[Cahier de sermons de 1838-1839]

Informations générales
  • TD50.155
  • [Cahier de sermons de 1838-1839]
  • [Sermon] Sur la haine envers le prochain.
  • Orig.ms. BL1, pp. 321-349; T.D. 50, pp. 155-159.
Informations détaillées
  • 1 AMOUR DE DIEU POUR SA CREATURE
    1 AMOUR DIVIN
    1 AMOUR-PROPRE
    1 ANTIPATHIES
    1 APOSTOLAT DE LA VERITE
    1 BON EXEMPLE
    1 CAUSE DE L'EGLISE
    1 CHARITE ENVERS LE PROCHAIN
    1 CHRISTIANISME
    1 CIEL
    1 COLERE
    1 CONSEQUENCES DU PECHE
    1 ENFER
    1 ENSEIGNEMENT DE JESUS-CHRIST
    1 ETERNITE
    1 FORTUNE
    1 HAINE
    1 HOMME CREE A L'IMAGE DE DIEU
    1 IMITATION DE JESUS CHRIST
    1 JESUS-CHRIST MODELE
    1 LOI DIVINE
    1 ORAISON DOMINICALE
    1 ORGUEIL
    1 OUBLI DE SOI
    1 PAIX
    1 PARDON
    1 PARTI
    1 RECONNAISSANCE
    1 RESISTANCE A LA GRACE
    1 SALUT DES AMES
    1 SERMONS
    1 SOCIETE
    1 UNITE CATHOLIQUE
    1 VENGEANCE
    1 VIE DE FAMILLE
    1 VIE SPIRITUELLE
    1 VOLONTE PROPRE
    2 ABSALON
    2 DAVID, BIBLE
    2 MONTAIGNE
    2 SAUL, ROI
    2 TERTULLIEN
  • 1838-1839
La lettre

Estote ergo vos perfecti, sicut pater vester caelestis perfectus est.

A quel signe notre divin Sauveur veut-il que l’on prouve la perfection qu’il invite ses disciples à pratiquer? Au pardon des injures. Faites du bien, dit-il, à ceux qui vous font du mal. M.f., cela est dur, mais c’est Dieu qui l’a dit. Oui, je le sais, il est pénible de pardonner, et cependant il faut pardonner. Je viens vous exposer les motifs de pardonner et je considérerai les motifs, soit par rapport au prochain, soit par rapport à vous. Il faut pardonner. Le bien général le demande, et votre propre intérêt l’exige.

Première partie. Il faut pardonner à cause du prochain.

Loi de la charité.

Je ne sache rien de plus propre à relever l’idée de Dieu parmi les hommes que cette loi de charité, que Jésus-Christ sur le point de mourir légua à ses disciples: mes petits enfants, leur dit-il, je vous laisse un commandement nouveau, c’est que vous vous aimiez les uns les autres. On reconnaîtra à ce signe que vous êtes mes disciples, si vous avez les uns pour les autres une charité mutuelle. Et voyez, en effet, le merveilleux tableau que nous déroulent alors les créatures capables de connaître et d’aimer. Dieu est amour, et cet amour coulant comme un océan immense renferme en lui toutes les créatures; par la charité Dieu s’unit tous les êtres, et tous les êtres s’unissent entre eux par l’amour de Dieu, par l’amour qui est Dieu même. Voulez-vous une autre comparaison: toutes les créatures tiennent entre elles par des liens réciproques, comme les anneaux d’une chaîne infinie, et c’est Dieu qui tient en sa main le premier anneau de cette chaîne, ou plutôt c’est lui qui est la chaîne même.

Mais l’amour-propre ne veut point de cette loi, parce que les avantages d’autrui sont pour lui une perte, et toutes les fois que l’intérêt particulier sera en jeu, il faudra sacrifier le bien général. Or, remarquez, m.f., quels maux cause cette haine qui s’irrite sans cesse et qui ne veut rien souffrir.

Est-ce dans les sociétés? Voyez ce que font les haines des partis, voyez à quoi ils sont exposés, voyez quelles en sont les conséquences. Au milieu de ces haines qui songe au bien public? l’observation n’est pas de moi, elle est vieille, Montaigne la faisait de son temps. Mais que dit Jésus-Christ: Omne regnum contra seipsum divisum, desolabitur, et domus supra domum cadet…

Mais laissons des considérations trop irritantes. Voyez le mal que fait à l’Eglise l’esprit de haine. Autrefois Tertullien donnait en preuve de la vérité du christianisme la charité des chrétiens, et que de biens ne procurait-elle pas! Multitudinis credentium erat cor unum, et anima una. Trouvez-moi, trouvez-moi des chrétiens qui s’aiment. Qu’en résulte-t-il? C’est qu’on ne fait plus corps, on n’aime plus les intérêts communs, on ne se dévoue plus pour ses frères. Chacun pour soi: telle est la devise; mais qu’en résulte-t-il? Il n’y a plus de rapprochement, il n’y a plus de principe d’édification. Le mal que vous faites à l’Eglise, mon frère! Vous empêchez les protestants d’y rentrer, si vous aviez pour eux une charité véritable, croyez-vous que leurs préjugés ne diminueraient pas? Je vous le dis la terreur dans l’âme, leur sang retombera sur vous. Le mal que la haine fait à l’Eglise, c’est ce qui a entretenu les hérésies. La vérité était bien dans l’Eglise, mais avec quels sentiments la défend-on? Jésus ne rencontre que d’indignes soldats et c’est pourquoi il ne leur donne pas la victoire.

Le mal que la haine fait à la religion, mon frère! Pourquoi un si grand nombre de personnes s’éloignent-elles des sacrements? Parce qu’on a de la haine. Mais cette haine est réciproque, et si vous pardonniez on pardonnerait. Qu’était autrefois le baiser de paix que les fidèles se donnaient avant la communion? Quel sens a-t-il aujourd’hui? l’Eglise est un vaste corps, mais [si] les membres se désunissent, le corps tombera…

Le mal que la haine fait dans les familles! Hélas! hélas! je frémis en abordant cette question. Vous le savez, mon frère, le mal que des sentiments de haine ont fait dans certaines familles, et cependant vous nourrissez ces sentiments dans votre propre famille. Mon frère, y pensez-vous? Quoi! ne voyez-vous pas que c’est ici que triomphe la charité par les prodiges qu’elle opère? Mais c’est difficile, me direz-vous. Hé oui, pourquoi J.-C. a-t-il donc fait du mariage un sacrement? Mais c’est pénible à vous, époux, à vous, fils, à vous, frère…

Et voulez-vous que nous allions dans le détail. Pourquoi les antipathies? c’est pour de l’argent. Grand Dieu, et vous mettez de l’argent en comparaison avec le bonheur d’être uni?

Observez encore, si vous le voulez, les maux que produit la haine envers le prochain dans les relations habituelles des hommes. Et pour cela laissez-moi examiner les progrès de cette haine, non pas seulement chez un homme facile à s’emporter, mais chez une personne bonne chrétienne, vous jugerez ensuite de la catégorie où vous devez vous placer, des excès auxquels vous vous êtes porté ou du point où vous vous êtes arrêté.

Votre orgueil a été contrarié. Ou bien, vous le comprimez, puis la colère a besoin de se montrer, puis des plaintes, puis des vengeances: Mihi vindicta, et ego retribuam…

Enfin, m.f., si la vue de tous les maux que la haine cause sur la terre parmi les hommes ne suffit pas, voyez le double spectacle que nous présente l’éternité. Voyez d’une part les élus, de l’autre les damnés continuant à se haïr. La charité c’est le ciel, la haine c’est l’enfer…

Deuxième partie. Haine du prochain contraire à l’intérêt propre.

Je ne vous dirai point, m.f., que votre intérêt exige que vous aimiez le prochain sur la terre, afin de n’être pas condamné à contribuer par votre haine à son supplice pendant toute l’éternité. Personne, que je sache, dans cet auditoire n’a de vocation pour le métier de bourreau, et c’est cependant une des conditions des damnés dans l’enfer d’augmenter leurs tourments par la haine qu’ils se portent. Mais je veux vous montrer qu’il est de votre intérêt de pardonner. Mon frère, avez-vous la sainteté de David? Et cependant voyez-le fuir devant son fils Absalon; pendant que le peuple l’accompagne, un homme de la famille de Saül vient l’insulter. Un des officiers de ce grand roi… Quid mihi et vobis est, filii Serviae? dimittite eum, ut maledicat; Dominus enim praecepit, ut malediceret David, et quis est qui audeat dicere quare sic fecerit? Reg. 2, c. 16. C’est un instrument de châtiment, d’épreuve, de perfection?

Mais après tout, vous qui vous livrez à la haine et qui la manifestez par vos paroles, alors que vous ne pouvez la manifester par vos actes, je vous le demande, êtes-vous heureux? Sepulchrum factus est guttur eorum, linguis suis dolose agant, venenum aspidum sub labiis eorum. Vous avez déchiré votre prochain, mon frère, êtes-vous heureux? il faut donc être plein de charité, si vous voulez avoir la paix…

Pourquoi faut-il pardonner? pour être semblable à Dieu. Estote ergo et vos perfecti, sicut Pater vester caelestis perfectus est. – Mais il m’en coûte. – Je ne l’ignore pas, mais c’est en quoi consiste le mérite de votre sacrifice. Quand il vous en coûterait encore plus, mon frère, mettez-vous en parallèle ce que Dieu fait pour vous et ce que vous devez faire pour Dieu?…

Mais il m’en coûte de pardonner. Hé bien, allez à la croix; oui, m.f., allez à la croix, récitez ces paroles: Pater, ignosce illis, mon père, pardonnez-leur. Pour qui sont-elles prononcées ces paroles? Pour vous, m.f. Hé bien, c’est le même Jésus, qui, après avoir obtenu votre pardon de son père au prix de son sang, réclame de vous celui de cette personne que vous haïssez; le lui refuserez-vous?…

Mais cela m’est trop pénible. Je ne puis m’y résoudre. Mon sang se révolte à la pensée de pardonner à une personne qui m’a tant outragé, dans mon honneur ou dans ma fortune. – Hé bien, mon frère, vous avez raison. Je n’insiste plus, mais prenez garde, c’est pour vous une obligation rigoureuse de cesser désormais d’adresser votre prière au ciel, car que direz-vous à Dieu? La prière que Jésus lui-même vous a enseignée? Mais prenez garde à ces paroles, pardonnez-nous nos offenses comme nous pardonnons à ceux qui nous ont offensé. Quoi! vous voulez que Dieu vous pardonne comme vous pardonnez?…

Oui, Seigneur, nous voulons que vous nous pardonniez, et c’est pour cela que nous voulons pardonner nous-mêmes.

Notes et post-scriptum