[Cahier de sermons de 1838-1839]

Informations générales
  • TD50.149
  • [Cahier de sermons de 1838-1839]
  • [Sermon] Sur l'amour des richesses.
  • Orig.ms. BL1, pp. 291-315; T.D. 50, pp. 149-155.
Informations détaillées
  • 1 AMOUR DE DIEU POUR SA CREATURE
    1 AVARICE
    1 BIEN SUPREME
    1 BLASPHEME
    1 BUT DE LA VIE
    1 CHATIMENT DU PECHE
    1 CLASSES INFERIEURES
    1 CONSEQUENCES DU PECHE
    1 CULPABILITE
    1 DECADENCE
    1 ENVIE
    1 EVANGILE DE JESUS-CHRIST
    1 FORTUNE
    1 INJUSTICES
    1 INSENSIBILITE
    1 JUIFS
    1 JUSTICE DE DIEU
    1 LUTTE CONTRE LE PECHE
    1 MAUX PRESENTS
    1 MEURTRE
    1 OUVRIER
    1 PASSION DE JESUS-CHRIST
    1 PASSIONS MAUVAISES
    1 PAUVRE
    1 PECHES CONTRE DIEU
    1 PECHES CONTRE LE PROCHAIN
    1 PROVIDENCE
    1 RESPONSABILITE
    1 RUSE
    1 SCANDALE
    1 SERMONS
    1 TRIPLE CONCUPISCENCE
    1 USURE
    1 VOL
    1 VOLONTE DE DIEU
    2 BOURDALOUE, LOUIS
    2 DAVID, BIBLE
    2 JEAN CHRYSOSTOME, SAINT
    2 JEAN, SAINT
    2 JEROME, SAINT
    2 JUDAS
    2 LOUIS, SAINT
    2 LOUIS XIV
    3 ASIE
    3 TYR
  • 1838-18539
La lettre

Vae vobis divitibus.

Lorsque j’emprunte cet anathème au discours qu’il adressa à ses disciples du haut de la montagne, gardez-vous de croire, m.f., que je vienne divisant la société en deux parts, jeter un anathème de plus à ceux qui ont, de la part de ceux qui n’ont pas; ma parole serait coupable, et à Dieu ne plaise qu’elle sortît avec une intention mauvaise de ma bouche! Je prétends, au contraire, que ces expressions s’adressent à tous, aux pauvres comme aux riches, car ce n’était pas les richesses que Dieu voulait condamner, mais leur abus, mais surtout l’affection que l’on y portait. Or qui niera qu’aujourd’hui un des maux les plus effrayants de la société c’est l’amour des richesses? et c’est ce mal même qu’on prétend opposer aux dangers qui menacent, une barrière de métal est opposée aux flots populaires. Allez, une muraille d’or ne vous protégera pas plus qu’une enceinte de pierres.

Je viens vous parler aujourd’hui contre cet abus, en vous montrant: 1° le crime que commet celui qui se laisse emporter à l’amour des richesses, 2° sa dégradation.

Première partie. Crime de l’amour des richesses.

Le crime de l’homme qui se laisse dominer par l’amour des richesses peut être considéré sous deux points de vue: crime envers Dieu; crime envers le prochain.

Crime envers Dieu.

Dieu veut être lui-même notre récompense, et à ce titre notre richesse. N’est-ce pas de lui que nous tenons ce que nous avons, la vie, l’existence et toutes choses? Vitam, inspirationem et omnia. Puisque nous avons tout de Dieu, tout lui appartient; et puisque nous savons qu’il nous aime quand il nous avertit que nous devons mépriser les richesses de la terre, nous devons les mépriser pour en acquérir de plus précieuses, que ce Dieu tout bon nous destine. Je ne veux pas pousser plus loin ces considérations, mais vous devez comprendre aisément par ce qui vient d’être dit que ce que nous devons chercher avant tout, ce sont les biens que Dieu lui-même nous offre. Or il nous dit: Divitiae si affluant, nolite cor apponere. Il nous dit: craignez ce qui pour vous serait une cause de damnation, l’amour des richesses. Mais nous ne l’écoutons pas et nous méprisons son service pour le service de l’or. Rappelez-vous ce que nous vous disions naguère. Que cherchez-vous? de l’or et avant tout de l’or. Les Juifs suivaient Baal et Moloch, dans ce siècle on adore l’or. Quelle est la cause du malaise universel, qu’on s’efforcerait difficilement de se dissimuler? l’amour de l’or. Mais où cela conduit-il? au mépris de Dieu. Les anciens avaient des temples érigés à la fortune; nous, nous avons des bourses et les victimes y sont aussi nombreuses. Crime contre Dieu. Je voudrais pouvoir vous montrer comment l’amour de l’or résume de nos jours la triple concupiscence dont parle saint Jean: la concupiscence de la chair, la concupiscence des yeux, l’orgueil de la vie.

La concupiscence de la chair ou les plaisirs des sens. Que se refusera celui qui pourra se payer une jouissance, n’importe laquelle? Concupiscence des yeux, c’est la richesse ou la considération, et qui n’aura pas des adorateurs, quand aujourd’hui on sait qu’ils se vendent et qu’ils s’achètent? L’orgueil de la vie, l’ambition. Lorsque l’empire romain pencha vers sa ruine, les cohortes prétoriennes ramassèrent la pourpre impériale dans la rue et la vendirent au plus offrant.

Aussi voyez comme le Seigneur s’irrite contre cette malheureuse passion. Une ville était célèbre dans l’Asie par ses richesses et le luxe de ses habitants, c’était Tyr. Le Seigneur veut la châtier. Ecoutez ce que dit le prophète…

L’amour désordonné des richesses est encore un crime envers le prochain. Et ici sans doute, vous me permettrez quelques détails. L’amour des richesses qui fait le fond d’une foule de dispositions, l’amour des richesses, il faut le dire cependant, se traduit de plusieurs manières. Tantôt c’est un désir sordide d’amasser pour avoir; c’est l’or pour l’or. On fera tout pour avoir de l’or, mais c’est l’or seul que l’on veut. Je ne sache pas de passion plus exécrable que cet amour de la matière brute. Qu’on se passionne pour la gloire, je le conçois; pour des formes brillantes, je le conçois encore; pour de la fortune, afin pour [= par] elle de se procurer des jouissances, encore je le comprends; mais avoir de l’or pour pouvoir le palper, oh, c’est abominable et je comprends cette parole du Saint-Esprit: avaro nihil scelestius. Mais ce n’est pas ce mal que je me propose d’attaquer, je veux attaquer l’amour de l’or qui met tout son bonheur à paraître. On sait qu’aujourd’hui plus que jamais avec de l’argent on est tout, sans argent on n’est rien. Or pour se procurer de l’argent, on se rend coupable dans les moyens de l’acquérir, dans la manière de le dépenser. Dans les moyens de l’acquérir, l’injustice. Ah! m.f., quelles terribles révélations auront lieu au jour du jugement, lorsqu’il faudra voir étaler les moyens par lesquels on est arrivé à la fortune, que d’intrigues, que de faussetés, que de meurtres! Saint Jérôme disait que de son temps c’était un proverbe reçu: Omnis dives aut iniquus aut iniqui haeres. Et Bourdaloue ne craignait pas de se rendre l’écho de saint Jérôme, en présence de la grande cour de Louis XIV.

Crime envers le prochain. Que de dépenses se font et ne sont pas payées! Qui souffre? Ce sont les ouvriers. Crime envers le prochain, l’usure. Certes, je suis un des théologiens les moins sévères à cet égard; j’ai consulté longuement la cour Romaine, et je sais que les systèmes d’économie politique ayant changé, l’application de principes peut varier selon [les] circonstances, mais il n’en est pas moins vrai que je suis frappé des ravages que fait l’usure.

Crime envers le prochain. Alors qu’emporté par la soif insatiable de l’or, on tombe et on fait tomber avec soi une foule de victimes.

Crime envers le prochain. Et les pauvres, m.f., et les pauvres, pour quoi les comptez-vous? Vous étiez ou vous deviez être pour eux une providence vivante, votre superflu leur appartenait, ils y avaient droit, et vous les en privez, et vous êtes cause qu’ils blasphèment contre la providence. Et vous croyez n’avoir pas un jour à rendre compte de leurs cris? Ah! vous vous trompez grandement, mon frère, si vous pensez ainsi. Voyez les honneurs dont Jésus- Christ les entoure sans cesse. Ah! vous aurez, mon frère, un compte terrible à rendre.

Crime envers le prochain. A vous, pauvres, à votre tour, quelle est cette envie qui vous dévore? pourquoi ces plaintes et ces murmures? vous êtes estimables, mais souvenez-vous-en bien, par Jésus-Christ; mais pour vous rendre estimables par vous-mêmes, il faut savoir comprendre la dignité de votre état. Or cette dignité la comprenez-vous? Ne croyez pas que Jésus lance son anathème contre ceux qui ont; il aurait anathématisé David, il aurait anathématisé saint Louis. Ce qu’il condamne, c’est l’amour des richesses. Hé bien, laissez-moi descendre au fond de votre coeur. Qu’y vois-je? et d’abord que s’y passait-il, il n’y a qu’un instant, lorsque je blessais au nom de la religion des hommes plus au-dessus de vous? Quel sentiment de joie éprouviez-vous, mon frère, et peut-être sera-ce l’unique fruit que vous emporterez de cette instruction? Détrompez-vous, mon frère, détrompez-vous complètement; vous aussi vous êtes coupable; oui, vous l’êtes, car si je juge à vos murmures, à vos plaintes, à vos regards, vous n’êtes point pauvre de coeur. Votre coeur aime la richesse et vous êtes blâmable: Vae vobis divitibus. Je parlais tout à l’heure de vols, mais n’en commettez-vous point dans vos ateliers, dans l’emploi du temps, domestiques, chez vos maîtres? prenez-y garde, vous aurez à rendre compte de vos injustices, et votre conduite qui échappe à l’oeil de la justice humaine n’échappera pas à la justice de Dieu. Malheur à vous! N’allez pas vous prévaloir du tort qu’on vous a fait pour commettre des injustices à votre tour. Prenez-y garde, vous êtes voleur.

Et vous qui n’ayant qu’une médiocre fortune, faites des dépenses au-dessus de vos forces et qui rugissez au fond de votre âme, ah! que je vous plains! Que de crimes n’enfante donc pas l’amour des richesses! que de raisons pour nous de le fuir! Prenez garde, s’écrie saint Jean Chrysostome, cette passion s’allume au fond de l’âme, et nul ne peut l’éteindre quand elle est arrivée à un certain degré. Que faire? se hâter de l’étouffer; se hâter de la combattre: Vae qui conjungitis domum ad domum, et agrum agro copulatis usque ad terminum loci, numquid habitabitis vos soli usque ad terminos terrae?

Dégradation de l’amour des richesses. Deuxième partie.

Pour se faire une idée de la dégradation qu’emporte avec elle [= lui] l’amour des richesses, il faut se rappeler l’ordre que le Seigneur a établi. Il veut que le monde subsiste et que la société soit liée par la loi des besoins. Mais il faut que l’on se rappelle que les besoins matériels ne sont pas les besoins les plus essentiels, et c’est pourtant ce que semblent se persuader ceux qui mettent leurs espérances dans les richesses. Mais il faut approfondir cette question, et il faut montrer que l’homme qui se livre à l’amour des richesses se dégrade dans le but qu’il se propose, dans les moyens qu’il emploie, dans les effets qu’il en ressent.

Dites-moi, m.f., qu’est-ce qu’un homme qui veut devenir riche, s’il ne l’est pas, ou qui met son bonheur dans la richesse, s’il l’est? Enfin, qu’est-ce que la richesse? C’est un moyen, mais en faire un but…

L’amour désordonné des richesses est dégradant dans les moyens qu’il emploie. Il fallait que tout concourût à la passion du divin Maître. Voyez Judas, l’amour de l’or le poursuit, il trahira son maître. Ne considérons pas ici son crime, ne considérons que la honte dont le genre humain l’a accablé; et pour le dire en passant, nous ne sommes certains de la damnation que d’un seul homme, Judas. L’Eglise, quoi qu’on dise, ne damne personne. Nous ne sommes sûrs que de la damnation d’un seul homme, et cet homme est une victime de l’amour de l’or. Voyez-le, pour quelques pièces de monnaie aller trouver les princes des prêtres: Quid vultis mihi dare, et ego vobis eum tradam? on vendra tout, la justice, l’équité, la bonne foi, l’amitié, le secret des familles, la religion, Dieu même, Quid vultis mihi dare?

Dégradation dans les résultats. Je tremble, m.f., en considérant ces résultats affreux, le coeur se raccornit pour ainsi dire, et n’a plus qu’une pensée, de l’or. Du reste, les sentiments généreux de la famille, il n’en faut plus parler. Les pauvres, que sont-ils? d’importuns étrangers pour lesquels on établira des dépôts. Le coeur se durcit; les résultats: c’est la folie, le bagne; les résultats, c’est le suicide; le résultat, c’est l’enfer.

Notes et post-scriptum