Instructions sur les Actes des Apôtres, d’après les notes du P. Favatier(1)

Informations générales
  • TD50.335
  • Instructions sur les Actes des Apôtres, d'après les notes du P. Favatier(1)
  • Dix-huitième instruction. [Mission de saint Paul, Actes, XV et XVI]
  • Cahiers d'Alzon, XIII, pp.213-225.
  • Orig.ms. des notes du P. Favatier, BR2, pp. 134-141; T.D. 50, pp. 335-341.
Informations détaillées
  • 1 ABUS DES GRACES
    1 ACCEPTATION DE LA VOLONTE DE DIEU
    1 ANGE GARDIEN
    1 APOTRES
    1 CARACTERE
    1 CATHOLIQUE
    1 CITOYEN
    1 COLERE
    1 CONCILE OECUMENIQUE
    1 DOGME
    1 DOUCEUR
    1 ENERGIE
    1 EVEQUE
    1 FIDELITE A LA GRACE
    1 FOI
    1 FOI BASE DE L'OBEISSANCE
    1 FONCTIONNAIRES
    1 GENEROSITE
    1 GRACE
    1 GUERISON
    1 HIERARCHIE ECCLESIASTIQUE
    1 HISTOIRE DE L'EGLISE
    1 JUIFS
    1 JUSTICE
    1 LEGISLATION
    1 LOUANGE
    1 MATINES
    1 MIRACLE
    1 MISSION DES LAICS
    1 MISSIONNAIRES
    1 PAGANISME
    1 PAPE
    1 PERSECUTIONS
    1 PEUPLES DU MONDE
    1 PREDICATION
    1 PRIERE DE DEMANDE
    1 PRISONNIER
    1 RESPECT HUMAIN
    1 SAINT-ESPRIT
    1 SAINTS
    1 SALUT DU GENRE HUMAIN
    1 SATAN
    1 SOCIETE
    1 SUCCESSION APOSTOLIQUE
    1 TOLERANCE
    1 TRADITION
    1 VERTU DE FORCE
    1 ZELE APOSTOLIQUE
    2 ALEXANDRE LE GRAND
    2 BARNABE, SAINT
    2 BOURDOISE, ADRIEN
    2 CLEMENT, SAINT
    2 CLET, SAINT
    2 DECIUS
    2 FAVATIER, PAUL
    2 JEAN, SAINT
    2 LIN, SAINT
    2 LYDIE
    2 MARC, SAINT
    2 PIERRE, SAINT
    2 SILAS
    2 TIMOTHEE, SAINT
    2 VINCENT DE PAUL, SAINT
    3 ASIE
    3 AUTRICHE
    3 BABYLONE
    3 BITHYNIE
    3 CHYPRE
    3 CILICIE
    3 FRANCE
    3 GAULE
    3 JERUSALEM
    3 LYSTRES
    3 MACEDOINE
    3 MILAN
    3 MYSIE
    3 NAPLES
    3 NICEE
    3 PHILIPPES
    3 PHRYGIE
    3 ROME
    3 SAMOTHRACE
    3 SYRIE
    3 TROADE
  • Elèves du collège de Nîmes.
  • Mardi 24 mars 1868.
La lettre

Nous allons rencontrer, en étudiant le grand travail apostolique de S. Paul, deux faits dont les ennemis de l’Eglise se sont servis pour montrer que le grand Apôtre avait un mauvais caractère. Mais une première raison à leur opposer, c’est qu’il n’est pas étonnant que quand on travaille trop, on soit quelque peu énervé. D’un autre côté, quand on examine un peu attentivement le fond des choses, on trouve que quelquefois les Saints ont eu différentes manières d’agir. Ainsi, le père Bourdoise, un des réformateurs du clergé de France, appelait S. Vincent de Paul une poule mouillée. Quant à S. Paul, il paraît qu’il était au contraire un peu vif.

Barnabé voulait donc s’adjoindre Jean Marc, que nous avons vu précédemment retourner à Jérusalem. S. Paul ne voulait pas et alors ils se séparèrent: S. Barnabé et S. Marc allèrent d’un côté, et S. Paul, après avoir pris Silas, se dirigea d’un autre côté. Cette séparation eut du reste un grand avantage. S. Barnabé et S. Marc allèrent évangéliser l’île de Chypre, et à en croire une tradition, la ville de Milan. S. Barnabé était plus doux et S. Paul plus ferme, et Dieu semble avoir accordé un peu plus de résultat aux travaux apostoliques de S. Paul. Dieu me préserve cependant de médire de la douceur, puisque Jésus-Christ lui-même a dit: Beati mites, quoniam ipsi possidebunt terram. Mais il a dit aussi, ce qui semble se rapporter plus spécialement à S. Paul, Beati qui esuriunt et sitiunt justitiam: quoniam ipsi saturabuntur. S. Paul était, en effet, un de ces affamés de la justice qui veulent que tout se fasse selon la règle.

Mais voici qui semble plus grave: S. Paul dit-on, se vante d’avoir résisté en face à S. Pierre lui-même. Or S. Pierre n’était-il pas souverain Pontife, et n’est-il pas criminel de lui avoir ouvertement résisté? Voici le fait: S. Pierre était à table avec quelques fidèles, lorsque des Juifs arrivèrent de Jérusalem. Craignant de leur déplaire, S. Pierre s’éloigne de la compagnie des Gentils, et S. Paul ne put supporter cet acte de condescendance qu’il regarda comme inspiré par le respect humain, et il se fâcha.

S. Paul étant parti avec Silas, parcourait la Syrie et la Cilicie, et il revient dans un pays où il était déjà allé. Remarquez ces expressions: il avait été abandonné par ses frères à la grâce de Dieu: traditus gratiae Dei a fratribus. Il en est ainsi de tous les missionnaires: on leur donne bien quelques secours, quelque argent, mais leur principal soutien, leur plus ferme espérance, c’est la grâce de Dieu. Soyez même persuadés qu’en général si les oeuvres ne réussissent pas, c’est qu’on ne les confie pas assez à la grâce de Dieu et qu’on compte trop sur les moyens humains. La grâce de Dieu est, en effet, un moyen infaillible de succès, et quand on s’y abandonne, on réussit toujours, dans la mesure du moins où Dieu veut que l’on réussisse.

Or dans ce voyage, S. Paul confirmait les Eglises dans la foi. Il importe ici de faire une observation, c’est qu’il est de la volonté de l’Eglise qu’il n’y ait d’évêque établi que pour une seule Eglise, et la même Eglise ne saurait avoir plusieurs évêques en même temps. Aujourd’hui, quand on donne un coadjuteur à un évêque, on le nomme évêque in partibus infidelium. Cela vient de ce que l’Eglise est un gouvernement essentiellement monarchique et ne peut souffrir plusieurs évêques pour un même diocèse.

Dans les premiers temps, il y avait ce qu’on appelait les chorévêques; mais l’Eglise les a supprimés au concile de Nicée. La raison de ce fait est facile à comprendre. Au commencement, il fallait qu’on pût avoir comme un séminaire d’évêques, comme il y a aujourd’hui des séminaires de prêtres, afin de pouvoir aussitôt administrer les contrées dans lesquelles on avait annoncé la parole de Dieu.

Ensuite S. Paul vint en Phrygie et en Gaule, bien que certains gallicans et jansénistes aient osé prétendre que la France n’avait été évangélisée que vers 250 sous l’empereur Décius. Mais avant de quitter les endroits qu’il évangélisait, S. Paul y établissait des évêques. Nous voyons ainsi que s. Pierre a ordonné ses trois successeurs évêques: S. Lin, S. Clet et S. Clément. La raison en est que S. Pierre prévoyait ce qui allait avoir lieu, la persécution, et il ne voulait pas que le siège de Rome vînt à vaquer. Aussi S. Paul recommande-t-il aux fidèles de garder les préceptes des Apôtres et des évêques, car seniorum, ce ne sont pas seulement les prêtres, à moins que ce ne fussent des prêtres destinés à être faits évêques le plus tôt possible.

Mais pourquoi S. Paul voyage-t-il avec Silas? Il y avait à cela plusieurs raisons, et les Apôtres ne voyageaient pas seuls, parce que si l’un d’eux venait à manquer, un autre pouvait immédiatement prendre la place. C’était aussi pour qu’ils pussent se servir de garants l’un à l’autre; enfin pour que l’on pût, quand on voudrait, laisser en divers endroits des hommes capables de faire fructifier la parole annoncée. Pour bien comprendre l’histoire des premiers temps de l’Eglise, il faut se rendre bien compte de ce détail.

A Lystres, S. Paul rencontra un disciple nommé Timothée, dont le père était gentil. S. Paul voulant l’amener avec lui, le prit et le circoncit, à cause des Juifs qui habitaient ces contrées. Comme on le voit, tout le bruit qu’on avait fait au sujet de la discussion entre S. Pierre et S. Paul, tombe, puisque S. Paul lui-même fait circoncire Timothée. La raison de cette conduite de S. Paul est que S. Timothée n’aurait pu prêcher dans les synagogues, s’il ne s’était point soumis à la circoncision.

En passant dans les villes, les Apôtres recommandaient aux fidèles d’observer les ordonnances décrétées au concile de Jérusalem. Et quand je dis ordonnances, c’est plutôt des dogmes qu’il faudrait dire, car il y a dans le texte le mot dogmata, nouvelle preuve que dans le premier concile les Apôtres n’avaient pas rédigé seulement des décrets disciplinaires. Et remarquez, encore une fois, comme tout dans l’Eglise se rattache d’anneau en anneau au commencement pour former la chaîne magnifique de la tradition.

Mais voici ce qui est étrange. Les Apôtres étaient venus en Mysie et se préparaient [à se rendre] en Bithynie, lorsque le Saint-Esprit ne le leur permit pas. Comment? ils sont venus pour prêcher, et le Saint-Esprit le leur défend! Mais ce qu’il importe avant tout d’observer, c’est que les Apôtres s’étaient partagé le monde, et cette partie de l’Asie était réservée à S. Jean. Le S. Esprit vient donc naturellement défendre à S. Paul de travailler dans la vigne d’autrui. Les Apôtres étaient, il faut bien le savoir, plus que des évêques; c’étaient des primats, je n’ose dire des patriarches, ce serait peut-être trop. Ils avaient donc un grand pouvoir sur certaines contrées et il ne devait pas être permis à S. Paul de travailler dans le pays qui avait été particulièrement dévolu à S. Jean. Une autre raison pour laquelle le S. Esprit fait cette défense, ce sont les moeurs épouvantables de ce pays-là; il n’était pas digne de recevoir des grâces si abondantes.

C’est là une grave question à examiner. J’ai été instruit, éclairé par la grâce de Dieu, comment en ai-je profité? Il en est des corps humaines en quelque sorte comme de certaines provinces, la parole de Dieu ne pénètre pas chez tous, elle s’arrête avant d’être parvenue à leur oreille. La Bithynie avait cependant été déjà évangélisée par S. Pierre, mais c’est un fort triste pays, quoique la ville de Nicée s’y trouve. Après cela, Paul et Silas descendirent dans la Troade et là, pendant la nuit, S. Paul eut une vision.

Un homme macédonien lui apparut et lui fit cette prière: Viens en Macédoine et aide-nous. Transiens in Macedoniam, adjuva nos. Les commentateurs n’ont pas manqué de faire un rapprochement entre cette vision de S. Paul et celle qu’eut Alexandre, au moment où il se disposait à la conquête de l’Asie et où il préparait la délivrance de Jérusalem. D’après plusieurs commentateurs, ce fut l’Ange qui veillait sur la Macédoine, (car Dieu a donné à chaque pays un ange pour protecteur) qui avertit S. Paul. Ce qu’on peut aussi remarquer, c’est la différence de la durée de l’empire d’Alexandre et de l’empire que S. Paul a contribué à fonder.

Après avoir eu cette vision, ils partent pour la Macédoine. Paul et Silas arrivent à Samothrace et le lendemain à Naples, puis à Philippes, et c’est par les femmes que S. Paul a commencé l’évangélisation de ce pays, preuve que les dévotes sont quelquefois bonnes à quelque chose. A Philippes, il y avait trop peu de Juifs pour qu’il y eût une synagogue; ils se réunissaient donc sur le bord du fleuve, comme pendant la captivité de Babylone, super flumina Babylonis. Là, une marchande de pourpre, Lydie, après s’être fait baptiser avec toute sa maison, pria les Apôtres de vouloir bien accepter sa demeure. Ce fait prouve la générosité des chrétiens de ce temps-là, tandis qu’aujourd’hui, à midi, un curé me racontait que dans son église qui était comble, une quête annoncée longtemps à l’avance avait produit 30 francs, ce qui est bien peu, comme vous le voyez, pour environ 3000 personnes que cette église pouvait contenir. Et cependant ce curé m’assurait qu’il y avait là beaucoup de dames. La maison de Lydie fut la première église de Philippes.

Pendant que les Apôtres se rendaient à la prière, une jeune fille possédée du démon et qui apportait à ses maîtres de grands revenus en prédisant l’avenir, se mit à suivre S. Paul en cirant: Ces hommes sont les serviteurs du Dieu très-haut, qui vous indiquent la voie du salut. Et elle fit la même chose plusieurs jours. Cette fille disait-elle ces paroles sérieusement, ou voulait-elle plaisanter les Apôtres? Cette dernière alternative est plus probable, puisque S. Paul voyant qu’elle ne cessait pas, se fâcha tout rouge, et il dit au démon qui était en cette femme: « Au nom de Jésus-Christ, je te commande de sortir de cette personne. » Et il sortit à cette même heure.

Mais aux yeux de certaines gens, c’est une très mauvaise chose de délivrer quelqu’un du diable. Il y a des gens tolérants qui n’aiment pas qu’on vienne leur parler du diable, ni de l’enfer. Cela ne sert qu’à troubler les consciences. Les maîtres de cette fille voyant que tout l’espoir de leur gain était perdu, s’emparèrent des Apôtres, les livrèrent aux magistrats, les accusant de troubler la ville et d’introduire un genre de vie qui ne pouvait convenir à des Romains. Paul et Silas furent donc flagellés, puis on leur mit les pieds dans des ceps, ce qui était un supplice affreux. Cependant au milieu de la nuit les Apôtres priaient et louaient Dieu. La plupart des Saints Pères ont cru que c’était là l’origine des prières appelées Matines. Ce qui est certain, c’est que dès cette époque il se disait au milieu de la nuit un Office qui s’appelait: prières des lampes, preces lucernariae.

Ainsi S. Paul et S. Silas auraient récité leur office en prison.

Au moment où ils priaient, un tremblement de terre se fit et ébranla les fondements de la prison. C’était une preuve de plus de la puissance miraculeuse de S. Paul, qui venait de guérir une possédée du démon. Alors les portes de la prison furent ouvertes, et les liens des prisonniers trombèrent. Le garde de la prison s’étant éveillé, et voyant les portes de la prison ouvertes, voulait se tuer, pensant que les prisonniers avaient pris la fuite. Mais S. Paul lui cria: « Ne vous faites point de mal, nous sommes tous ici. » Alors le garde entrant dans la prison se jeta tout tremblant aux pied de S. Paul et de S. Silas et leur dit: « Maîtres, que dois-je faire pour être sauvé? » Ils lui répondirent: « Crois en Notre Seigneur Jésus, et tu seras sauvé. » S. Paul annonça donc la parole du Seigneur à ce geôlier et à toute sa maison, les baptisa. Et le geôlier tout joyeux, après avoir lavé les pieds à ses prisonniers, les conduisit à sa demeure, et leur servit à manger. Puis le jour étant venu, les magistrats firent avertir le garde de la prison, de laisser partir ces hommes. S. Paul l’ayant appris, répondit: « Quoi! après nous avoir fait flageller publiquement sans nous entendre, nous citoyens romains, ils nous ont jetés en prison, et ils nous en font sortir maintenant secrètement. Il n’en sera pas ainsi; qu’ils viennent eux-mêmes et nous fassent sortir. »

Vous concevez quelle dut être la terreur de ces magistrats en apprenant que ces hommes étaient citoyens romains; car tout homme qui avait frappé de verges un citoyen romain était puni de mort. Les magistrats vinrent donc et prièrent S. Paul et S. Silas de sortir de la ville. Nous voyons donc dans ce fait tout d’abord la puissance que Notre-Seigneur communiquait aux siens par le don des miracles; car, en voyant de pareils prodiges, les gens étaient bien forcés de croire à la force divine qui assistait ces hommes héroïques. Mais un enseignement plus important encore doit ressortir pour nous de cette manière dont S. Paul fait valoir ses droits de citoyen romain. Sans doute il n’ira pas dénoncer ces pauvres magistrats, mais il leur fera voir qu’il pourrait le faire, ce qui est toujours une bonne chose.

Ainsi, dans une société qui n’est plus chrétienne, les chrétiens catholiques doivent faire valoir hautement leurs droits de citoyens. La société se déchristianise tous les jours davantage, témoin l’Autriche, pour ne pas parler de la France; il faut donc savoir réclamer ses droits dans une telle société. Sans doute tous les moments ne sont pas opportuns, et une même chose est tantôt bonne, tantôt mauvaise; mais une des grandes fautes des catholiques, c’est de rester dans la béatitude du silence, de ne pas assez savoir se faire rendre justice. Quand on a, comme S. Paul, le courage d’affronter les verges, on a également le courage de se poser comme catholique, on a le courage de faire valoir ses droits de citoyen.

Concluons enfin, mes chers enfants, que s’il n’y avait pas eu chez les Apôtres une énergie admirable en face des persécutions et de la mort, l’Evangile n’aurait pas été annoncé et le monde ne serait pas devenu chrétien. Donc, puisque maintenant le monde revient au paganisme, que l’Evangile est renversé, si nous voulons convertir le monde et replanter l’Evangile dans les âmes, il nous faut le courage, l’énergie qui a si bien servi les Apôtres, et cette énergie il faut la demander à Notre-Seigneur, par des prières ferventes et continuelles. Ainsi soit-il.

Notes et post-scriptum
1. Pendant le carême de 1868, le P. d'Alzon donna dans la chapelle du collège de Nîmes 21 instructions sur les Actes des Apôtres. Les 17 premières ont été publiées dans E. d'ALZON, *Instructions du samedi*, pp. 139-355, Paris, 1930. (Ce sont les documents C00628 à C00644). Sur les circonstances de cette prédication et l'origine des notes d'audition, voir ce volume p. 139.