Aux Religieuses de l’Assomption

19 AUG 1860 Auteuil RA
Informations générales
  • Aux Religieuses de l'Assomption
  • Retraite prêchée par le P. d'Alzon aux Religieuses de l'Assomption d'Auteuil du 17 au 23 août 1860
    Troisième jour - Deuxième instruction - Sur l'égoïsme
  • DA 9 (notes de Sr M.-Antoinette d'Altenheim), pp. 63-71.
Informations détaillées
  • 1 ANTIPATHIES
    1 EGOISME
    1 ESPRIT ETROIT
    1 OUBLI DE SOI
    1 PARESSE
    1 SCANDALE
    2 ISAIE, PROPHETE
    2 PLANTIER, CLAUDE-HENRI
    2 RENE, ROI
    3 HOLLANDE
    3 PALERME
    3 RHONE, FLEUVE
  • Religieuses de l'Assomption
  • RA
  • 19 août 1860
  • 19 AUG 1860
  • Auteuil
La lettre

Je vais vous présenter quelques dangers qui seraient la conséquence funeste de ce que vous ne prendriez pas votre résolution de vous donner toute à Dieu. Jusques à quand boîterez-vous des deux côtés? Vous penchez du côté de Dieu et du côté du diable; il en résulte une maladie. Il y a un de ces inconvénients qu’une religieuse n’accepte pas toujours du premier coup qu’on le lui présente, un de ces vilains mots qu’on n’aime pas à entendre, que je n’aime pas à nommer: l’égoïsme. La quantité de dévotes égoïstes qu’il y a dans le monde me fait supposer qu’il y en a peut-être bien dans le cloître. On les a comparées au rat du fromage de Hollande; il est là bien retiré dans le fond de son fromage, il mange; puis il se montre un peu, demande quelques cancans, s’en repaît, rentre dans son fromage, mange encore… personne n’y voit rien à l’extérieur. On s’arrange pour que tout le monde nous mette à notre aise… Que j’aie mes heures de promenade, de parloir, que je puisse me faire remplacer, si je pouvais organiser les choses de façon à ce que je sois à tel emploi… je serais dans l’obéissance tout naturellement… etc. Je le crois bien! vous feriez ce que vous voudriez. Moi, je n’aimerais pas à être supérieure, il faut faire bâtir… il faut se donner à toutes… on a trop de charges… et puis on est là, les mains dans ses manches, les yeux baissés, avec l’air le plus contrit… on fait ce qu’on veut… on aime les autres soeurs en tant qu’elles sont agréables, utiles… leur considération me plaît… Est-ce là la charité? On se replie sur soi-même… le monde n’y verra rien…

Le manque de charité. Une dévote me posa ce calcul: Nous sommes tenues à la charité; j’ai une certaine somme de charité dans mon coeur, si je la rapporte à une seule personne, ne serait-ce pas la même chose? J’ai été consulté là-dessus… Elle, c’était pour l’appliquer à son confesseur… La personne dont je parle ici, c’est pour elle qu’elle garde sa somme de charité… de là, sévérité, malveillance dans les jugements… le monde est une bascule: plus j’abaisse celui qui est à l’extrémité, plus je m’élève moi-même, et vice-versa.

Je vous demande 1000 pardons, cela n’existe pas parmi vous, mais c’est un danger que je vous indique. Une personne qui a tant d’amour pour elle-même qu’elle rapporte tout à elle-même… voyez toutes ces réflexions qu’elle fait: pourquoi soeur une telle est-elle en tel emploi? pourquoi a-t-on tant de confiance en elle? à la récréation, pourquoi telle autre est-elle près de telle soeur? etc… mon jugement s’exerce… c’est dommage, Garo, que tu n’es point entré au conseil de celui que prêche ton curé… Voilà ce qui occupe l’esprit des dévotes, dans leur chambre… une religieuse dans sa cellule peut en dire autant en invoquant le ciel de l’air le plus langoureux.

L’étroitesse. Des filles d’esprit comme vous sont incapables de tomber dans ce travers; on vous accusait d’être trop savantes… cette réputation est un peu passée sous ce qu’il y avait d’exagéré. Il résulte des deux premiers inconvénients que je vous ai signalés un rétrécissement du coeur, de l’esprit: sentiments et idées, tout cela va dignement de pair et devient comme un glaçon qui se fond au soleil. Qu’en reste-t-il? Supposez qu’au lieu d’être des filles d’esprit vous deveniez un peu cette fille que je vous dépeins, que 7, 8, 10 personnes de la congrégation prennent ce train… la jolie société que cela formerait! on tourne autour d’un petit cercle…

Si vous le voulez bien, transportons-nous à Palerme. Mgr de Nîmes y a visité certains couvents; d’abord il y a 2 couvents, celui de la ville et celui de la campagne, mais cela n’est rien; on y va par des souterrains, pour faire le plus long chemin; on peut monter au 4ème étage des palais et voir toutes les processions… Il y a des grilles, c’est très bien; derrière la grille il y a des religieuses… elles n’ont pas grand chose à faire; encore une fois ce n’est pas ici… elles ont un confesseur; 3 ou 4 prennent un confesseur, et une soeur converse qui fait leur cuisine et celle du confesseur… puis il y a des révolutions dans ce pays et l’on s’étonne!… Les religieux ne sont pas meilleurs, mais ici, cela ne vous regarde pas, ainsi nous les laissons de côté… La religieuse déjeûne avec du chocolat, sorbet… puis on fait la sieste, dans ce pays-là il fait très chaud… après la sieste la religieuse va derrière la grille: comment allez-vous? – Comme ci. – Comment s’est faite la digestion? – Comme ça. On passe les confitures… puis le confesseur s’en va… Isaïe avait prévu cela: dans la vision d’Isaïe et des séraphins, après avoir vu les séraphins, il voit les femmes. En ce jour-là 7 femmes prendront un homme, disant: nous vous nourrirons, nous pourvoirons nous-mêmes à vos vêtements, que votre nom seulement soit invoqué sur nous (Is. IV, 1). L’étroitesse des idées amène là. Vous savez comment est faite une noix: il y a 2 côtés. On met d’un côté la dévote, de l’autre le confesseur, puis on referme le tout… Je ne sais si le confesseur se trouve bien dans cette coque, cela ne m’irait pas à moi. Où est le pur amour de N.S.J.C.? l’amour de l’épouse?

4° Enfin, impuissance du bien. Avec cette disposition, on s’affaiblit, les ressorts sont distendus, on est épuisé. Avez-vous remarqué, mes soeurs, que dans votre jardin beaucoup d’arbres sont morts cette année? Les racines pourries se communiquent les unes aux autres et engendrent des maladies qui s’étendent jusqu’à l’extrémité des feuilles. Bientôt tout se perd, on n’a plus de force pour se lever à l’heure, pour faire son oraison. Comment puis-je penser à Dieu, moi qui suis si occupée de moi? Comment aurait-on la paix pour se livrer à la contemplation de notre divin Sauveur quand on est préoccupé des petits griefs que l’on vous a faits? Vous avez un petit chien; si vous y faites attention, vous verrez qu’après avoir mangé vos sabots à mesure qu’il les rencontrera, il aura le besoin de manger sa queue; il tournera sur lui-même, il ne l’attrapera pas, mais c’est égal, il tourne toujours, et le temps se passe. On pourrait devenir une sainte, et on ne l’est pas. Et quand vous l’aurez attrapée votre queue, vous serez bien avancée? Tout ceci arriverait si vous étiez encore hésitantes, fluctuantes, si vous n’aviez pas fait le don entier de vous-mêmes à Dieu.

Conséquences. 1° Scandale pour les faibles. De jeunes soeurs voient une religieuse fervente et une faible; l’exemple de celle qui est faible est bien plus facile à suivre, et on le sent. On me montrait sur les bords du Rhône une maison ayant appartenu au roi René qui depuis 100 ans, est une maison publique. Il y avait des religieuses jadis et on m’a dit qu’elle n’avait pas changé de destination. Vous n’en viendrez pas là; mais la religieuse qui vous aura vue déjà un peu bas sur l’échelle, se tiendra un cran plus bas, ainsi de suite. Responsabilité qu’a une religieuse si elle ne se relève pas aussitôt!…

Sujet de rire pour les élèves. Les enfants ont des yeux très fins. Mes petits garçons jugent nos novices, ils ne se trompent pas: tel fera profession, tel autre restera 1 an, 2 ans, puis vous quittera… et vous me permettrez de croire que vos jeunes filles ont l’intelligence aussi développée que nos enfants. Observations, moqueries, rires, on se moque de vous, et vous faites perdre à toute la congréation le respect qui lui est dû, cela par vos fautes particulières. Ce sont de petites précautions… et les enfants discernent parfaitement la simplicité et la droiture et vous découvrent dans vos habiletés.

Sujet de douleur pour les bonnes religieuses. Et elles ont raison, elles ont le droit de s’affliger; vous êtes responsables de cette tristesse. Dieu vous en demandera compte. Qu’est-ce que vous en récoltez? si vous avez senti ces moments d’attiédissement, avez-vous été heureuses? Vous prenez la route contraire, et quand vous vous réveillerez, vous vous trouverez à 100 lieues de cette perfection à laquelle vous deviez tendre. Et alors, déception, chagrin…

Toute dévotion n’est donc pas dévouement. Sortez de cet état par le dévouement: vous trouverez à la fin le bonheur et la récompense des sacrifices que vous aurez faits, du don de vous-même, bien qu’il vous paraisse pénible d’abord.

Notes et post-scriptum