Sermons divers

14 MAR 1852 Paris
Informations générales
  • Sermons divers
  • Union de Dieu avec l'humanité
    Sermon prononcé le 14 mars 1852 à Saint-Thomas d'Aquin (Paris)
  • L'enseignement catholique. Moniteur de la chaire (deuxième année 1852)
  • Cop.ms. CZ 89 et cop. dactyl. CL 12.
Informations détaillées
  • 1 ACCEPTATION DE LA CROIX
    1 ACCEPTATION DE LA VOLONTE DE DIEU
    1 AMOUR DU CHRIST
    1 ANGES
    1 ANTECHRIST
    1 ATHEISME
    1 AUGUSTIN
    1 CHARITE THEOLOGALE
    1 CIEL
    1 CONCUPISCENCE DES YEUX
    1 CORPS MYSTIQUE
    1 EGLISE EPOUSE DU CHRIST
    1 EGOISME
    1 ETUDE DES PERFECTIONS DE JESUS-CHRIST
    1 EUCHARISTIE
    1 EXTENSION DU REGNE DE JESUS-CHRIST
    1 FOI
    1 GLOIRE DE DIEU
    1 GRACE
    1 IMITATION DE JESUS CHRIST
    1 INCARNATION DE JESUS-CHRIST
    1 JESUS-CHRIST AUTEUR DE LA GRACE
    1 JESUS-CHRIST AUTEUR DU PARDON
    1 JESUS-CHRIST CHEF DE L'EGLISE
    1 JUGEMENT DERNIER
    1 LOI MORALE
    1 MARIAGE
    1 MERE DE DIEU
    1 NATURALISME
    1 PAGANISME
    1 PECHE ORIGINEL
    1 RECHERCHE DE DIEU
    1 REGNE
    1 REINE DES ANGES
    1 ROI DIVIN
    1 SAINT-ESPRIT
    1 SAINTE VIERGE
    1 SAINTETE DE L'EGLISE
    1 SAINTS
    1 SALUT DU GENRE HUMAIN
    1 SATAN
    1 TIEDEUR
    1 TRIOMPHE DE L'EGLISE
    1 UNION A JESUS-CHRIST
    1 ZELE APOSTOLIQUE
    2 ABRAHAM
    2 ADAM
    2 BOSSUET
    2 JEAN, SAINT
    2 MAISTRE, JOSEPH DE
    2 ORIGENE
    2 PAUL, SAINT
  • 14 mars 1852
  • 14 MAR 1852
  • Paris
  • Eglise Saint-Thomas d'Aquin
La lettre

Ipsum dedit caput supra omnem Ecclesiam, quae est caput ipsius et plenitudo ejus. « Dieu a établi Jésus-Christ pour être la tête, le chef au-dessus de toute l’Eglise qui est son corps et son accomplissement »(1).

Texte fécond qu’explique et développe M. l’abbé d’Alzon. Dans cette pensée de saint Paul, ou plutôt dans cette vérité que lui révéla l’Esprit Saint et dont les conséquences ont été exprimées dans d’autres épîtres du même Apôtre se trouvent implicitement contenus la plus haute loi morale et le plus haut modèle qu’il soit possible de proposer à l’homme. Vérité théologique et vérités morales renfermées dans ce texte, telles sont les deux parties du discours dont nous reproduisons les principaux passages en conservant entre eux une relation suffisante pour conserver la liaison des pensées.

L’humanité a éprouvé de tout temps un besoin invincible de s’unir de la manière la plus intime à Dieu et séparée de Dieu par le péché, voulant tenter à elle seule la réconciliation, elle a imaginé différents moyens. Aux temps anciens, comprenant qu’elle ne pouvait pas remonter vers cette patrie d’où elle avait été exilée, elle fit descendre la divinité ici-bas. Après le paganisme, fractionnement de la divinité, naissent d’autres erreurs qui aboutissent à l’athéisme par la divinisation de l’univers. Et le besoin de l’humanité n’était point satisfait. Mais ce que l’homme ne peut pas trouver dans son propre fonds, Dieu consentira à le mettre à sa portée, et c’est pourquoi il voudra bien entrer en relation, en commerce avec lui. Et ce ne sera pas seulement un commerce individuel, isolé: ce sera une relation générale, une société universelle, fondée, établie, non pas entre le Créateur et chacune des créatures considérées isolément, mais entre Dieu auteur de toutes choses et l’humanité tout entière. Comment ces choses s’accompliront-elles? Je viens vous le dire, M.F., par les paroles de mon texte. Dieu ordonnera à son Fils de se faire homme, et il l’établira à la tête de toute cette humanité qu’il viendra régénérer par son sang: ipsum dedit caput supra omnem Ecclesiam. Mais, mes frères, est-ce que l’Eglise n’est pas la société des hommes avec Dieu? Ecce tabernaculum Dei cum hominibus(2). Voilà le tabernacle de Dieu avec les hommes, voilà où les hommes pourront entrer en communication avec Dieu, où ils pourront ne faire qu’un avec Dieu. Or c’est de cette unité merveilleuse, établie entre l’humanité et Dieu par J.C., que je viens vous entretenir en ce moment afin de vous montrer l’immense miséricorde de Dieu, son amour infini envers l’homme, puisqu’il a voulu réaliser ce désir impuissant de l’humanité. Dieu s’est incliné, il a abaissé les cieux et il est venu vers nous dans son propre Fils, et le Fils a été établi à la tête d’un corps: ce corps, c’était l’humanité tout entière et c’est ce corps qui recevra la vie de cette tête divine et qui sera tout entier par J.C., divinisé.

Oui, mes Frères, cela est très vrai, Dieu ne veut faire, pour ainsi dire, qu’un avec l’humanité sortie de ses mains. Or, comment Dieu franchira-t-il cet abîme? L’infini comment s’approchera-t-il du fini et ne fera-t-il qu’un avec lui? Voila le problème. Eh bien, M.F., du moment qu’il est établi qu’un Dieu s’est incarné, qu’un Dieu s’est fait chair, qu’il a habité parmi nous, qu’il se manifeste, qu’il se présente à nous, qu’il a conversé avec nous, déjà nous voyons un Dieu caché, si j’ose ainsi dire, sous l’enveloppe humaine, en communication avec les hommes. Mais cela ne lui suffit pas, ce commerce ne peut satisfaire l’amour de Dieu pour l’homme; il veut encore quelque chose de plus et que fera Dieu? Ici, M.F., le langage humain est impuissant à peindre l’union que Dieu veut établir avec les hommes et c’est pourquoi ce langage emprunte tant de formes et a recours à la comparaison. L’Eglise, nous dit saint Paul, l’Eglise c’est l’épouse de J.C.; et lorsque l’Apôtre commande aux époux d’être unis et de ne faire qu’un il déclare que c’est là un grand mystère en J.C., et en l’Eglise. De sorte que l’union du mariage n’est qu’une image, n’est que l’emblème d’un sacrement, d’un mystère: Sacramentum hoc magnum est, ego autem dico in Christo et in Ecclesia, dit saint Paul; c’est un emblème, une figure incomplète encore de l’union qui doit s’établir entre J.C. et cette société qu’il vient fonder ici-bas. Cette comparaison ne suffit pas encore à l’Apôtre; il ajoute: Vous n’êtes pas seulement unis à J.C., en tant que faisant partie de l’Eglise, et comme l’épouse est unie à son époux, vous lui êtes unis encore d’une tout autre manière, comme les différents membres d’un corps ne forment qu’un tout: Vos estis corpus Christi et membra de membro(3). Vous êtes le corps de J.C.; c’est-à-dire que l’union qui subsiste entre les membres d’un corps n’est qu’une figure imparfaite de l’union qui doit subsister entre J.C. et les chrétiens. Cette union entre les différents membres d’un corps ne peut être qu’une union physique, tandis que l’union qui subsiste entre les chrétiens, membres de l’Eglise, et leur divin chef, est de l’ordre intellectuel. Mais bien plus d’un côté, il y a une intelligence créée, et de l’autre, il y a un Dieu.

Maintenant, représentez-vous ces différents membres de votre corps, ces mains, ces bras, cette tête, ces pieds qui concourent tous à ne former qu’un seul être, eh bien cela n’est rien qu’une image grossière, incomplète, propre à vous donner une légère idée de ce qu’est l’union qui subsiste entre J.C. et les différents membres de cette société qu’on appelle l’Eglise. Vos estis corpus Christi et membra de membro.

Or tout d’abord et avant d’aller plus loin, M.F., ne comprenez-vous pas quelle dignité découle de cette considération pour les chrétiens qui sont unis d’une manière si intime, par la sainte humanité du Sauveur Jésus à Dieu même? De même que, de la tête, du chef de l’homme découlent dans les différents membres, les mouvements, la puissance d’agir, la vie, de même J.C. communique à son Eglise ses différents mouvements, lui donne son impulsion, lui donne le principe d’action qu’elle doit exercer dans le monde et aussi les moyens de son immortelle destinée. Il est sa force, il est ses yeux; il est ses oreilles, il est sa langue; Ipsum dedit caput supra omnem Ecclesiam, il a été établi comme la tête, le chef sur toute l’Eglise. Et remarquez, M.F., que si nous voulons avoir une idée exacte de ce qu’est Notre-Seigneur J.C., il ne faut pas s’attacher à le considérer seulement dans son humanité isolée; il faut le considérer selon les notions que nous en donne l’Evangile expliqué par les docteurs. Or écoutez encore l’Apôtre lorsqu’il a établi que J.C. est le chef de l’Eglise, la tête de l’Eglise: Ipsum dedit caput supra omnem Ecclesiam. Il ajoute: Ecclesiam quae est corpus ipsius et plenitudo ejus, qui omnia in omnibus adimpletur. Vous êtes, M.F., l’accomplissement de J.C.; de sorte qu’il manque quelque chose à Notre Seigneur considéré dans sa notion la plus complète et la plus vaste, si j’ose dire ainsi, tant que les élus ne sont pas unis entièrement et complètement à lui, et toutes les fois que nous résistons aux aspirations saintes par lesquelles Jésus nous attire à lui.

Et en effet Notre Seigneur J.C. considéré dans son sens le plus vaste (ces expressions ne sont pas de moi, je les emprunte à Bossuet, à saint Thomas), notre divin Sauveur considéré ainsi se perfectionne toujours, parce que nous devons arriver, nous dit l’apôtre, à la mesure de la plénitude de l’âge de J.C., In mensuram aetatis plenitudinis Christi(4). J.C. considéré dans ses rapports avec son Eglise, en tant que tête de son Eglise, en tant que chef de la société humaine qu’on appelle Eglise de Dieu, J.C. n’est pas encore complet, J.C. n’est pas encore fini, J.C. n’est pas encore terminé: il faut que les élus lui arrivent, il faut que chaque élu lui apporte, si j’ose dire, comme un membre nouveau, comme une portion nouvelle de ce corps qui est son Eglise dans laquelle il vit et à laquelle il communique son existence et la puissance d’accomplir sa destinée sur la terre. Et c’est dans ce sens, M.F., que je trouve dans Bossuet la plus étonnante expression…… Vous avez entendu parler des systèmes humanitaires de nos jours: il y a de profondes absurdités, il y a d’abominables paroles dans tous ces systèmes, mais il y a aussi quelque chose d’exact car toute erreur, comme dit Bossuet, est fondée sur quelque vérité, dont on a abusé, mais qu’il faut retenir. C’est qu’il n’y a à proprement parler qu’un seul homme, si cet homme c’est l’Eglise, cet homme universel qu’on appelle l’Eglise, a dit Bossuet. Or quel est le corps universel? Ce sont les chrétiens. Quelle est l’âme? C’est J.C.; et c’est J.C. qui anime cette Eglise, qui lui fait accomplir les ordres de Dieu, de façon, dit Bossuet, que si vous me demandez ce que c’est que J.C. considéré dans sa notion la plus vaste et la plus étendue, je vous répondrai: c’est J.C. dilaté et répandu, c’est J.C. tout entier, c’est J.C. dans sa plénitude, c’est J.C. homme parfait. Voilà la définition que Bossuet nous donne de l’Eglise. Or si l’Eglise n’est que J.C. dans sa plénitude, dans sa perfection, moi membre de l’Eglise je fais donc comme partie de J.C.? Oui, c’est cela, et c’est ce que je n’avais pas assez compris, et c’est peut-être pour cela que je n’avais pas assez compris tout l’amour que je dois à J.C. C’est pour cela que je n’avais pas assez compris avec quel respect je dois traiter tout ce qui se rapporte à J.C. C’est pour cela que j’avais eu jusqu’à présent une idée trop basse de ma mission sur la terre; parce que après tout, je ne puis être en marche vers l’éternité qu’autant que je crois à cet homme universel qui est l’Eglise, dont l’âme est le Sauveur.

Mais voyez, M.F., une fois que l’humanité a saisi cette pensée, comme elle s’en empare, et comme tout ce qui ne s’y rapporte pas devient petit, comme tout ce qui y est contraire devient coupable! Voyez; J.C. est seul entre Dieu et l’homme et il absorbe en quelque sorte l’humanité, en lui conservant sans doute la distinction de la nature, question que je ne veux pas aborder en ce moment. Il prend dans l’humanité ce qu’il y a de plus pur et de plus saint, et il se l’assimile. Et toutefois la théologie ne craint pas d’avancer que ce n’est pas seulement des saints que J.C. est le chef, mais qu’il est le chef de tous les hommes. Sans doute, il est plus particulièrement le Sauveur de ceux qui sont fidèles, il est le Sauveur de tous les hommes parce qu’il ne dépend que des hommes de profiter de ce salut qu’il est venu leur apporter. Et c’est pourquoi encore l’apôtre saint Jean ajoute qu’il est la propitiation pour nos péchés, propitiatio pro peccatis nostris, et non seulement pour les péchés des chrétiens, pour nos péchés, à nous, mais qu’il est la propitiation pour les péchés de tout le monde, non pro nobis autem tantum, sed etiam pro totius mundi(5). C’est pourquoi Origène nous dit que le sang de J.C., le sang théandrique, expression empruntée à la traduction de M. de Maistre, de ses flots régénérateurs a baigné les sphères les plus reculées dans l’espace. C’est qu’en effet toutes choses ont été renouvelées, régénérées par J.C., et que, partout où il y a une intelligence à sanctifier, à renouveler, à régénérer, le sang de J.C. est puissant pour l’attirer vers ce centre qui est le divin Sauveur lui-même, qui est son corps mystique, et pour se l’assimiler. Tous les hommes en ce sens font partie du corps mystique de J.C. Mais il est vrai de dire que viendra le moment où ceux qui ne sont pas sauvés s’en sépareront, et alors ils auront pour chefs, comme dit saint Thomas, Satan et l’Antéchrist. Quant aux autres, il y a trois degrés. Il y a une union de Foi! Tous les fidèles, tous ceux qui croient sont, par la Foi, par la communication de la vérité, unis à J.C. Les fidèles dans l’état de grâce lui sont unis d’une manière plus particulière dans la charité. Enfin les saints dans le ciel lui sont unis de la manière la plus intime par la gloire dont il les anime, dont il les inonde, et pour toujours.

Et maintenant, M.F., vous me direz peut-être: Mais les anges? Eh bien, c’est Bossuet qui répondra, après saint Paul(6), que les anges ont encore J.C. pour chef. Mais, il faut bien le remarquer, ce n’est pas pour les anges d’abord que J.C. est venu. De façon qu’à mesure que nous nous perfectionnons, ce n’est pas nous qui allons vers les anges, mais ce sont les anges qui viennent vers nous, parce que J.C. n’a pas pris la race des anges pour se manifester sur la terre, mais qu’il a pris la race d’Abraham, comme le fait encore observer le grand Apôtre. Donc, s’il est vrai de dire que les anges sont par leur nature au-dessus de nous, dans l’ordre de la grâce nous n’avons rien à leur envier, car le chef des anges n’est pas un ange, mais un homme. Au plus haut degré de la hiérarchie céleste, qu’est-ce que j’aperçois? est-ce un séraphin, un chérubin? Non, j’aperçois deux êtres, et ces deux êtres sont deux membre de l’humanité: Marie, reine des anges, Jésus, chef de tous les anges. J.C. n’est-il pas admirable dans ses inventions pour relever la nature humaine? La voilà, cette nature dégradée par le péché, anéantie, avilie, écrasée sous le poids des crimes de la triste postérité d’Adam: J.C. descend jusqu’au fond de l’abîme, la prend, la relève, en fait sa société, en fait les membres de son corps, il la place sur le trône, à côté du Tout-Puissant, au-dessus des anges, au-dessus des principautés, des vertus, des dominations: Ipsum dedit caput supra omnem Ecclesiam.

Et dans l’humanité, M.F., est-ce seulement notre âme qui sera régénérée, qui sera membre du corps de J.C.? Non, J.C. vient pour régénérer notre âme, il vient pour régénérer notre corps, et cette merveille qui s’accomplit au-dedans de nous, dans nos âmes, s’accomplit aussi dans nos corps. Et il ne dépend que de nous d’accepter ce que J.C. nous apporte de bienfaits; il ne dépend que de nous d’entrer en communication avec son esprit. Cet esprit nous vivifiera, car, nous dit l’apôtre, celui qui a ressuscité J.C. d’entre les morts vivifiera également nos corps à cause de l’esprit de J.C. qui habite en nous. Rendons-nous compte, M.F., du travail intérieur qui s’opère, non seulement dans l’âme du chrétien, mais aussi dans son corps. Pourquoi l’Eucharistie, pourquoi le corps divin nous est-il communiqué? C’est un germe de la vie éternelle. Lorsque le prêtre dépose la divine nourriture sur votre langue, et qu’il vous dit: « que le corps de J.C. garde votre âme », ce corps divin vous garde tout entier, parce qu’il se communique au vôtre qui, par là, reçoit avec votre âme le gage de l’immortalité. Quand Dieu, un jour, voudra renouveler nos corps, il regardera le corps de son Fils, et de même que le corps de J.C. a été renouvelé, régénéré, a été divinisé en quelque sorte, les nôtes le seront également. Reformabit corpus humilitatis nostrae, configuratum corpori claritatis suae. Ce corps d’humilité et d’abandon, ce corps d’abaissement, cette chair, qui dans quelques jours, va être livrée aux vers, cette chair même que J.C. a revêtue, dans ses veines un sang divin a coulé lorsque je me suis approché de la table sainte; et ce sang dont je me serai abreuvé travaillera au-dedans de moi-même, et Dieu considérant le corps de son Fils, passez-moi cette expression, à travers mes misères, à travers les péchés et la corruption du tombeau, Dieu n’aura plus qu’à me reformer tout entier sur le modèle divin, le corps de son Fils. Dans l’Eglise donc, c’est le chrétien tout entier qui est renouvelé. Et quel est le terme de ce mystère? C’est le nombre des élus. Quand ce nombre connu de Dieu seul, aura été atteint, comme tout sur la terre a été fait pour les élus, omnia propter electos, alors les temps seront accomplis, le monde s’écroulera, puisqu’il ne nous sera plus nécessaire; le corps de J.C. sera complété et tous ses membres seront transportés dans le ciel.

Maintenant, M.F., comment J.C. nous communiquera-t-il ces merveilles? Comment dans l’Eglise s’accompliront ces choses? J’emprunte ici une pensée à saint Augustin. Ce grand docteur voulant nous raconter les merveilles de la virginité chrétienne, après avoir fait le tableau des autres vertus que cette vertu modeste implique, remonte par la pensée jusqu’au modèle de toute chasteté, de toute pureté, Marie. Il l’envisage et comme Vierge et comme mère de Dieu; mais il ne s’arrête pas là et son regard s’élançant plus haut, planant sur les ailes de la foi, il ne voit pas Marie toute seule: à côté d’elle il envisage ce dont Marie n’est après tout que le membre, que la portion la plus belle, la plus touchante, il envisage l’Eglise, vierge et mère comme Marie. L’Eglise oui, elle est vierge, elle est mère. Voilà ce corps mystique du corps de J.C.: privilège de chasteté, de virginité, de pureté, d’intégrité, de fécondité. Et d’abord privilège de pureté, d’intégrité. Pourquoi privilège? Saint Augustin le révèle:

C’est que le principe de toute chasteté, pour l’âme, c’est la foi: de même que le crime impur souille le corps, l’erreur, l’hérésie souillent l’âme…..

De là ces obligations spéciales, terribles, de garder la pureté dans l’Eglise, car la pureté de l’Eglise c’est l’intégrité, la chasteté, la virginité de la foi. La pureté de l’Evangile, c’est son unité dans la vérité qui est J.C. Mais l’Eglise n’est pas seulement pure, elle n’est pas seulement une dans sa virginité, elle est mère, et par conséquent féconde. Oui, elle a de nombreux enfants, elle les rassemble autour d’elle et ils vont se réunir dans son sein. Elle est féconde, elle a des enfants, parce qu’elle est épouse. En même temps, elle est une d’une sainte pureté, d’une sainte intégrité, parce qu’elle ne fait qu’un avec son Dieu, qui est l’éternelle vérité.

Et lorsque nous envisageons, à la lumière de ces magnifiques enseignements, la destinée de l’Eglise, et quand, dans la destinée de l’Eglise, nous envisageons notre destinée, voyez avec quel respect la vérité doit être traitée par nous, puisque souiller la vérité, c’est souiller la pureté même du corps de J.C. Et, d’autre part, ne pas porter tout le zèle possible à la fécondité de l’Eglise, c’est en quelque sorte la frapper de stérilité; et c’est pourquoi il y a toujours ce double devoir et de respect pour la vérité et de zèle pour la fécondité de l’Eglise: caractère spécial du dogme de l’Eglise catholique.

Eh bien, M.F., ces principes posés, arrivons aux conséquences. Premièrement, en tant que membre de l’Eglise catholique, je suis appelé à ne faire qu’un avec J.C.: je suis le membre de J.C. Je suis sa main, son pied, son oeil, son oreille, peu importe; vous savez cette magnifique comparaison dont se sert saint Paul pour nous montrer comment chacun, dans son corps mystique, doit remplir sa place et comment chacun doit accomplir la fonction spéciale qui lui a été assignée. Me suis-je donc jamais rendu compte de tout ce que j’ai à faire en tant que membre de l’Eglise, membre du corps mystique de J.C.? Ne suis-je pas les pieds de l’Eglise, en ce que je dois l’aider à accomplir ses destinées, et par mes prétentions, mes passions, mes intérêts particuliers, n’ai-je pas fait obstacle au développement du corps mystique de J.C.? Je suis la main peut-être, c’est-à-dire que j’ai été chargé de répandre les bienfaits que J.C. m’a confiés, afin de faire bénir le corps mystique et d’accomplir sa destinée ici-bas. Eh bien, me suis-je assez préoccupé de ce que doivent être ces actes de chrétien, et de leur importance dominante? Je suis l’oeil, l’oreille, la langue, peu importe, de ce corps mystérieux; comment ai-je accompli ma mission? Ai-je fait respecter J.C., ai-je fait acquérir l’instruction nécessaire pour le faire voir aux aveugles, pour faire pénétrer ses dogmes jusqu’au plus profond de l’oreille des sourds? Ne suis-je pas sourd moi-même de cette manière; ne suis-je pas aveugle, ne me fais-je pas illusion, ne suis-je pas un membre endormi, engourdi, frappé de léthargie? Je suis chrétien de nom: le suis-je en vérité, en action? Je suis membre de J.C. et l’âme de J.C. ne se communique pas à moi! M.F., c’est ici qu’il faut trembler; il y a en moi deux esprits, mon esprit propre, mon amour propre, mais je sens l’esprit de J.C., l’amour de J.C. qui me presse. Obéirai-je, accepterai-je ces sentiments qui me sont communiqués par l’âme du corps mystique auquel j’appartiens? Et moi-même, est-ce que je communique J.C., son esprit, son amour à d’autres membres qui ont besoin d’être vivifiés? Oui, je suis en rapport avec des indifférents, avec des pécheurs, et, parce que j’ai le bonheur de posséder au-dedans de moi une portion de la vie, je l’augmenterais, si je voulais la communiquer aux autres. Dans cet amour, dans ce zèle de prosélytisme, j’agrandirais autour de moi ce corps mystique de J.C., ce corps qui se forme tous les jours, au milieu des péchés des hommes, par des vertus cachées. C’est à moi qu’a été confiée la mission de le faire croître, m’en suis-je préoccupé? Où est en moi le zèle pour le bien-être du corps mystique de J.C., s’il est permis d’employer cette expression? Ah mes frères, je ne dois pas oublier que ce corps est le modèle du mien. Si donc mon corps même doit subir les effets merveilleux de ce qui a été accompli par l’amour divin dans le corps de J.C. avant d’arriver à sa gloire, il faut que je passe par ses humiliations, avant d’arriver à cette joie divine qu’il s’est proposée, je dois aussi supporter la croix. Ce n’est qu’à cette condition que je pourrai animer mon corps, le vivifier de l’esprit de J.C. et l’aider à accomplir les miracles, les merveilles qu’il veut accomplir dans tout mon être, en le rendant semblable au sien.

Je suis appelé à une éternelle gloire: cette gloire éternelle consiste dans l’union la plus absolue avec Dieu, et cette réunion se réalisera en proportion d’une part, de ce que j’aurai tendu sans cesse à accomplir la volonté de Dieu, d’autre part, de ce que j’aurai travaillé à grouper, autour de moi.

En cela, où sont mes préoccupations et ma vie? Que pourrai-je me dire à moi-même; lorsque, par l’effet de l’amour divin, J.C. parlant au-dedans de mon âme, m’interroge et me demande où j’en suis, où je vais? Qu’ai-je à répondre? Que je me suis préoccupé des choses de la terre. Et à l’union de mon être tout entier avec l’être d’un Dieu, aux espérances immenses données par l’amour immense de Dieu, au bonheur d’un Dieu qui doit être le terme et la réalisation, je ne pense pas! Mes jours commencent, s’écoulent au milieu de cette torpeur qui emporte tout avec elle; je fais des actes indifférents de piété, quelques petites pratiques, j’accomplis, comme par manière d’acquit, quelques actes de dévotion dans le saint temps de Carême; mais de cette union intime avec J.C. je n’en ai aucun souci. Je suis indifférent à cette grâce qui sans cesse me sollicite….. C’est épouvantable! Le Seigneur est un feu qui consume: pour arriver à une union pareille, il faut que je brûle, que j’anéantisse beaucoup de choses en moi, et c’est ce que je ne veux pas.

Eh bien, M.F., il faut cependant arriver à une conclusion; il faut nous demander à nous-mêmes, en face de cette destinée si magnifique qui nous est proposée, si nous voulons accepter ou refuser. Je suis invité par J.C. à lui être tellement uni que je ferai une portion de lui-même. Est-ce que je veux l’aider à s’accomplir, à se compléter lui-même? C’est là la question que je vous pose, mes frères, et il faut la résoudre au fond de vos coeurs; car, si je n’y réponds pas, je refuse, et dès lors je déclare que je ne veux prendre en moi, ni les sentiments de Jésus-Christ, ni les ordres de J.C., ni les vertus de J.C. J’irai dans ma voie selon mes désirs, selon mes pensées; je proclamerai mon indépendance. Mais, si je veux écouter la parole de l’apôtre, si je veux enfin, cette admirable et merveilleuse destinée, si je veux entrer dans l’esprit de J.C., il faut qu’un changement complet, absolu, s’opère en moi. Ecoutez l’apôtre qui vous le dit: Hoc sentite in vobis quod et in Christo Jesu. Ayez en vous les sentiments qui sont dans le Sauveur Jésus; que le principe de vos actions ne soit autre que le principe des actions du Seigneur Jésus. Et vous le savez, il n’est venu sur la terre que pour accomplir la volonté de son Père: In his quae patris mei sunt, oportet me esse. « Ne faut-il pas que je sois sans cesse préoccupé des affaires de mon Père? » Il faut que vous en soyez préoccupés de la même façon, il faut que vous n’ayez d’autre but de votre existence que la gloire de Dieu, la connaissance de Jésus-Christ et le triomphe de son Eglise, la manifestation, l’extension de sa société, l’extension de son règne.

Encore une fois, mes frères, je ne puis m’expliquer cette déplorable langueur des chrétiens et je ne parle pas seulement ici des chrétiens pécheurs, je parle même de certains chrétiens pratiquants, je ne puis m’expliquer cette torpeur, cette lâcheté, cet individualisme dans la piété, cet égoïsme blâmable. On ne sent pas tout ce que J.C. est en nous, tout ce qu’il est pour nous; on oppose sans cesse des barrières à son empire qu’il veut établir jusqu’au fond de nos âmes, et, pour ainsi dire, jusqu’aux dernières extrémités de nos corps. Laissons le Roi dominer en nous, laissons-le être notre chef, le principe de tous nos actes, et alors, M.F., il sera vrai de dire que l’esprit de Jésus coulera au-dedans de nous-mêmes; alors il sera vrai de dire que nous ne faisons qu’un avec Jésus; alors il sera vrai de dire que nous sommes son corps et qu’il est notre âme. Dans cette merveilleuse union, la divinité coulera comme à pleins flots sur nous, elle nous inondera, elle nous submergera de ses grâces. En attendant qu’elle consomme en nous ses perfections, elle déposera dans tout notre être le germe de l’immortalité qui se réalisera un jour dans le ciel.

Notes et post-scriptum
1. Eph. I, 22.
2. Apoc. XXI.
3. Cor. XII, 27.
4. Eph. IV, 13.
5. Joann. 11, 2.
6. Eph. I, 22.