- Instructions du mardi aux maîtres du collège
- Nova et vetera
- ECRITS SPIRITUELS, pp. 1336-1340, et Cahiers d'Alzon, 5, pp. 81-88.
- CZ 88 (notes "d'une plume inconnue" M.S.).
- 1 AMOUR DES ELEVES
1 AMOUR-PROPRE
1 ANGES
1 COLLEGE DE NIMES
1 CORPS ENSEIGNANT
1 DESINTERESSEMENT DE L'APOTRE
1 ECRITURE SAINTE
1 ELEVES
1 ENSEIGNEMENT DE LA VERITE
1 ESPRIT CHRETIEN DE L'ENSEIGNEMENT
1 ESPRIT D'INITIATIVE
1 ETUDE DES CARACTERES
1 FORMATION DE JESUS CHRIST DANS L'AME
1 GENEROSITE DE L'APOTRE
1 MAITRES CHRETIENS
1 OUBLI DE SOI
1 QUERELLE DES AUTEURS CLASSIQUES
1 RENVOI D'UN ELEVE
1 ROUTINE
1 TRADITION
1 TRAVAIL DE L'ETUDE
1 VOLONTE PROPRE - Maîtres du collège
- COLLEGE maîtres
- 22 octobre 1867
- 22 OCT 1867
- Nîmes
- Maison de l'Assomption
A la lumière de l’Ecriture.
Comme je cherchais un plan pour la série des instructions que je dois vous faire, le premier qui s’est présenté à mon esprit est celui qui est contenu dans ces paroles du divin Maître: Euntes docete omnes gentes, baptizantes eos in nomine Patris, et Filii, et Spiritus Sancti. Remarquez surtout ce mot baptizantes eos: l’éducation chrétienne en effet doit être un vrai baptême, une véritable purification par laquelle nous devons faire naître Jésus-Christ dans les âmes de nos élèves. On pourrait encore prendre pour sujet de méditation ces paroles du Sauveur: Simile est regnum caelorum sagenae missae in mare et ex omni genere piscium congreganti: quam, cum impleta esset, educentes et secus littus sedentes, elegerunt bonos in vasa, malos autem foras miserunt. Les coups de filet des maisons d’éducation, ce sont les prospectus; quelquefois la pêche est heureuse; quelquefois comme il nous est arrivé, cette année, les poissons nous échappent et encore parmi ceux qui restent peut-il y en avoir de bons et de mauvais. C’est à vous, Messieurs, de faire le choix dont parle ici Notre-Seigneur; il est vrai qu’il ajoute au même endroit que ce choix, ce discernement ne se fera qu’à la fin du monde. Sic erit in consummatione saeculi. Aussi le jugement des élèves expulsés peut-il être considéré comme un prélude du jugement dernier où les anges, comme dit encore Notre-Seigneur, seront chargés d’opérer cette séparation: Exibunt angeli et separabunt malos de medio justorum et mittent eos in caminum ignis: ibi erit fletus et stridor dentium. Oui, Messieurs, dans une maison chrétienne les professeurs, et les directeurs surtout, chargés de ce triage entre les bons et les mauvais élèves, doivent se considérer comme tenant la place des anges.
Mais les paroles que je veux surtout prendre pour base de la présente instruction sont celles qui dans l’Ecriture se placent immédiatement après celles que je viens de commenter. Après avoir exposé à ses disciples cette parabole, Jésus leur demande: « Avez-vous compris tout cela? Intellexistis haec omnia? » Les disciples que Jésus-Christ venait de comparer aux anges ne voulurent pas passer pour des ignorants et s’empressèrent de lui répondre: « Certainement, nous avons compris. Dicunt ei: Etiam. » Alors Jésus-Christ ajoute: Ideo omnis scriba doctus in regno caelorum, similis est homini patrifamilias, qui profert de thesauro suo nova et vetera. Omnis scriba: tout scribe, c’est-à-dire tout professeur, doctus in regno caelorum, instruit, savant dans le royaume des cieux; ainsi l’éducation chrétienne doit toujours avoir pour but d’élever les âmes vers le ciel, mais je reviendrai plus tard sur cette belle parole doctus in regno caelorum.
De thesauro suo.
Permettez-moi de vous commenter d’abord celle-ci: profert de thesauro suo nova et vetera; il tire de son trésor des choses nouvelles et anciennes. De thesauro: ainsi le professeur chrétien doit avoir un trésor, trésor qu’il peut avoir acquis par les moyens des autres dans ses études; mais auquel il doit ajouter beaucoup de ce qui lui est propre, car c’est son trésor à lui, thesauro suo, il lui appartient. Mais ce trésor doit-il le garder pour lui? Non, il doit le communiquer; il doit, nous dit le divin Sauveur, en tirer – profert – des choses nouvelles et anciennes, nova et vetera. Le professeur chrétien ne doit pas craindre de perdre son originalité en communiquant sa science; il doit donner tout ce qu’il a reçu, il doit permettre à chacun de venir puiser à son trésor. Et c’est là, Messieurs, notre magnifique privilège de donner ce que nous avons reçu, de ne recevoir que pour donner aussitôt. Que si nous voulions garder pour nous notre science, nous ne serions plus ce père de famille dont parle Notre-Seigneur: Omnis scriba, similis est homini patrifamilias. Nous serions plutôt le professeur universitaire qui n’enseigne que dans le but de l’intérêt. Si nous sommes véritablement pères de famille nous n’aurons en vue d’autre intérêt que celui de nos enfants; et je ne parle pas seulement ici d’un vil intérêt d’argent, trop méprisable pour que je veuille y arrêter un seul instant ma pensée. Mais un autre intérêt dont il est bien difficile de se dépouiller entièrement, c’est cet intérêt personnel qui fait que dans notre enseignement nous nous recherchons plus que nos élèves, et par lequel un professeur dira, s’applaudissant lui-même: « Je fais ma classe avec esprit, je ne parle qu’à coup de citations, je revêts chacune de mes paroles d’un certain chic, pour ainsi dire, qui leur donne un plus grand prix. » Non, ce n’est pas ainsi que parle et agit le professeur véritablement chrétien, celui qui est doctus in regno caelorum, il connaît le prix du Royaume des cieux, il connaît le prix des âmes qui lui sont confiées, il est sans doute intelligent, spirituel même, mais ses paroles il ne les prononce point pour s’attirer de la gloire, il est père de famille, il a le coeur large à l’égard de ses enfants. Il a bien médité cette parole des Vêpres: Dispersit, dedit pauperibus. Il a dispersé, pour ainsi dire, il a donné, mais donné largement, dispersit, je dirai presque: il a gaspillé. Ce qu’il a donné à ces intelligences faibles, dénuées, c’est la vérité, ce sont des choses nouvelles, anciennes, nova et vetera.
Nova et vetera.
Nova des choses neuves: il faut en effet que le professeur chrétien donne du nouveau; de là, la nécessité pour le professeur de préparer sa classe, pour revenir sur ce que j’ai déjà dit la dernière fois(1). Nova, c’est ce que le professeur a de son propre fonds, il faut que le professeur chrétien, s’il le peut du moins, soit original. Le mot nova c’est donc la condamnation du professeur routinier; la routine doit être bannie de l’enseignement chrétien; le professeur ne doit pas avoir des phrases stéréotypées en quelque sorte; il doit apporter à ses élèves nova, c’est-à-dire, en donnant à ce mot un autre sens que celui qu’il a en rhétorique, qu’il doit avoir de l’invention.
Mais cela ne suffit point, il faut encore que le professeur chrétien tire de son trésor vetera, c’est-à-dire qu’il possède les auteurs anciens, qu’il ait de l’acquit: il ne faut pas qu’il se contente de préparer ses auteurs au moment même de sa classe. Vetera, c’est donc la science, mais c’est surtout les vérités religieuses, l’antiquité de la vérité révélée et c’est ce que le professeur qui est véritablement instruit des choses du ciel, doctus in regno caelorum, dispensera à ses élèves. Il sait trop, pour manquer à ses devoirs, combien sont précieuses les âmes qui lui sont confiées, les toiles qu’il peint n’auront rien à souffrir de l’injure du temps, car il a trempé ses couleurs dans le sang de Jésus-Christ. Ce n’est point lui qui aura en vue un gain sordide ou la satisfaction de son amour-propre: il travaillera pour le ciel; il est véritablement père de famille; il se montre vraiment digne d’administrer ce baptême de l’éducation chrétienne dont nous avons parlé, il n’est point avare de son trésor, il le répand avec profusion. Dispersit, dedit pauperibus, car il sait qu’en cela consiste la véritable justice, la justice qui demeure éternellement et justitia ejus manet in saeculum saeculi. Aussi ces rayons de lumière qu’il a dispensés pour les faire servir à l’illumination des intelligences se transformeront un jour pour lui en rayons de gloire. Et cornu ejus exaltabitur in gloria. Ainsi soit-il.