[Sermons pour l’Avent de 1841 à la cathédrale de Nîmes]

Informations générales
  • TD50.183
  • [Sermons pour l'Avent de 1841 à la cathédrale de Nîmes]
  • [IV] Divinité de Jésus-Christ.
  • Orig.ms. BL3, pp. 61-89; T.D. 50, pp. 183-197.
Informations détaillées
  • 1 ACTION DU CHRIST DANS L'AME
    1 AMOUR-PROPRE
    1 ANCIEN TESTAMENT
    1 APATHIE SPIRITUELLE
    1 APOTRES
    1 AUTORITE DE L'EGLISE
    1 AVENT
    1 BIEN SUPREME
    1 CARACTERES DE L'EGLISE
    1 CATHOLIQUE
    1 CHRETIEN
    1 COMMANDEMENTS DE L'EGLISE
    1 CONCILE OECUMENIQUE
    1 CONVERSION SPIRITUELLE
    1 CRAINTE
    1 CULPABILITE
    1 DEFENSE DE L'EGLISE
    1 DESOBEISSANCE
    1 DEVOTION A LA SAINTE VIERGE
    1 DIEU LE FILS
    1 DIEU LE FILS SOURCE DE L'ESPERANCE
    1 DIVINITE DE JESUS-CHRIST
    1 DOGME
    1 DOMINATION DE DIEU
    1 EFFORT
    1 EGLISE EPOUSE DU CHRIST
    1 ENFER
    1 ENSEIGNEMENT DE JESUS-CHRIST
    1 ENSEIGNEMENT DE L'HISTOIRE
    1 ERREUR
    1 ETRE HUMAIN
    1 EUCHARISTIE
    1 FOI
    1 GENEROSITE DE L'APOTRE
    1 GRACE
    1 INCARNATION DE JESUS-CHRIST
    1 JESUS-CHRIST AUTEUR DE LA GRACE
    1 JESUS-CHRIST DOCTEUR
    1 JESUS-CHRIST JUGE
    1 JUGEMENT DERNIER
    1 LOI DIVINE
    1 LOI NATURELLE
    1 LUTTE CONTRE LE PECHE
    1 MARTYRS
    1 MENSONGE
    1 MIRACLE
    1 MONDE CREE
    1 MORALE
    1 MORT DE JESUS-CHRIST
    1 NOUVEAU TESTAMENT
    1 OBEISSANCE DE JESUS-CHRIST
    1 PANTHEISME
    1 PENSEE
    1 PERES DE L'EGLISE
    1 PERSECUTIONS
    1 PRECEPTES
    1 PREDICATION
    1 REFORME DU COEUR
    1 RESURRECTION DE JESUS-CHRIST
    1 SAINTETE DE L'EGLISE
    1 SANG DE JESUS-CHRIST
    1 SERMONS
    1 SOCIETE
    1 SOUFFRANCE ACCEPTEE
    1 SOUFFRANCE APOSTOLIQUE
    1 SYMBOLE DE NICEE
    1 TEMOIN
    1 TOMBEAU
    1 TRADITION
    1 UNITE CATHOLIQUE
    1 VERBE INCARNE
    1 VERITE
    1 VIATIQUE
    1 VIE SPIRITUELLE
    2 ARIUS
    2 ATHANASE, SAINT
    2 AUGUSTE, EMPEREUR
    2 BASILE, SAINT
    2 BOSSUET
    2 CAJETAN
    2 DAVID, BIBLE
    2 ISAIE, PROPHETE
    2 JACOB
    2 JEAN CHRYSOSTOME, SAINT
    2 JEAN DAMASCENE, SAINT
    2 JOB, BIBLE
    2 PAUL, SAINT
    2 TIBERE
    2 VINCENT DE PAUL, SAINT
    3 JERUSALEM
    3 NICEE
    3 NIMES, CATHEDRALE
  • Avent 1841
La lettre

Avant d’aller plus avant, laissez-moi vous communiquer, mes frères, une impression pénible qui pèse sur mon coeur. Deux fois déjà j’ai essayé de vous parler de Jésus-Christ, et deux fois en descendant de chaire j’éprouvais une humiliation profonde en considérant combien peu j’avais agi sur mon auditoire. Etait-ce amour-propre de ma part? Il est possible. L’homme est si misérable que les sentiments les plus honteux s’emparent de lui, alors qu’il croit céder aux plus nobles élans. Et toutefois une autre considération, il me le semble du moins, me préoccupait, quelque chose de semblable à ce qu’éprouvait le prophète lorsque, après avoir été envoyé à Israël par le Seigneur, il n’en avait pas été écouté. Oh! l’on souffre bien lorsqu’on a non pas la tête, mais le coeur plein d’une vérité qui déborde tout notre être, et que l’on ne peut la faire couler à flots sur tout ce qui nous entoure. Recevoir tous les jours Jésus-Christ dans ses mains, qu’il consent à prendre pour trône, tous les jours en prononçant les paroles qui le font descendre sur l’autel, mêler son haleine à la vapeur du sang qui a sauvé le monde, se nourrir, s’engraisser de ce corps et de ce sang divin, s’unir coeur à coeur, âme à âme avec Jésus- Christ, qui donne de plus sa divinité à notre néant, et ne pouvoir le faire comprendre, le faire aimer comme l’on voudrait, oh! cela fait bien souffrir!

Sans doute qu’il y a de ma faute, sans doute que mon défaut de préparation, mon peu de clarté amènent ce résultat. Mais laissez-moi vous le demander aussi, n’y aurait-il pas de la vôtre? Les juifs croyaient avoir tout dit quand ils avaient répété: le temple du Seigneur, le temple du Seigneur, le temple du Seigneur; et vous, ne croyez-vous pas avoir tout fait quand vous avez dit: nous sommes catholiques; de telle sorte que n’occupant jamais vos esprits des grandes vérités, des dogmes fondamentaux de votre religion, vous êtes tout étonnés quand on vous appelle à les méditer? Et cependant quand jamais fut-il plus nécessaire de les rappeler à la mémoire des chrétiens? Vous dormez en paix, pleins de confiance sur cette foi, mais parce que votre foi n’est pas éclairée, aux premières attaques vous êtes surpris et vaincus. L’Eglise, cet édifice séculaire, est battue en brèche de tout côté; ses dogmes sont inébranlables, mais que d’imprudents défenseurs, pour avoir voulu combattre sans armes, sont enlevés par l’ennemi! Mais, me direz-vous, pourquoi prêcher à des convertis? Pourquoi? Premièrement parce qu’il est impossible que vous n’ayez pas quelque chose à apprendre dans ce que vous dites ne comprendre point; parce que je puis vous adresser les mêmes paroles que saint Jean Chrysostome aux chrétiens de son temps. Je prêche pour les présents et pour les absents: Pour les présents qui entendront mes paroles; pour les absents, parce que ceux qui m’écoutent sont obligés de me prêter une attention telle qu’ils puissent répéter ce qu’ils ont entendu à ceux qui n’étaient point dans cette assemblée.

Je prendrai donc une résolution, prenez-en une à votre tour, je m’efforcerai de donner à mes paroles toute la clarté dont je suis capable, tâchez de votre côté, d’être plus attentifs. Je vais vous parler de la vérité qui sert de base au christianisme, de la divinité de J.C. invoquant auparavant Marie, mère de Dieu, afin qu’elle donne à mes paroles toute la puissance nécessaire pour fortifier votre foi: Ave, Maria.

Que le dogme de la divinité de Jésus-Christ soit la base du christianisme, c’est ce qu’il est, je pense, inutile de prouver. Si Jésus-Christ n’est pas Dieu, en déclarant qu’il l’était et en permettant qu’on l’enseigne dans son Eglise, il a menti; s’il a menti, sa religion est une religion d’imposture.

Mais pour la prouver cette vérité à ceux qui la combattent, il faut des arguments nouveaux. Au troisième [= 4e] siècle, lorsqu’Arius attaque la divinité de Jésus-Christ, S. Athanase, S. Basile, S. Augustin l’écrasèrent sous le poids des passages des livres et sous l’autorité de la tradition. Mais que pourraient leurs arguments aux yeux d’hommes pour qui la tradition n’est qu’un mot, et la bible un livre tout comme un autre? Aussi bien leurs attaques ont leur avantage, car elles servent à nous faire suivre l’ordre logique dans les preuves de la vérité. A proprement parler, nous ne devons pas croire à la divinité [de] Jésus-Christ, parce que l’Ecriture nous l’enseigne, mais nous devons croire les Saintes Ecritures, parce que Jésus-Christ est Dieu. Mais prouver la divinité de Jésus-Christ n’est rien à l’égard d’hommes qui ont intérêt à ne pas vouloir y croire; il faut donc, après avoir établi ce dogme sur des bases inexpugnables, dire pourquoi on refuse d’y croire. Et ce sera le sujet d’une première partie. Il faut de plus montrer les avantages que présente cette croyance, afin que loin de la redouter on comprenne qu’il faut désirer qu’elle soit vraie. Et ce sera le sujet d’une première [= seconde] partie. Jésus-Christ est Dieu; quand même il ne le serait pas, nous devrions désirer qu’il soit Dieu. Voilà tout mon dessein.

Première partie. Jésus-Christ est Dieu.

Pour établir la divinité de Jésus-Christ, en dehors des preuves données par les Pères, je m’arrête à cet unique raisonnement: ou Jésus-Christ est Dieu ou il n’y a rien de certain dans l’histoire de l’humanité; ou J.C. est Dieu ou nous ne savons rien du passé; ou J.C. est Dieu ou nous ne pouvons savoir rien de ce qui s’est passé, il y a quelques heures.

Ou J.C. est Dieu ou il est impossible d’affirmer aucune vérité historique, et voici comme je le prouve. Un dogme s’établit de deux manières: ou par les raisonnements ou par les faits. Mais Dieu qui voulait que sa religion fût à la portée de tous, a voulu que le dogme fondamental pût être prouvé comme un fait. Il faut donc que le dogme de la divinité de J.C. soit prouvé, comme tout fait que nous ne pouvons pas vérifier par nous-mêmes. Hé bien, voici comment le dogme de la divinité de J.C. se prouve comme un fait. Jésus-Christ est ressuscité, donc il est Dieu. En effet, si Jésus-Christ était ressuscité et qu’il ne fût pas Dieu, Dieu serait un menteur, puisqu’il aurait permis le plus grand des miracles pour établir un mensonge. Mais Dieu n’a pu faire le plus grand des miracles pour établir un mensonge. Donc si J.C. est ressuscité, évidemment il est Dieu.

Il me suffit donc de prouver la résurrection de J.C. Or remarquez, je vous prie, qu’il n’y a aucun fait historique prouvé comme ce fait-là. Quel est le fait pour lequel tant de témoins répandent leur sang? Remarquez, je vous prie, la différence entre les martyrs des trois premiers siècles et les hommes qui, dans le sein de l’Eglise catholique ou hors de son sein, ont répandu leur sang. On veut me faire apostasier ma foi, je refuse; on me menace de mort, je refuse encore; on me tue, certes je suis heureux de verser mon sang pour mon Dieu, et pas un de vous, mes frères qui avez la foi, qui n’enviât mon sort et qui ne voulût être à ma place. Mais en mourant qu’aurai-je fait? J’aurai donné la plus grande preuve de mon amour pour Dieu et de la vivacité de ma foi, rien de plus. Les martyrs des trois premiers siècles avaient bien autre chose à faire. Ils étaient témoins dans toute la force du mot. Témoins de quoi? Témoins de la résurrection de J.C.; c’était pour attester cette résurrection qu’ils répandaient leur sang avec bonheur. Or, voyez l’enchaînement prodigieux que Dieu établit dans l’ordre des preuves. Jésus-Christ ressuscite, 500 disciples voient le Sauveur ressuscité, ils le voient monter au ciel, ils reviennent à Jérusalem, sont revêtus de la force d’en-haut, ils partent avec le pouvoir de faire des miracles, ils en font à la face du soleil aux quatre parties de la terre; on les somme de s’arrêter dans leur prédication, ils refusent, on les met à mort. Ils attestent en mourant que Jésus est ressuscité, mais leurs miracles ont fait des conversions, et des témoins de leur mort et de leurs miracles viennent à leur tour pendant trois siècles attester, d’une part, que des hommes dignes de foi, puisqu’ils faisaient des miracles, ont donné leur vie pour attester qu’ils avaient vu le Christ vainqueur du tombeau.

Ainsi les premiers anneaux de la tradition avaient-ils été forgés au fer des bûchers qui consumaient les premiers chrétiens, étaient-ils rattachés à ces amphithéâtres, aux arènes où même les disciples de Jésus étaient jetés aux lions. Ainsi Dieu bâtissait-il les miracles de son Eglise avec les miracles pour pierres et le sang des martyrs pour ciment. Mais pourquoi tant de sang? pourquoi tant de prodiges? Pour attester un seul fait qui résume les autres, encore un coup pour affirmer la résurrection de Jésus. Or trouvez-moi un fait qui ait réuni plus de preuves! Prouvez-moi un fait dont plus de témoins, qui sont tous des fous s’il n’est pas vrai, aient répandu leur sang sans aucun intérêt plausible. Et j’accorde qu’on peut élever des doutes sur la résurrection du Sauveur; mais s’il n’est aucun fait qui soit entouré de preuves aussi prodigieuses, s’il n’y a aucun fait qui après trois siècles d’opposition se soit établi dans l’univers, malgré plus d’obstacles, il faut convenir ou que ce fait est vrai ou qu’il n’y a plus aucun moyen de connaître la vérité. Quoi! vous croyez à l’existence d’Auguste, de Tibère, dont l’un régnait quand Jésus naquit, l’autre lorsqu’il mourut. Mais avez-vous pour croire à ce fait la millième partie des témoins que vous présente la résurrection de mon Dieu? Vous croyez à une foule d’autres faits qui y sont antérieurs, dont les témoignages sont bien autrement contestables. Pourquoi ne croyez-vous pas à un fait dont les preuves sont si multipliées, si fortes? Convenez-en, si Jésus-Christ n’est pas ressuscité, vous ne pouvez affirmer rien du passé historique, et vous ne pouvez rien affirmer du présent. Car l’Eglise comme société est toujours la même; comme société elle est un témoin perpétuel, elle est un seul homme, ses membres meurent, elle vit toujours, et ce qu’elle affirme est pour elle, le fait se fût-il passé il y a dix-huit siècles, comme s’il s’était passé hier, comme s’il s’était passé ce matin. Donc, je le répète, ou Jésus-Christ est ressuscité ou vous ne pouvez rien affirmer en fait d’histoire. Mais il est ressuscité. Or s’il est ressuscité par un prodige, il est Dieu. Ce n’est que par un prodige, et un prodige d’une nature toute particulière, puisqu’il a été l’agent et le sujet, c’est sur lui-même qu’il a agi, c’est par sa propre vertu, et cela était digne d’un Dieu.

Vous le voyez donc, ou il faut renverser toute idée d’histoire, ou il faut admettre la tradition de l’Eglise sur la résurrection du Sauveur. Mais la résurrection du Sauveur admise, la divinité de Jésus-Christ se présente inévitablement, et la foi de ce dogme qui devait régénérer l’humanité, prend ses racines dans les profondeurs de toute science humaine, en sorte que l’homme est incapable d’affirmer quoi que ce soit s’il n’affirme pas que Jésus-Christ est Dieu.

Et maintenant, mes frères, pour fortifier votre foi vous montrerai-je, à vous qui croyez, comment les livres sacrés de l’ancien testament donnant le caractère de la divinité au Messie forment, par leur correspondance avec les livres du testament nouveau, un ordre de preuves tout divin pour qui n’a pas l’intelligence obscurcie par les passions. Vous montrerai-je David prenant sa harpe, saluant son Seigneur dans celui qui doit être son fils? Vous parlerai-je d’Isaïe qui le découvre dans la crèche et qui sous les langes qui l’enveloppent reconnaît le désiré des nations. Ecoutez-le nous apprendre qu’un petit enfant nous est né, et qu’un fils nous a été donné, et que cet enfant sera appelé le Dieu, le fort, l’ange du grand conseil, le prince de la paix.

David reprend à son tour. Il déclare que Dieu a sacré ce Dieu avec l’huile de la justice, par laquelle il payera pour les pécheurs. Je serais infini si je rappelais tous les textes de l’ancienne loi. Que dirons-nous de ceux de la nouvelle? Au commencement le Verbe était. Et le Verbe était en Dieu et le Verbe était Dieu. Et ce Verbe qui était Dieu s’est fait chair. Et nous l’avons vu. Voulez-vous l’interroger lui-même? lui demander qui il est? il vous répondra: Je suis le commencement de toutes choses qui vous parle. On lui reproche de guérir le jour du sabbat. Il répond: Mon Père agit sans cesse et moi aussi j’agis. Il meurt et le centurion qui garde la croix déclare qu’il est le Fils de Dieu. Il ressuscite et envoie ses disciples convertir le monde, et baptiser au nom du Père, et du Fils. Le Fils est égal au Père; car tout ce que le Père possède il l’a donné au Fils, et le Père ayant la divinité, l’a communiquée à celui qu’il a engendré avant la lumière, et qui enfanté avant les siècles est éternellement dans son sein.

Oui, Jésus, vous êtes Dieu ou nous ne savons plus que croire; oui, vous êtes Dieu en même temps que vous êtes homme. Homme, vous êtes mort pour nous. Dieu, vous avez donné à votre mort un prix divin. Oui, vous êtes vraîment l’agneau immolé avant l’origine des siècles. Vous êtes l’agneau placé devant le trône du tout-puissant, [devant] qui les vingt-quatre vieillards sans cesse placés autour de ce trône éternel déposent leurs couronnes; remplissent leurs coupes de parfums et qui dans l’extase de l’amour répètent de nouveau avec la multitude innombrable des anges: l’agneau qui a été immolé est digne de recevoir la puissance, la divinité, la sagesse, la force, l’honneur, la gloire, la bénédiction. Et j’entendis, poursuit l’Apôtre, tout ce qui est au ciel, sur la terre et sous la terre, et tout ce qui est dans la mer, s’écriant à celui qui est assis au trône et à l’Agneau: bénédiction, honneur, gloire et puissance dans les siècles des siècles.

Vous parlerai-je à vous, catholiques, des preuves que la tradition de l’Eglise nous présente, de ce premier concile universel, assemblé pour attester la divinité de Jésus? Vous montrerai-je cette Eglise dans toutes ses réunions solennelles répétant le symbole de Nicée? mais je serais infini.

Pourquoi donc la foi à la divinité de Jésus-Christ n’est-elle pas admise de tous? Premièrement, parce que les preuves ne suffisent pas. Jésus-Christ est la parole du Père, et si tandis que nous nous faisons entendre, cette parole qui est Dieu ne frappe pas vos coeurs, nos efforts sont inutiles. Bossuet, après saint Augustin, l’a fait observer de la vérité en général, mais ceci est encore plus vrai en quelque sorte de la divinité du Sauveur. Il faut que la parole qui est Dieu éclaire les hommes. Mais que d’hommes qui ferment les yeux pour ne pas voir la lumière!

Car, mon frère, il faut tout vous dire. S’il en est parmi vous qui ne croient pas à la divinité du Sauveur, ce n’est pas que les preuves vous manquent pour y croire, mais ce dogme a des conséquences dont vous ne voulez pas.

Si Jésus-Christ est Dieu, ce qu’il a enseigné est vrai, et parmi ses enseignements il y a des préceptes et une morale qui vous gênent, et vous voulez être indépendants. Voilà pourquoi vous ne croyez pas. Si Jésus-Christ est Dieu, il y a des passions qu’il vous faut combattre, et vous voulez vivre sous leur joug. Voilà pourquoi vous ne croyez pas. Si Jésus-Christ est Dieu, il a fondé une Eglise, et cette Eglise impose certaines obligations que vous ne voulez pas accepter. Et voilà pourquoi encore vous ne croyez pas. Si Jésus- Christ est Dieu, il viendra juger un jour les vivants et les morts, et cette idée est bien autrement effrayante que la vague notion d’un Dieu vengeur du vice et rémunérateur de la vertu. Si Jésus-Christ est Dieu, vous ne pouvez plus nier l’éternité des peines de l’enfer, et sachant qu’avec la vie que vous menez il vous est presque impossible de ne le pas mériter, vous vous réfugiez dans la triste espérance qu’au moins il ne durera pas toujours, mais les blasphèmes du condamné contre son juge n’empêchent [pas] l’exécution de la loi. Et lorsque le juge a la toute-puissance, la sentence ne se peut éviter. Vous aurez donc beau faire, beau vous réfugier dans vos sophismes, la vérité éternelle subsistera toujours: Et veritas Domini manet in aeternum.

Mais je veux vous montrer que non seulement nous devons admettre la divinité de Jésus, mais encore que nous devons désirer la vérité du dogme à cause des résultats qui en découlent. Sujet d’une seconde partie(1).

Seconde partie.

Les avantages qui découlent de la divinité sont si grands, si nombreux que je suis obligé d’abord d’avouer que l’on ne peut pas tout dire. Le temps me manque pour vous faire comprendre comment Jésus-Christ étant Dieu, imprime un caractère de divinité à l’univers entier. Et je livre aux méditations des personnes capables de réfléchir cette pensée que la divinité de Jésus-Christ est le seul moyen d’expliquer la solution du problème, que le panthéisme poursuit depuis quelques années avec une ardeur si effrayante.

Je voudrais que le temps me permît de vous montrer la glorification de l’ensemble des êtres par Jésus-Christ, selon la pensée de saint Paul, qui déclare que Dieu a tout restauré en son Fils: Instaurare omnia in Christo, et selon la pensée du cardinal Cajetan, lorsqu’il assure après saint Jean Damascène que par l’incarnation d’un Dieu l’univers entier est élevé jusqu’à Dieu. Mais je veux aborder quelques questions dont les conséquences auront des effets plus immédiats pour ceux qui m’écoutent. Je dis donc que le premier effet de la divinité de Jésus-Christ est de donner à notre foi la force d’une certitude divine. Nous qui croyons, nous sommes toujours sujets à l’erreur: Omnis homo mendax, et voilà pourquoi nous sommes obligés d’avoir la foi à quelqu’un hors de nous. Or, à qui pourrions-nous nous fier plus qu’à Dieu? Mais personne n’a jamais vu Dieu: Deum nemo vidit umquam. Hé bien, écoutez ce prodige, il se manifestera à une nation choisie par des prophètes qui prouveront leur mission par des prodiges, mais lorsqu’il voudra parler à l’humanité, il prendra la forme d’un homme et conversera avec les hommes: In terris visus est, et cum hominibus conversatus est. Dieu, en effet, selon la pensée de saint Augustin, voyant le monde inondé par l’erreur, pouvait-il mieux faire que d’envoyer la vérité revêtue de la nature humaine parler aux hommes? Et c’est ce qui a été fait. Maintenant que l’on ne me parle plus de rien, car si Jésus est Dieu et qu’il ait dit: Et voilà je suis avec vous jusqu’à [la] consommation des siècles, il faut qu’il y soit réellement; mais comme la vérité est une, il sera là où l’unité de doctrine indiquera l’existence de la vérité. Tu nous apparais donc, ô Eglise de Jésus-Christ, toi qui étant son corps, sa plénitude, possèdes son esprit; ta bouche parle et son esprit te dicte les paroles de vérité que nous devons entendre; tu vis, tu vis, et ton existence sera éternelle comme ton époux, éternelle comme Dieu. En second lieu, le dogme de la divinité de Jésus-Christ est la base de la morale. Je sais bien que l’on trouve partout des traces de la loi naturelle, elle se trouve partout même chez les Hurons, qui par respect pour leurs parents les font bouillir et les mangent.

Mais où trouverez-vous une morale comparable à celle de l’Eglise? qui a toujours professé la divinité de Jésus-Christ. Savez-vous pourquoi? Parce que Jésus-Christ étant Dieu est la loi vivante, et qu’on y respecte sa loi à l’égal de Dieu même: 2° parce qu’étant la loi divine, il nous en fait connaître tout ce que comporte notre nature. Troisièmement, parce que comme Dieu homme il nous a par sa grâce acquis la force de mettre en pratique ce qu’il nous commande. Quatrièmement, parce qu’il est notre juge: Pater omne judicium dedit filio. Et voilà, disons-le hautement, la grande raison pour laquelle on ne croit pas à la divinité de Jésus-Christ. C’est qu’une fois cette divinité admise, les devoirs de la morale sont à la fois bien autrement parfaits et bien autrement rigoureux, et d’autre part qu’il est terrible de tomber entre les mains d’un juge qui a pour saisir le coupable et le châtier une puissance divine.

En troisième lieu, la divinité de Jésus-Christ est le lien de la société. Si J.C. est Dieu, l’obéissance est un devoir puisqu’un Dieu a obéi et payé le tribut. L’obéissance est donc bonne. Si J.C. est Dieu et ordonne l’obéissance, ce n’est plus à ce pouvoir que j’obéis, mais à J.-C. Si J.-C. est Dieu, je dois voir dans ceux qui me commandent des ministres de Dieu. Toute société est fondée sur le droit de commander et sur le devoir d’obéir, mais qu’est-ce que le droit de commander?(2)

Est-ce tout? non, mes frères, la divinité de Jésus-Christ est le principe de la véritable grandeur de l’homme. Deus factus est homo, ut homo fieret Deus, nous dit saint Augustin. Mais qu’est-ce que l’homme que poussière, que mort, que corruption. Or, voulez-vous savoir le prix de l’homme? Assistez aux conseils de la justice éternelle. L’homme est coupable, son crime est mis dans la balance de la justice divine, et il faut pour empêcher le bassin de pencher vers les abîmes éternels que dans l’autre bassin Dieu mette le sang d’un Dieu.

Grandeur de l’homme fondée sur la divinité de Jésus-Christ. Qu’est-ce que l’homme qui par Jésus-Christ est le fils de Dieu, et le frère d’un Dieu; qu’est-ce que l’homme qui est élevé jusqu’au ciel qui devient son héritage? Haeredes quidem Dei cohaeredes Christi. Grandeur de l’homme par Jésus- Christ. Mais tout s’agrandit, car sur la terre sa destinée s’orne, s’embellit; il n’y a rien de petit, puisque un Dieu a passé par là, qu’il a voulu prendre toutes nos douleurs, toutes nos épreuves, tous nos abaissements; non, non, il n’y a rien de petit.

C’est l’homme lui-même le plus humble, mon frère, c’est ici la vraie égalité. Pensez-vous que l’âme du mendiant ait coûté moins que celle de l’empereur? Non, non, ne vous y trompez pas, elles sont l’une et l’autre égales aux yeux de Dieu.

Maintenant considérons l’humanité dans son tout, et considérant Jésus-Christ, chef des élus, élevant par la vérité et la vertu son Eglise à la perfection morale, concevez-vous quelque chose de plus beau que la grandeur des saints, fortifiés, encouragés par la grâce divine de Jésus-Christ? Vous les voyez sur la terre entrer dans les cieux.

Mais le tableau que je veux vous montrer avec le plus de bonheur, c’est l’action de la divinité de mon maître sur le coeur du chrétien. Prenez qui vous voudrez mais que ce soit un homme humble, ignoré, inconnu, afin qu’il ne reçoive le reflet d’aucun éclat humain. C’est là que je veux établir ce que fera la divinité de Jésus-Christ. 1° Il se défie de ses forces, mais il s’appuie sur un Dieu. Que les tempêtes viennent l’assaillir, que les tentations l’écrasent, voyez-le fort de l’espérance que fortifié par un maître divin, il peut refouler les coups de l’ennemi. La philosophie païenne avait bravé la douleur; lui, la chérit parce qu’il y voit un moyen de ressembler à son maître. Mais pourquoi ce dévouement du missionnaire qui s’en va prêcher des inconnus? Pourquoi la fille de St Vincent de Paul au chevet des malades? Pourquoi l’austère carmélite? Demandez-le leur, c’est la grâce de Dieu. Eux, ils ne sont rien, mais cette grâce par qui est-elle méritée? par Jésus-Christ, Dieu et homme tout ensemble, qui les console au milieu de leurs peines.

La communion. Et si Jésus-Christ n’est pas Dieu, l’hostie n’est qu’un morceau de pain.

Enfin, mes frères, si Jésus-Christ n’est pas Dieu après qu’il l’a déclaré tant de fois et qu’il l’a fait annoncer par ses apôtres, il est un menteur. Mais s’il est un menteur, il n’est pas ressuscité, car Dieu ne fait pas de prodiges en faveur de l’imposture; et s’il n’est pas ressuscité, il n’y a plus, ainsi que je le disais tout à l’heure, aucune certitude historique; mais s’il n’y a plus aucune certitude historique, dans quel abîme l’humanité n’est-elle pas plongée quant à ses expériences? Mais d’autre part, si Jésus-Christ n’est pas ressuscité, le chrétien est le plus misérable des hommes, car, comme le fait observer saint Paul, si le Christ n’est pas ressuscité, à quoi bon tous les actes de dévouement, à quoi bon les martyrs? le beau idéal de la vertu disparaît, et l’homme n’a plus de couronne à espérer.

Mais je veux vous montrer quelque chose de plus beau, mes frères, là où le dogme de la divinité du Christ [apparaît], c’est sur le tombeau du chrétien. Je sais, je sais, s’écriait Job sur son fumier, que mon Rédempteur est vivant. Or ces paroles que les enfants de Jacob ont appliquées pendant 15 siècles au Messie, saluaient de loin celui qui devait briser les portes de la mort; mais si elles s’appliquent à Jésus-Christ, comment pouvait-il être vivant au temps de Job, lui qui est né quinze cents ans plus tard, s’il n’était pas Dieu?

Et ces paroles [sont] une des plus belles preuves de la divinité du Christ, puisqu’il ne pouvait vivre au temps de Job, s’il n’était [pas] Dieu. Ces paroles le chrétien les répète avec joie et bonheur sur son lit de mort: Scio quia Redemptor meus vivit: Je sais que je me relèverai au dernier jour, mon corps prendra un repos de quelques siècles, mais au jour des justices il se relèvera pour avoir part à la gloire de mon âme, et ce corps, instrument de mes vertus, aura part aux récompenses que lui destine Jésus fait homme. Quelles terreurs pourraient venir me frapper? un Dieu-homme est ressuscité, afin de briser l’empire de la mort. Après lui, je n’ai rien à craindre. Pourquoi redouter le tombeau, quand un Dieu fait homme a voulu y être déposé? Pourquoi redouter une mort que [= dont] Jésus a détruit les éternels effets?

Voyez-le se fortifiant cependant contre les assauts de l’esprit tentateur par le viatique divin; voyez quelle joie, quel calme se répand aussitôt sur son âme. Il presse contre ses lèvres mourantes l’image du Dieu mort pour lui, il unit son sacrifice au sien, il le bénit d’avoir voulu ajouter pour nous les amertumes du trépas et s’endort dans le sein de la divinité de son maître.

Vous peindre maintenant ce qui se passe dans le monde nouveau vers lequel cette âme vient de s’envoler, le spectacle qui s’offre à ses regards, alors que Jésus le Fils de Dieu vient au-devant d’elle, non, une langue humaine ne le peut raconter. Et comment raconter, en effet, les torrents de délices qui du sein de Dieu tombent dans le coeur de Jésus, comme dans un vaste réservoir, pour retomber ensuite dans les âmes des élus? Qui peut dire la gloire que Dieu communique à son Fils fait homme, et que l’homme-Dieu renvoie à ses frères, à ses cohéritiers, qui peut le dire?

Notes et post-scriptum
1. Et vous, m.f., qui n'avez pas le temps d'étudier, que seriez-vous si Jésus-Christ n'était pas Dieu? Que connaîtriez-vous? Avez-vous le temps d'aller compulser les livres? Et quand vous les aurez compulsés, en saurez- vous davantage? Nous ne pouvons pas nous élever jusqu'à Dieu, Dieu s'abaisse jusqu'à nous. [Note marginale].
2. Jésus-Christ fait exécuter la justice, la charité, l'obéissance, mais c'est ce qui fortifie les états, car ce qui les ébranle ce sont les passions contraires à ces vertus.
Quelle notion ne donne-t-il pas du pouvoir un Dieu qui s'immole? [note marginale].
Montrer comment les passions tendent à détruire la société, et qu'il n'y a de force contre les passions que le pouvoir, et que le pouvoir de Dieu étant le plus grand, c'est le pouvoir de Dieu auquel il faut avoir recours, et ce pouvoir se trouve en Jésus-Christ, qui a obéi et a fait de l'obéissance un devoir. Ah! nous avons vu des sociétés de douze siècles, et quand on n'a pas voulu de Jésus-Christ, nous avons eu des gouvernements par douzaines. [note marginale].