Carême 1849. Cathédrale.

Informations générales
  • TD51.174
  • Carême 1849. Cathédrale.
  • 3. *LA CREATION*.
  • Orig.ms. BN11, pp. 235-240; T.D. 51, pp. 174-180.
Informations détaillées
  • 1 CREATEUR
    1 CREATION
    1 CREATURES
    1 DIEU
    1 MONDE CREE
    1 PANTHEISME
    2 ARISTOTE
  • mars-avril 1849
  • Cathédrale de Nîmes.
La lettre

Omnia in ipso constant. Comment les êtres ont une réalité dans la pensée de Dieu.

Ego sum qui sum. Cum enim Deus summa essentia sit, hoc est summe sit, et ideo immutabilis sit; rebus quas ex nihilo creavit, esse dedit, sed non summe esse, sicut ipse est; et aliis dedit esse amplius, aliis minus; atque ita naturas essentiarum gradibus ordinavit… Ac per hoc ei naturae, quae summe est, qua faciente sunt quaecumque sunt, contraria natura non est, nisi quae non est. Ei quippe quod est, non esse contrarium est. Et propterea Deo, id est summae essentiae, et auctori omnium qualiumcumque essentiarum, essentia nulla contraria est. De civ. Dei, XII, 2.

Ex ipso, et per ipsum, et in ipso sunt omnia; ipsi gloria in saecula, amen. (Rom. XI, 36). Dieu seul subsiste par lui-même, l’être subsistant par lui-même est essentiellement un. Donc tous les êtres qui ne sont pas Dieu ne sont pas le principe de leur être, mais participent de l’être; donc les êtres, selon qu’ils sont plus ou moins parfaits, reçoivent l’être de celui qui est l’être par excellence.

Et Aristote a dit que l’être par excellence et la vérité par excellence étaient le principe de tout être et de toute vérité.

Il ne s’agit pas de la forme de tel ou tel être, mais de la substance tout être et qui fait que c’est un être quelconque.

Le parfait doit toujours précéder l’imparfait. Or la matière est imparfaite, donc… Dieu est la première cause exemplaire, le premier modèle de toute chose. Oportet dicere quod in sapientia sint rationes omnium rerum, quas supra diximus ideas, id est formae exemplares in mente divina, existentes; quae quidem licet multiplicentur secundum respectum ad res, tamen non sunt realiter aliud a divina essentia, prout ejus similitudo a diversis participari potest diversimodo. Sic igitur ipse Deus est primum exemplar omnium. S. Th. P. I, q. 44.

Universae propter semetipsum operatus est Dominus.

Dieu est le principe de tout, mais en créant pour lui il a créé non pour obtenir, mais pour donner. C’est donc son amour ou sa bonté qui est le principe de toute chose.

La question de la création s’embrouille, quand on considère la matière; elle se simplifie, quand on l’envisage par rapport à l’intelligence.

Dans toute formation d’être il y a quelque chose d’antérieur, la matière, et quelque chose de nouveau, la forme; mais pour la création de tout être il faut supposer la production de la matière et de la forme. Dieu crée sans mouvement. La création est une relation de la créature au créateur comme principe de la créature. L’effet le plus universel c’est l’être, donc la création de l’être appartient à Dieu.

Deus Pater operatus est creaturam per suum Verbum, quod est Filius, et per suum amorem, quod est Spiritus Sanctus. Voir tout le texte: Q. 45, a. 6

In verbo tuo fecisti ea. St Aug.

Dieu existe et j’existe. En quelle relation suis-je? Beaucoup d’objections se présentent, il importe de réfuter les plus sérieuses. Belle objection que celle qui se réduit à: je ne comprends pas la création, parce que je ne puis pas créer! Pouvez-vous supposer au monde une autre origine qui ne soit pas une absurdité? Le monde ne peut subsister que par la continuelle assistance de Dieu. Ce n’est pas comme un architecte, l’ouvrage subsiste après qu’il s’est retiré; sans Dieu le monde ne pourrait pas subsister un clin d’oeil, dit S. Aug. Creatoris voluntas, rerum necessitas est.

Dans la créature il n’y a rien qui appartienne à la Trinité, sinon que la Trinité l’a créée et qu’elle est créée par la Trinité.

Dieu connaît ce qu’il fait, il le connaît dans son Verbe, il le connaît éternellement: Quod factum est, in ipso vita erat. Cette connaissance est la vie même de Dieu, et cette vie est la lumière des hommes, parce que les intelligences créées à l’image de Dieu sont illuminées par le Verbe, quand elles sont purifiées de toute souillure. S. Aug. Cujus participes esse poterunt, ab omni iniquitate et errore mundata.

Quod factum est, in ipso vita erat, parce qu’il voyait tout en lui.

PLAN

Ipse dixit, et facta sunt; mandavit, et creata sunt.

Dieu existe et ne peut exister que d’une manière digne de lui. Mais existe-t-il seul? Est-ce que moi aussi je n’existe pas? ou bien ne suis-je qu’un rêve? Si j’existe, à quelles conditions? Et l’univers existe-t-il? Ceci vous semble étrange, et pourtant la philosophie n’a pas craint d’affirmer que hors de moi je ne puis pas être sûr de rien. Quoi qu’il en soit, l’univers entier affirme que le monde, que l’humanité subsiste; pour aujourd’hui je n’en veux pas davantage. Si j’existe, suis-je Dieu? Suis-je cet être infiniment parfait? et si je ne suis pas Dieu, que suis-je alors par rapport à Dieu? – La doctrine catholique répond que je suis un être créé. Mais ici se dresse tout à coup ce terrible problème de la création. Je le réduis à trois questions: Dieu peut-il créer? Si Dieu peut créer, comment crée-t-il? et si réellement pouvant créer, il a usé de son pouvoir, pourquoi, dans quel but? Tout d’abord reconnaissez avec moi dans les trois lois fondamentales de toute science l’ineffaçable vestige de la Trinité. – Toute science, en effet, examine: 1° la réalité de son objet; ce ne peut être un objet chimérique, sans quoi il n’y aurait pas science; 2° la raison, le mode d’être ou les lois de son objet, sans quoi ce ne serait pas une science; 3° enfin le but, le terme de son objet, sans quoi encore ce ne serait pas une science. Réalité de l’objet, ses lois, son terme. N’est-ce pas la manifestation de la puissance, de la sagesse et de la suprême volonté?

1° Dieu peut-il créer?

On dit Dieu ne peut créer. En effet, qu’est-ce que créer? C’est tirer l’être du néant. Or, personne ne pouvant donner ce qu’il n’a pas, le néant évidemment n’ayant pas l’être, Dieu n’a pu tirer l’être du néant.

Hé bien, en face de cette objection, je réponds: Dieu peut créer et pour le prouver, il suffit que je vous prouve qu’il le fait tous les jours.

Je dis d’abord que Dieu crée sans cesse. Etablissez, s’il vous fait plaisir, l’identité de substance pour la matière, direz-vous que l’intelligence aussi est une substance identique, que ce que je pense dans un sens, je le pense avec la même substance qui en vous pense le contraire. Vous êtes forcé d’arriver à ces prodiges d’absurdité, ou de reconnaître que chaque homme a son esprit distinct. Et si chaque homme a un esprit distinct, direz-vous que cet esprit est éternel(1), que cet esprit est une émanation de Dieu. L’une et l’autre = absurdités. Mais si cet esprit existe dans le temps, il a commencé d’exister. Vous direz qu’il est composé de matière et vous direz que la matière pense. Dieu crée tous les jours des esprits et il ne pourrait pas créer la matière, il peut le plus et il ne pourra pas le moins(1).

Mais laissons, si vous le voulez, cette discussion sur les esprits. Dans la matière même je vois deux choses: la substance et la forme. Or la forme est sans cesse créée: prenez un arbre, un homme, détruisez, pourrez-vous réédifier? L’horloger peut décomposer les parties d’une montre, vous ne pourrez jamais recomposer un moucheron qui pique votre front. Un germe de moucheron, je ne vous demande que cela. Il y a perpétuelle création de la forme, et c’est la partie la plus grossière de la matière qui vous préoccupera. Ah! vous me faites honte.

Mais je vais plus loin, vous refusez Dieu créateur, expliquez-moi comment le monde se conserve, je vous défie de me le prouver jamais. La conservation du monde par l’assistance perpétuelle de Dieu est un fait aussi prodigieux, mais parce qu’il faudrait tout nier, vous n’osez pas. Quoi! la moindre oeuvre de l’homme se détraque aussitôt dès qu’elle est mue; il pourra faire des pyramides, mais ce mouvement perpétuel de tout être, de tout atome, vous n’y avez pas réfléchi. C’est plus difficile, oui mille fois plus que la création; qui peut l’un peut l’autre.

Enfin vous ne comprenez pas que la substance de l’univers soit créée. Comprenez-vous davantage son existence? Prenez un de vos cheveux, taillez-en la pointe la plus extrême, une portion imperceptible, elle sera; ramassez un grain de poussière, il sera, si vous le voulez, à peine visible à l’oeil nu, enfin c’est un grain de poussière, il doit être traité avec respect. Il peut être transformé au corps et au sang d’un Dieu, enfin il y a là de la substance, cette substance qu’est-ce que c’est? sous ce que votre oeil découvre il y a quelque chose, qui l’a jamais su? quoi vous ne pouvez expliquer la substance, et si je vous parle de son origine, non pas en mon nom, mais en celui de Dieu, vous vous récriez aussitôt! Vraiment vous m’étonnez! donc votre argument ne vaut pas.

Et, remarquez bien, que je me garderai de vous expliquer le fait de la création. Créer est un acte divin. Dieu seul peut créer; et si je vous expliquais un acte divin, ce serait une explication mauvaise de soi, – je prétends seulement que ce qu’on oppose à la doctrine catholique est mille fois plus absurde. Mais je viens [au fait] et je dis: Dieu a parlé. Cependant il faut examiner, voyons donc le dualisme. Il ne peut y avoir de mal en Dieu, donc il y a un principe du mal. Le mal c’est la négation de ce qui est bien ou de ce qui est vrai, mais la négation ne subsiste pas. Le mal c’est la négation de l’être, ce n’est pas un principe subsistant de soi – Le mal absolu c’est le néant, In quantum sumus, boni sumus. – Le mal c’est la négation, pas autre chose. – Les démons eux-mêmes sont bons en tant qu’existants, ils ne sont mauvais que dans l’opposition au bien, à la vérité, à l’être de Dieu. Donc il n’y a pas deux principes, et pour aujourd’hui je n’en dirai pas davantage sur ce point.

2ème Système, les deux principes: Dieu et la matière.

Reste le panthéisme, l’identité de la substance. Il n’y a qu’une substance. Quoi! mon corps et mon esprit [ne sont] qu’une substance. Entre mon esprit et un vieux soulier, [il n’y a] qu’une substance. Mon coeur et mon… [ne sont] qu’une substance! Rien de plus, rien de moins.

Qu’une substance! vous et moi ne faisons qu’une substance; vous voulez blanc, je veux noir, n’importe!

Entre le catholique et celle du païen il n’y a qu’une substance.

Quoi! entre vous et le protestant, – la même substance!

J’adore Dieu, tel socialiste le nie, et c’est la même substance.

La religieuse – et la courtisane, c’est la même substance.

Et dans la France la même substance?

Il faut pourtant en venir là. Ni bien, ni mal; ni vrai, ni faux.

Mais, direz-vous, les raisonnements y poussent. – Oui, si nous partons de certains principes; oui, si nous admettons les principes posés depuis un siècle et demi, et développés d’une manière pratique depuis 50 ans.

L’indifférence des religions y poussait.

L’abîme a été creusé par des mains savantes.

Il faut revenir à la vérité ou périr.

Si Dieu n’a pas créé le monde, il n’y a plus de vérité.

Si Dieu n’a pas créé le monde, il n’y a plus de devoir.

Si Dieu n’a pas créé le monde plus de droits sociaux autres que la force brutale.

Si Dieu n’a pas créé le monde, accourez, adultères, incestes, parricides.

Voir pour la 2me et 3me question à la page 51(2).

Notes et post-scriptum
2. Page 51 du ms = T.D. 51, p. 140 (D01654): Conférence sur Dieu-créateur.1. [en marge] Développer.