Aux Religieuses de l’Assomption

18 AUG 1860 Auteuil RA
Informations générales
  • Aux Religieuses de l'Assomption
  • Retraite prêchée par le P. d'Alzon aux Religieuses de l'Assomption d'Auteuil du 17 au 23 août 1860
    Second jour - Première instruction - Lutte avec le monde, le diable, les enfants, les soeurs, les supérieurs
  • DA 8 (notes de Sr M.-Antoinette d'Altenheim), pp. 25-38.
Informations détaillées
  • 1 AMOUR FRATERNEL
    1 BONTE
    1 COLERE
    1 ESPRIT CHRETIEN DE L'ENSEIGNEMENT
    1 FIDELITE A L'ESPRIT DE LA REGLE
    1 FORMATION DES JEUNES AUX VERTUS
    1 LUTTE CONTRE LE MONDE
    1 LUTTE CONTRE SATAN
    1 ORGUEIL DE LA VIE
    1 PARLOIR
    1 REFORME DU COEUR
    1 SUPERIEUR
    2 DEBUSSI, MAXIME
    2 JACQUES, SAINT
    2 JEREMIE
    2 JEROME, SAINT
    2 LOUIS XIV
    2 PIERRE, SAINT
    2 SEVIGNE, MADAME DE
    3 JERUSALEM
  • Religieuses de l'Assomption
  • RA
  • 18 août 1860
  • 18 AUG 1860
  • Auteuil
La lettre

Militia est vita hominis super terram.

Je vais vous indiquer les différents ennemis que vous avez à combattre, la matière est abondante, et je vous indiquerai quelques-unes des armes que vous devez employer.

1° Le 1er ennemi qui se présente est le monde. Mais, me direz-vous, je ne suis pas de ce monde. J’en conviens, puisque vous n’avez plus même votre nom du monde; mais, permettez, 1° vous n’êtes pas tellement sepolte vive comme un ordre qui existe en Italie, tellement cloîtrées que vous n’ayez quelques relations avec le monde. Quand ce ne seraient que les parloirs; et il faut bien qu’ils soient quelquefois dangereux puisque je sais quelques religieuses qui ont quitté leur couvent par cette influence. Mais, mon père, il n’y vient que d’honnêtes gens. Je le veux bien. Je suppose que votre révérende mère et Mme la maîtresse des novices veillent à ce qu’il n’y ait que d’honnêtes gens qui viennent vous visiter; mais les gens les plus honorables ont des idées du monde. Je me souviens d’avoir quitté un salon où j’avais entendu tant d’absurdités sorties de bouches censées chrétiennes, que les bras m’en tombaient. Et vous serez à l’abri de cela? Vous n’aurez pas même un peu le désir de plaire? Vous n’éprouverez pas un sentiment de vanité lorsque vous aurez été aimable? Je vais vous faire ma confession: à 18 ans, une fois en sortant d’un salon, j’entendis dire de moi: quel charmant jeune homme! Je fus très content. D’une religieuse, on dira qu’elle a bon ton, qu’elle est modeste, bonne tenue, etc. Vous n’auriez pas plaisir à retourner au parloir? Nos ennemis prennent dans ce cas des armes de velours et voilà les idées humaines, le désir de plaire qui s’emparent de vous. Sans aller même au parloir, si nous rentrons au-dedans de nous-mêmes, nous verrons que nous n’avons pas tellement laissé les souvenirs du monde à la porte qu’ils ne nos inquiètent quelquefois. St Jérôme, dans les déserts de Syrie, se frappait la poitrine avec une pierre et jusqu’au sang, pour oublier le monde et chasser les images qui se présentaient à lui. Quelques-unes me diront: Je n’ai jamais été dans le monde. Mais le monde est dans vous. Vous avez ce désir de chercher la satisfaction au dehors: Omnes quae sua sunt quaerunt, non quae sunt Jesu Christi (Philip. II, 21).

2° Nous avons à lutter avec le diable, car il faut l’appeler par son nom, avec l’esprit de ténèbres; il agit sur nous et au-dedans de nous. Nous n’avons pas seulement à lutter contre la chair et le sang: Non est nobis colluctatio adversus carnem et sanguinem, sed adversus principes et potestates, adversus mundi rectores tenebrarum harum, contra spiritualia nequitiae in coelestibus (Eph. 6, 12). Si la religieuse n’a pas à supporter les attaques du démon, je la plains. Vous savez ce qui est rapporté dans les Pères du désert, de ces 2 diables dont l’un était à la porte de la ville et l’autre dans un couvent. Le premier était tranquillement assis et n’avait rien à faire du matin au soir parce que personne ne lui résistait, il n’avait qu’à se présenter pour être reçu dans les coeurs; tandis que l’office de celui qui était dans le couvent était bien autrement laborieux, tant la résistance était grande. Il n’est pas nécessaire que vous fassiez de gros péchés pour contenter le diable; pourvu qu’il vous domine, c’est tout ce qu’il veut. Il fait d’abord commettre de petits péchés à une religieuse, lui ôte l’énergie et le courage pour la lutte, puis un peu avant sa mort, il fait son coup et cette âme est à lui. Le démon est fin, très fin, il ne se sert pas des mêmes moyens pour tous, les luttes sont différentes pourvu que son but soit atteint. St Jacques dit: Quicumque offendat autem in uno, factus est omnium reus (Jacques II, 10). Celui qui n’a fait qu’un péché est coupable de tous. Vous êtes dans la routine des petites fautes, puis vous faites une grosse faute qui vous domine. Ne dites pas: ma supérieure est trop rigide, etc… toutes les fautes sont graves aux yeux de Dieu. Je tremble plus d’une série de petites fautes pour une religieuse, que d’une grosse. Ces petites fautes font beaucoup mieux l’affaire du diable. Etant dans la voie de perfection, vous avez à lutter; si vous saviez l’état où j’ai vu certaines religieuses par rapport à l’entêtement. Il y en avait une dans une Providence, qui était chargée de la lingerie: elle avait des moyens, de l’esprit; mais dire le plaisir qu’elle trouvait à faire impatienter sa supérieure. Elle voulait montrer qu’elle savait s’en tirer. Elle est maintenant hors de son couvent. Elle avait eu certains moments de grande ferveur. Elle a été dans une crise; si elle avait tourné à droite au lieu de tourner à gauche, elle eût pu être une grande sainte… ce ne sont que de petites choses. Notre Mère veut que je prenne les enfants de telle façon; moi, de telle autre… qui à la lingerie, qui à la classe, à l’infirmerie, etc. De très petites choses vous entraîneront. Il y a des choses qu’il ne faut pas nommer dans l’assemblée des saints; certains détails font plus de mal que de bien. Il faut regretter ses péchés, en recevoir l’absolution, et puis que le bon Dieu n’ait plus rien à dire là-dessus, c’est là tout. Vous êtes des religieuses consacrées aux enfants, nous laisserons la lutte avec les parents, j’y reviendrai peut-être plus tard.

3° Vous avez à lutter contre les enfants, lutte terrible dans l’effort que vous avez à faire pour former leurs âmes, lutte dans laquelle vous serez quelquefois vaincues. Notre Seigneur n’avait qu’une classe de 12 disciples, et quels disciples il avait à former! Ne leur a-t-il pas dit (St Marc 9, 19): Quamdiu vos patiar? et autres paroles semblables, leur ingratitude, etc… Ne devons-nous pas bénir N.S. qui a bien voulu prendre toutes les formes pour nous servir de modèle… de quoi pouvait-on être plus fier que d’être disciple de N.S.! et voyez comment tous l’abandonnent au moment du danger, ils s’enfuient, se cachent, sans compter celui qui le trahit et celui qui le renia!… et vous aurez la simplicité de travailler pour les élèves? de vous attacher à elles, pour elles?… vous êtes bien bonnes… Je sais bien que N.S. a pris la part la plus rude, qu’il voulait montrer le triomphe de la grâce dans ses apôtres qui donnèrent tous leur vie pour lui après qu’ils eurent reçu le St Esprit, et que l’on a aussi bien des consolations dans l’oeuvre de l’éducation des enfants… mais alors, supposons que vos écolières sont toutes charmantes, vous avez à lutter contre l’affection réciproque. Vous avez reçu votre récompense sur la terre, et vous en espérez une au ciel? Erreur. Défiez-vous de la récompense que vous recevez par leur attachement. Soyez ravies de voir qu’elles ont bon coeur, qu’elles sont capables de reconnaissance, tant que vous voudrez, mais n’ayez pas là une recherche.

Je ne veux pas vous empêcher d’aimer les enfants, mais je veux que vous conserviez la liberté de votre coeur, que vous luttiez avec votre affection; l’affection est une excellente chose, mais elle n’est pas sans dangers: que de maîtresses ont fait un mal affreux aux enfants parce qu’elles les aimaient trop… c’est une règle générale, les conséquences sont monstrueuses. Dieu vous en préserve… Défiez-vous de l’affection pour vos enfants en particulier; dès qu’on s’en apercevra, malheur à vous!!… malheur à vous si vous avez des antipathies! Cette propriété des enfants est contraire non à l’essence, mais à l’esprit du voeu de pauvreté. Ne dites pas: cette enfant est à moi, j’ai seule le droit de m’en occuper. Divitiae si affluant nolite cor apponere (Ps.). Les uns cultivent de la luzerne, les autres l’avoine, vous les enfants: on ne me l’enlèvera pas… Vous n’êtes pas propriétaire du coeur de cette enfant; et plus elle aura accepté cette propriété, plus elle et vous serez coupables… quels ne sont pas les funestes effets de ces affections, quels ravages dans les âmes… Domini est terra et plenitudo ejus. Vous êtes les fermières de J.C., vous céderez votre emploi quand une autre vous remplacera; vous n’aimerez pas le champ pour le champ, mais pour le maître du champ. Nous pourrions examiner la question des études, découragements, etc. Vous traiterez les enfants avec dureté, avec mollesse, suivant votre caractère… ne pourraient-elles pas souvent vous dire: Medice, cura teipsum. Passons à une autre lutte: je vous entends chanter avec bonheur ces paroles du psaume: Ecce quam bonum et quam jucundum habitare fratres in unum, et quam jucundum habitare fratres in unum, lorsque vous recevez une nouvelle soeur parmi vous… et cependant je viens vous parler de la lutte avec les soeurs. A Port Royal, quand Louis XIV envoyait un prêtre, les soeurs criaient si haut et si longtemps qu’il leur fallait ensuite de la réglisse… Ici, ce n’est pas tout à fait la même chose; n’y aurait-il pas des luttes intestines. En quoi consistent-elles? Je ne parle pas des antipathies. Il existe une trop parfaite union dans cette communauté, la charité est le caractère distinctif de l’Assomption, je vous le dis en toute sincérité. Mais chaque soeur a ses principes, ses théories: ma mère, c’est ainsi que les choses doivent se passer. Notre Mère est bouchée; elle ne comprend rien de ce que vous lui dites. Mais si vous vouliez, ma fille, permettre telle observation. Ma Soeur une telle conduit les enfants ainsi, et cela serait mieux autrement. Ma fille, laissez-moi le soin de ces choses. Et cependant, on se charge de la réforme, chaque soeur a son avis. Je tiens pour principe qu’une action médiocre et une, vaut mieux que deux bonnes et opposées l’une à l’autre.

Maintenant, mes filles, lisez ce passage de l’Evangile où J.C. après sa transfiguration dit à ses disciples: Voici que le fils de l’homme ira à Jérusalem, etc. St Pierre lui dit: Absit a te, Domine, non erit tibi hoc; et N.S. reprend: Vade post me, Satana, scandalum es mihi… (Matth. 16, 2). Une fille va trouver sa Supérieure: ma mère, ma soeur une telle ne se ménage pas assez, etc… je ne veux pas dire que les supérieures ne doivent pas être prudentes et prendre soin de la santé des religieuses, mais je dis qu’il y a une occasion de scandale dans tous ces ménagements que l’on persuade; je n’entends pas le mot de scandale dans le sens que l’entendent les gens du monde, mais dans le sens que N.S. l’entendait, s’adressant à St Pierre. Il y a à lutter contre ceux qui donnent ces scandales; et soi-même, à ne pas les donner. Vous n’avez jamais accepté le scandale? celui qui se présente sous la forme de la charité? N.S. n’a jamais parlé plus rudement à St Pierre que quand celui-ci l’engage à se ménager. Réfléchissez là-dessus, c’est effrayant. Et ces petites antipathies, susceptibilités, ces dragons de l’imagination comme les appelle Mme de Sévigné. On se monte à propos de rien, soit que l’on ait à faire à des têtes embrouillées, soit que l’on ait soi-même la tête embrouillée. Il n’y a qu’à souffler dessus, mais cela n’est pas sans avoir fait quelque mal. Support des caractères. Vous êtes ici réunies de plusieurs parties de la terre: natures différentes, intérêts différents… Puis l’on veut maintenir les intérêts religieux au nom de ses intérêts propres. Jamais une personne qui est blessée ne dira qu’elle est blessée pour elle, mais au nom de la règle. Comment distinguer cette nuance? Les Trappistes ont des signes pour se dire des sottises. Au nom de la règle. On a de bonnes intentions. Je connais une Trappe où il s’était formé une cabale contre le supérieur. Il faut dire que le supérieur n’était pas capable de conduire son couvent, mais enfin… vous, il ne vous arrivera jamais chose semblable. Cependant, au nom du bien public, on fait des observations, et on donne des entorses à la charité. Tirez-vous de tout cela par l’obéissance, seul et meilleur remède.

Lutte avec vos supérieurs. Je commence par vous faire mes excuses; en général et en particulier, tout se passe ici très bien; je vais au-devant du mal. J’ai connu un très saint religieux de qui ses supérieurs disaient qu’il avait passé dans une autre maison (de son ordre) parce qu’il avait passé son temps à vouloir qu’on lui commandât ce qu’il voulait. Instinctivement, la lutte existe; peut-être ne vous en êtes-vous pas aperçues, mais si vous examinez, vous l’apercevrez. Dans le monde, c’est avec un mari. Si vous n’avez pas de mari, vous avez une supérieure, et vous êtes sous le coup de la faiblesse de votre sexe et de la divine faiblesse de l’obéissance… on prépare ses demandes, projets, 48 heures, un mois à l’avance. Tenez, si on propose une chose aux ponts et chaussées, on est sûr qu’elle sera repoussée, si on la prépare et qu’on arrive à leur faire croire qu’eux-mêmes l’ont trouvée, alors elle est acceptée. C’est une lutte à faire cesser. Et quand la supérieure ne veut pas: que de si, de car, de mais… Le Père de Bussy disait: il y a quelqu’un qui est bien à plaindre dans un diocèse, c’est l’évêque; et moi je vous dis que dans une communauté, c’est la supérieure. Au point de vue surnaturel, les supérieurs ont à rendre compte de leurs défauts et des vôtres… ne les aveuglez pas sur vos défauts: il y va de votre intérêt et du leur. Remarquez cette parole de l’Ecriture: Un jugement très dur pèse sur ceux qui commandent*. Judicium durissimum his qui praesunt fiet (Sap. 6). Ayez pitié de vos supérieurs. Il y a certainement un grand bonheur à former des âmes pour J.C.; mais s’ils avaient à rendre compte de la métamorphose de l’or le plus pur changé en un vil métal, (suivant la parole de Jérémie)…

Qu’il existe une sainte lutte entre eux et vous, pour que vous obteniez qu’ils vous maintiennent dans la règle, vous mortifient, vous fassent marcher dans la sainteté. Mais craignez la lutte qui consisterait à enlever chaque jour une pierre du sanctuaire de la règle dans lequel vous deviez être élevées et dont vous deviez former une des colonnes… Si cette lutte a existé jusqu’à présent, qui est-ce qui a triomphé? la supérieure ou vous?

Notes et post-scriptum