Instructions du mardi aux maîtres du collège

8 OCT 1867 Nîmes COLLEGE maîtres
Informations générales
  • Instructions du mardi aux maîtres du collège
  • Conseils de rentrée
  • ECRITS SPIRITUELS, pp. 1381-1387.
  • CD 11, pp. 11-19 (notes du P. Emmanuel Bailly).
Informations détaillées
  • 1 AMOUR DES ELEVES
    1 ANTIPATHIES
    1 APOTRES
    1 AUTORITE DU MAITRE
    1 AVARICE
    1 BEAU CHRETIEN
    1 BEAU LITTERAIRE
    1 CIEL
    1 CLASSES INFERIEURES
    1 CLASSES SUPERIEURES
    1 COLLEGE DE NIMES
    1 CORPS ENSEIGNANT
    1 DEPASSEMENT DE SOI
    1 DESINTERESSEMENT DE L'APOTRE
    1 DEVOIRS SCOLAIRES
    1 DEVOTIONS
    1 DISCIPLINE SCOLAIRE
    1 DISTINCTION
    1 ELEVES
    1 ENSEIGNEMENT DE LA VERITE
    1 ESPRIT CHRETIEN DE L'ENSEIGNEMENT
    1 ESPRIT DE L'EDUCATION
    1 EXAMEN DE CONSCIENCE
    1 EXAMENS SCOLAIRES
    1 FORMATION DES JEUNES AUX VERTUS
    1 GENEROSITE DE L'APOTRE
    1 GRADES UNIVERSITAIRES
    1 JUIFS
    1 LANGAGE
    1 MAITRES
    1 MAUVAISES CONVERSATIONS
    1 NOTES SCOLAIRES
    1 OUBLI DE SOI
    1 PARENTS D'ELEVES
    1 PROVISEURS
    1 PUNITION DES ELEVES
    1 RECONNAISSANCE
    1 REGLEMENT SCOLAIRE
    1 REPRESSION DES DEFAUTS DES JEUNES
    1 TRAVAIL DE L'ETUDE
    2 ANGELICO, FRA
    2 BAILLY, EMMANUEL
    2 BENOIT XIV
    2 GERBET, PHILIPPE-OLYMPE
    2 GERMER-DURAND, EUGENE
    2 JEAN CHRYSOSTOME, SAINT
    2 LACORDAIRE, HENRI
    2 MICHEL-ANGE
    2 PASCAL, BLAISE
    2 PAUL, SAINT
  • Maîtres du collège
  • COLLEGE maîtres
  • 8 octobre 1867
  • 8 OCT 1867
  • Nîmes
  • Maison de l'Assomption
La lettre

Après le Veni Sancte et l’Ave Maria, le T.R.P. d’Alzon prend la parole.

Messieurs,

Benoît XIV disait qu’après un échec il fallait faire son examen de conscience: si le nombre de nos élèves a diminué, si notre rentrée est petite, il est bon devant cet échec de faire cet examen et de voir ce que nous avons à nous reprocher à cet égard.

Je crois que nous avons commis quelques fautes et sans me séparer de vous je vous demande la permission de faire ici très simplement nos coulpes en commun.

Je crois aussi que les circonstances malheureuses que nous avons subies et en particulier la maladie de Mr Durand ont été pour beaucoup dans les causes qui ont fait partir les élèves.

Déjà nous avons songé à prendre quelques mesures pour relever les études, et malgré les plaintes des familles, nous avons rétabli les examens d’ascendat pour les nouveaux en maintenant énergiquement nos décisions.

Toutefois, Messieurs, ce n’est pas le temps des récriminations; il faut maintenant prêcher d’exemple et pour cela examiner ce que nous avons à réformer dans notre manière d’agir(1).

Le travail.

J’appellerai d’abord votre attention, Messieurs, sur un point très important: le travail. – Quand on veut faire travailler les autres, il faut donner l’exemple et travailler soi-même. Il arrive trop souvent qu’on dit à un élève: vous êtes un paresseux; et soi-même, on n’a pas le courage de corriger ses compositions ou ses devoirs. Je ne sais pas, Messieurs, jusqu’à quel point un maître consciencieux peut aller faire sa classe sans l’avoir préparée; il y a là de votre part un devoir de conscience, et quand M. Durand, avec son expérience et son talent, nous avoue qu’il ne va jamais en classe sans se préparer par un travail de 3/4 d’heure ou d’une heure, il me semble que les jeunes professeurs et les autres doivent y donner au moins le même temps. Je vois des parents; j’ai entendu bien des confidences des enfants, de ces confidences où le mauvais esprit n’a point de part, et quand j’entends dire que les devoirs, dans certaines classes, ne sont pas corrigés pendant deux mois de suite, je ne m’étonne plus du mécontentement de certains élèves et de la frayeur qu’ils éprouvent à la pensée qu’il leur faudrait rentrer dans telle ou telle classe où ils seraient exposés à subir cette manière de faire.

L’amour des élèves.

Il ne suffit pas de travailler, Messieurs, il faut encore savoir aimer les élèves. Mgr Gerbet, dans son livre sur l’Eucharistie, dit que Dieu dans son amour est comme un plan incliné qui se penche vers les créatures. Or, vous êtes des maîtres chrétiens, Messieurs; et si vous devez aimer les âmes en vertu du précepte de charité, combien ne devez-vous pas aimer ces âmes qui vous sont confiées pour les élever à Dieu. Or, vous ne sauriez croire tous les trésors de haine et d’antipathie qu’on amasse dans le coeur de ces enfants contre soi par certaines critiques amères, par certaines paroles piquantes, auxquelles ils ne peuvent pas répondre parce que leur âge ne leur permet pas d’atteindre votre esprit. Peut-être même quelques maîtres se laissent-ils aller à des antipathies ou à des rancunes qui se distinguent à leur insu, et je ne sais pas comment ils s’arrangent avec le devoir de charité qui leur incombe; sans traiter les élèves avec cette morgue universitaire que nous abominons tous, il faut prendre garde de les traiter trop souvent comme le prochain des rues. On va et vient, on passe auprès d’eux, mais on a peur de se mêler à eux; et tels groupes qui se sont formés l’an dernier, où se tenaient des conversations fâcheuses n’auraient pas eu de tristes résultats si les maîtres ne s’en étaient pas autant éloignés. Est-ce là la charité du maître chrétien? Je ne le crois pas. Plenitudo legis, dilectio. La plénitude de la loi, c’est la charité portée jusqu’à la tendresse, dilectio; je vous en conjure donc, Messieurs, voyez le degré de culpabilité où vous vous trouvez à ce sujet.

Désintéressement.

Une des conditions de cette affection, c’est le désintéressement, et j’entends parler ici du désintéressement qui convient aux maîtres libres comme aux religieux. Je ne parle pas de ce que cette question pourrait suggérer au point de vue d’un intérêt vil et bas que nous ne connaissons pas ici; je laisse de côté la question, car je ne veux pas vous faire l’injure de penser un instant qu’il y ait personne ici qui concoure avec de pareilles vues à la mission généreuse et élevée d’un établissement chrétien. Mais je vous prie seulement d’observer si vous comprenez bien ce désintéressement qui consiste à donner non seulement des secours, de la science, du travail, mais encore à se donner soi-même, à se vouer tout entier à une cause. Je ne parle pas d’une cause comme serait celle de l’Assomption en particulier, car il pourrait y avoir là encore en un sens un but intéressé, le succès d’un établissement ou d’une oeuvre; mais je parle de ce désintéressement qui nous pousse à nous donner à une cause supérieure, à une grande cause comme celle de faire à tout prix des jeunes gens fortement chrétiens pour l’avenir, d’élever des citoyens et des défenseurs de l’Eglise. Ce désintéressement n’exclut pas les motifs légitimes qui peuvent nous solliciter, mais il doit dominer et pénétrer toute notre vie. Nous devons arriver à dire avec saint Paul: Omnia impendam et superimpendar ipse pro animabus vestris. Dès lors, vous vous imposerez quelques sacrifices et par exemple, vous comprendrez que l’éducation religieuse étant l’éducation principale, vous devez, après avoir enseigné les vérités secondaires, aller avec vos élèves adorer ensemble la Vérité Eternelle et leur enseigner cette adoration par votre assiduité à tous les exercices de la chapelle. On se plaint que ces exercices sont de plus en plus désertés par les maîtres. Vous voudrez y être plus exacts, Messieurs, et en voyant ces bancs déserts et vides peut-être aurez-vous à vous demander si par votre négligence et votre inexactitude vous n’êtes pas la cause de ces désertions.

Exactitude.

L’exactitude, Messieurs, c’est là une autre mortification que le P. Préfet de discipline vous conjure à deux genoux de vous imposer avec énergie. Il vous demande encore la sobriété dans les récompenses et les punitions; quant aux mesures de détail qu’il m’a encore signalées, il vous les communiquera lui-même et pourra vous remettre d’anciens imprimés contrenant le règlement des maîtres libres que je voudrais voir remis en vigueur dans la maison.

Permettez-moi, maintenant, Messieurs, d’aborder une autre question.

Distinction surnaturelle.

Messieurs, on a parlé quelquefois dans ces derniers temps de l’abaissement du niveau social des élèves; on a répété que nous ne nous adressions peut-être plus à des classes aussi élevées et que dès lors il fallait employer des manières moins distinguées pour se faire comprendre des enfants. Je crois, Messieurs, qu’on se fait illusion à cet égard et je crois qu’on ne saurait trop s’appliquer à garder les formes les plus relevées en présence même des formes moins polies de quelques élèves. Cette politesse extérieure que j’appellerai la politesse matérielle me paraît comme la plus magnifique barrière qu’on puisse élever entre les gens impolis et soi. Elle donne une supériorité incontestable à celui qui sait la mettre de son côté, et tout maître qui s’en entourera préservera son autorité par ce moyen mieux que par tout autre.

Mais au-dessus de ces manières extérieures, il y a, Messieurs, une politesse supérieure; c’est la forme exquise, distinguée, délicate et soignée que vous devez donner à votre enseignement. Sans doute il faut le fonds, mais il faut aussi la forme pour le faire accepter, pour le faire agréer: Virtus ex illo exibat, est-il dit de Notre-Seigneur. Une vertu secrète partait de son âme, de sa divinité qui semblait passer à travers les pores de son corps; ainsi faut-il vous efforcer de rendre votre âme, selon la belle expression de Lacordaire, translucide; n’objectez pas la nécessité d’opposer aux faiblesses des enfants une rudesse qui s’inquiète peu des formes. – Cette rudesse absolue, excessive, ne pénètre pas, n’émeut pas. En y allant de la sorte, vous faites de l’enseignement chrétien un épouvantail et vous en rejetez les avantages.

Un jour les pharisiens, après avoir entendu parler de Notre-Seigneur, revenaient en disant: Nunquam locutus est homo, sicut homo ille locutus est nobis. Voilà, Messieurs, ce qu’il nous faut imiter dans notre langage; nous appliquer à donner à notre parole ce caractère surnaturel qui attache, charme et élève. Pour cela il faut préparer sa classe, s’appliquer à acquérir tous les jours ce qui nous manque et ne pas faire bon marché de cette vertu secrète qui s’attache aux formes supérieures de la parole. Voyez l’histoire de la peinture: vous avez là un exemple de ce que j’avance. Michel-Ange a bien pu dans sa fresque de la Sixtine nous présenter les muscles avec leurs contours fidèlement interprétés, ils n’en sont pas moins dans leur vigoureuse exécution une oeuvre qui étonne encore plus qu’elle n’attache; voyez au contraire les figures de Fra Angelico; elles sont peut-être un peu raides, mais en même temps voyez comme elles sont enveloppées, entourées, animées par une grâce de forme qui fait, de ces saints, des saints qui du moins n’ont pas l’air de s’ennuyer en paradis; on dit qu’un sermon sur le paradis est bien ennuyeux et que les saints doivent bien s’y ennuyer si on ne s’y réjouit pas davantage; cependant ce sermon en peinture où l’on représente les saints n’est certes pas ennuyeux. – Appliquons-nous donc, Messieurs, à mettre ce charme dans notre manière de parler, cette forme qui nous mettra à la portée de tous, selon le mot de l’Apôtre: Omnia omnibus factus sum. Je me fais tout à tous, est-ce pour me rendre populaire? Un pareil motif serait bien vil et c’est pourquoi saint Paul ajoute: Ut omnes Christo lucrifaciam.

Je prévois une objection; mais, dira-t-on, les apôtres y allaient simplement et rudement. Ecoutez la réponse de saint Jean Chrysostome dans son Traité du Sacerdoce: « Si vous n’avez pas l’inspiration des Apôtres et de saint Paul, ne cherchez pas à vouloir imiter leur rudesse dans la direction des âmes ». Voilà, Messieurs, ce que dit la Bouche d’or; étudiez-vous donc à devenir des professeurs brillants, dans le sens surnaturel que nous attachons à ce mot; que les anciens acquièrent toujours davantage, que les jeunes prennent leurs grades afin d’y arriver plus efficacement, et puisque tous vous devez viser à ce qu’on dise de vous que vous êtes de brillants professeurs, sanctifiez cette tendance naturelle à tout maître zélé et qu’on dise de vous sous l’influence sanctifiante de votre parole: Nunquam locutus est homo sicut homo ille locutus est nobis. Je sais qu’il est tel enseignement sec et aride comme les mathématiques, chose grossière, selon Pascal, qui ne comporte pas ces formes, mais les professeurs de lettres surtout doivent s’appliquer à les acquérir.

Et c’est ainsi, Messieurs, que vous appliquant à devenir des maîtres chrétiens vous vous attirerez sinon la récompense de la reconnaissance de la part de vos élèves (reconnaissance bien rare, car les enfants sont souvent bien ingrats et cette rentrée nous en a fourni les preuves) du moins la récompense éternelle.

Notes et post-scriptum
1. Jusqu'à ces mots le texte était inédit.