Aux Religieuses de l’Assomption

23 AUG 1859 Sedan RA
Informations générales
  • Aux Religieuses de l'Assomption
  • Retraite aux Religieuses de l'Assomption de Sedan
    Des voeux
  • CD 26 (ms de Sr Marie du Saint-Sacrement de Gouy)
Informations détaillées
  • 1 AMOUR DU CHRIST
    1 DETACHEMENT
    1 EPOUSES DU CHRIST
    1 EXAMEN DE CONSCIENCE
    1 MAUVAISES PENSEES
    1 PRUDENCE
    1 TRAVAIL
    1 TRISTESSE
    1 VERTU DE PENITENCE
    1 VOEU D'OBEISSANCE
    1 VOEU DE CHASTETE
    1 VOEU DE PAUVRETE
    1 VOEUX DE RELIGION
    1 ZELE POUR LE ROYAUME
    2 JEAN DE LA CROIX, SAINT
    3 NAPLES
  • Religieuses de l'Assomption
  • RA
  • 23 août 1859
  • 23 AUG 1859
  • Sedan
La lettre

Ce qui constitue proprement la vie religieuse, ce qui en fait le fond et la substance, ce sont les saints voeux… Voeux de pauvreté, de chasteté et d’obéissance et celui qui est particulièrement propre à notre Congrégation, de se consacrer à étendre le règne de J.C. dans les âmes. Ici un sérieux examen à faire. Je suis liée, attachée à N.S. par ces voeux que j’ai contractés, mais comment est-ce que je remplis les obligations qu’ils m’imposent?

Je veux de suite aborder le fond des choses. Suis-je pauvre, c’est-à-dire détachée de toute chose, ne tenant à rien au monde, sans possession aucune. Il y a tant de plis et de replis dans notre pauvre coeur par où il se rattache au monde. Je me rappelle avoir vu à Naples une plante qui vivait uniquement des fils de fer sur lesquels elle avait poussé ses racines. Sans terre, sans eau, sans aucune espèce de nourriture, elle vivait d’elle-même, sur cet aride fil de fer sur lequel elle avait jeté ses racines. C’était une plante curieuse. Il est quelque chose de plus curieux encore, c’est le pauvre coeur humain. Il vit de terre, il vit d’air, il vit d’eau, il vit de boue, il vit de tout tant les racines de ses attaches sont profondes. On peut s’attacher après avoir tout quitté, à des riens, à des bagatelles. St Jean de la Croix dit avoir connu des personnes très saintes qui s’étaient attachées à des chapelets faits d’os de poissons. Cela est ainsi. On s’attache à un chapelet, à une image, que sais-je, à moins que cela, souvent on s’attache à un coeur. Il faut renoncer à tout cela, tout quitter pour être pauvre, user des choses avec ce respect qu’inspire la pensée qu’elles appartiennent à Dieu, seul possesseur de toutes choses. Domini est terra et plenitudo ejus.

Mais supposons que nous soyons détachées de tout, sans posséder la moindre chose; il y a une autre sorte de pauvreté. Une religieuse ne doit pas posséder son temps, le travail seconde obligation du voeu de pauvreté. Est-ce à un travail assidu, à un travail pénible, à un vrai travail de pauvre que j’emploie mon temps? Sans consulter mes goûts, mon attrait. Suis-je pauvre et puis-je dire avec David: Pauper sum et in laboribus a juventute mea, premier examen qui doit nous faire descendre en nous-mêmes.

Je passerai rapidement sur le voeu de chasteté; vous aimez, je le sais, la sainte vertu des anges et vous êtes jalouses de la conserver comme la plus belle parure de vos âmes; toutefois voyez encore si parfois votre imagination ne s’égare pas en des rêves, en des pensées vaines et trop mondaines, si dans la nécessité de l’enseignement vos lectures sont toujours choisies et réglées par la plus sévère réserve; si enfin dans les soins de votre corps, tout est conforme à la mesure de pénitence que comporte l’esprit de votre Congrégation, qui sans être spécialement consacrée à la pénitence vous fournit cependant les moyens de mortifier la chair et de réduire le corps en servitude.

Passons au voeu d’obéissance, je l’envisage seulement en général. Comment est-ce que j’obéis, dans quelles dispositions suis-je par rapport à l’obéissance religieuse? Prenons-y garde, depuis l’obéissance forcée et servile des forçats au bagne, jusqu’à la sublime et adorable obéissance de N.S. fait homme et mourant sur la croix pour accomplir la volonté de son père, il est des degrés infinis. Quel est le degré de la nôtre? Il y a, sans parler de l’obéissance forcée qui n’est pas la vôtre, il y a l’obéissance triste, l’obéissance fatigante, encore plus pour les supérieures que pour vous, l’obéissance traîneuse, l’obéissance résistante, l’obéissance jugeante, l’obéissance raisonneuse. J’obéis, mais souvent on eût bien mieux fait de me commander autrement. J’obéis, oh! oui, je suis soumise à la volonté de ma supérieure, mais elle me fait perdre le bien de la communauté en me commandant cela, mais si l’on m’avait consultée je n’agirais pas de telle façon. Enfin, une autre sorte d’obéissance est celle de ce religieux qui croyait obéir en faisant une chose qu’il était parvenu à force de travail à persuader à son supérieur de lui commander. Obéissances fausses et qui ne sont point l’obéissance religieuse. Je veux que vous obéissiez joyeusement, rondement et simplement. Cette obéissance-là, où est-elle? Car je ne parle pas seulement de celle qui est comme naturelle aux personnes d’un caractère aimable et porté à prévenir les désirs de leur supérieure. L’obéissance doit être surnaturelle, obéir pour l’amour de Dieu à qui vous êtes consacrées par vos voeux, voilà un sérieux examen à faire.

Rentrez en vous-mêmes et voyez le fond de votre âme; ils sont beaux les liens qui vous attachent au Seigneur, c’est là votre héritage et il est précieux: Funes ceciderunt mihi in praeclaris. Etenim haereditas mea praeclara est mihi. Mais comment les portez-vous ces liens, quelle estime faites-vous de votre héritage? Comment saurai-je si je les accomplis comme J.C. le veut de moi, si ces noeuds qui m’unissent à lui sont véritablement pour mon âme les liens qui lui donnent le droit d’appeler J.C. son époux et de prendre à son égard le titre d’épouse; si dans l’observance de vos voeux vous portez une âme triste, accablée sous le poids des obligations qu’elle ne remplit que par contrainte. Malheur à vous si vous les considérez comme de lourdes chaînes que vous portez avec une humeur chagrine et tout au plus résignée; encore une fois malheur à vous, vous êtes une religieuse tiède, et si vous dites la parole du prophète: haereditas mea praeclara est mihi, vous la dites du bout des lèvres et votre coeur ne répond pas. Mais si vous considérez la pratique des voeux religieux comme le grand bonheur de votre vie, si vous vous y portez avec cette volonté ferme et constante qui va toujours à un effet réel, si vous en recevez les obligations avec joie et amour, tant mieux. Ils pourront, il est vrai, vous coûter; quelquefois, quelquefois même peser lourdement sur votre âme; qu’importe si malgré cela il reste au fond de vous-même cette énergie qui vous fera vous attacher à ces chaînes si lourdes qu’elles vous paraissent, comme à votre héritage à vous, qui vous fasse dire à J.C.: Oui, Seigneur, je les veux, elles sont à moi, et si ce poids n’était pas sur mon coeur, si j’étais libre même, oui Seigneur, je l’y mettrais de grand coeur. Qu’importe que Satan cherche à vous rendre amer le joug de J.C. si vous répondez à ses tentations en les combattant, en les repoussant avec énergie et persévérance, tant mieux encore une fois, vous aurez vaincu Satan, et J.C. vous aidera à serrer davantage les noeuds qu’il voulait rompre.

Une question reste encore. Comment conserver cette ferveur dans les voeux qui doit être le gage de notre fidélité? D’abord en les renouvelant souvent avec ferveur, chaque fois au moins que vous communiez; secondement en les pratiquant. N’en restez pas en ce qui regarde la pauvreté, la chasteté et l’obéissance sur de simples théories. Désirez, recherchez les occasions de pratiquer vos voeux, trouvez-les avec joie et empressement. Voyez ce qui vous en coûte pour être pauvre, est-ce la privation de telle ou telle chose, l’emploi de telle autre qui vous répugne? Est-ce le travail, portez-vous-y avec ardeur. Dans les mortifications ordinaires et permises, recherchez-les, n’en omettez, n’en négligez aucune. Rendez-vous maîtresse de votre volonté pour la broyer ou l’assouplir sous la loi de l’obéissance. Demandez, apprenez en direction quelle est la marche à suivre pour vous, si elle a besoin seulement d’être assouplie, ou si c’est un broiement complet qu’elle exige, et avancez avec énergie, avec la force que donne plus que toute autre chose la répétition fréquente d’actes contraires à la nature. Alors vous demeurerez ferventes dans l’accomplissement de vos engagements sacrés, et vous avancerez jusqu’au tabernacle de Dieu qui réjouit votre jeunesse, qui la renouvelle sans cesse comme celle de l’aigle. Et après avoir marché avec courage dans cette route sainte de la vie religieuse, après avoir accompli avec joie et amour les devoirs de votre position, vous arriverez en présence de votre Sauveur et de votre Epoux J.C. pour en recevoir cette récompense qu’il accorde à ceux qui ont défriché leur part du champ du père de famille, vous frapperez et il vous recevra comme ses épouses fidèles dont les lampes sont toujours allumées et qu’il introduit dans la salle des noces éternelles, pour les rassasier à jamais de son amour et de son bonheur. Ainsi soit-il.

Notes et post-scriptum
1. Le ms ne comporte aucun paragraphe.