Aux Religieuses de l’Assomption

20 AUG 1860 Auteuil RA
Informations générales
  • Aux Religieuses de l'Assomption
  • Retraite prêchée par le P. d'Alzon aux Religieuses de l'Assomption d'Auteuil du 17 au 23 août 1860
    Quatrième jour - Deuxième instruction - Bonne volonté - Trois conditions: simplicité, sérieux, souplesse
  • DA 9 (notes de Sr M.-Antoinette d'Altenheim), pp. 85-95.
Informations détaillées
  • 1 DOUCEUR
    1 FRANCHISE
    1 GRAVITE
    1 LIBERTE
    1 PURETE D'INTENTION
    1 SIMPLICITE
    1 VERTU D'OBEISSANCE
    2 LAVALLIERE, LOUISE DE
    2 SEVIGNE, MADAME DE
  • Religieuses de l'Assomption
  • RA
  • 20 août 1860
  • 20 AUG 1860
  • Auteuil
La lettre

Gloria in excelsis Deo et in terra pax hominibus bonae voluntatis.

Mes chères filles, nous avons examiné les obstacles à la bonne volonté; je vais maintenant vous indiquer les conditions de la bonne volonté et vous donner les moyens d’étudier non pas où vous allez, mais où vous devriez en être. Vous me permettrez de prendre une distribution arbitraire. Je pars du point d’où les anges sont partis, au moment de la naissance d’un petit enfant: Parvulus natus est nobis; et filius datus est nobis (Is. 9, 6).

1° C’est le caractère de l’enfant, caractère de simplicité qui me paraît devoir être la 1ère condition de la bonne volonté: Si oculus tuus fuerit simplex, totum corpus tuum lucidum erit (Matth. VI, 22). Si votre oeil, c.à.d. votre volonté est droite et simple, votre conduite sera lumineuse. Pourquoi voulez-vous cacher ceci ou cela? C’est que vous manquez de simplicité. Je sais qu’il est des circonstances où il est bon de se taire, il faut de la prudence, mais en général, la prudence regarde les supérieures. Sicut oculi ancillae in manibus dominae suae: ita oculi nostri ad Dominum Deum nostrum (Ps. 122). Il en doit être ainsi si je ne sens que la volonté de Dieu. Qui ambulat simpliciter, ambulat confidenter. Je marcherai avec confiance si ma volonté a ce caractère de simplicité. Un vieil ami me donnait ce conseil (les vieux amis donnent toujours de bons conseils): vous remarquerez, me disait-il, que la conduite après tout la plus habile, c’est celle de la simplicité chrétienne. Ce n’est pas à cause de l’habileté que nous devons tâcher de mettre la simplicité en nous, mais bien parce que c’est la simplicité que Dieu veut récompenser. St F. de Sales disait: « On veut très peu de choses, et à mesure qu’on vieillit, on les veut très peu. » Quelqu’un disait au cardinal Bellarmin qui avait de grandes occupations: vous avez beaucoup à faire. – Non, répondit-il, je n’ai qu’une seule chose, mon salut; le reste m’inquiète très peu. – Vous êtes toutes ici pour cela, pour faire votre salut, et cependant il y a certains petits riens où nous trouvons nos habiletés… N’est-ce pas, ma mère, ou mon père, que vous m’avez dit de faire ainsi? – Je ne l’ai pas dit du tout. Mais on questionne, pour me faire dire que je l’ai dit. – C’est un point d’interrogation. On a ses petites ressources. Avec telle soeur, il est fort probable que ce soit un tant soit peu de duplicité. Si je suis simple, on me grondera, on me dira: vous avez mal pris les enfants, vous avez mal fait votre classe, lingerie, etc. Il n’est pas question ici de mensonge, mais on biaisera. J’ai connu une personne qui, lorsqu’on lui parlait de ses enfants, parlait à l’interlocuteur de ses affaires, et celui-ci en faisait tout autant. C’était une habileté. Je dis aux religieuses: cette belle droiture qui sait souffrir quelque chose pour la vérité, l’avons-nous?

Le sérieux de la volonté. Que de personnes qui ne se doutent pas de ce que c’est que de mettre du sérieux dans les détails de la vie. Un verre d’eau aura sa récompense et la moindre démarche aura son prix; mais on dit: J’aime mieux m’amuser; et je gaspille mon temps. Ce sérieux de la volonté doit s’appliquer aux dispositions dans lesquelles on se met avant chaque action. On redoute par-dessus tout de s’ennuyer. Il y a des personnes qui, si elles voyaient l’ennui entrer par la porte, sortiraient immédiatement par la fenêtre. A quoi ai-je passé mon temps aujourd’hui? Je me suis levée à l’heure, la cloche a sonné… j’ai donné mon coeur à Dieu… je n’ai mis qu’1/2 [h.] à ma toilette… pour une dame, ce n’est pas trop… je n’ai pas à examiner la toilette d’une religieuse, cela ne me regarde pas. On va à l’oraison… ou on n’y va pas… il n’y a pas beaucoup de monde… et si on y va, comment la fait-on? Puis vient la messe… ah! comment devrait-on y assister!… la communion… c’est terrible, cette question… le manque de respect pour la communion! il n’y a pas assez de dispositions pour faire une bonne communion, il y en a suffisamment pour qu’elle ne soit pas mauvaise… ah! on déjeune, on n’est pas trop gourmande, ou bien, si on l’est… il est avec le ciel des accommodements… Dans la journée, on est à la classe… on aime cela. La récréation, oh! là on s’amuse bien, on rit. Somme toute, on est Roger bon temps… on parle sur le trottoir… puis vient le soir, on fait son examen. Avec quel sérieux regrette-t-on ses fautes?… on est obligé d’avancer, parce qu’on est dans la voie de la perfection… on recule, ce n’est qu’un cran… Mme de Sévigné disait qu’elle dépensait son esprit en pièces de 2 sous… la vie ne se compose que de cela, de pièces de 2 sous, on n’a pas tous les jours l’occasion de faire de grands sacrifices. Au contraire, une religieuse sérieuse prend la vie du côté pénible: elle donne de la valeur à tout ce qu’elle fait, à tout ce qu’elle dit. Elle accumule un trésor de richesses pour le soir; mais aussi le peu de mal qu’elle fait, elle en a une contrition sincère et il y a plus de chances d’amendement pour le lendemain. Je suis étonné qu’un des premiers usages que nous devions faire de notre liberté soit de l’asservir. Si notre volonté a été brisée par le péché, le meilleur moyen de la guérir est de la rebriser de l’autre côté. C’est ici le cas d’employer l’homéopathie; permettez-moi de me servir d’une comparaison bien simple: quand un arbre penche d’un côté, il faut le faire pencher de l’autre pour le redresser; c’est ce que nous devons faire à l’égard de notre volonté. La volonté s’est, non pas pervertie, mais gâtée par l’indépendance dans le péché. Je ne parle pas du voeu d’obéissance, je ne parle que de l’esprit d’obéissance: il faut que je me mette entre les mains de mes supérieurs, que je puisse dire, non que mon âme est toujours entre mes mains, anima mea in manibus meis semper, mais qu’elle est toujours entre les leurs, qu’ils me pétrissent, me façonnent, etc. Quelle est la nature de mon obéissance?… Les personnes qui ne savent jamais se prêter à un ordre général, qui trouvent des difficultés en tout, il faut leur donner des raisons, elles ont toujours des car, si, mais; elles ne peuvent supporter un ordre donné un peu trop vite… ont-elles la bonne volonté de l’obéissance, ou l’obéissance de la bonne volonté?

Souplesse de la bonne volonté. Un paysan fait un fagot dans une haie, il utilise les épines, il les jette au feu, mais c’est toujours un fagot d’épines qu’il aura fait. Dieu, qui sait tirer le bien de tout, tirera bien parti d’un caractère épineux, ne fût-ce que pour donner la discipline aux autres. Diligentbus Deum omnia cooperantur in bonum (Rom. 8, 28). Un caractère épineux sert d’exercice aux autres dans une communauté fervente; mais, ce n’en est pas moins un fagot d’épines. Si je me propose d’arriver à cette souplesse de l’enfant Jésus, si je comprends que je n’ai fait jusqu’ici qu’un mauvais usage de ma volonté, alors je marcherai de victoires en victoires, selon cette parole de l’Ecriture: vir obediens loquetur victorias (Prov. 21, 28). Ma volonté aura perdu le caractère aigre du péché pour prendre le caractère doux du Sauveur. Factus obediens usque ad mortem, mortem autem crucis. Et pourquoi? pour nous apprendre à briser notre volonté. Il faut que je sois obéissante d’une manière souple; si je veux arriver à la perfection, il faut que j’aille jusque-là.

Un homme de ma connaissance disait: Peu m’importe de plaire aux hommes, pourvu que je plaise à Dieu; je sais bien que St Paul a dit: Si adhuc hominibus placerem, Christi servus non essem (Gal. 1, 10). Si je plaisais encore aux hommes, je ne serais pas serviteur du Christ; mais St Paul l’entendait ainsi: seulement aux hommes qui m’induiront au mal; nous ne devons pas l’entendre des personnes qui ont sur nous un droit d’autorité ou de charité. Autre chose est la souplesse de la volonté ou la faiblesse de la volonté. Obéir avec souplesse, ceci est parfait et les conséquences sont immenses.

Le commandement est facile; on répand une grande édification. Il faut qu’il y ait effort pour cela; il n’y a pas de volonté véritable sans effort. Notre nature est inclinée au mal, il faut sans cesse la redresser; c’est une lutte incessante qui ne laisse pas de repos. C’est à nous à examiner ce que Dieu demande de nous. Je dois me demander: depuis ma dernière retraite, ai-je remonté le courant ou me suis-je laissé entraîner par le courant? Ma volonté est-elle plus forte pour le mal ou pour le bien? Suis-je dominée par une volonté gâtée? Mme de la Vallière, en entrant au couvent, disait à la supérieure: ma mère, j’ai fait un si mauvais usage de ma volonté que je viens la déposer entre vos mains. Sans que vous soyez allées jusqu’où était allée Mme de la V., il est cependant vrai de dire que vous avez fait un mauvais usage de votre volonté, même s’il n’y a pas eu beaucoup de mal à l’extérieur… beaucoup de grâces reçues augmentent votre faute. Il faut des efforts pour lutter et pour acquérir une bonne volonté par la simplicité, le sérieux et la souplesse.

J’espère que par la grâce de N.S. vous entrerez dans une vie nouvelle par une volonté entièrement renouvelée; cela demande des efforts; mais la vie religieuse ne consiste pas à entrer dans une espèce de machine, comme celles où le marteau bat le fer et où l’on entend un cric-crac bien régulier; il faut recommencer sans cesse. Nous ne pouvons pas faire un meilleur emploi de la volonté que de la détruire dans ce qu’il y a de mauvais, et de la sanctifier dans le bien. C’est pénible, mais vous en serez récompensées un jour dans le repos éternel. Ainsi soit-il.

Notes et post-scriptum