Aux Religieuses de l’Assomption

20 AUG 1860 Auteuil RA
Informations générales
  • Aux Religieuses de l'Assomption
  • Retraite prêchée par le P. d'Alzon aux Religieuses de l'Assomption d'Auteuil du 17 au 23 août 1860
    Quatrième jour - Première instruction - Sur la bonne volonté - Six obstacles: caprice, légèreté, indépendance, entêtement, esprit de domination, faiblesse de volonté
  • DA 9 (notes de Sr M.-Antoinette d'Altenheim), pp. 73-84.
Informations détaillées
  • 1 AMOUR-PROPRE
    1 AUGUSTIN
    1 CAPRICE
    1 COLERE
    1 DESOBEISSANCE
    1 EGOISME
    1 FIDELITE A LA GRACE
    1 LACHETE
    1 LEGERETE
    1 PURETE D'INTENTION
    1 VOLONTE PROPRE
    2 BARABBAS
    2 BOSSUET
    2 BOURGOGNE, LOUIS DUC DE
    2 CAJETAN
    2 FENELON
    2 JOSEPH, SAINT
  • Religieuses de l'Assomption
  • RA
  • 20 août 1860
  • 20 AUG 1860
  • Auteuil
La lettre

Mes chères filles, permettez-moi de me placer en face du berceau et de la crèche où N.S. a bien voulu se mettre, et pendant que la Ste Vierge l’y déposera, nous entendrons les anges chanter: Gloria in excelsis Deo, et in terra pax hominibus bonae voluntatis. Nous venons parler de la bonne volonté. Voici la paix: les anges vous donnent le moyen de l’avoir; si vous ne l’avez pas, c’est que votre volonté n’est pas assez bonne. Je vais vous présenter les réflexions que j’ai à vous faire là-dessus, sous deux points de vue; et d’abord, nous parlerons des causes qui s’opposent à la bonne volonté. Les effets de la mauvaise volonté sont chez vous plutôt des tentations que des faits accomplis, et ces tentations sont une cause d’anxiété, de souffrance. Je vous signalerai 5 ou 6 principaux obstacles à la bonne volonté, autour desquels je grouperai les autres.

Le caprice. Un auteur païen représente une femme disant à son mari: Sic volo, sic jubeo; sit pro ratione, voluntas – que ma volonté vous tienne lieu de raison. Quand on veut blanc, je veux noir, je voudrai blanc, sans autre raison que le caprice qui l’a produit. La volonté, qui la détruira? la volonté. Ces personnes-là ont souvent beaucoup d’esprit quand on leur demande compte de leur conduite, elles savent inventer des raisons merveilleuses. Je ne trouve pas pour les peindre de meilleur portrait que celui du fantasque que fit Fénelon pour le duc de Bourgogne. Je ne sens la puissance de ma volonté que pour en changer à toute heure et en faire changer le genre humain. Nous aimons à trouver de l’opposition: je me souviens d’avoir fait changer à un homme 4 fois d’avis dans 1/4 d’heure, uniquement en étant de son avis. Je veux qu’on s’occupe de moi, je serai capricieuse. Dans le monde, on appelle cela coquetterie. C’est un état qui n’empêche pas que le soir dans mon examen je m’en aperçois et je m’en confesserai avec larmes, sauf à recommencer le lendemain. Le caprice est une forme de la volonté.

2° La légèreté de volonté. Ah! c’est ici une forme bien désolante! une volonté qui se laisse entraîner et mouvoir par des motifs légers. Il y aura tel petit motif bien médiocre, bien insuffisant pour un être raisonnable, on le prend. Les raisons graves, n’en parlons pas. C’est un nuage que cette volonté, on le saisit, on croit le saisir, on n’a rien, quand il ne reste pas une mauvaise odeur; car vous savez que les nuages sentent mauvais quelquefois, à cause des vapeurs qui les forment. On prend des résolutions, on croit les avoir tenues. On va, on vient.

Indépendance. Voici 3 choses que je veux traiter corrélativement: l’indépendance, l’entêtement, l’esprit de domination dans la volonté; j’y ajoute un 4e caractère: la faiblesse. Qu’avant tout, je sois soumise à la règle, je le comprends; mais aux ordres de telle soeur, cet enchevêtrement de petites obligations… je n’accepte que d’ordres majeurs. Que je fasse telle chose parce que ma soeur une telle la veut ou la fait vouloir! on ne sait plus où se réfugier dans sa dignité humaine. J’accepte la règle, et comme je l’interprète; mais accepter les mille et un commandements qui sont obscurcis par les interprétations des autres! comme: servir Dieu, c’est régner, on se fait un royaume: j’obéirai extérieurement, mais je garderai l’indépendance de mon jugement. On saura ce qu’il en coûte de me donner certains ordres, je serai digne. Une religieuse digne, je vous prie de me dire ce que c’est…

L’indépendance allant jusqu’à l’esprit d’entêtement: une fille se croit indépendante qui est cependant très souple; il suffit quelquefois qu’on persuade à une fille qu’elle est indépendante, pour qu’elle soit souple, c’est alors une faiblesse d’esprit. Mais une religieuse entêtée… les personnes entêtées ont le front de cette forme, dit-on. On a une idée, on voit tout d’après cette idée. Le bon Dieu nous a donné des lunettes jaunes, vertes, bleues. C’est rouge – non, je vois vert. Mais ma chère enfant… non, non. Quand la perfection de l’entêtement se trouve uni à l’esprit de domination, le charme qu’il y a de vivre avec cette personne! le bonheur que goûtent ceux qui sont autour d’elle! Prenez chacune pour vous ce que vous voyez là: l’une est fortement têtue, l’autre doucement… on veut un peu dominer. J’en connais qui dans leur indépendance ne daignent pas dominer: on voit s’agiter à ses pieds les petits calculs des autres; on méprise tellement le genre humain qu’on se laisse emporter à un suprême mépris de tout ce qui l’occupe. Le mépris dans l’indépendance est semblable au système des philosophes qui prétendent que Dieu rentra dans sa dignité après avoir créé le monde. On rentre aussi dans sa dignité… Je pourrais prendre ma soeur une telle par le coeur, si elle en a; par l’esprit, par la peur, si elle a l’esprit faible… non, je ne daigne pas, j’ai mon royaume à moi, il me suffit. Si vous voulez, je vous mènerai, j’en serai capable; si vous ne voulez pas, c’est que vous n’en valez pas la peine. J’ai connu dans une Providence une fille qui avait ses plans pour faire enrager la supérieure, le confesseur, etc. je veux dominer; elle était chargée de la couture et des enfants. Tout était mal fait, les clefs manquaient quand la supérieure en était pressée de les avoir… Elle faisait sentir sa domination… on a recours à tous les moyens possibles… on quitte sa communauté à la fin: les supérieurs majeurs y mettent de l’ordre. Etes-vous au commencement de cela? Examinez. Le démon a-t-il jeté dans votre coeur la semence de cela? Malheur à vous si vous avez mis votre volonté sous l’obéissance et que vous la retiriez par l’esprit d’indépendance, de domination, etc… on en vient à cacher ses péchés… l’entêtement est une des causes qui font dissimuler les péchés… l’entêtement excessif, j’entends. – J’ai besoin d’employer ce moyen. – Mais vous ferez un péché véniel, grave peut-être… Je verrai un peu plus tard; maintenant, il faut que j’arrive à mon but. Si vous avez un but, je vous plains. Vous avez eu peut-être le commencement d’un but – m’emparer de telle enfant qu’on ne m’avait pas confiée – obtenir telle permission dans vos relations avec certaines soeurs, la manière dont vous avez voulu tourner la question… il y a là une foule de choses qui n’étaient pas sincères…

Ajoutons un dernier caractère: la faiblesse de volonté. En quoi consiste cette faiblesse? à vouloir et à ne pas pouvoir; je dis, à croire que l’on ne peut pas. C’est un principe de foi: omnia possum in eo qui me confortat. Les paroles de l’Ecriture dites dans le sens droit, direct, sont principes de foi; il y en a d’autres qui ont besoin d’explication. Il suffit que je corresponde à la grâce: Dieu ne peut pas ne pas me l’accorder. La volonté de Dieu est ma sanctification; elle devient ma volonté pour me sanctifier.

Pourquoi n’êtes-vous pas une sainte? parce que votre volonté est faible. Pourquoi est-elle faible? parce que vous ne correspondez pas à toutes les grâces que Dieu vous accorderait, si vous le vouliez. Une personne du monde, on peut la supposer en état de péché mortel; Bossuet et d’autres disent qu’il peut exister un état où on ne reçoit plus de grâces – on pourrait en recevoir, mais Dieu n’en fait plus. Mais une religieuse, on ne peut admettre qu’elle soit en état de péché mortel. Vous pouvez devenir une très sainte personne si vous correspondez à ce pain quotidien qui vous est donné; mais parce que vous êtes faible, parce que vous ne le voulez pas… St Augustin s’arrête, et dit qu’il n’y a pas de raison, s’il y avait une raison, le péché ne serait plus péché. Précisément parce que vous êtes faible, vous pouvez devenir une sainte, là où le péché a abondé, la grâce surabonde (Rom. V, 20), et là où abonde la faiblesse, là aussi surabonde la grâce. J’établirai seulement qu’il y aura un peu moins de vous et un peu plus de la grâce. Vous êtes inexcusables. Que de personnes disent: je suis faible, je n’en puis plus. – Je le sais bien, j’en suis persuadé, vous êtes fille d’Eve et d’Adam. – Alors, laissez-moi tranquille. – Non, je vous obligerai de revenir à la grâce de N.S.J.C., votre époux ou votre fiancé, si vous n’avez pas encore fait les voeux; mettez votre confiance en lui, comptez sur sa grâce. Votre faiblesse de volonté peut se tourner en bien, avec la grâce de J.C. Omnia possum in eo qui me confortat. Que vous soyez capricieuse, légère, dominante, entêtée, peu importe pour moi: mon principe est que vous avez un peu de bonne volonté: c’est le seul élement que je vous demande. La grâce de Dieu est là, laissez-vous prendre, conduire par elle et vous aurez la paix. Faites-vous cette simple question: veux-je renoncer à mes caprices? à ma légèreté? etc. veux-je dans toutes mes faiblesses, mes misères, mes impuissances, m’abandonner à la puissance divine, soumettre ma volonté à celle de Dieu, de manière qu’elle ne fasse qu’une avec la sienne? Si vous ne le voulez pas, prenez votre parti, changez votre robe et retournez dans le monde; mais si vous le voulez, si vous voulez soumettre votre faiblesse, quelque défectueuse qu’elle soit, à N.S., ayez courage, je vous annonce la miséricorde et la paix. Allez trouver ce petit enfant; faites-vous enfant, ne soyez pas grande dame: Mme j’ordonne, Mme je veux… voyez l’harmonie qui se trouve, si je puis ainsi dire, entre les paroles des anges et l’enfant qui est sur la crèche… Dites: Mon Dieu, vous avez anéanti votre volonté devant celle de votre Père, celle de Marie, de Joseph, des Juifs, des bourreaux, des juges qui vous insultaient, qui vous préféraient Barabbas, etc. etc. Je veux votre volonté dans la personne de mes supérieurs, de mes soeurs, au-dessus, au-dessous de moi, dans les événements, dans mes défauts que je veux détruire… Dès le moment de sa naissance N.S. a dit: Deus meus volui et legem tuam in medio cordis mei. Dès ce moment, je veux reprendre la transformation de ma mauvaise volonté en une bonne; au milieu de cette retraite, je veux entendre ce chant d’espérance: Pax hominibus bonae voluntatis, je veux vous donner ma volonté. Faites aujourd’hui la retraite avec l’enfant Jésus dans vos bras. St Cajetan, une nuit de Noël, mérita que la Ste Vierge lui mit l’enfant Jésus dans les bras; et moi, quoique non de la même manière, je dépose en ce moment l’enfant Jésus dans vos bras, pour que vous lui offriez le brisement de votre volonté, comme lui a voulu soumettre la sienne non seulement à son Père, mais à toute créature.

La volonté de Dieu étant votre sanctification, après que vous aurez été sainte sur la terre, la volonté de Dieu s’accomplira encore et vous serez des saintes dans le ciel. Ainsi soit-il.

Notes et post-scriptum