Aux Religieuses de l’Assomption

22 AUG 1860 Auteuil RA
Informations générales
  • Aux Religieuses de l'Assomption
  • Retraite prêchée par le P. d'Alzon aux Religieuses de l'Assomption d'Auteuil du 17 au 23 août 1860
    Sixième jour - Première instruction - Sur les saints voeux
  • DA 11 (notes de Sr M.-Antoinette d'Altenheim), pp. 149-166.
Informations détaillées
  • 1 ACCEPTATION DE LA VOLONTE DE DIEU
    1 ADORATION
    1 AMOUR DIVIN
    1 BAPTEME
    1 CHARITE ENVERS DIEU
    1 CONFIRMATION
    1 CREATION
    1 CREATURES
    1 DOMINATION DE DIEU
    1 EPOUSES DU CHRIST
    1 GLOIRE DE DIEU
    1 GOURMANDISE
    1 HUMILITE
    1 IMITATION DE JESUS CHRIST
    1 IMITATION DE LA SAINTE VIERGE
    1 JOIE SPIRITUELLE
    1 LUTTE CONTRE LE CORPS
    1 LUTTE CONTRE LE MONDE
    1 LUTTE CONTRE SOI-MEME
    1 OUBLI DE SOI
    1 PARESSE
    1 PERES DE L'EGLISE
    1 REFORME DE L'INTELLIGENCE
    1 REFORME DE LA VOLONTE
    1 REFORME DU COEUR
    1 SOUMISSION SPIRITUELLE A JESUS-CHRIST
    1 VERBE INCARNE
    1 VOEU D'OBEISSANCE
    1 VOEU DE CHASTETE
    1 VOEU DE PAUVRETE
    1 VOEUX DE RELIGION
    2 ADAM
    2 ANDROMAQUE
    2 CLEMENT D'ALEXANDRIE, SAINT
    2 EVE
    2 HOMERE
    2 PAUL, SAINT
    2 PIERRE, SAINT
    3 BORDEAUX
    3 SEDAN
  • Religieuses de l'Assomption
  • RA
  • 22 août 1860
  • 22 AUG 1860
  • Auteuil
La lettre

Mes chères filles, je vais revenir sur un détail dont je n’ai pas parlé hier et qui cependant est utile à vous donner.

Il y a 2 manières de pratiquer la perfection, soit en faisant les choses les plus parfaites, et là-dessus ne vous montez pas la tête, à moins d’ordre particulier, ce n’est pas nécessaire; soit la perfection avec laquelle vous faites ce à quoi vous êtes tenues par la règle, par un ordre spécial ou par l’ensemble de la vie religieuse. Ne vous trompez pas: la perfection ne consiste pas dans les choses extraordinaires. Prenez la vie de N.S., de la Ste Vierge… il me semble que vous pouvez vous contenter de ces modèles. Les choses les plus simples sont les plus agréables à Dieu, pourvu qu’elles soient dans l’ordre. La perfection consiste à faire ce que l’on fait le plus parfaitement possible, avec un sentiment d’humilité et d’amour. Se détruire soi-même et faire vivre en soi N.S. et avoir pour N.S. toute la tendresse et l’affection possible, je ne sache pas, après tout, d’autre perfection. Et que l’on ne vienne pas dire: mais, mon père, je suis sèche, sans ferveur, etc. Tant mieux, le bon Dieu vous tient en réserve: le bois mort n’est bon à rien; il fume, et voilà tout; on le fait sécher pour l’hiver. Vous êtes dans les meilleures conditions: le bois sec prend le mieux. Si vous ne brûlez pas sur la terre, vous brûlerez dans le ciel. S’il s’agissait de choses extraordinaires, cela regarde votre confesseur et votre supérieure; mais ce n’est pas à proprement parler le but de la vie religieuse; je le répète: la perfection se trouve dans la plus petite chose faite avec amour.

Première partie

Mortui estis et vita vestra abscondita est cum Christo in Deo (Col. 3, 3).

1° Poursuivant les 2 sujets que j’ai abordés hier et dans lesquels je vous ai montré que vous ne deviez vous appuyer que sur Dieu et ne vous reposer qu’en lui, je vais vous parler aujourd’hui des effets de cet appui. Je suppose que vous avez fait les saints voeux, je parle à des religieuses parfaites. Vous êtes mortes au monde: par le voeu de pauvreté, vous vous êtes dépouillées de tout; je laisse ici de côté la question du voeu solennel, et du voeu simple je ne prends que l’esprit du voeu. Vous êtes dans une séparation complète d’avec le monde; A votre profession on a chanté le De Profundis pour constater cette mort extérieure; par conséquent, la religieuse qui revient aux idées, aux jouissances, aux regrets du monde, est bien à plaindre; je ne dis pas qu’elle soit coupable, car ce ne sont peut-être que des tentations.

Et voilà une question effrayante qui se présente: quelle distance se trouve entre votre vie et celle du monde? Avez-vous dit comme le lévite en entrant les ordres: Dominus pars haereditatis meae… tu es qui restitues haereditatem meam mihi (Ps. 15)? Comment avez-vous compris ces chaînes dont parle le psalmiste, lorsqu’il dit: Funes ceciderunt mihi in praeclaris, etenim haereditas mea praeclara est mihi (Ps. 15)? Comment avez-vous établi un mur absolu de séparation entre le monde et vous? C’est la pierre du tombeau qui doit vous séparer: quelle est son épaisseur? Il y a dans la mort quelque chose de terrible. Vous en avez eu un exemple il y a peu de mois; souvenez-vous de cette chère soeur qui répandait tant de vie dans la communauté… allez lui parler maintenant, elle ne peut plus vous répondre. Votre affection pour elle, affection sainte et selon la charité, s’est transportée dans le ciel; si ce n’avait été qu’une affection humaine, elle serait allée se briser contre la pierre froide du cercueil, tous les sentiments les plus tendres seraient impuissants sur ces membres, bientôt réduits en poussière… Etes-vous ainsi vis-à-vis du monde? Voyez dans vos souvenirs, dans votre passé, le présent, l’avenir. Dans quelle mesure permettez-vous aux idées du monde de faire monter leurs flots jusqu’au sanctuaire? Votre bonheur est de n’avoir rien. Dominus pars haereditatis meae. Peu m’importe les joies, les biens et les richesses de la terre, si l’auteur de ces choses m’appartient.

Voilà où vous conduit le saint voeu de pauvreté. Vous devez être heureuses de pouvoir vous élever sur les débris de tout ce que vous avez donné. Si vous n’aviez rien, si comme St Pierre vous n’avez déposé que les mailles rompues de votre filet brisé, vous avez encore beaucoup donné, car vous avez renoncé à toute espérance. Votre âme est libre; le monde blâmera, critiquera, vous trouvera sottes de l’avoir quitté, absurdes d’avoir renoncé à ses jouissances; il dira qu’une religieuse sait s’arranger pour vivre commodément dans le cloître. Laissez-le porter ses jugements: il faut laisser parler les fous et les insensés. Qu’on dise des injures à un cadavre, comment les recevra-t-il? Vous êtes des cadavres à l’égard du monde.

L’homme animal ne comprend rien aux choses qui sont de l’Esprit de Dieu. Animalis homo non percipit ea quae sunt Spiritus Dei (I Cor. 2, 14), je le sais, mais vous pouvez dire avec St Paul parlant de la chasteté: Pour moi, je pense que j’ai l’Esprit de Dieu. Puto autem quod et ego Spiritum Dei habeam (I Cor. 7, 41).

2° Vous êtes mortes aux sens par le voeu de chasteté: malheur à vous, si vous vous arrêtez dans la jouissance qu’ils peuvent vous procurer. Vos sens qui pourraient être des sujets de jouissance, peuvent aussi devenir des instruments de bien par les supplices que vous leur imposerez. Je ne parle pas ici des austérités, je pourrai y revenir plus tard; je ne parle que de ce qui pourrait nous venir de bon par les sens au moyen desquels nous communiquons avec le monde créé. Quand je serais seul dans la nature, séparé des hommes, mes sens conserveraient encore des relations avec le monde: le chant des oiseaux, la vue d’une belle campagne… malheur à moi, si j’en jouis. Je puis en user, mais non pas en jouir: Uti, non frui. Toutes les joies que les sens m’apportent ne me sont rien, je dois les mépriser et en une certaine mesure, les rebuter. Je dois, tout en me servant de mes sens, les asservir tellement que cette vie corrompue soit subjuguée complètement: arrière la paresse, la gourmandise, certaines satisfactions quoiqu’honnêtes. Car je parle de l’ensemble des saints; tout cela doit être transformé si je veux m’élever jusqu’à Dieu. Quelles délicatesses ne pourrais-je pas vous montrer dans la chasteté? Mais je m’arrête, précisément à cause de la délicatesse de cette matière.

3° Est-ce tout? Non. Il faut que je sois morte à moi-même; c’est là l’esprit du voeu d’obéissance. Je ne m’appartiens pas: je dois m’appliquer ces paroles de St Paul: qui utuntur hoc mundo, tanquam non utuntur (I Cor. 7, 31). Ma volonté ne m’appartient pas, elle appartient à la volonté de Dieu; mon coeur appartient à mon époux; mon intelligence à celui au service duquel je me suis consacrée; ma mémoire, toutes mes facultés, à Dieu. Ai-je donné toutes ces choses, ou ne les ai-je pas données? Si je les ai données, je n’ai plus le droit d’en user que dans l’ordre de la volonté de celui à qui elles appartiennent: je suis donc morte, puisque rien de tout cela ne m’appartient. Il n’y a pas un de mes sentiments, si caché qu’il soit, que l’oeil de Dieu ne découvre; s’il n’est pas béni de lui, il faut l’arracher.

Votre volonté est-elle entièrement courbée dans tous les détails, à la volonté de Dieu? votre coeur totalement soumis à l’amour de Dieu? Si cela est, tout doit vous être indifférent. Il y a un mot dont se servaient les Pères de l’Eglise, St Clément d’Alexandrie entre autres; ce mot est l’apathie; un caractère apathique est un triste caractère; dans le sens que l’entendaient les Pères de l’Eglise, il signifie affranchi de tout sentiment personnel, tout est égal, excepté Dieu. Ainsi faut-il que nous soyons; embrassons uniquement la cause de Dieu; pensez un peu plus à lui et moins à vous. Le voeu d’obéissance ne consiste pas à aller de bonne humeur dans telle résidence, à Sedan, Bordeaux, Nimes, etc., à faire plus ou moins gaiement ce qui est commandé; il consiste dans la mort intérieure de votre être, dans le sens le plus rigoureux: Mortui estis, et vita vestra abscondita est cum Christo in Deo.

Voilà le thermomètre du degré d’intensité de la chaleur d’amour pour Dieu qui est dans votre coeur: l’indifférence et le sentiment de joie avec lequel vous faites ce qui est pénible, le regardant comme une marque d’amour que vous pouvez donner à votre époux, voilà les 2 degrés. Mesurez toutes vos actions avec cette mesure; vous êtes mortes ou vivantes, selon que vous êtes heureuses d’aller avec une sainte indifférence partout où l’obéissance vous envoie; pleurez tant que vous voulez, pourvu que vous marchiez, pourvu que vous riiez des larmes, comme le dit Homère d’Andromaque. Mais si j’étais paralytique, je ne sentirais pas… je suis heureuse de sentir le sacrifice pour l’offrir à Dieu. Je respecte votre liberté, vous pouvez en faire un sacrifice d’obéissance.

Est-ce tout, mes filles? Non, je ne vous ai dit que la moitié de ce que je veux vous dire: voilà la partie négative de ce que j’avais à vous indiquer, voici la partie positive.

Deuxième partie

1° Vous êtes mortes et cependant vous avez la vie et vita vestra… C’est que, quand on est arrivé à cette mort dont parle l’apôtre, il se fait quelque chose de plus, une vie honorable commune, vie digne d’envie, car elle se passe avec Dieu: quelle compagnie!! le suprême médiateur, le suprême moyen et le suprême but! Que se fait-il alors? Reprenons vos saints voeux. Nous lisons dans la Genèse que lorsque Dieu eut créé le monde, il prit du limon, le pétrit, y souffla le spiraculum vitae, souffle de vie, et l’homme fut créé. Un miracle plus prodigieux eut lieu lorsque vous avez été faites chrétiennes par le baptême; un autre plus prodigieux encore lorsque vous avez été marquées du souffle divin par l’Esprit Saint dans la confirmation; et enfin, un autre s’est accompli pour vous d’une manière plus personnelle quand vous avez prononcé les saints voeux. Alors vous avez reçu une vie tout à fait divine; vous n’avez pas été faites épouses seulement du premier homme, qui était roi de la création, mais vous avez été faites les épouses du second Adam; vous avez été établies pour être les aides non du roi de la création, mais du roi de la régénération, J.C. Adam a été écarté, la mission d’Eve a été repoussée, la terre maudite dans leurs oeuvres; un ordre nouveau, surnaturel a été établi: vous avez été faites les aides de Dieu: Faciamus ei adjutorium simile sibi.

Donc, vous devez vous consacrer aux choses spirituelles, renoncer aux choses humaines, viles, basses; c’est ce que vous avez fait par le voeu de pauvreté. Quelles ne sont pas vos obligations, comme épouses du roi de la régénération! vous êtes obligées d’aider J.C., et quelle est son oeuvre? La réparation de l’humanité, et la gloire rendue à son Père. C’est pour cela que la première parole entendue à la naissance de ce divin enfant a été celle-ci: Gloria in excelsis Deo et pax. Voilà vos relations bien établies par J.C. avec son Père, vous voilà enfants: vous ne devez pas avoir un sentiment, une pensée qui ne se rapportent à la glore de votre Père. Il fallait soutenir J.C. dans son labeur, et Dieu a créé une religieuse. Sentez maintenant votre dignité, votre vocation, votre grandeur. J.C. rend la plus grande gloire à son Père et vous êtes appelées à l’aider; mais pour cela votre vie doit être asservie à la dépendance de J.C. Voyez-vous cet enchaînement du voeu de pauvreté, les richesses qui vous sont données? Vous êtes faites reines du royaume régénéré de J.C., à la condition de donner votre vie dans la dépendance de N.S.

Et de là, ce dépouillement, cette adoration complète dans laquelle vous devez vous tenir; qu’est-ce que l’adoration? sinon la reconnaissance du souverain domaine de Dieu sur toutes choses; vous pouvez dire à Dieu: O mon Père! pour vous rendre l’honneur qui vous était dû, votre Fils est descendu du ciel, etc… est né dans une crèche… et moi, je me suis dépouillée de toutes choses… richesses, parents, patrie… j’ai tout quitté; je vous adore avec un coeur plus ardent. Voyez-vous comment le sentiment d’adoration se rapporte à la pauvreté; par cela même que je suis pauvre, que je foule aux pieds les biens de ce monde, j’adore… vous en étiez-vous rendu compte?

Le Verbe s’est fait chair. Il est la règle, la parole, la loi, la sagesse par excellence, et au milieu du désordre dans lequel le monde était plongé, il est venu pour rétablir l’ordre. L’ordre est en moi, quand mes sens sont subjugués. N’est-ce pas un honneur pour moi d’accomplir la règle, la loi, de faire servir mes sens à la manifestation extérieure de la loi de Dieu? Si je dis que les sens sont mauvais, je suis manichéen; mais qu’ils aient une tache, c’est la doctrine catholique; et la preuve qu’ils ne sont pas mauvais, c’est que je puis m’en servir pour glorifier Dieu, je puis devenir semblable aux anges. Dieu, qui facit angelos suos spiritus (Ps. 103), a fait également des vierges, ses envoyés. Et voilà pourquoi la virginité est exigée dans le sacerdoce catholique, les lèvres de celui qui annonce la parole divine être pures. Vous, en accomplissant non seulement la règle, mals le conseil, en vous élevant au-dessus des sens, vous êtes une protestation perpétuelle contre ceux qui ne peuvent accomplir même la grossièreté de la loi, si je puis ainsi parler. L’empire que vous avez sur vous-même, l’honneur que vous rendez par là à la majesté divine, c’est un point merveilleux de vos relations avec Dieu; vous êtes vierges, et comme les anges, vous êtes les envoyés de Dieu; votre enveloppe mortelle peut servir à la manifestation des volontés de Dieu sur vous afin d’apprendre aux hommes.

3° Pourquoi Dieu veut-il vous cacher en lui? parce qu’il vous aime. Vous y êtes avec celui qui avait la vie en lui: in ipso vita erat (Jean I, 4). Vous êtes appelées à vivre avec cette vie divine: ayez les sentiments de Dieu en vous. Vous avez Dieu pour vêtement, pour demeure, pour vie; et votre vie se perd, ne se confond pas, mais s’unit à la vie de Dieu, dans l’amour. Vous avez fait votre sacrifice, vous avez donné votre volonté, votre coeur, votre intelligence, et voilà ce que Dieu vous rend: vita vestra in Deo; votre vie est dans le sein de Dieu le Père. Dans ce silence merveilleux, la vérité éternelle se communique à vous, pour vous apprendre la manière dont Dieu aime les siens, la manière dont ses épouses doivent vivre. Comprenez-vous maintenant qu’il est indispensable que vous vous donniez entièrement? que ce don soit sans cesse renouvelé? que vous soyez dans l’étonnement, dans l’action de grâces pour la merveille de votre vocation, des mystères qui se passent entre Dieu et vous?… Ayez une haute et excellente idée de votre destinée; admirez, bénissez cette action toute paternelle, toute miséricordieuse de Dieu qui souffle sans cesse en vous une nouvelle vie, spiraculum vitae. Il ne vous place pas seulement sur la terre, mais il vous appelle dans une sphère où il veut vous faire respirer un air meilleur: viens dans mon sein, vous dit-il, avec J.C. mon fils, ton époux. Que pouvez-vous demander davantage? Et ceci n’est que de la théologie, pas une fiction; c’est l’enseignement catholique sur votre destinée. Ayez la force de la porter; de nous-mêmes nous ne le pourrions pas, mais nous avons la grâce de Dieu. Avant la réalisation complète de cette destinée, vous avez besoin de vous cacher: ce refuge, c’est le sein de Dieu. Avant que vous le preniez comme principe de joie, prenez-le pour abri: cachez-vous en Dieu; tout doit y être pur, saint. Pénétrées de ses perfections, laissez tomber les préoccupations terrestres; épouses de Dieu, soyez cachées pendant les jours d’épreuve… Un jour, la manifestation aura lieu, lorsque la gloire de Dieu J.C. qui est votre vêtement, apparaîtra: satiabor cum apparuerit gloria tua* (Ps. 16). Ainsi soit-il.

Notes et post-scriptum