Sermons divers

11 JUN 1848
Informations générales
  • Sermons divers
  • Sermon pour la Pentecôte, 11 juin 1848
  • CZ 115 (notes d'inconnu).
Informations détaillées
  • 1 ABUS DES GRACES
    1 ACTE DE CREATION
    1 ACTIONS DE DIEU
    1 AMOUR DIVIN
    1 AUGUSTIN
    1 AUSTERITE
    1 CIEL
    1 CORPS MYSTIQUE
    1 DON D'INTELLIGENCE
    1 DONS DU SAINT-ESPRIT
    1 EGOISME
    1 ESPRIT DIABOLIQUE
    1 ETERNITE DE DIEU
    1 INDIFFERENCE
    1 LIBERTE
    1 MAL MORAL
    1 MATERIALISME
    1 MONDE CREE
    1 PAIX DE L'AME
    1 PANTHEISME
    1 PENTECOTE
    1 PERFECTIONS DE DIEU
    1 RATIONALISME
    1 SAINT-ESPRIT
    1 SAINT-ESPRIT SOURCE DE LA CHARITE
    1 SOCIETE
    1 TIEDEUR
    1 TRIOMPHE DE L'EGLISE
    1 UNION DES COEURS
    1 UNITE DE L'EGLISE
    1 VERTUS THEOLOGALES
    1 VIE DE PRIERE
    1 VIE DE SACRIFICE
    1 VOLONTE DE DIEU
  • Pentecôte, 11 juin 1848
  • 11 JUN 1848
La lettre

Texte. L’Esprit de Dieu a rempli de sa puissance toute la terre.

C’est sans doute, mes frères, par une permission spéciale de Dieu que s’est répandu dans l’univers ce sentiment que, quoique le St-Esprit se fût déjà manifesté au commencement de toutes choses, il se manifesterait encore plus parfaitement à la fin, soit seulement au ciel soit sur la terre même par un de ces triomphes dont nous sommes si souvent témoins. Quoi qu’il en soit, nous pouvons affirmer que, si l’on peut dire avec raison que plus la vérité est attaquée et méconnue, plus les victoires sont illustres, la vérité du St-Esprit attend une grande, une immanquable réparation.

En effet, tandis qu’Il est attaqué avec une haine persévérante et que le libérateur du genre humain se laisse convaincre en apparence par ses ennemis, l’esprit de Dieu ou d’amour, apposé à l’esprit du diable ou de colère, reçoit l’indifférence et l’oubli. Qui est-ce qui en effet, mes frères, s’occupe du St-Esprit? Quelle place occupe-t-il dans le monde? C’est à ces questions que je veux répondre en vous montrant dans le St-Esprit le principe de toute vérité, comme J.C. lui-même nous l’a enseigné, lorsque l’oeuvre qu’il avait commencée est restée incomplète jusqu’à ce que le St-Esprit y ait mis la dernière main.

Pour remplir mon dessein, je poserai ces deux questions que je résoudrai successivement et qui formeront les deux divisions de mon discours: 1° Que fait le Saint-Esprit dans l’univers? 2° Que fait le Saint-Esprit dans l’humanité? Questions un peu difficiles, mais l’Esprit-Saint dont je vous parle viendra m’éclairer et vous, ô Marie, sa chaste épouse, vous le prierez de descendre sur mes lèvres afin qu’elles le célèbrent dignement. Ave Maria.

Premier point. Que fait le Saint-Esprit dans l’univers?

Lorsque l’homme veut se rendre compte de lui-même et de son origine, il se demande: pourquoi et comment l’Univers? Au comment l’Eglise répond de manière à éviter toute discussion: Dieu fait le monde par lui-même, omnia per ipsum. Mais reste toujours la question du Pourquoi, échec perpétuel des rationalistes. Ces philosophes font des raisonnements fort beaux qui les conduisent à cette belle conclusion: le monde existe parce qu’il existe; et voici comment ils y arrivent.

Si Dieu est infini, disent-ils, il est infiniment parfait; et s’il n’agit que par des motifs infiniment parfaits, ses oeuvres sont infinies comme les motifs qui les font entreprendre. Or ce qui est infini existe nécessairement, donc les oeuvres de Dieu existent nécessairement. Or le monde est une oeuvre de Dieu, donc le monde existe nécessairement; il est éternel et nécessaire; donc Dieu n’a pu faire autrement que de créer le monde et, si Dieu n’a pu faire autrement que de créer le monde, tout acte accompli dans le monde est nécessaire et par conséquent légitime. Donc il n’y a plus ni mal ni bien, première conclusion et, seconde conclusion, le monde est Dieu.

L’objection paraît ridicule mais, toute ridicule qu’elle paraisse, je défie qui que ce soit de la résoudre sans le St-Esprit. Nous allons voir en effet comment raisonnent les chrétiens qui croient au St-Esprit ou à l’amour résidant en Dieu. Ils disent:

D’abord le monde est un mystère et jusqu’à ce qu’on ait expliqué le mystère de la cohésion, jusqu’à ce qu’on ait montré pourquoi un homme qui vient de rompre un morceau de pain ne peut plus ensuite relier ensemble les morceaux, la création reste inexplicable; toutefois voici comment on peut arriver à la vérité.

En Dieu est une puissance d’aimer; qui aime veut et qui veut est libre. Or Dieu a en lui l’amour et il est parfait, donc sa volonté sera parfaite et, si sa volonté est parfaite, elle est libre; elle peut se manifester comme il l’entend; et c’est pour manifester cette volonté qu’il a créé le monde. Ne pouvait-il pas le créer autrement? Si de toute éternité étaient dans sa pensée les systèmes du monde qu’il pouvait créer, il a choisi cette forme plutôt qu’une autre parce qu’il l’a aimée. Donc la raison du monde est l’amour, or l’amour de Dieu c’est le St-Esprit, donc la raison du monde est le St-Esprit.

Il suffit donc de ramener l’homme à cette question: aimez-vous, voulez-vous? Si vous aimez, si vous voulez, comment Dieu, être souverainement parfait, n’aurait-il pas un amour et une volonté parfaite? Or l’amour et la volonté nécessitent la liberté et Dieu n’a fait que manifester sa volonté en créant le monde et il n’a créé le monde que parce qu’il l’a aimé.

Après cela il faut constater dans la création trois caractères: 1° un caractère divin, 2° prouver que le monde créé par Dieu est distinct de Dieu, 3° enfin montrer qu’il a des rapports avec Dieu.

1° Un caractère divin.

Et d’abord le caractère divin est irrécusable dans le monde. Le fait de la création est impossible sans Dieu et, si haut que l’on monte dans les régions de l’infini, on finira toujours par rencontrer le néant, le néant qui ne répond qu’à la voix seule de Dieu.

2° Le monde est distinct de Dieu.

Deuxièmement, le monde est distinct de Dieu. La volonté humaine est une des plus belles preuves de cette vérité. Lorsqu’en effet je suis tenté, prêt à céder à un mauvais penchant, dirai-je que je suis incliné vers une action divine, en aurai-je le courage? Non, et si je n’ai pas ce courage, il faut bien reconnaître que c’est parce qu’il y a distinction entre une volonté viciée, une volonté corrompue et Dieu, parfait dans son principe.

3° Enfin, rapports nécessaires entre Dieu et sa créature.

Enfin il y a entre Dieu et nous des rapports nécessaires car l’amour de Dieu vient élargir le monde des créatures. Comment en effet y aurait-il des liens entre Dieu et nous si Dieu ne nous sollicitait? Mais de toute part s’élève une voix qui invite l’homme à célébrer Dieu: c’est l’oiseau qui chante sous la feuillée, l’insecte qui bruit sous l’herbe, l’aurore et les premiers feux du soleil, ses derniers rayons et les pâles lueurs du crépuscule, l’éclat voilé de l’astre des nuits qui appellent l’homme à honorer son créateur, tout nous fait sentir cette attraction divine qui faisait dire au prophète: in caritate perpetua dilexi te, et in misericordia mea attraxi te. Mais malgré ces sollicitations nombreuses Dieu respecte encore notre liberté, il nous permet d’anéantir ses oeuvres, d’être sourds à leur voix.

Revenant maintenant sur ce que nous avons dit, reconnaissons que Dieu a créé le monde parce qu’il nous a aimés, parce qu’il a voulu nous attirer à lui. C’est là la raison d’être de l’univers. Examinons maintenant l’action du St-Esprit dans l’humanité.

Deuxième point. Ce que fait le St-Esprit dans l’humanité.

Ce serait en vain que le St-Esprit se manifesterait dans l’univers, s’il ne s’exerçait aussi sur l’esprit auquel il doit surtout s’adresser… Cherchons donc à voir les traits particuliers qui [mot illisible] le St-Esprit dans le monde; nous aurons vu l’action du St-Esprit dans l’humanité.

Un premier trait est l’union car quiconque aime veut s’unir à l’objet de son amour et plus l’amour est grand, plus le désir de l’union s’accroît. Donc l’amour de Dieu doit porter en lui un caractère d’union, non pas parfaite car ce serait la métamorphose de l’homme en Dieu mais aussi grand que nous pouvons le supporter dans notre faiblesse. Examinons si le St-Esprit a résolu le problème de l’union et pour cela suivons les développements magnifiques de saint Augustin.

Il fait remarquer qu’au commencement Dieu créa plusieurs oiseaux, plusieurs poissons, plusieurs animaux féroces mais qu’il ne créa qu’un homme dont sont sortis tous les autres: premier symbole de l’unité. Pour [seconde?] leçon nous voyons après la mort du Christ, le St-Esprit descendre en forme de langues de feu sur une maison où sont réunis de pauvres pécheurs et ces pécheurs se mettent à parler toutes les langues connues. Il fait voir dans ce miracle l’emblème de l’Eglise qui [mot illisible] une maison unique, une société qui réunit la diversité des langues et des peuples en un seul centre vers qui convergent toutes les âmes. Ce saint docteur se sert encore d’une troisième comparaison. De même, dit-il, que tous les membres d’un corps végètent d’une vie commune, de même dans l’Eglise les membres différents n’ont qu’une vie; et de même que le corps réuni dans son ensemble a l’âme pour vie et que ce n’est point l’oreille qui entend, l’oeil qui voit, le pied qui marche, mais l’âme, de même les membres différents de l’Eglise ont pour vie le St-Esprit et ce n’est point eux qui agissent mais le Saint-Esprit en eux. De là découlent deux conséquences.

D’abord que pour avoir part à la vie il faut s’unir au corps. Car si je coupe ma main elle meurt. Ainsi tout membre séparé de l’Eglise languit et s’éteint. D’où ce caractère perpétuel de l’Eglise, l’assistance constante du St-Esprit. Quiconque n’est pas dans l’unité n’a point part à cette assistance, pas plus que la main, détachée du tronc, n’a part à la vie animale. Combien donc il nous importe d’être uni à l’Eglise et combien devons-nous plaindre ceux qui s’en éloignent.

Ensuite l’esprit de Dieu s’est uni à l’Eglise en tant qu’esprit de Dieu. Lorsque Dieu a fait mon corps il l’a fait sans moi et par conséquent sans moi il peut me retirer la vie. Mais Dieu s’étant uni à l’Eglise par sa propre volonté ne peut s’en séparer que par sa propre volonté. Or il a promis qu’il resterait toujours avec elle, donc il restera toujours uni à elle. Tant qu’elle l’aura elle vivra, et comme elle l’aura toujours elle vivra aussi toujours. Voilà, on peut l’assurer sans crainte de se tromper, la raison véritable des triomphes de l’Eglise. Elle ne craint rien puisqu’elle possède Dieu.

C’est ce qui fait comprendre la différence qui sépare les sociétés humaines de l’Eglise. Toutes sont composées d’hommes remplis des mêmes préjugés et des mêmes erreurs. Tandis que dans les sociétés humaines l’homme est seul avec lui-même, dans l’Eglise il est mené, conduit par l’esprit de Dieu [qui] vivifie tous ses actes et les marque du sceau de l’immortalité.

L’esprit de Dieu agissant dans l’Eglise se manifeste encore par la lumière qu’il répand: docebit vos omnem veritatem. N’avez-vous jamais senti ce qu’était la vérité sentie, aimée et n’avez-vous jamais tressailli en présence de Dieu qui vous éclairait de splendeurs inconnues à votre âme?

C’est encore un esprit de sacrifice et ici redoublez votre attention. Jetez les yeux autour de vous. De quoi se plaint-on? On se plaint de l’égoïsme, de cette tendance universelle des hommes à ne penser qu’à eux-mêmes, à n’aimer qu’eux-mêmes et à ne s’occuper [que] des intérêts matériels. C’est là l’esprit de la terre, esprit qui vient combattre et vaincre l’esprit de Dieu, l’esprit de Dieu qui entraîne les saints et se retire avec mépris des pécheurs. C’est là l’Esprit qui a sauvé le monde. Sic Deum dilexit mundum ut filium ejus…

Mon ami, il faut vous pénétrer de cet esprit car on n’est chrétien qu’en se dévouant à Dieu. Mais, hélas, la charité se refroidit, l’amour de Dieu se retire, tandis que certaines âmes choisies ne recherchent que Dieu dans les austérités de la pénitence, dans les élans de la prière, dans le zèle de l’amour du prochain. Prenons garde à nous. Dieu a mis en nous son esprit. L’avons-nous exalté ou bien l’avons-nous précipité de son trône? Si nous l’avons détrôné, il crie vengeance contre nous.

Enfin l’esprit de Dieu est un esprit de paix. Près de monter au calvaire, Jésus disait à ses disciples: Je vous laisse ma paix mais pas celle que le monde donne, et après sa résurrection il les saluait par ces mots: la paix soit avec vous. Rien en effet ne peut subsister dans l’ordre sans la paix et Jésus qui est venu rétablir l’ordre a aussi rétabli la paix. C’est cette mission de rétablir la paix qui lui donnait cette vertu d’apaisement par laquelle il s’emparait de tous ceux qui l’entouraient et qui faisait dire à ses ennemis mêmes: nul ne parla jamais comme cet homme. Tout en lui devait être calme et ce calme portait partout la paix du coeur. Nous l’avons sentie cette paix quelquefois. Si nous l’avons encore, conservons-la précieusement; si nous ne l’avons plus, cherchons-la par l’amour, elle nous reviendra certainement.

Je m’arrête et quittant le spectacle de l’univers et de l’humanité, descendant dans notre propre coeur nous trouverons le Saint-Esprit endormi peut-être mais notre voix le réveillera. Disons-lui donc:

Seigneur, que de grâces vous m’avez faites, que j’ai repoussées par mon indifférence! Vous m’avez voulu parfait et j’ai détruit votre oeuvre. Vous avez voulu faire germer en moi la vérité, et je l’ai laissée mourir. Faites que désormais plus rien ne me souille. O esprit d’amour, vie de l’Eglise, ma vie, qu’en vous j’aime Dieu! Que je monte dans vos voies! Que je croie, que j’espère, que j’aime par vous et qu’enfin conduit par vous de sacrifices en sacrifices jusqu’à la mort, le dernier et le plus grand des sacrifices, j’arrive dans votre amour jusqu’au Paradis! Amen(1).

Notes et post-scriptum
1. Le plan autographe de ce sermon du P. d'Alzon "Pour le saint jour de la Pentecôte" est conservé (v. D01214).