Instructions sur les Actes des Apôtres, d’après les notes du P. Favatier.

Informations générales
  • TD50.355
  • Instructions sur les Actes des Apôtres, d'après les notes du P. Favatier.
  • Vingt-et-unième instruction. [Autres missions de saint Paul, Actes XVIII-XIX]
  • Cahiers d'Alzon, XIII, pp.249-260.
  • Orig.ms. des notes du P. Favatier BR2, pp. 157-164; T.D. 50, pp. 355-362.
Informations détaillées
  • 1 AMOUR DES AISES
    1 ANCIENS ELEVES
    1 APOSTOLAT DE LA VERITE
    1 ARMEE
    1 AVARICE
    1 CONCUPISCENCE DE LA CHAIR
    1 CONFESSION DU NOM DE JESUS-CHRIST
    1 CRAINTE
    1 DEFENSE DE L'EGLISE
    1 DOGME
    1 ECRITURE SAINTE
    1 EGLISE
    1 EGLISE EPOUSE DU CHRIST
    1 ENERGIE
    1 ENNEMIS DE L'EGLISE
    1 EPREUVES DE L'EGLISE
    1 ESPERANCE
    1 FONCTIONNAIRES
    1 FRANCHEMENT CATHOLIQUES
    1 HARDIESSE DE L'APOTRE
    1 HONNETETE
    1 IMITATION DES SAINTS
    1 INJUSTICES
    1 JUGEMENT DERNIER
    1 JUIFS
    1 JUSTICE
    1 LACHETE
    1 LEGISLATION
    1 PERSECUTIONS
    1 PEUPLE
    1 PREDICATION
    1 PREDICATIONS DE CAREME
    1 PRESSE
    1 PRISONNIER
    1 REVOLTE
    1 RUSE
    1 SAINT-ESPRIT
    1 SALUT DU GENRE HUMAIN
    1 SCEPTICISME
    1 SOUVERAIN PROFANE
    1 TRIOMPHE DE L'EGLISE
    1 TRISTESSE PSYCHOLOGIQUE
    1 VOLONTE DE DIEU
    1 ZELE APOSTOLIQUE
    2 AGABUS
    2 AGRIPPA II
    2 ANANIE
    2 BERENICE
    2 CESAR
    2 CLAUDE, EMPEREUR
    2 FAVATIER, PAUL
    2 FELIX, ANTONIUS
    2 FESTUS, PORCIUS
    2 GALLION, PROCONSUL
    2 HERODES, LES
    2 HYRCAN
    2 LOUIS-PHILIPPE Ier
    2 LYSIAS
    2 NERON
    2 PAUL, SAINT
    2 PIERRE, SAINT
    3 CESAREE
    3 EPHESE
    3 JERUSALEM
    3 ROME
  • Elèves du collège de Nîmes
  • Samedi 28 mars 1868
La lettre

Ainsi que je vous l’ai dit, je voudrais aborder quelques sujets plus pratiques et qui nous rappellent davantage que nous sommes en Carême. C’est pourquoi je termine aujourd’hui sur les Actes des Apôtres et je me hâte de voir St Paul devant ses différents juges et ses différents persécuteurs, Lysias, Félix, Festus et enfin César. De là, nous pourrions arriver à examiner les différentes situations dans lesquelles se trouve l’Eglise en face du pouvoir. Ce n’est pas, à proprement parler, de la politique, car les faits dont il s’agit remontent à plus de dix-huit cents ans. J’examine comment St Paul se conduisit devant certains personnages politiques.

Et tout d’abord, voyons comment il se conduisit devant la populace. St Paul, nous l’avons vu dans son discours aux prêtres d’Ephèse, savait fort bien qu’il serait maltraité. Pouvait-il d’ailleurs l’ignorer, après la prédiction si formelle d’Agabus, qui, prenant la ceinture de l’Apôtre et s’en attachant les pieds et les mains, avait dit: « Celui à qui appartient cette ceinture sera lié de cette manière dans Jérusalem par les Juifs et livré entre les mains des Gentils. » Epouvantés par cette prédiction les Frères qui étaient à Césarée conjuraient l’Apôtre de ne pas se rendre à Jérusalem. St Paul, qui aurait donné volontiers sa vie tout entière pour le nom de Jésus-Christ, demeure inflexible, et les disciples, voyant sa sainte obstination, se contentent de dire: « Que la volonté de Dieu soit faite! »

St Paul va donc à Jérusalem. Il serait trop long de vous raconter toutes les précautions qui furent prises pour le soustraire à la fureur des Juifs. Quand les choses en sont venues à un certain point, toutes les précautions sont inutiles. On saisit St Paul et on est sur le point de le mettre en pièces; il obtient cependant la permission de présenter sa défense, on le laisse parler, on l’écoute; mais quand il arrive à raconter ce que le Seigneur lui a dit, d’aller porter la foi aux nations, on ne peut plus l’entendre et on s’écrie: Tolle de terra hujusmodi. Dans cette émeute, il y avait des gens qui poussaient, c’étaient les Pharisiens et les Sadducéens, puis la foule des badauds qui criaient et suivaient les autres. Il en est toujours ainsi et j’ai connu en 1848 un monsieur et une dame qui éprouvaient le plus grand plaisir à se mêler à l’émeute, et qui n’en furent pas moins très attrapés quand Louis-Philippe eut été renversé.

St Paul courait donc le risque d’être mis à mort, quand arrive Lysias, le tribun militaire, et ici il faut observer que lorsque l’Eglise a affaire aux militaires, elle n’en est pas toujours très fâchée. Les militaires sont un peu brusques, il est vrai, mais, au milieu de cette brusquerie, ils ont une certaine franchise, une certaine loyauté, qu’on ne trouve pas chez les autres ennemis de l’Eglise. En fait, l’Eglise s’est toujours jusqu’ici mieux trouvée de ses rapports avec les militaires qu’avec les autres. Lysias veut toutefois, pour contenter les Juifs, faire flageller St Paul avant de le délivrer; mais St Paul déclare qu’il est citoyen romain. Lysias, frappé de stupeur, défait les liens de l’Apôtre et, plus tard, il l’enverra à Césarée et le fera suivre d’une bonne escorte pour le défendre contre toute embûche des Juifs.

Mais, pendant ce temps, les princes des prêtres s’étaient remués: St Paul avait paru devant eux et avait appelé le grand-prêtre Ananie une muraille blanchie. Il s’était cru obligé, ensuite, de se justifier, et je passe par-dessus cette justification de St Paul, sur laquelle j’aurais beaucoup de choses à dire. Puis, St Paul prononce un discours, où il se déclare Pharisien, comme il l’avait été en effet. Il déclare donc qu’il croit à la résurrection des morts et divise ainsi ses ennemis, car les Sadducéens soutenaient une doctrine contraire. C’était là une ruse de bonne guerre et il n’est pas défendu de diviser ses ennemis pour les mieux vaincre. Les Pharisiens et les Sadducéens eurent donc entre eux la plus vive discussion et comme St Paul n’était pas en sûreté, le tribun le fit conduire dans le camp. Ce camp c’était la tour Antonia, bâtie par Hyrcan, un des derniers Macchabées. Les Hérodes avec leurs trésors y avaient trôné pendant longtemps et l’avaient embellie de toutes sortes d’ornements.

A Césarée, la question change de forme. Les Juifs viennent y poursuivre l’Apôtre devant Félix, qui était un homme calme, pacifique, qui, à l’exemple de Gallion, ne voulait pas trop se troubler pour des affaires de religion. Après quelques jours, il fit paraître St Paul devant lui; la femme de Félix siégeait avec lui, sur le tribunal. Mais il ne fallut pas longtemps à l’Apôtre pour effrayer Félix. Il se mit à lui parler de la justice, de justitia, il fallait qu’il fût un magistrat intègre, lui qui était toujours avide d’argent; il lui parla de la chasteté, de castitate, à lui qui était un polisson, et du jugement futur, de judicio futuro, à lui qui voulait vivre tranquille. Aussi Félix eut-il un peu peur, tremefactus; mais en même temps il disait à l’oreille à St Paul que s’il voulait lui donner un peu d’argent, il se chargeait de le délivrer. Mais St Paul rejeta ces offres avec dignité et préféra ses chaînes.

Quand vous serez plus âgés, vous comprendrez combien il est rare de trouver des gens qu’on n’achète pas. St Paul était un de ces gens-là et il ne répondit rien à Félix qui lui disait: « Si vous ne voulez pas me donner de l’argent, je vous laisserai en prison ». Les gouverneurs romains étaient, pour la plupart, des brigands et quand ils avaient cessé d’être gouverneurs, les provinces qu’ils avaient pillées pouvaient assouvir leur vengeance. Félix, voulant conserver les bonnes grâces des Juifs, laissa l’Apôtre en prison, volens gratiam praestare Judaeis.

Il eut pour successeur Festus, un brave homme, un de ces administrateurs qui savent bien leur rôle administratif. Il ne croyait pas à grande chose, était légèrement ironique. Festus comprenait bien ce dont il s’agissait à l’égard de St Paul, mais il voulait rester dans l’ordre légal, car ces gens-là ont toujours certaines belles apparences de justice. Festus voyait bien aussi le piège que les Juifs tendaient à St Paul, quand ils demandaient qu’on le conduisît à Jérusalem, où il serait beaucoup plus facile de prouver qu’il était coupable. Mais St Paul, voulant porter un coup terrible à la loi juive, en appelle à César; il témoignait ainsi de la décadence de la loi juive, et c’était là un des châtiments les plus grands qu’il pût infliger aux princes des prêtres. Ce n’était plus à eux qu’il appartenait de juger leurs criminels, mais à la puissance romaine, à César. En s’en allant à Rome, il déclare par le fait que c’est une législation nouvelle qui va commencer et que les privilèges de la nation juive vont être abolis.

Mais entre gens bien élevés, on se fait certaines gracieusetés: le roi Agrippa et sa femme Bérénice étaient venus faire une visite à Festus. Il fallait bien faire passer le temps au roi Agrippa; or, il aimait beaucoup certaines discussions, certains plaidoyers. Vous rappelez-vous ces paroles de Pierre Dandin: « Veux-tu voir à quelqu’un donner la question? » Bérénice et Agrippa parurent donc sur le tribunal et on amena St Paul. Agrippa voulut faire des plaisanteries dans le genre de celle-ci: « dans peu de temps vous allez faire de moi un chrétien. » Quant à St Paul, il persista toujours dans sa demande d’être envoyé à Rome; c’était là son but, il voulait arriver à la Ville Eternelle et s’y maintenir d’une certaine façon que nous verrons tout à l’heure.

Ainsi, mes chers enfants, l’Eglise est exposée ici-bas à la grossièreté de la populace, à la brusquerie militaire, à la cupidité des hommes d’argent, des gens d’intrigue, aux railleries de ces docteurs de la loi sournois et perfides. Mais ce qu’il y a de plus remarquable, c’est qu’à certains moments les persécuteurs deviennent protecteurs de l’Eglise, et St Paul en appelle aujourd’hui à César, qui, bientôt, fera mourir St Pierre et St Paul lui-même.

La destinée de l’Eglise est d’être souvent dans les chaînes; si elle voulait, il est vrai, acheter certains bénéfices, graisser la patte à certains personnages, elle se tirerait facilement de ces positions fâcheuses, mais l’épouse de Jésus-Christ tient avant tout à sa dignité. Ce qu’il faut aussi bien méditer, c’est cette lâcheté de certaines gens, qui, pour faire voir qu’ils sont complaisants, ne craignent pas de persécuter l’innocence, c’est, ensuite, cette perfidie des accusateurs, qui, pour venir à bout de St Paul, ne s’en tiendront pas à l’ordre légal, mais veulent faire une sédition. Enfin, voyez comme St Paul réclame encore ses droits; preuve évidente que l’Eglise doit réclamer les siens et qu’il ne faut pas imiter ces chrétiens béats qui ne savent jamais se faire rendre justice. Il y a sans doute certaines circonstances où l’on doit se mettre à l’écart, mais il y en a encore plus où il faut s’exposer, comme faisait St Paul qui était prêt à être enchaîné, ligari paratus sum.

Voilà ce que l’on comprend trop peu de nos jours, et c’est pourquoi il faut demander à Dieu un peu de cette énergie avec laquelle St Paul a accompli de si grandes choses.

A la suite d’une tempête épouvantable, St Paul, en se rendant à Rome, essuye un naufrage; mais, sans cesse sous la main de Dieu, il donne du courage à tous. A Rome Claude qui, cependant, aimait les avocats et les procès, où il figurait si bien avec sa tête blanche, Claude fit attendre l’Apôtre pendant deux ans avant d’instruire son procès. St Paul resta tout ce temps enchaîné avec un soldat, car c’était une habitude chez les Romains, qui s’assuraient de la sorte que leurs prisonniers étaient bien surveillés. Mais, si la main de l’Apôtre était enchaînée, sa langue était affranchie, et il prêchait la parole du salut à Rome, sous la protection de Claude. Il y continua avec zèle l’oeuvre de St Pierre, et voilà pourquoi ils sont regardés comme les deux fondateurs de l’Eglise romaine.

Nous pouvons tirer de là, mes chers enfants, un très grand enseignement. A l’exemple de St Paul, il faut savoir profiter de tout, et même de ce qui semble un obstacle pour faire le bien. Il est probable que St Paul n’était pas dans un cachot, mais dans une maison assez vaste, où il lui était permis de recevoir ceux qui désiraient le consulter, toujours, il est vrai, sous la surveillance du soldat. Ainsi, malgré tous les obstacles, toutes les oppositions, toutes les jalousies, toutes les occupations, toutes les positions pénibles ou fausses que St Paul était obligé de subir, il répandait à Rome la semence divine.

C’est là, précisément, que se trouve le triomphe de la vérité, car Dieu triomphe tout autrement que les hommes. D’ailleurs, toutes ces misères ne sont, en réalité, qu’un commencement, si on les compare aux affreuses persécutions qui vont suivre. En effet, lorsque les pouvoirs humains se seront essayés sur cette nouvelle religion, soit par des fouets, soit par des séditions, soit par des emprisonnements, ils iront plus loin et leur cruauté ne connaîtra bientôt plus aucune borne. Après Claude, viendra Néron, qui se servira des chrétiens comme de torches pour éclairer la nuit ses immenses jardins, qui fera déchirer par les chiens les soldats de Jésus-Christ et inondera Rome de leur sang généreux.

Il faut donc s’attendre à tout et reconnaître que quand Dieu veut éprouver son Eglise, il a toutes sortes de moyens à sa disposition. Dans quel état l’Eglise est-elle aujourd’hui? Est-elle libre? Ce serait une plaisanterie de le prétendre. Est-elle bien persécutée? Non. Mais on a, aujourd’hui, peur de l’Eglise à cause des victoires qu’elle n’a cessé de remporter depuis dix-neuf siècles. Votre mission à vous, mes enfants, ce sera de résister énergiquement au torrent, de ne point vous laisser entraîner par les avares, par les rieurs, par les sceptiques, par les indifférents.

Cette mission magnifique, vous la comprendrez de plus en plus, à mesure que votre foi deviendra plus forte et plus vive. Une de mes plus grandes tristesses, c’est de voir précisément que tant de jeunes gens n’ont aucun pressentiment des belles choses qu’il serait donné à leur génération d’accomplir, s’ils avaient un peu de sang – et du sang chrétien – dans les veines. Ainsi, dans un pays voisin d’ici, une compagnie de jeunes gens, parmi lesquels j’ai la douleur de voir quelques élèves de l’Assomption, une compagnie de jeunes gens a la prétention de fonder un journal où il ne sera jamais question de religion, comme si aujourd’hui il était possible de dire un mot sans toucher à la religion. Pour nous, catholiques, il faut que nous nous maintenions toujours dans notre situation, que nous fassions respecter notre foi par les incrédules. Il n’y a pas deux intérêts, celui de l’Eglise et celui de l’Etat, mais un seul qui les embrasse tous deux. Nous avons donc de grands et magnifiques devoirs à remplir devant les Juifs modernes, devant les gens d’argent, devant les matérialistes et les athées. Il faut avoir, comme St Paul, le courage de prêcher sa foi et Jésus-Christ, en dépit de toutes les intrigues et de toutes les cabales des impies.

Ce qui manque à l’Eglise pour la défendre, ce sont surtout ces grands et magnifiques caractères. Etudions les Actes des Apôtres, méditons-les avec soin, car l’auteur inspiré, en nous présentant presque uniquement l’exemple de St Paul, a voulu nous montrer un de ces caractères sublimes et héroïques dont les difficultés ne font qu’aiguillonner et accroître le zèle. Dans cette position, il y a des devoirs à remplir envers l’Eglise. Etudiez donc, mes chers enfants, dans ce livre que je vous ai commenté si rapidement, la notion du devoir basé sur ce sentiment de la consciences catholique; vous y verrez la transformation des caractères sous l’influence du Saint-Esprit; vous y verrez de quel côté il faut vous placer, et vous reconnaîtrez, enfin que rien n’est grand comme un saint, que rien n’est magnifique comme un apôtre, car il est maître du temps, et il marche à la conquête de l’éternité.

Fin.

Notes et post-scriptum