[Sermons pour l’Avent de 1841 à la cathédrale de Nîmes]

Informations générales
  • TD50.161
  • [Sermons pour l'Avent de 1841 à la cathédrale de Nîmes]
  • [I] Jésus-Christ fin de la loi qu'il accomplit.
  • Orig.ms. BL3, pp. 1-23; T.D. 50, pp. 161-171.
Informations détaillées
  • 1 ACCEPTATION DE LA VOLONTE DE DIEU
    1 ACTION DE DIEU
    1 AMOUR DE JESUS-CHRIST POUR LES HOMMES
    1 ATHEISME
    1 AVENT
    1 BONHEUR
    1 CHARITE ENVERS DIEU
    1 CHRIST
    1 COMMANDEMENTS DE DIEU
    1 CONSTITUTION
    1 CORRUPTION
    1 DECADENCE
    1 DESOBEISSANCE
    1 DOCTRINE CATHOLIQUE
    1 HAINE CONTRE DIEU
    1 HOMMES
    1 HUMANITE DE JESUS-CHRIST
    1 INCARNATION DE JESUS-CHRIST
    1 JESUS-CHRIST CHEF DE L'EGLISE
    1 JESUS-CHRIST MEDIATEUR
    1 LIBERTE
    1 LOI ANCIENNE
    1 LOI DIVINE
    1 LOI NOUVELLE
    1 LUXURE
    1 MORT DE JESUS-CHRIST
    1 MYSTERE DU SALUT
    1 OBEISSANCE DE JESUS-CHRIST
    1 PAROLE DE DIEU
    1 PUISSANCE DE DIEU
    1 REGNE
    1 REVELATION
    1 SAGESSE DE DIEU
    1 SATAN
    1 SERMONS
    1 SERVICE DE L'EGLISE
    1 SOCIETE
    1 SOUFFRANCE ACCEPTEE
    1 TRINITE
    1 VERBE INCARNE
    1 VERITE
    2 ADAM
    3 NIMES, CATHEDRALE
  • Avent 1841
La lettre

Finis legis Christus, ad justitiam omni credenti.

Je commence par avouer l’impuissance où je suis de donner dans un seul entretien toute l’étendue convenable aux paroles de l’Apôtre, qui m’ont servi de texte, pour faire comprendre comment le Christ est le terme, la fin de la loi et de toute loi. Il faudrait vous montrer en Dieu la sagesse éternelle qui est la loi vivante, règle et mesure des actes divins. Il faudrait vous montrer cette même loi se manifestant au dehors et imprimant son cachet sur tous les êtres, en même temps qu’elle en dispose l’ensemble selon le plan éternel qui subsiste dans le Verbe. Il faudrait vous représenter le Verbe incréé, expliquant la sentence de mort qui pèse sur l’humanité coupable et donnant l’espérance comme soutien des enfants d’Adam, poussant toutes les natures dans une voie providentielle à l’accomplissement de la réparation, dictant sur le mont Sinaï des préceptes écrits aux enfants d’Israël, et dans la succession des siècles parlant aux hommes par les prophètes du libérateur qui brisera leurs fers.

Mais, je le répète, ce sujet serait trop vaste et pour le restreindre à de justes proportions je m’empare des paroles de saint Augustin expliquant comment Jésus-Christ est la fin, le terme de la loi: Finis legis dicitur, non quia consumit, sed quia perficit. Le Christ, dit ce Père, est appelé fin, terme de la loi, non parce qu’il la détruit, mais parce qu’il l’accomplit. Je viens donc vous parler de l’accomplissement de la loi par Jésus-Christ, et je dis que Jésus-Christ est le terme de la loi qu’il accomplit et qu’il est le terme de la loi qu’il fait accomplir.

Il est impossible que la loi soit accomplie autrement que par lui et avec lui.

Première partie.

A part les lois générales que Dieu a établies pour la conduite du monde et qu’il s’est, pour ainsi dire, imposées à lui-même, lesquelles ont toutes leur principe et leur terme dans le Verbe, il est une loi spéciale qui a été donnée à l’homme. Cette loi découle de la loi éternelle qui n’est autre que la sagesse de Dieu, de même que toutes les vérités découlent de la vérité éternelle qui est la parole de Dieu. Or, comme la parole de Dieu et la sagesse de Dieu se trouvent être le Fils de Dieu, c’est dans ce Fils de Dieu, comme dans un unique principe, que toute vérité et toute loi doivent prendre leur source. D’où vous concevez tout d’abord la liaison qui subsiste entre la loi et la vérité, et comment il est impossible qu’une loi opposée à la vérité soit bonne; d’où vous voyez encore que toute vérité reposant pour le catholique sur la révélation interprétée par l’Eglise, il est impossible qu’une loi soit bonne dès qu’elle est en opposition avec l’enseignement de l’Eglise.

Le principe posé, je dis que les vérités ayant diminué par l’effet des passions parmi les hommes et les lois ayant été affaiblies par la diminution de la vérité, les choses en étaient venues après quatre mille ans à un point que l’on ne savait plus ni ce qu’il fallait croire, ni ce qu’il fallait faire; la vérité et l’erreur, le bien et le mal confondus ensemble ne présentaient plus aux intelligences fatiguées qu’un monstrueux chaos sur lequel s’étendaient d’épaisses ténèbres. Excités, pour ainsi dire, par l’impureté, les impies qui avaient dit dans leur coeur: Dieu n’est pas, brisaient le joug de ses commandements; et n’ayant plus aucune foi ne reconnaissaient plus aucune morale. Le prophète considérant plusieurs siècles à l’avance ces temps épouvantables où l’incrédulité et le vice semblaient parvenus à leur apogée, s’était écrié: Seigneur, voici le temps d’agir, vos lois sont méconnues: Tempus faciendi, Domine, dissipaverunt legem tuam, et ce fut, en effet, au moment de la plus grande corruption du monde entier que le Seigneur commença à agir. Quelle devait être cette action? par quelle oeuvre devait-il se manifester au monde une seconde fois? La loi avait été dissipée, la loi devait être rétablie. Dieu avait donné un précepte au premier homme et l’homme l’avait violé. La loi écrite, selon l’expression de l’Apôtre, dans le coeur des hommes, s’y effaçait tous les jours, et les tables du Sinaï n’offraient plus que des caractères illisibles aux yeux du peuple à qui la parole de Dieu avait été confiée. Seigneur, il est temps d’agir, car le souvenir de votre loi s’efface: Tempus faciendi, Domine. Encore un coup que fera le Seigneur? Admirez avec moi le mystère dont je vais vous révéler quelque chose.

Nous avons dit en commençant que le Fils de Dieu, connu comme Sagesse éternelle, n’était autre que la loi divine; et bien ce sera celui qui est lui-même la Sagesse éternelle, et l’éternelle loi, qui viendra sur la terre pour accomplir les commandements de Dieu. Ne cessons de la répéter, de même que toute paternité découle de la puissance infinie qui est Dieu le Père, de même aussi toute loi découle de la sagesse éternelle, qui est Dieu le Fils. Satan a voulu abolir cette loi au ciel par sa révolte, sur la terre en faisant révolter le premier homme, et la loi éternelle qui est le Fils de Dieu, Dieu lui-même, se fera homme pour accomplir cette loi; premièrement sur la terre, secondement dans le ciel. Or cette loi sera accomplie de deux manières: 1° par l’obéissance; 2° par l’amour. Ecoutez le développement de ma pensée.

La première condition de la loi extérieurement manifestée c’est qu’on lui obéisse; et ici contemplez avec moi un des prodiges de l’Incarnation du Fils de Dieu. Celui qui est la loi vivante, la loi par excellence, la raison de tous les décrets de Dieu, la règle et la mesure de tous ses actes, se fait homme afin d’obéir. Et comment obéira-t-il? Ecoutez-la cette loi éternelle parlant elle-même par la bouche d’un prophète: In capite libri scriptum est de me, ut facerem Deus voluntatem tuam. O Dieu, les hommes vous ont méconnu, outragé, ils ont repoussé vos ordres. Vainement pour leur faire connaître leurs devoirs aviez-vous écrit vous-même vos commandements, ils les ont considérés comme nuls; mais ô Dieu, cette loi que vous écriviez pour les hommes, vous l’écriviez aussi pour moi qui suis votre fils. Vous l’écriviez pour moi, et dès les premières lignes de la loi il était dit que je devais par l’excès de mon obéissance vous dédommager de tant de révoltes. In capite libri scriptum est de me. Oui, dès les premières pages du livre de la loi, il est question de moi puisque cette loi, toute figurative, n’a de sens que par moi. Mais toutes les figures que cette loi représente, ne font que réprésenter la souveraine obéissance que je dois manifester au monde. In capite libri scriptum est de me, ut facerem Deus voluntatem tuam. Oui, Seigneur, moi aussi je l’accepte, et cette loi sera au milieu de mon coeur: Deus meus, volui, et legem tuam in medio cordis mei.

Sur quoi je vous prie de considérer avec moi un nouveau prodige. Lorsque Jésus-Christ accepte la volonté de son Père, n’oublions pas qu’il l’accepte non seulement comme Dieu, mais encore comme homme; le médiateur entre Dieu et les hommes devait être homme: Mediator Dei et hominum, homo, déclare le Saint-Esprit. Eh bien, ce médiateur homme déclare que la loi de Dieu est au milieu de son coeur. Mais qu’est-ce que cette loi sinon Dieu lui-même? Deus meus, volui, et legem tuam in medio cordis mei. Le Verbe, la loi éternelle, parle; et l’humanité du Sauveur qui est le temple, mais un temple qui ne fait qu’un avec la divinité qui l’habite, se charge par son obéissance d’accomplir cette loi, mais l’union entre l’humanité et la divinité de mon Sauveur est tellement grande que si je vois deux natures, la foi m’enseigne que je ne dois adorer qu’une personne; mais si j’adore son humanité à cause de son union avec la divinité, je dois adorer cette obéissance d’un homme-Dieu, cette obéissance d’un Dieu. Un Dieu obéissant, voilà ce qu’il a fallu pour effacer la révolte du péché.

Ne me demandez pas maintenant ce qui se passe au moment où Dieu le Père portant le décret de l’Incarnation, Dieu le Fils accepte ce décret. Ne me demandez pas comment un Dieu peut obéir à un Dieu, afin de réparer la désobéissance de l’homme. Ne me demandez pas, non plus, comment la sainte humanité du Sauveur accepte le privilège auquel elle est appelée, de fournir son sang pour l’expiation des crimes des hommes. Il y a là des mystères que la pensée humaine ne sondera jamais, mais mystères qui à cause de leur obscurité même nous donnent une idée plus haute de l’obéissance du Sauveur à la loi de son Père.

Ce que je puis dire, c’est que je vois comme trois moments d’obéissance; le premier où le Fils de Dieu accepte le décret de son Père; le second moment où l’humanité du Sauveur correspond à sa prédestination, moment qui a lieu nécessairement lorsque la divinité s’unit à l’humanité dans le sein de Marie; le troisième moment enfin, lorsque la volonté divine et la volonté humaine unies dans une seule personne ne font pour ainsi dire qu’un seul acte d’acceptation. Alors Jésus paraît. Son Père lui a formé un corps et il dit: voilà que je viens. Il grandira, et sa nourriture sera de faire la volonté de son Père. Il se soumettra à la loi judaïque qu’il est venu non détruire, mais accmplir. Il obéira surtout à la loi de réparation portée par son Père. Vainement au moment d’accomplir le plus grand acte d’obéissance, la volonté humaine semblera-t-elle se reculer, elle reviendra bientôt d’elle-même et nous entendrons le Sauveur s’écrier: « Mon Père, non pas ce que je veux, mais ce que vous voulez », et pour faire cette volonté, il subira la mort les yeux toujours fixés sur les prophéties qui sont pour lui la loi. Tout ce qui a été [écrit] il voudra le réaliser, et le Christ sera mis à mort, après avoir été obéissant jusqu’à la mort et la mort de la croix.

Trouver une obéissance plus grande est impossible, mais l’obéissance seule ne suffit pas. La loi n’est parfaitement accomplie que par la charité: Plenitudo legis dilectio(1). Il faut donc que ce soit l’amour qui le conduise dans tout ce qu’il fera. Mais qui aimera-t-il? Il faut que son amour s’étende et à celui qui lui commande d’accomplir la loi, et à ceux au nom de qui il doit l’accomplir. Il faut qu’il manifeste son amour pour Dieu et pour les hommes. Pour Dieu d’abord: mais qui aime plus le Père que le Fils, puisque de l’union du Père et du Fils procède l’amour substantiel, l’amour troisième personne de l’adorable Trinité? C’est cet amour qui sera envoyé par le Fils à ses apôtres, mais auparavant il se reposera sur la sainte humanité du Sauveur: Spiritus Domini super me. C’est par l’opération de l’Esprit-Saint, qui est l’amour du Père et du Fils, que le mystère de l’incarnation a eu lieu, et si l’amour de Dieu est l’esprit du Fils, vérité éternelle: Spiritus veritatis, il se repose selon sa plénitude sur l’humanité du Sauveur. Et comprenez quel est l’amour qui subsiste en Jésus, puisqu’il a en lui la plénitude de la grâce et les trésors de la science, de la charité de Dieu. D’autre part, le Fils de Dieu nous déclare que lui et son Père ne sont qu’un: Ego et Pater unum sumus, et l’humanité n’étant en Jésus-Christ qu’une personne avec la divinité, voyez à quel degré d’union est élevée l’humanité en Jésus-Christ.

Mais Jésus n’aime pas seulement son Père, il aime encore les hommes. Et qui pourrait douter de la manière dont il les aime, lorsqu’il vient sur la terre pour eux, qu’il vient souffrir pour eux, mourir pour eux, ressusciter pour eux, et que s’il monte dans le ciel c’est pour leur y préparer la place qu’il leur destine?

Mais voyez l’excès de cet amour et en quoi il accomplit la loi. La loi est la règle et la mesure de nos actes, mais elle est aussi l’expression des rapports des êtres entre eux; et plus ces rapports seront parfaits, plus la loi sera parfaite. Mais tous les rapports des hommes se fondent sur deux sentiments: l’amour et la haine. Vous ne pouvez dire que la perfection des liens d’une société consiste dans la haine, c’est donc dans l’amour. C’est pour cela que le Fils de Dieu doit montrer le plus grand amour à son Père et aux hommes. Et comme ici nous voulons toujours le considérer comme accomplissant la loi, quel plus grand amour pour la justice de son Père que de s’y sacrifier volontairement! Jamais les flammes de l’enfer n’auraient pu satisfaire entièrement cette éternelle justice dont les lois ont été violées, et l’amour du Fils de Dieu pour la justice de Dieu, pour ses droits, est si grand qu’il ne craint pas de se sacrifier afin qu’elle soit entièrement réparée.

Concevez également l’amour de Jésus pour ses frères. Lui qui est la loi vivante, qui a horreur du péché, c’est-à-dire de l’infraction de la loi, qui serait tué par le péché comme Dieu si Dieu pouvait périr, consent à être tué par le péché comme homme, afin de détruire le péché en nous. Il prend sur lui tous les caractères du pécheur, afin de sauver les pécheurs; il se fait, selon l’expression de l’Ecriture, il se fait péché, lui qui ne connaissait pas le péché: Eum qui non noverat peccatum, pro nobis peccatum fecit, c’est-à-dire sacrifice pour nos péchés, afin que le péché étant expié par ses douleurs le Père n’eût plus aucune dette à nous faire payer.

Et maintenant jetez un regard sur ce qui se passe, après que Jésus-Christ a donné cette preuve d’obéissance et d’amour, et qu’il a ainsi accompli la loi. Le ciel avait été fermé, l’enfer ouvert aux intelligences rebelles par leur révolte et leur haine contre Dieu. L’homme avait succombé aux séductions de satan et avait participé à sa révolte et à sa haine. Satan précipité du ciel avait dit à Dieu non seulement: je ne te servirai pas, non seulement: je te poursuivrai de ma haine, mais j’entraînerai dans ma révolte et ma haine l’homme que tu destinees à occuper ma place dans les cieux. Et Jésus répond à Satan: « et moi, à force d’obéissance et d’amour, je rendrai à mon Père infiniment plus de gloire que tu n’aurais pu jamais prétendre lui en enlever, et par cet amour et cette obéissance je briserai le joug que tu as imposé à l’homme. Par l’obéissance et par l’amour je te refoulerai au fond des enfers, je rétablirai l’observation de la loi sur la terre et la ferai régner dans le ciel ».

Qu’au nom de Jésus tout fléchisse au ciel, sur la terre, dans les enfers!

Mais Jésus n’accomplit pas seulement la loi, il donne encore la force de l’accomplir.

Seconde partie.

Commençons par établir un point de foi incontestable, c’est que l’accomplissement de la loi est impossible pour tout être livré à ses seules forces. Les anges dans le ciel qui ont été fidèles n’ont dû leur triomphe sur satan qu’aux grâces qui leur avaient été accordées en vue de Jésus-Christ. Et Adam lui-même, dans le paradis terrestre, n’a reçu la force d’être fidèle à la loi qu’en vue des mérites futurs du Sauveur. Saint Thomas et les théologiens après lui n’ont rien de plus positif dans leurs propositions. Mais si l’homme en état d’innocence avait besoin d’un secours pour accomplir la loi de Dieu, à combien plus forte raison lorsqu’il est tombé dans l’abîme de la corruption où l’a précipité sa révolte contre la loi divine.

Or, Jésus-Christ, qui est venu accomplir la loi, ne veut pas seulement donner aux hommes un modèle, il veut leur donner un moyen de l’accomplir. Que fera ce divin Sauveur? Voyez ici une seconde marque de son amour. Il s’opèrera pour Jésus une seconde incarnation, il viendra habiter dans le coeur de chaque chrétien, et c’est ce que l’Apôtre exprimait lorsqu’il souhaitait que le Christ habitât en eux par la foi: Christum habitare per fidem in cordibus vestris. Sur quoi saint Bernard fait observer: Accepimus ab apostolo habitare Christum per fidem in cordibus nostris, unde videtur non incongrue intelligi, tamdiu Christum in nobis vivere, quam diu vivit fides. (P. 899).

Cette habitation par la foi est moins excellente sans doute que le séjour que le Sauveur fait en nous par l’Eucharistie, mais elle est aussi plus habituelle, car pour m’emparer de la pensée de saint Bernard, Jésus-Christ vit en vous mon frère tant que vous ne le chassez pas par l’incrédulité. Et laissez-moi ici vous demander ce que vous avez fait de Jésus? Ubi est frater tuus? Vous l’aviez reçu au jour de votre baptême, à la première communion, où est-il? et ne croyez pas, mon frère, que je veuille ici vous faire d’inutiles reproches. Mais s’il est vrai que la foi sans les oeuvres soit une foi morte, vous, mon frère, qui vous vantez de votre foi et qui vous livrez au désordre, que faites-vous de Jésus? Ubi est frater tuus? La foi se manifeste par les oeuvres conformes à la loi, et vous savez que la première condition de la loi c’est l’obéissance, et vous êtes plein d’orgueil et d’indépendance, que faites-vous de Jésus? Ubi est frater tuus? La loi ne s’accomplit que par l’amour; plein d’amour pour vous seul, vous n’avez que de la haine pour votre prochain, que faites-vous de Jésus? Ubi est frater tuus?

Et cependant si vous eussiez voulu participer aux bienfaits dont il avait les mains pleines pour les répandre dans votre coeur, que de prodiges n’eût-il pas opérés en vous? Il fût venu vivre en vous, obéir en vous, aimer en vous, en sorte que unissant votre volonté à la sienne, cette volonté faible, misérable, corrompue eût été fortifiée, renouvelée, et ce qu’elle n’eût pu faire seule, Jésus le faisant en vous, vous aurait donné les mérites que seul vous ne pouviez avoir.

Et comment le chrétien en qui Jésus habite par la foi n’accomplirait-il pas la loi, puisque tout ce qui lui est pénible Jésus le fait en lui, après lui en avoir donné l’exemple. L’orgueil lui est difficile à vaincre, il voudrait ne pas obéir, mais il jette un regard sur le divin crucifié qui l’excite, lui parle au fond de son coeur. Cette foi par laquelle Jésus habite en lui le pousse, agit par la charité; Fides quae per charitatem operatur, et tout cela se fait par Jésus-Christ. Finis legis Christus ad justitiam, omni credenti. Quel sacrifice lui sera pénible, quand Jésus-Christ l’unira au sien? finis… Le chrétien croit donc avec Jésus-Christ, opère avec Jésus-Christ, aime avec Jésus-Christ. Toute la loi est là, il aime Dieu qui le comble de bienfaits. Il aime ses frères, et c’est par cette charité que Jésus-Christ opère un nouveau prodige sur la terre.

Alors se forme dans l’homme un nouvel homme, et cet homme nouveau que l’Apôtre appelle l’homme intérieur est formé par l’action de Jésus-Christ, et c’est cet homme intérieur qui trouvant son bonheur dans la loi de Dieu, l’accomplit avec bonheur. Condelector legi Dei, secundum interiorem hominem. Sur quoi saint Augustin reprend: Ista condelectatio legi Dei secundum interiorem hominem, de magna nobis venit gratia Dei: in ea quippe interior homo noster renovatur de die in diem, cum in ea proficit perseveranter; non enim est timor torquens sed amor liber, ibi sumus veraciter liberi, ubi non delectamur inviti(2). Voyez le mobile de la réformation du chrétien: non timor torquens, sed amor liber. L’effet c’est la liberté que je retrouve par le plaisir que j’éprouve à accomplir la loi; l’obéissance à la loi perficit omnia par l’amour, me rend donc à la liberté: ibi sumus veraciter liberi, ubi non delectamur inviti.

Qui per charitatem servit, libere servit, et sine miseria obtemperans Deo, cum amore faciendo quod docetur, novum timet quod cogitur.

Il n’y a donc de liberté que par Jésus-Christ, dans l’accomplissement de la loi avec charité.

Et voilà pourquoi vainement cherchera-t-on, en dehors du catholicisme, la solution des terribles problèmes qui fatiguent les sociétés. Ce n’est pas l’indépendance qui constitue la liberté, puisque nul gouvernement n’est plus fort que celui de Dieu et que nul gouvernement n’est plus libre. La liberté pour ceux qui obéissent résidera dans l’amour avec lequel ils accepteront les lois. Cherchez donc tant que vous pourrez, vous n’aurez jamais rien qui puisse mettre en vous cette liberté que vous demandez à de vaines constitutions.

Et comprenez encore à quel privilège vous élève l’accomplissement de la loi par l’amour. Interroga cor tuum, vide utrum habeat charitatem; si est ibi charitas, ibi est plenitudo legis, jam in te habitat Deus, sedes Dei factus es. Ainsi Dieu en habitant en vous y porte la charité, et la charité en accomplissant la loi attire Dieu en vous. St Aug. ps. 98. Mais Dieu ne veut pas agir seulement sur les hommes isolés, il veut agir sur l’ensemble de l’humanité, qu’il sollicite par son amour. Et ceux qui correspondent à sa voix, aimant Dieu et s’aimant les uns les autres, viennent à lui et ne font qu’un tout, qui est appelé la cité de Dieu, c’est l’Eglise. Or une cité doit avoir des lois, dit saint Augustin: Quia lege quadam civitas continetur, lex ipsa eorum charitas est; qui ergo plenus est charitate, plenus est Deo, et multi pleni charitate, facient civitatem Deo.

Jésus-Christ versant donc des flots d’amour sur son Eglise lui communique l’existence et la vie.

Ne pensons donc pas, mes frères, avoir la charité si l’amour de nos frères ne subsiste pas en nous. Et pouvons-nous dire qu’il y subsiste, alors que préoccupés de nos seuls intérêts nous ne songeons jamais à ceux de l’Eglise, notre mère? Vainement prétendrez-vous…(3)

Notes et post-scriptum
3. Cetera desunt.2. De Nuptiis et Concupiscentia, Lib. I, cap. XXX (P.L. 44, c. 432).1. La loi est un lien qui unit la volonté qui commande à la volonté qui obéit, dans le but que se propose d'atteindre celui qui commande par l'organe de celui qui obéit. Nul lien plus fort que l'amour.