Aux Religieuses de l’Assomption

25 AUG 1859 Sedan RA
Informations générales
  • Aux Religieuses de l'Assomption
  • Retraite aux Religieuses de l'Assomption de Sedan
    Sur la Croix de Jésus-Christ
  • CD 26 (ms de Sr Marie du Saint-Sacrement de Gouy).
Informations détaillées
  • 1 AMOUR-PROPRE
    1 CROIX DE JESUS-CHRIST
    1 EFFORT
    1 EPOUSES DU CHRIST
    1 FIDELITE A L'ESPRIT DE LA REGLE
    1 HUMILITE DE JESUS-CHRIST
    1 HUMILITE FONDEMENT DE VIE SPIRITUELLE
    1 MORTIFICATION CORPORELLE
    1 ORGUEIL
    1 PASSION DE JESUS-CHRIST
    1 PENITENCES
    1 PROGRES DANS LA VIE SPIRITUELLE
    1 PRUDENCE
    1 SACRIFICE DE JESUS CHRIST
    1 SACRIFICE DE LA MESSE
    1 SILENCE DE JESUS-CHRIST
    1 SOUFFRANCE ACCEPTEE
    1 SOUFFRANCES DE JESUS-CHRIST
    1 VIE DE PRIERE
    2 BERNARD DE CLAIRVAUX, SAINT
    2 JACQUES, SAINT
    2 JEAN, SAINT
    2 MARGUERITE DE CORTONE, SAINTE
    2 PAUL, SAINT
  • Religieuses de l'Assomption
  • RA
  • 25 août 1859
  • 25 AUG 1859
  • Sedan
La lettre

Christus passus est pro vobis relinquens vobis exemplum, ut sequamini vestigia ejus. Il est impossible de parler de J.C. notre Sauveur sans parler aussi de ce qui précisément lui a acquis ce titre de Sauveur, je veux dire de ses souffrances et de sa croix. La Croix et J.C. sont deux choses presque identiques, l’un ne peut aller sans l’autre, et cependant séparons-les un instant pour étudier à fond tout ce que contient la croix instrument de notre salut, et tout ce que nous enseigne et la victime immolée sur l’autel et l’autel même du sacrifice.

Voilà pourquoi St Paul et St Jacques disent: C’est par la patience que toute oeuvre atteint sa perfection. Par le mot patience, j’entends ici tout ce qui peut faire souffrir la nature, et c’est à l’école de la croix que nous irons apprendre à le supporter. Quels sont les enseignements de la croix de J.C.? Elle nous enseigne 3 choses: 1° J.C. sur la croix a souffert des peines corporelles; 2° Il a voulu souffrir les humiliations; 3° Il a voulu souffrir les plus grandes peines morales.

Et d’abord, J.C. a souffert les peines corporelles; certes nul homme n’a souffert comme lui et autant que lui, et c’est pour cela que je dirai que les souffrances du corps sont bonnes et très bonnes, et à quel point de vue, précisément c’est parce qu’elles contrarient et domptent les vues de la nature; en cela elles sont bonnes quand cependant elles sont réglées par la prudence. Je pourrai partager en 3 sortes les différentes mortifications corporelles.

1° Les mortifications volontaires, celles-là les approuverai-je? Oui certainement, elles sont meilleures pour certaines âmes que pour d’autres, mais pour toutes elles sont bonnes, réglées toutefois par la prudence comme je vous le disais plus haut; elles sont bonnes en cela surtout qu’elles servent à nous rendre maîtres de nous-mêmes, à nous donner plus de force et d’énergie dans notre volonté. Mais dans ces motifs il y a une distinction à faire, et celles qui seront les meilleures pour nous seront non pas celles qui nous plaisent et nous attirent, car il y a des personnes pour qui certaines austérités ont un véritable charme. On me parlait dernièrement d’une jeune fille qui s’était tellement maltraitée qu’on la trouva évanouie et baignée dans son sang. Est-ce la prudence qui l’avait poussée à cela, ce pouvait être, je n’en sais rien; mais ce que je sais, c’est que dans les mortifications corporelles, il en est quelques-unes pour lesquelles nous sentons plus de répugnances, c’est celles-là précisément qui nous feront du bien.

2° Il y a les mortifications de la règle. La règle fait souffrir quelquefois la nature, soit en me levant de meilleure heure quand ma santé n’exige pas que l’on me fasse dormir plus longtemps, soit en souffrant le froid, la chaleur, soit en prenant des aliments qui me plaisent moins, et il y a presque toujours à souffrir une foule de petites choses dont la répétition fréquente devient une véritable mortification. Celles-là sont excellentes parce qu’il ne s’y trouve rien de notre choix, et puis parce que étant la règle elles passeront inaperçues; par amour pour la croix de J.C. il faut donc embrasser les mortifications de règle.

3e espèce de mortification, celles qui ne dépendent en rien de notre volonté, comme les maux de tête, mortifications que j’appellerai providentielles et qui sont précieuses puisqu’elles proviennent de la pure volonté de Dieu. Celles-là je les aimerai aussi comme le don [de] Dieu, et puisqu’il le veut, il faut aimer avoir mal à la tête. Ces trois sortes de mortifications, volontaires, de règle et providentielles, c’est le premier point par lequel je reçois les enseignements de la croix: J.C. a souffert pour moi, me laissant l’exemple afin que je suive ses traces. Il faut souffrir avec lui et pour lui, suis-je résolue à le faire?

2° enseignement de la Croix de J.C.: les humiliations qu’il a subies. Dites-moi, mes chères Soeurs, J.C. avait bien, n’est-ce pas, le sentiment de sa dignité, et cependant il a voulu recevoir les injures, les soufflets, les outrages, les mépris, les humiliations de tous genres. Il a accepté l’abandon de ses disciples, les blasphèmes des Juifs, la lâcheté du juge qui le condamnait à mort, l’ironie d’Hérode qui le revêtait de la robe d’ennemi, il a tout accepté par amour. Si l’on prenait l’une de vous et qu’on la conduisît couverte d’un lambeau de drap bleu, vert ou rouge sur la place publique, et que là elle dût recevoir les outrages des passants, les soufflets, les mépris, qu’on l’accablât d’injures lui disant qu’elle est une coureuse, une voleuse, comment le supporteriez-vous, que diriez-vous? J.C. cependant a supporté plus encore, on l’a appelé un séducteur, un imposteur, il a tout supporté en silence. Une fois seulement, encore pour nous donner l’exemple, il a essayé de se justifier. Après avoir reçu un soufflet, il dit doucement: Si j’ai mal parlé montrez-le, si j’ai bien parlé pourquoi me frappez-vous? Alors des cris s’élèvent contre lui, il est coupable de blasphèmes, il mérite la mort, et Jésus voyant que ses paroles ne font qu’aggraver le crime de ses ennemis se tait: Jesus autem tacebat. Et ce silence est si merveilleux que les Evangélistes ne rapportent plus une seule parole de Jésus pour sa justification dans tout le cours de ses souffrances. On l’accable d’opprobres, d’insultes, jusque sur la Croix. Eh! bien, toi qui pouvais détruire le temple de Dieu et le rebâtir en 3 jours, si tu le peux descends de la croix. Ses seules paroles que rapportent les historiens sont ses paroles de paix et d’amour: Mon père, pourquoi m’avez-vous abandonné? Il remet sa sainte Mère à St Jean, il dit: J’ai soif, mais jusqu’à sa mort, pas un mot de plainte ou de reproche: Mon Père, pardonnez-leur, ils ne savent ce qu’ils font.

Ici 3 solutions se présentent pour moi en présence des humiliations de la croix de J.C. Accepterai-je les humiliations, non, j’y suis décidée, c’est trop pénible, je ne le puis; première réponse claire et décisive, ce ne sera pas la vôtre. 2e question: quelle humiliation rejetterai-je? Ah! voici mon affaire, il y a des humiliations que j’accepterai, d’autres, non; celles-ci je les accepterai parce qu’elles me conviennent, il y a quelque petit côté qui flatte mon amour propre, mais ces autres je ne m’y résignerai jamais, je ne puis supporter que ma soeur une telle me juge de telle façon, que notre Mère vienne me faire des reproches que je ne mérite pas. J’irai jusque-là, mais plus loin ne me le demandez pas, c’est impossible; voilà la seconde réponse. Enfin, 3e question, est-ce que je veux ou non adopter les sentiments que m’enseigne la Croix de J.C. Est-ce que je veux être réellement son épouse crucifiée comme lui et avec lui, et mettant de côté mon orgueil, mon amour propre, cette estime démesurée de moi-même qui fait que je recule devant tout ce qui m’abaisse et m’humilie, veux-je embrasser généreusement la voie des humiliations et m’y livrer, m’y abandonner entièrement. C’est là ce que J.C. attend de vous; car enfin, mes soeurs, quel genre d’humiliations a-t-il refusé pour l’amour de nous. Depuis les soufflets du prétoire jusqu’à la nudité de la croix, que n’a-t-il pas supporté, que n’a-t-il pas embrassé. Et vous ses épouses, vous auriez encore des ménagements à prendre, vous ne vous livreriez pas entièrement aux humiliations et à l’humilité. St Bernard a dit: il ne peut y avoir d’humilité sans humiliations, rien de plus vrai; il s’agit donc pour vous de vous humilier véritablement, de vous abaisser, je ne parle pas tant de ces humiliations externes que vous ferez au réfectoire ou ailleurs et où l’amour propre trouve quelquefois son compte. Il faut travailler à devenir humble, et réellement, franchement, profondément humble, basse et abaissée aux yeux de tout le monde, à commencer par les vôtres; voilà ce que demande de vous la Croix de J.C.

Voyez-vous, mes chères Soeurs, laissez-moi vous le dire ici entre nous et avouer cette vérité qui est la plus évidente possible. Tous nous sommes de francs orgueilleux ou de franches orgueilleuses, rien n’est si vivant au-dedans de nous que ce sentiment-là, l’orgueil, l’amour propre, l’amour de nous-mêmes, c’est là le fond intime de notre être. Il est vrai, il est des natures plus paisibles, plus simples, mais tous nous avons ce germe, nous ne serions pas enfants d’Eve, s’il en était autrement. Or, mes chères Soeurs, à qui ressemblons-nous par ce sentiment-là, à Satan qui est le père de l’orgueil, ou à J.C. qui est le roi des humbles. Chaque fois que nous nous livrons à cet orgueil, à cet amour propre secret, que nous nous livrons à nos mauvais penchants, à qui croyez-vous que nous ressemblons, à qui croyez-vous que nous donnons gain de cause sur notre âme, à qui croyez-vous que nous livrons l’empire de notre coeur? Ce sont là de rudes et terribles conséquences. Chacune de vous peut les déduire elle-même en considérant une chose, la croix de J.C.Oh! c’est qu’il est si vivant, si sensible au-dedans de nous cet orgueil… Combien de personnes, pieuses du reste en apparence, fortes et énergiques contre elles, si l’on touche du bout du doigt, avec une fine pointe d’aiguille, à l’épiderme si délicat de leur amour propre, perdent à l’instant tout courage pour le bien et tombent dans un état d’irritation. Oh! mes soeurs, il est temps d’abjurer ces sentiments indignes des épouses de J.C. Vous devez souffrir, accepter, rechercher les humiliations comme moyens précieux d’expiation pour les offenses par lesquelles vous avez blessé son coeur, mais bien souvent N.S. vous demande autre chose encore, et vous attachant à sa croix il vous dira d’oublier vos propres péchés, qu’il vous les a pardonnés et qu’il veut qu’unissant vos souffrances aux siennes, votre sacrifice au sien, vous les offriez à son Père pour le salut du monde, pour l’expiation des péchés de tant d’âmes qui offensent sa divine Majesté et lui ravissent la gloire qui lui est due. Oh! si vous aviez compris ce que c’est que la gloire de Dieu et ce qu’elle mérite de réparation quand elle a été en quelque sorte ternie par nos offenses, vous comprendriez ainsi qu’il n’y a pas d’abaissement, d’humiliation, d’anéantissement par lesquels vous ne devez à rendre au Seigneur l’honneur que vous et tant d’autres pécheurs lui ont dérobé. Voilà les deux premiers enseignements de la croix de J.C.

Il y en a un 3e. Il n’a pas seulement voulu souffrir dans son corps, je dirai même que les souffrances physiques de notre divin Sauveur ne sont pas ce qu’il y a de plus terrible à considérer dans sa passion. L’âme est saisie d’une bien autre terreur quand elle considère les peines morales, les délaissements, les angoisses, les désespoirs, les abandons de son âme très sainte, depuis l’agonie où elle était triste jusqu’à la mort jusqu’au Calvaire où sous l’oppression de la douleur elle laisse échapper ce cri: Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’avez-vous abandonné? J.C. a souffert tout cela librement, volontairement, il a voulu éprouver ces répugnances pour nous montrer le chemin et nous y soutenir. Vous ne parviendrez jamais à faire des progrès dans l’oraison qu’en passant par la voie des abandons et des souffrances. A part quelques exceptions bien rares parmi les saints, comme Marguerite de Cortone, qui n’ont jamais que des merveilleuses douceurs dans l’oraison, tous les saints ont passé par la voie rude et étroite des tribulations; et quand vous souffrez ces peines et ces angoisses dans l’oraison, ne vous arrêtez pas pour cela, c’est la route par laquelle J.C. lui-même a voulu passer. Pourquoi a-t-il voulu que son image fût toujours présente à nos yeux sous cette forme du crucifix qui nous rappelle sans cesse les souffrances de sa passion?

C’est pourquoi, quand vous priez, ma fille, au pied de ce crucifix, et que vous vous demandez pourquoi dans l’oraison vous êtes triste, vous êtes indifférente, la réponse est toute trouvée. J.C. vous l’adresse au fond de votre coeur, il vous a dit: Je vous ai donné l’exemple. Il faut donc marcher à travers les sécheresses, les dégoûts, les ennuis, les tribulations de tous genres, avancer toujours dans les ténèbres, dans les désolations, avec foi à la parole de J.C. Que vous demande-t-il chaque fois que vous le recevez dans vos coeurs à la Ste communion, sinon que fidèle à votre titre d’Epouse du Sauveur crucifié, vous lui demeuriez attachée dans les plus désolantes angoisses de votre âme. Voilà les trois divins enseignements de la croix de J.C. Chaque fois que vous entendez cette doctrine céleste qui vous convie à la mortification, à l’humilité, au délaissement de l’âme, que ferez-vous? Vous n’avez pas autre chose à faire si vous voulez parvenir à la perfection de votre saint état; si vous voulez faire de rapides progrès, attachez-vous à la croix de J.C. de toutes les forces de votre âme, de toutes les puissances de votre être, pour y vivre de la vie de votre époux crucifié, pour en goûter, en savourer les fruits amers il est vrai aux yeux de la nature, mais bons et excellents à l’âme. Vous l’aimerez, cette croix de J.C., comme la source unique et adorable du salut du monde et du vôtre en particulier; vous y trouverez la force nécessaire pour rejeter au loin vos pensées naturelles, vos sentiments, vos dispositions si contraires à ces préceptes, pour ne vous souvenir que d’une chose, la croix et toujours la croix de J.C.

Il faut bien vous persuader que vous ne serez heureuses que lorsque vous embrasserez avec énergie les mortifications volontaires permises par votre Supérieure et votre règle, que lorsque vous ne laisserez de côté aucune des mortifications qui s’offriront à vous dans tout le détail de votre vie, les acceptant comme un choix de son amour, les recherchant, les désirant, les embrassant de grand coeur, pour suivre courageusement J.C. Souvenez-vous que la Croix est comme le céleste pont jeté sur l’abîme qui sépare la terre du ciel, le pécheur de J.C. son Dieu et sa seule vie, et que pour trouver J.C., pour s’unir à J.C., pour vivre de J.C., il faut embrasser la Croix, s’y attacher et s’y crucifier avec lui.

Puisse N.S.J.C. vous faire comprendre et goûter ces vérités que je livre à vos méditations, puisse-t-il vous donner, avec la force d’embrasser les résolutions qu’elles vous inspireront, la charité et l’amour qui vous y garderont fidèles jusqu’à la fin. Ainsi soit-il.

Notes et post-scriptum
1. Le ms ne comporte aucun paragraphe.