Instructions du mardi aux maîtres du collège

14 JAN 1868 Nîmes COLLEGE maîtres
Informations générales
  • Instructions du mardi aux maîtres du collège
  • Surveillance des maîtres par leurs élèves
  • ECRITS SPIRITUELS, pp. 1367-1370, et Cahiers d'Alzon, 5, pp. 132-136
  • CZ 88 (notes "d'une plume inconnue", M.S.).
Informations détaillées
  • 1 BON EXEMPLE
    1 CHARITE ENVERS LE PROCHAIN
    1 CLASSES INFERIEURES
    1 COURS
    1 DISTINCTION
    1 EDUCATION EN FAMILLE
    1 EDUCATION RELIGIEUSE
    1 ELEVES
    1 EMPLOI DU TEMPS
    1 ENFANTS DES ECOLES
    1 ETUDE DES CARACTERES
    1 FORMATION DE L'ESPRIT DE SACRIFICE CHEZ LES JEUNES
    1 HYPOCRISIE
    1 IMITATION DE JESUS CHRIST
    1 INSENSIBILITE
    1 MAITRES
    1 MAITRES CHRETIENS
    1 MAITRISE DE SOI
    1 OBLATES
    1 OUBLI DE SOI
    1 PARESSE
    1 PENSEE
    1 PENSIONNAIRES
    1 PIETE
    1 PREDICATIONS DE CAREME
    1 REFORME DE LA VOLONTE
    1 REFORME DU COEUR
    1 ROUTINE
    1 SURVEILLANCE DES ELEVES
    1 VENGEANCE
    2 JAPHET
    2 LAFONTAINE, JEAN DE
    2 NOE
    2 SEM
  • Maîtres du collège
  • COLLEGE maîtres
  • 14 janvier 1868(1)
  • 14 JAN 1868
  • Nîmes
  • Maison de l'Assomption
La lettre

J’aurais voulu pouvoir continuer avec vous le sujet que j’avais embrassé, mais une courte absence et d’un autre côté des instructions, que je dois faire aux élèves pendant le Carême, me forcent à interrompre et à clore la série de mes considérations sur l’éducation. Dans cette dernière instruction, je veux envisager le maître surveillé par ses élèves et le bien que le maître peut faire aux élèves au moyen de cette surveillance qu’ils exercent envers lui.

Raisons de cette surveillance.

Et d’abord d’où vient cette surveillance? Trois causes se présentent à ma pensée: 1° Le don de l’observation si naturel à l’enfance. L’enfant veut tout observer, il épie nos moindres actions, nos moindres paroles, nos moindres démarches. Rien ne lui échappe, il saisit le plus petit travers, le ridicule le plus imperceptible. 2° La seconde cause de la surveillance exercée par l’élève vis-à-vis du maître chrétien: c’est que, pour des élèves qui sont comme les nôtres presque constamment enfermés, il n’est pas d’autre occasion que celle-là. Juger son maître est un moyen de passer le temps. 3° Enfin la troisième cause est que les élèves veulent se venger de la surveillance que nous exerçons envers eux; c’est en quelque sorte un rendu pour un prêté. Tu m’observes, se disent-ils, eh bien! moi aussi, je vais observer et ils ne laissent rien passer.

Les profits à en tirer.

Vous comprenez dès lors quel avantage, quel bien immense le maître chrétien peut retirer de cette surveillance à laquelle le soumettent les enfants. Elle l’oblige d’abord à se surveiller un peu plus lui-même pour faire disparaître les défauts volontaires ou non qui pourraient choquer les élèves. Parfois, tout en avouant qu’ils prêtent à la critique, les maîtres se prennent à dire: « Oui, mais si les élèves étaient mieux ». Ah! Messieurs, tâchons de nous guérir d’abord nous-mêmes, d’être mieux nous-mêmes et c’est ainsi que nous rendrons les élèves meilleurs. Je sais bien que les élèves, s’ils étaient raisonnables, devraient plus souvent fermer les yeux sur les défauts de leur maître et couvrir du manteau de Sem et de Japhet la nudité de Noë professeur; je sais encore qu’il est dit: Père et mère honoreras, et que nous représentons vis-à-vis des élèves la sainte autorité des parents. Mais ce que je sais également, c’est que bien souvent les maîtres ne font pas assez d’efforts pour acquérir l’estime de leurs élèves.

Et c’est pourtant à ce moment où les élèves épient le maître pour le surprendre, c’est à ce moment où ils se disent: « Ah! il est connu, il va faire telle chose, se laisser aller à telle petite misère »; c’est ce moment, dis-je, dont le maître chrétien, qui s’observe, devrait profiter pour donner une leçon, un bon exemple, à ceux qu’il est chargé de former. Mais bien souvent par manque de mortification, par routine ou par paresse, nous nous laissons aller à nos mauvaises habitudes. Cependant les élèves, croyez-le bien, malgré leur disposition hostile envers les maîtres; car, ainsi que l’a dit La Fontaine:

Notre ennemi, c’est notre Maître:

Je vous le dis en bon français,

les élèves, dis-je, ne seraient pas fâchés de trouver en nous les qualités opposées à nos défauts. Car notre âme, corrompue cependant par le péché originel, est par un côté naturellement bonne, car elle ne peut l’être tout à fait que pour les personnes arrivées à un certain degré de perfection, et nous aimons toujours à trouver le bien dans les autres.

Soyez donc bien convaincus, Messieurs, que le plus souvent, si nous ne retirons aucun fruit pour les élèves de cette surveillance qu’ils nous font subir, cela vient de ce que nous ne faisons pas assez d’efforts sur nous-mêmes. Comment, par exemple, un maître qui n’a pas de tenue pourrait-il en donner à ses élèves. Ainsi, et ceci je puis bien le dire, car il n’y a rien de secret, d’où vient que nous avons tant de peine à former ces bonnes Oblates(2) qui ne manquent cependant pas d’intelligence, qui ne comptent pour rien leur vie et se font si facilement aux fatigues du corps, à la vie rude et pénitente? D’où vient cependant que, dans bien des occasions, elles font preuve d’inintelligence et même d’une certaine grossièreté? Cela vient tout simplement de ce que dans leurs montagnes elles n’avaient aucun modèle sur qui elles pussent se façonner. La plupart d’entre elles n’avaient sous les yeux qu’un père gros paysan plutôt enclin aux jurons et aux paroles grossières qu’aux manières polies et aux paroles agréables. Quant à leurs mères, n’ayant reçu aucune éducation, elles ne peuvent la communiquer à leurs filles: Nemo dat quod non habet. Voilà comment il se fait que tout en étant douées d’une certaine intelligence et d’une assez grande dose de bonne volonté, ces pauvres filles manquent en bien des choses. C’est qu’elles n’ont eu, je le répète, aucun modèle sur lequel elles pussent se façonner.

Il en sera de même des élèves: ils seront ce que vous les ferez par vos exemples et par votre conduite. Chaque fois qu’ils vous observeront, vous pourrez les surprendre agréablement (et ici j’emploie ce mot dans son sens chrétien que je vous commentais tout à l’heure); vous pourrez d’autant plus agir sur eux et leur faire du bien que c’est le moment où ils s’y attendent le moins. Vous pourrez leur inspirer ce sentiment de la piété et je prends ici ce mot dans son sens le plus élevé, c’est-à-dire les rapports intimes avec Dieu. Mais que cette piété soit sincère, car des élèves savent bien distinguer la piété sincère d’avec l’étroite piété, la piété affectée, je ne dirai point la piété hypocrite; car j’ose espérer que personne parmi nous n’a ce genre de piété, mais celle qui est gâtée par certaines brutalités ou certaines mièvreries, que les élèves ne peuvent souffrir. Enfin vous pourrez inculquer aux élèves les idées d’abnégation et de sacrifice non point certes par de longs discours, mais par la manière dont vous ferez votre classe, par la manière dont vous surveillerez en étude et enfin par toutes les manières qui sont à votre disposition pour agir sur l’âme de ceux qui vous sont confiés. Mais pour cela il faut imiter le modèle que je vous ai si souvent proposé et s’inspirer des sentiments de Jésus-Christ et puiser dans sa vie ces idées de sacrifice et d’amour des âmes dont la pratique peut seule rendre parfait le maître chrétien. Ainsi soit-il.

Notes et post-scriptum
1. Date proposée d'après des arguments de critique interne.2. Quelques premières Oblates avaient pris en mains, au commencement de l'année scolaire, certains services du collège avec beaucoup de dévouement et un peu d'inexpérience.