1845-1850

Informations générales
  • TD51.100
  • DU ZELE POUR LE SALUT DES AMES [Sermon].
  • Orig.ms. BN10, pp. 231-246; T.D. 51, pp. 100-108.
Informations détaillées
  • 1 AMOUR DE DIEU POUR SA CREATURE
    1 APOTRES
    1 BONHEUR
    1 CHARITE ENVERS LE PROCHAIN
    1 CORPS MYSTIQUE
    1 CORRUPTION
    1 DEVOIRS DE CHRETIENS
    1 EGLISE
    1 INCARNATION DE JESUS-CHRIST
    1 MISSION DES LAICS
    1 PECHE ORIGINEL
    1 PHILOSOPHIE MODERNE
    1 REGNE
    1 RESPONSABILITE
    1 SAINTS
    1 SALUT DES AMES
    2 ADAM
    2 CAIN
  • 1845-1850
La lettre

Simile est regnum caelorum fermento, quod acceptum mulier abscondit in farinae satis tribus, donec fermentatum est totum. Matth. 13, 33.

La parabole que je viens de vous rappeler, mes frères, renferme dans sa simplicité un des plus beaux enseignements de la religion; une des vérités les plus consolantes pour la faiblesse humaine, une des manifestations la plus frappante de sa dignité.

Le royaume du ciel est semblable à un peu de levain, que prend une femme pour le mêler à un peu de farine jusqu’à ce que le tout ait fermenté. Que nous indique ce levain que prend le céleste ouvrier, pour préparer les pains qui seront présentés au Père de famille? Sinon l’action de l’homme dans la fermentation de l’Eglise, qui est formée de la multitude de membres, de même que le pain est préparé par une multitude de grains de blé.

Ce levain qui n’est autre chose qu’un peu de pâte corrompue, sert pourtant à donner au pain une qualité supérieure, et l’homme tout coupable, tout indigne qu’il est, peut aider Dieu dans l’oeuvre de la régénération du genre humain, Simile est regnum caelorum, fermento quod acceptum mulier abscondit, in farinae satis tribus donec fermentatum est totum.

Vous tous qui m’écoutez, mes frères, vous n’avez donc aucune excuse à apporter pour vous excuser du soin de sauver des âmes, puisque dans la parabole que je vous cite, le Sauveur des hommes semble vous proposer comme condition pour réussir dans cette oeuvre ce qui semblerait devoir vous en éloigner, votre propre indigence, les défauts, qui comme un levain corrompu souillent depuis quelque temps votre coeur. Et pourtant il n’est que trop vrai, personne ne songe à cette nécessité de notre nature corrompue de travailler au salut des âmes. Que je voudrais pouvoir vous en inspirer le zèle! Or, pour vous le faire mieux comprendre, développons deux considérations: Nécessité du zèle pour le salut des âmes; bonheur que procure le zèle pour le salut des âmes.

Première partie.

Nécessité de travailler au salut des âmes.

Aujourd’hui qu’on ne veut plus du catholicisme sous le prétexte qu’il a fait son temps, on cherche à trouver des lois nouvelles à l’humanité, afin d’établir qu’il y a progrès dans l’état des intelligences et que les devoirs d’autrefois ne sont plus les devoirs d’aujourd’hui. Or parmi les découvertes que quelques philosophes de nos jours prétendent avoir conquis à l’humanité, ils proposent avec une merveilleuse confiance une loi de responsabilité sur laquelle ils prétendent faire reposer tout l’ordre social futur.

Solidarité. – Ils ne pensent pas que cette loi, aux yeux du chrétien, est aussi ancienne que la famille, car nous ne sommes coupables en naissant que parce que nous sommes responsables du crime de notre premier père, en qui tous ont péché, comme dit saint Paul: In quo omnes peccaverunt. Ils ne pensent pas qu’aux yeux du chrétien, Dieu en grava la sanction d’une manière terrible sur le front du premier meurtrier, lorsque lui ayant demandé ce qu’il avait fait de son frère, celui-ci voulant protester contre la loi de responsabilité répondit: Nescio, num custos fratris mei sum ego? Quelle fut alors la réponse du Seigneur? Malheureux, qu’as-tu fait? La voix du sang de ton frère crie vers moi du fond de la terre: Vox sanguinis fratris tui clamat ad me de terra.

Hé bien, mes frères, cette loi, dont le sceau fut imprimé sur le front de Caïn, cette loi par laquelle nous avons tous en venant au monde la souillure originelle, cette loi par laquelle aussi nous avons été tous sauvés en Jésus- Christ, cette loi subsiste toujours la même pour nous. Oui, nous sommes tous à un certain degré responsables les uns pour les autres; tous par conséquent nous avons à nous examiner [sur] ce qu’il nous faut faire pour le salut du prochain. Et ne croyez pas, mes frères, qu’ici je veuille vous imposer une obligation dont j’exagère l’importance; je ne me fonde en ceci que sur les paroles tellement claires, tellement précises des Livres saints, qu’il est impossible d’y rien opposer. Le Seigneur, dit le prophète, a confié à chacun le soin de son prochain: Mandavit unicuique Deus de proximo suo. Trouvez-vous ce texte assez précis? Trouvez-vous que le Dieu qui poursuit, d’une part, jusqu’à la quatrième génération les crimes des pères sur les enfants, qui, de l’autre, menace le prophète de mort, s’il ne va pas annoncer ses justices au pécheur, ait parlé d’une manière claire? Mandavit unicuique de proximo suo. Il lui donne le soin de son prochain, mais quel soin plus important, je vous le demande, que le soin de son salut? C’est donc de celui-là surtout à l’égard duquel le Seigneur vous a donné des ordres précis: Mandavit unicuique de proximo suo.

C’est donc une nécessité pour vous, par cela même que vous êtes homme, de travailler au salut de votre frère.

Renvoyer à la fin, p. 139.(1)

Que sera-ce, si je vous parle de vos obligations de chrétiens; car enfin, mon cher auditeur, en Adam nous sommes tous frères, mais fils d’un père coupable; nous avons vu notre famille frappée de coups terribles et dispersée sur la face de la terre. Nous pouvons en quelque sorte renier les liens du sang. Comme le docteur de la loi, nous pourrions absolument dire: Et qui est donc mon prochain? mais depuis que Jésus-Christ est venu effacer la souillure originelle et nous régénérer dans son sang, depuis qu’il est venu chercher les hommes dispersés aux quatre vents, pour faire non pas une seule société, non pas une seule famille, mais un seul homme, mais un seul corps: Unum corpus multi sumus, l’obligation de travailler au salut du prochain est bien autrement grande. Quoi! voit-on un homme se détruire lui-même? Et ne savez- vous pas la pitié ou l’horreur qu’inspirent ces grands insensés ou ces grands coupables qui se donnent eux-mêmes la mort?

Développer que nous ne sommes qu’un, et le crime de la destruction de cette unité.(2)

Et n’est-ce pas pour les membres du corps humain une obligation de s’aider mutuellement, de telle sorte que si l’un vient à être blessé, les autres par un instinct de la nature viennent à son aide.

Mais je vais plus loin, ce grand corps qui est l’Eglise n’est vivant qu’autant que l’esprit de Jésus-Christ l’anime, et tout membre qui n’a pas l’esprit de Jésus-Christ est un membre mort. Mais l’esprit de Jésus-Christ étant avant tout, comme nous le verrons tout à l’heure, un esprit de charité et de zèle pour le salut des âmes, si vous n’avez pas l’esprit de zèle, l’esprit de charité pour sauver votre prochain, vous n’avez pas l’esprit de Jésus-Christ. Vous êtes un membre mort. Donc sous peine de mort, sous peine d’être retranché du corps de Jésus, vous êtes obligé de travailler au salut de vos frères. Il y a là pour vous, mon frère, ne l’oubliez pas, une question de vie ou de mort.

Mais, me direz-vous, cette responsabilité varie selon les positions, et après tout elle ne regarde guère que ceux qui par état sont chargés de rappeler aux hommes les devoirs de la religion. J’en conviens, mes frères, et je sais combien je dois trembler à la pensée de la responsabilité qui pèse sur moi et sur les prêtres. Mais prenez garde, pour être plus restreinte, votre responsabilité ne vous oblige pas moins: vous êtes père, mère, chef d’atelier, de maison, que d’obligations importantes! Plus les êtres qui vous sont confiés ont des rapports directs avec vous, plus votre responsabilité devient rigoureuse; d’où je vous prie de remarquer ceci, votre responsabilité augmente en gravité ce qu’elle perd en étendue, c’est-à-dire qu’un prêtre chargé d’une paroisse a des obligations envers tous ses paroissiens; mais vous, père, mère, vous en avez de bien moins nombreuses, mais de bien plus strictes envers vos enfants.

Seminarunt triticum, et spinas messuerunt, haereditatem acceperunt, et non eis proderit, confundemini a fructibus vestris propter iram furoris Domini(3).

Les âmes qui vous sont confiées sont comme un champ; le père de famille vient le visiter, il n’y trouve rien, il dit Seminaverunt. Mais je n’ai rien. – Vous avez la prière.

Sicut ille animam suam pro nobis posuit, sic et nos debemus animas pro fratribus ponere. St Jean.

En vain donc, direz-vous; – voir p. 135.(4)

Vainement, direz-vous, Num custos fratris mei sum ego? Vos excuses ne seront point acceptées. Donc en premier lieu, toutes les fois que non seulement vous ne procurez pas son salut, mais que vous l’entraînez à sa perte par vos mauvais exemples, par vos conversations impures, par vos victoires, vous vous rangez au nombre des homicides et vous méritez que comme Caïn le Seigneur vous crie: Vox sanguinis fratris tui clamat ad me de terra.

Donc en second lieu vous prétexterez inutilement que vous ne reconnaissez pas la famille d’Adam; je vous montre la famille de Jésus-Christ, hors de laquelle il n’y a point de salut.

Donc en troisième lieu vous prétexterez inutilement que l’obligation de travailler au salut des âmes ne vous oblige pas.

Deuxième partie.

Bonheur de se consacrer au salut des âmes.

Le bonheur consiste, mes frères, à jouir de ce que l’on aime. Mais il y a un vrai et un faux bonheur, selon que l’on aime un bien vrai ou faux. De là tant d’illusions qui s’évanouissent au moment où l’on entre en possession de ce que l’on a longtemps désiré. Il importe donc de se proposer dans la recherche du bonheur la jouissance d’un bien véritable. Or je ne crains pas de vous dire qu’en vous proposant comme objet de b[onheur] le salut des â[mes], je ne fais que vous proposer l’objet de bonheur que Dieu se propose, en dehors de la félicité qu’il puise dans son essence même.

Dieu est heureux par lui-même et nul ne peut lui ôter ce bonheur, mais cependant son amour cherchant à se répandre au dehors, il crée des êtres qu’il veut rendre heureux, en même temps qu’il veut être heureux du bonheur qu’il leur communiquera. Ecoutez-le: Mes délices sont d’être avec les enfants des hommes; Quoi! Dieu qui puise dans son propre sein comme à la source de toute béatitude le trouvera encore à être avec les coupables enfants d’Adam? Oui, mes frères, il le déclare lui-même.

Mais si ses délices sont d’être avec eux, lui qui est la suprême perfection doit vouloir les rendre meilleurs, doit vouloir leur communiquer son bonheur. Or ils ne peuvent y participer qu’en devenant meilleurs. Dieu donc ne peut trouver son bonheur à être avec eux qu’en les convertissant, et c’est à quoi il a travaillé. Du haut du ciel il a vu l’abîme de misère, au fond duquel gémissait le genre humain, il a incliné les cieux et il est descendu, Inclinavit coelos, et descendit. Quoi! Seigneur, cette société éternelle que forme en vous la personne du Père, du Fils et de l’Esprit, ne vous suffit-elle pas? Le Saint-Esprit répond: Mes délices sont d’être avec les enfants des hommes.

Et Verbum caro factum est.

Un Dieu se faisant homme pour sauver les hommes, voilà ce qu’il faut considérer pour comprendre l’ardent désir qui pousse Dieu à la conversion des pécheurs. Ce bonheur lui tient lieu de tout. Il s’en occupe dans le Temple: Nonne in his quae patris mei sunt, oportet me esse? Ce bonheur le nourrit au bord du puits de Sichar: Meus est cibus, ut faciam voluntatem ejus qui misit me, Patris.

Il ne cherche que ce bien, il ne veut que ce bonheur: Non veni vocare justos, sed peccatores. Voilà son bien, voilà sa portion, voilà son héritage; il n’en veut point d’autre, les âmes des pécheurs: Non veni vocare justos, sed peccatores.

Le désir qui consume son coeur est si violent qu’il le compare à un feu, mais à un feu qui consume la fournaise même où il est contenu, se répand au dehors et forme un vaste incendie: Ignem veni mittere in terram, et quid volo, nisi ut accendatur.

O Jésus, que ce feu fasse une irruption nouvelle, et dans cet auditoire, afin que tous embrasés de ce feu divin nous allions le porter au loin! Et voulez-vous savoir la violence de cette soif du salut des âmes? Au moment où l’homme pèche, le Seigneur se repent de l’avoir créé; mais le Fils se présente et s’offre. Or, au moment où le Verbe éternel fait son entrée dans le monde, du fond de la crèche où il est couché, il considère d’une part tous les travaux, tous les dégoûts, toutes les douleurs qui l’attendent, et il ne se rebute pas. Au moment de mourir, il voit et l’énormité de ses souffrances et l’inutilité de leurs mérites pour un grand nombre d’hommes, mais il voit le bonheur de trouver quelque âme et il porte le poids de la croix avec amour: Qui propositio sibi gaudio, sustinuit crucem, confusione contempta.

Le bonheur de travailler au salut des âmes se transmettra de Jésus à ses apôtres. Ecoutons-en un seul parler au nom des autres. Coarctor autem a duobus: desiderium habens dissolvi et esse cum Christo, permanere autem in carne necessarium propter vos, et hoc confidens, scio quia manebo.

Quoi! grand apôtre, après être descendu du troisième ciel, vous ne désirez pas d’y retourner? Ah! votre désir est ardent et vous désirez la résolution de votre corps…; mais non, rien ne vous attire, tant que vous avez à sauver quelques âmes.

Mais les périls que vous avez endurés, mais les pierres dont vous avez été écrasé, mais les amphithéâtres au milieu desquels vous avez été exposé, mais la faim, la soif, la nudité, les chaleurs, les persécutions de la part de vos proches, de la part des gentils, de la part des faux frères, rien ne vous arrête.

Il préfère de beaucoup rester dans le monde, multo magis melius permanere in carne necessarium propter vos.

Remarquez cette expression: Multo magis melius, et il ajoutera et hoc confidens, scio quia manebo. Il restera pour faire du bien à ses frères. Et permanebo omnibus vobis. Et sur ces traces s’élanceront tant de saints, comme lui embrasés d’amour pour le salut des âmes.

Paraissez maintenant, saints illustres, fondateurs de tant d’Eglises aux premiers siècles. Vous qui les avez arrosées de votre sang, quel désir vous consumait?

Paraissez aussi, apôtres des temps modernes: François-Xavier, François de Sales, François-Régis. Venez aussi, humbles servantes du Seigneur: Thérèse de Jésus, Françoise de Chantal, Véronique Juliani, qui, tandis que les ministres du Seigneur annonçaient la parole au peuple, du fond des cloîtres ajoutiez à leur puissance par vos prières et vos effrayantes austérités.

Pourquoi Xavier au fond des Indes? pour le salut des âmes.

Pourquoi François de Sales? pour le salut des âmes.

Pourquoi Thérèse et les Carmélites? pour le salut des âmes.

Page suivante(5).

Quelle est donc cette volupté secrète qui pousse les hommes à tout sacrifier pour des inconnus? Je vais vous le dire. C’est le bonheur de penser que l’on rend à Dieu quelque chose de ce qu’on lui doit, en lui ramenant une âme.

C’est le bonheur de penser que nous sommes tous fils d’un même frère [= père] et que nous ramenons à la maison paternelle un frère égaré. C’est le bonheur de penser que nous dédommageons l’Eglise notre mère de toutes les douleurs que nous lui causons, en lui rendant quelques-uns de ses enfants qu’elle croyait perdus.

C’est le bonheur de penser qu’on réjouit le coeur de Dieu.

L’aigle de Tarse qui avait pendant quarante ans pressé l’univers sous le battement de ses ailes, vint se reposer un moment dans la prison Mamertine, dans les entrailles de ce même Capitole où les vainqueurs de la terre venaient célébrer leurs triomphes, et sur le point de reprendre son vol vers les cieux, il adresse ces paroles à son disciple chéri: Ego enim jam delibor.

Quelle est donc cette volupté secrète que le monde ne comprend pas et qui pousse ainsi un homme à tant de sacrifices pour sauver une inconnue? Pour comprendre ce mystère, il faut se représenter Paul mourant. Bonum certamen certavi, fidem… Bonheur du prêtre, du père de famille, mère de famille. Fille, le chrétien, l’ami.

Procurer une âme à Dieu.

Marie, aidez-nous, priez pour nous. – Si les saints, à mesure qu’ils ont avancé en perfection, ont eu le désir de la conversion des pécheurs, quel ne doit pas être le vôtre!

Notes et post-scriptum
1. Cette remarque de l'auteur concerne une dizaine de lignes que nous reportons à la place qu'il nous indique ici (les paragraphes 21 et 22). - A noter qu'au lieu d'écrire p. 233, le P. d'Alzon a écrit p. 133, et ainsi jusqu'à la page 139 (= 239), et que l'erreur s'est répercutée dans ses renvois.
2. Cette note se trouve sur la page de gauche restée blanche comme la plupart des pages paires de ce cahier.
3. Ce paragraphe et les deux suivants se trouvent sur la page de gauche du manuscrit, et l'auteur a précisé l'endroit où il fallait l'insérer par un appel de note - (1) - dans la marge de son texte.
4. Voir plus haut n. 1, et remarquer une légère différence entre les premiers mots du texte tels que le P. d'Alzon les a écrits d'abord et ceux par lesquels il y renvoie.
5. Ces mots se trouvent en marge. Nous insérons donc immédiatement les textes de la page suivante (paragraphes 46 à 49).