Christ, elle aussi a été depuis un siècle [livrée] aux Gentils, et depuis longtemps on la flagelle. Mais, me direz-vous, je ne suis pas du nombre de ses bourreaux. Non, mon frère, mais vous vous en lavez les mains. Vous accusez Pilate d’avoir laissé périr Jésus. Pilate était païen. Je vous accuse, vous, par votre respect humain de laisser périr l’Eglise, car vous êtes son fils.

Nous voyons dans les livres saints Hélie appeler le peuple d’Israël en témoignage. Jusques à quand, disait-il: Usquequo claudicatis in duas partes; si Dominus est Deus, sequimini illum, si autem Baal, sequimini illum.

Notes et post-scriptum