- TD51.140
- [Notes de conférences et d'instructions 1843-1844]
- [Conférence sur Dieu créateur]
- Orig.ms. BN11, pp. 51-54 et BN12; T.D. 51, pp. 140-144.
- 1 AMOUR DE DIEU POUR SA CREATURE
1 AUGUSTIN
1 CHARITE ENVERS DIEU
1 CREATEUR
1 CREATION
1 THOMAS D'AQUIN
1 TRINITE
2 PAUL, SAINT
2 PLATON - 1843-1844
1° Dieu peut-il créer? voir p. 235(2).
2° Comment peut-il créer?
3° Pourquoi Dieu a-t-il créé?
Comment Dieu a-t-il créé?
Omnia ex ipso, et per ipsum, et in ipso constant.
2me question.
Ceux qui nient que Dieu puisse créer, ne comprennent pas évidemment comment il peut créer. En un sens, ni nous non plus; mais cependant: 1° nous pouvons réfuter leurs objections, en second lieu nous pouvons exposer la doctrine catholique et dans sa simplicité même elle porte, on peut le dire, un caractère de clarté et de sublimité à la fois qui subjugue tout esprit droit et franc. Pour les objections nous en avons déjà réfuté une partie, il en reste une que je veux aborder, parce qu’elle me servira à prouver ce qui me reste à dire. La voici. Je ne comprends pas, dit-on, comment ce qui n’est pas peut jamais commencer à être. J’admets des modifications de la substance, mais son origine je ne la conçois pas sinon comme venant d’une autre substance. Posée ainsi, la question a quelque chose de faux et quelque chose de vrai. Essayons de dégager le vrai et de repousser le faux.
Vous ne comprenez pas comment ce qui n’est pas est, mais voyez, le fait se passe en vous-même. Je parle, vous écoutez, vous pensez, vous jugez. Ce jugement est quelque chose de très réel, il n’existait pas, il existe. Ce jugement a passé du non-être à l’être pour employer votre formule. Mais, direz-vous, entre ce fait et l’acte de la création, il y a l’infini. Je le crois bien, sans quoi je serais Dieu ou Dieu ne serait pas. Mais à une distance infinie ce sont deux faits analogues. Or, comprenez-vous comment votre esprit porte un jugement? Evidemment non. Eh bien, si vous ne comprenez pas la création, si je puis dire ainsi d’un simple jugement, d’une simple affirmation dans le sanctuaire de votre âme, ne soyez pas surpris si vous ne comprenez pas encore le fiat tout-puissant qui a lancé les mondes dans l’espace.
Ce que je puis vous dire, c’est que jamais vous ne formez un jugement raisonnable sans le concours de trois facultés, votre mémoire, votre intelligence et votre volonté, et de même Dieu a créé le monde par l’acte simultané de sa puissance, de son intelligence et de sa volonté.
Selon saint Paul, Ex ipso, et per ipsum, et in ipso sunt omnia, et quoique l’adorable Trinité agisse tout entière, nous pouvons étudier, si vous le voulez, ce que chaque personne y met du sien. Si donc vous me demandez d’abord comment le monde a été créé, je vous dirai qu’il est un acte de la toute-puissance, en ce sens que Dieu a mis sa toute-puissance pour le faire et qu’il ne fallait rien moins que la toute-puissance de Dieu pour en venir à bout. – Mais il n’y a pas autre chose, et comme dit S. Augustin, la créature ne reçoit de l’adorable Trinité rien sinon que d’avoir été créée par elle.
Le monde est sorti de la substance divine en ce sens que c’est l’effet d’un suprême commandement, rien de plus, rien de moins, et si cela vous plaît, nous dirons que la substance créée est produite par une autre substance, mais à condition qu’il sera bien entendu que cette autre substance ne lui a absolument rien donné d’elle-même.
Toutefois le monde est encore l’oeuvre de Dieu d’une autre manière. Théorie de Platon sur les idées, appelé divin à cause de cela. Théorie catholique bien autrement supérieure. Par le même acte, par lequel Dieu se connaît, il connaît tout ce qui sera, et tout le possible, et comme tout est vie en Dieu, l’idée de tous les êtres multiples quant à leur réalisation, une quant à leur image, est en Dieu, et c’est ce que saint Jean a dit dans ces paroles: Quod factum est in ipso, vita erat. C’est la doctrine admirablement développée par S. Augustin et S. Thomas.
Dieu est l’éternel exemplaire de tout, il voit tout en lui, il est l’éternelle vie: Quod factum in ipso, vita erat.
Et saint Thomas dit que vivre en Dieu c’est penser, que l’idée des êtres étant perpétuellement en Dieu, [les êtres] sont vie en lui en tant que pensées. Omnia ipso vita sunt: quod factum est, in ipso vita erat.
Et saint Augustin, pour nous donner une idée par ce qui se passe en nous, suppose l’architecte qui a l’idée de ce qu’il veut faire dans sa tête: Quod factum est, in ipso vita erat.
Enfin Dieu crée par sa volonté. Pourquoi? nous le verrons tout à l’heure; mais [sa volonté], qui est le terme infini de Dieu, retient en elle toute créature: Omnia in ipso sunt.
Mais, direz-vous, la substance est impénétrable. La matière, oui; mais savez-vous comment la substance infinie pénètre la substance finie d’une manière admirable sans doute? – Présence de Dieu partout par sa volonté.
Donc répétons: Ex ipso, et per ipsum, et in ipso sunt omnia: ipsi gloria in saecula. Amen.
3me question.
Reste la troisième question:
Pourquoi Dieu a-t-il créé le monde? Je réponds parce qu’il l’a voulu.
On a prétendu, au pays de l’éclectisme, que Dieu avait été forcé de créer le monde. Dieu ne doit agir que par un motif infini, donc ce motif doit être nécessaire; donc nécessité de la création.
Suivez le raisonnement: donc Dieu n’est pas libre, donc l’homme qui est libre a ce privilège que Dieu n’a pas; ou s’il n’est pas libre, plus de bien, plus de mal. Toujours ce que nous disions hier, si Dieu est forcé de créer le monde, il est forcé de le créer de telle façon. Dieu est forcé de créer des hommes qui nieront son existence, et cela quand la liberté ne subsistera plus pour expliquer les révoltes de l’homme. Plus de bien, plus de mal, et c’est là la conséquence de toute erreur sur la création. Disons au contraire que Dieu crée d’une volonté très libre mais très intelligente, il crée pour lui: Universa propter semetipsum operatus est. Mais non parce qu’il avait besoin, il crée pour donner, la création n’ajoute rien à son être, il crée parce qu’il est bon, il crée parce qu’il aime: in charitate perpetua dilexi te(1).
Et c’est ce que l’orgueil égoïste ne veut pas. Le voilà réduit à l’obligation d’aimer Dieu qui lui dit: In charitate perpetua dilexi te.
Oui, nous vous aimerons, parce que vous nous avez aimés le premier.
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2me question: Comment Dieu crée-t-il?
Objection: Comment tire-t-il l’être du rien? Comme vous, votre jugement de votre intelligence.
Vous ne comprenez pas? – Ne trouvez-vous pas étonnant de ne pas comprendre le rien tiré de Dieu.
Toutefois vous jugez avec votre mémoire, votre intelligence, votre volonté.
En Dieu puissance, intelligence, volonté.
Ex ipso, per ipsum, in ipso.
Ex ipso, acte suprême de puissance. Dieu seul peut créer, mais en créant il ne donne que son commandement, l’acte de sa toute-puissance. Rien de son être. Tout sort de lui, mais sans qu’il donne rien de lui, sans quoi il perdrait et Dieu ne perd rien.
Per ipsum: idées de Platon, idées dans le Verbe en ce sens, et tout a été réalisé selon ce plan. Omnia per ipsum facta sunt, et sine ipso factum est nihil. – Et puis, quod factum est, in ipso vita erat.
Voilà l’exemplaire, Dieu, le modèle. Les idées types et Dieu, c’est tout un: Quod factum est. S. Augustin: comparaison de l’architecte, quod… St Thomas: la vie et l’intelligence, même chose en Dieu, quod factum est…
In ipso: la volonté, quel mobile! tout à l’heure, mais pour le moment le terme de la volonté divine c’est l’amour, et c’est dans l’amour de Dieu comme dans un océan immense que se dilate la création. Comment deux substances se pénètrent-elles? Je n’en sais rien, ce que je sais, c’est que la substance créée n’ajoute rien à la substance divine.
Donc: Ex ipso, et per ipsum, et in ipso; ipsi gloria in saecula.
2.
Pourquoi la création? Pas d’autre cause que l’éternelle puissance, et l’éternelle sagesse, et l’éternel amour, agissant dans doute liberté. Or l’éclectisme représente Dieu forcé de manifester son être, donc pas libre. Donc si l’homme est libre, il a un privilège que Dieu n’a pas; ou s’il ne l’est pas, plus de bien, plus de mal. Allons plus loin. Si Dieu forcé de créer – il est forcé de le créer tel que nous le voyons – forcé de créer des athées.
Voyez jusqu’où l’on va.
Mais Dieu libre. Comme il connaît d’un regard éternel, il aime d’un amour éternel.
Dieu est libre, et pourtant motif infini: Omnia propter semetipsum.
Liberté et motif digne de lui, son infinie bonté. Infini dans l’acte de la création, acte de puissance infinie. Liberté dans le choix du monde, bonté, amour, volonté. Mais nous voilà forcés d’aimer Dieu qui nous aime, in charitate perpetua. L’orgueil ne le veut pas; pour nous, diligamus ergo…