Sermons divers

13 MAR 1849 Nîmes
Informations générales
  • Sermons divers
  • [Sur la grâce]
  • CZ 116 (notes d'un inconnu).
Informations détaillées
  • 1 ABUS DES GRACES
    1 ACTION DE DIEU DANS L'AME
    1 AMOUR DIVIN
    1 AUGUSTIN
    1 CHATIMENT DU PECHE
    1 CONVERSION SPIRITUELLE
    1 DEMARCHE DE L'AME VERS DIEU
    1 DEPASSEMENT DE SOI
    1 DESIR DE LA PERFECTION
    1 DESSEIN DE SALUT DE DIEU
    1 DISPOSITIONS AU PECHE
    1 DON DE SOI A DIEU
    1 EFFORT
    1 EXAMEN DE CONSCIENCE
    1 FAIBLESSES
    1 GRACE
    1 HUMILITE
    1 IMITATION DE JESUS CHRIST
    1 INCARNATION DE JESUS-CHRIST
    1 JESUS-CHRIST MEDIATEUR
    1 JUIFS
    1 LUTTE CONTRE SOI-MEME
    1 PECHE ORIGINEL
    1 PREDICATIONS DE CAREME
    1 PRIERE DE DEMANDE
    1 PUISSANCE DE DIEU
    1 PURIFICATIONS SPIRITUELLES
    1 RECONNAISSANCE
    1 RESISTANCE A LA GRACE
    1 SACRIFICE DE JESUS CHRIST
    1 VERTU DE FORCE
    1 VERTU DE PENITENCE
    1 VIE DE PRIERE
    1 VIE DE SACRIFICE
    1 VOIE UNITIVE
    2 ADAM
    2 MOISE
    2 PAUL, SAINT
    3 NIMES, CATHEDRALE
  • 13 mars 1849
  • 13 MAR 1849
  • Nîmes
  • Cathédrale de Nîmes
La lettre

Sermon du 13 mars 1849(1).

Lex per Moysen data est, gratia autem…

Il est donc reconnu que l’homme ne peut se relever de l’abîme creusé par la première faute; livré à une douleur éternelle, il traînera donc sa chaîne en demandant cette liberté qu’il ne pourra plus conquérir. Mais Dieu se laissera toucher par tant d’abaissement; il enverra vers l’homme son médiateur, Jésus-Christ son fils, et ce fils par le dévouement le plus admirable rétablira l’ordre interrompu, remettra toute chose dans sa splendeur primitive. Comment s’établira un pareil prodige? Comment le Sauveur descendra-t-il jusqu’à nous, c’est ce que nous allons étudier en recherchant d’une part ce que le Père et l’homme apportent dans le mystère de l’incarnation et d’autre part quelles sont les opérations de la grâce dans ce mystère par rapport à nous.

Premier point.

Dans ce grand traité d’alliance qui vient unir le ciel et la terre nous remarquons d’abord deux puissances en présence. Et quand je dis deux puissances, je me trompe sans doute, car si la puissance infinie tient à réclamer ses droits, en même temps l’infinie faiblesse demande grâce et crie miséricorde. C’est Dieu qui fera les avances, qui traitera avec cette nature coupable dont il souhaite l’innocence et la rédemption, lui enfin qui fera le premier entendre sa voix à l’homme tombé, incapable par lui-même soit d’élever son regard vers le ciel soit de payer le juste prix de ses crimes. Dieu donc parle à l’homme et lui offre de nouveau son amitié. Qui l’y engage? Quel sentiment le pousse? Aucun autre que sa bonté infinie et son inépuisable charité. Or, comme père, Dieu donne son fils pour le salut du genre humain et quand il a ainsi manifesté son amour, quand ce Fils s’est immolé sur la croix, le Tout-puissant lui ouvre le trésor de ses pardons, l’en établit le dispensateur et sanctionne tout ce que le Christ son médiateur aura voulu faire pour accomplir sa mission réparatrice.

Mais pourquoi le Christ viendra-t-il? Pourquoi fera-t-il le sacrifice de sa vie? Pourquoi donnera-t-il son sang? Pour accomplir une disposition de l’amour de Dieu. Sa venue, son immolation, sa mort seront des grâces. Des grâces? C’est-à-dire quelque chose qui n’est pas dû, c’est-à-dire un don gratuit que Dieu fait sans y être contraint. L’homme était tombé, la justice divine le pouvait punir éternellement. Si elle ne l’a point fait, c’est par bonté, par miséricorde, par amour. Rien n’obligeait Dieu, il était entièrement libre et pourtant que nous a-t-il donné? Nous n’avions droit à rien, notre existence brisée est pour nous le boulet infâme que traîne le condamné.

Qu’est-ce donc que l’homme pour mériter que Dieu fasse ainsi taire sa justice pour n’écouter que son indulgence? L’homme est aujourd’hui une nature dégradée, avilie, corrompue. Dans l’état d’innocence il pouvait quelque bien, il était capable de certaines vertus. Son inclination le portait vers Dieu qu’il regardait alors comme sa fin. Il pouvait accomplir les commandements qu’il connaissait et la grâce, qu’il possédait habituellement, lui devenait un mérite parce qu’il était vertueux et que ses actes étant libres portaient le caractère de la pureté. Mais cette justice originelle lui a été enlevée par la rébellion. Il a cessé de pouvoir mériter, sa puissance pour le bien s’est diminuée, sa volonté déjà limitée a perdu presque toute énergie et il a dissipé cette faculté qu’il avait de faire le bien dans des efforts inutiles. Car, remarquez-le, mes frères, il n’y a pas de vertu méritoire là où Dieu n’est pas pour quelque chose et l’homme séparé volontairement de Dieu ne pouvait plus aspirer au ciel. En effet pour que l’homme puisse aspirer au ciel, il faut le consentement de Dieu, mais Dieu était irrité contre l’homme qui s’était éloigné de lui et ne devait pas lui pardonner.

Bien plus, si l’homme reconnaît sa faute, s’il va jusqu’à faire ses excuses, Dieu peut ne pas les recevoir et se montrer inexorable. Par conséquent quand même l’homme voudrait se convertir, il doit attendre que Dieu lui pardonne, car de lui-même il ne peut rien pour le bien et la vertu. Voilà l’état de l’homme incapable de faire un acte d’amour méritoire car, pour cela, il faut être préparé par la grâce et Dieu s’étant retiré de l’homme, ne donne plus à l’homme la grâce dont il a besoin. Si donc l’homme ne peut faire un acte de charité surnaturel il ne mérite rien pour le paradis et pour la vie immortelle qu’il ambitionne.

C’est au milieu de tant de misères presque irréparables que Dieu pardonne au pécheur et le prévient de ses suaves invitations. Ah! Si nous entrions dans ce travail intérieur par lequel l’âme humaine doucement et fortement impressionnée s’avance vers Dieu, que de choses n’aurions-nous pas à dire et surtout à admirer dans l’élan d’une pieuse reconnaissance.

Sans doute les voies de Dieu sont infinies et multiples, sans doute que Dieu ne manque pas à l’homme et qu’il ne damne personne par sa faute. Mais aussi il n’est pas douteux que bien des hommes sont insensibles à la voix du Seigneur et se réprouvent volontairement. Comment peuvent-ils être assez insensés pour cela, c’est un mystère mais un mystère que nous devons nous efforcer de pénétrer. Ce n’est point difficile si nous réfléchissons au respect que Dieu porte à notre libre arbitre et à notre indépendance. Si l’homme en effet ne peut rien sans la grâce, la grâce ne peut rien sans lui. Dans certains cas extraordinaires comme les conversions subites qui nous étonnent quelquefois, la nature semble changée malgré elle. Mais dans l’ordre commun, Dieu nous demande en quelque sorte la permission de nous rendre meilleurs. Et c’est là le sujet de notre effroi, Chrétiens. Dieu ne nous sauvera pas sans nous, il faut donc joindre tous nos efforts à l’action de Dieu et si le salut est l’unique chose importante, si nous devons y employer toutes nos forces, examinons ce que nous avons fait jusqu’à présent. Voyons si nous avons songé sérieusement au salut, à l’éternité. Combien d’heures, combien de courts instants avons-nous consumés dans ces méditations? La grâce de Dieu est là qui nous sollicite, mais elle n’agit pas seule; il faut notre volonté, la soumission de notre libre arbitre. La donnons-nous? Ah! si nous l’avions donnée, nous serions moins indifférents pour le salut. Si nous avions correspondu à la grâce, nous serions autres que nous ne sommes, nous travaillerions à accomplir nos devoirs! Mais la main sur la conscience, quel chrétien peut dire qu’il ne laisse rien passer de la loi éternelle! Encore une fois, gémissons et reconnaissons que si Dieu a voulu nous respecter tellement, ce sera notre faute si nous nous damnons, si nous refusons cette grâce et cette action toute puissante qui nous soulèverait jusqu’au ciel!

Voilà les éléments que nous offre cette première étude: la miséricorde de Dieu d’une part, de l’autre une volonté sans force, un libre arbitre incapable de toute perfection. Admirons cette composition merveilleuse de choses opposées et dans un silence respectueux admirons l’action divine qui s’empare du coeur d’un coupable pour en faire un saint et un élu.

Deuxième point.

Avouons d’abord, mes frères, qu’il est impossible de tracer des lois à cette charité divine qui dispose toute chose dans la suavité et dans la force. Cependant à ne considérer que les lois générales et tout en respectant les desseins secrets de Dieu, on peut dire que la grâce est répandue de telle sorte que tous peuvent y participer. Mais si Dieu donne à tous la grâce, pourquoi, me direz-vous, tous les hommes ne sont-ils pas saints? C’est que, répond l’évangile, la grâce est accordée à tous mais à des degrés divers: alius sic, alius autem sic. Et toutefois, il est une grâce que tous les hommes possèdent, c’est la grâce de la prière. Un voyageur suit une route difficile qui doit le conduire dans sa patrie. La nuit est sombre, des précipices l’entourent, il tombe, il est meurtri, incapable de se relever. La voix lui reste au moins, il crie, il appelle, on l’entend, on vient à son secours, on le relève du gouffre, et appuyé sur un bras ami, il peut continuer sa route. Voilà ce que nous sommes et l’état fidèle du pécheur… Nous sommes tombés sur la route de la patrie immortelle et nos lâches efforts ne suffisent point pour nous redresser. Prions, mes frères, la grâce viendra nous soutenir et si nous savons en bien profiter, nous pourrons reprendre de nouveau notre pèlerinage.

Mais ne dites point que vous ne pouvez pas prier. En un sens vous avez raison car vous ne pouvez de vous-même faire aucun bien. Mais Jésus-Christ nous a obtenu cette grâce par son sang et sa mort nous a permis de prier. Prions donc, invoquons le Seigneur, il nous entendra. Point de formules, un sentiment profond de misère suffit et pour avoir ce sentiment que faut-il? Réfléchir sur soi-même, se regarder dans toute la laideur que nous imprime le péché. Mais nous détournons nos yeux, nous ne voulons pas, nous préférons dormir dans l’ignorance, nous avons peur de nous-même et nous ne prions pas! Cela n’est pas étonnant. Vous cachez vos souillures, vous dissimulez vos maladies, et pour mieux vous cacher, pour mieux vous dissimuler, vous ne priez pas. Hélas, en ce moment qui de vous pourrait me démentir? Que de vous pourrait me dire que je vous accuse injustement? Non, vous n’osez pas comprendre, nolunt intelligere! Du courage, mes frères, commencez courageusement l’oeuvre du salut et alors vous ne vous plaindrez pas de Dieu. Il ne se montrera point avare. Mais ne refusez pas ses dons, ils tourneraient contre vous; profitez de ceux qui vous arrivent et soyez certains que les autres viendront à leur tour. Demandez et vous recevrez. Si vous avez des besoins, dites hardiment. Dieu vous donnera ce qui vous manque, ce bien inconnu que vous cherchez et qui n’est autre que lui-même. Bannis de la demeure paternelle où nous devions habiter pour toujours, nous en avons retrouvé le chemin. Nous sommes à la porte, si elle reste fermée, frappons et l’on nous ouvrira et nous serons reçus avec allégresse dans ce palais qui nous appartient.

Qui de vous a cherché et n’a point trouvé? Qui de vous a dit au Seigneur avec sincérité: convertissez-moi et n’a point été converti? Si vous n’avez pas reçu, je ne crains pas de le dire, c’est que vous avez mal demandé. Priez, cherchez encore. La grâce vous sera accordée, n’en doutez pas. Mais le voulez-vous? N’êtes-vous pas comme saint Augustin qui disait à Dieu: convertissez-moi mais pas encore! Ainsi vous refusez la grâce, ainsi vous marchandez avec Dieu. Le ciel n’est donc rien pour vous? Après tout il me semble que c’est un assez beau pis-aller. Et d’ailleurs Dieu ne se contente pas de quelques démarches. Prenez garde, il vous abandonnera, ce ne sera point la grâce qui vous aura trahi mais vous-même. Ah! mes frères, qui pourrait peindre les énergiques combats d’une âme qui agit sous l’impression de la grâce et qui entreprend sa conversion? Naguère elle se souvenait de l’idéal chéri de bonheur et de paix qu’elle s’était formé, elle se plaignait de n’avoir pu trouver ni le bonheur ni la paix, mais elle s’est tournée vers Dieu. Un jour elle a fait un pas vers lui, elle a marché, elle a vaincu. Que si au contraire, négligente et insouciante, elle eût laissé passer la grâce, ces saintes inspirations se seraient dispersées comme les feuilles du chemin que pousse le souffle de l’automne et il ne fût rien resté de tout cela que l’amer souvenir d’un bien inaccompli.

Allez donc maintenant et faites pénitence; la grâce ne vous fera point défaut et si vous savez triompher de votre lâcheté, la victoire vous [mot illisible]. Si vous n’avez pas mieux vécu jusqu’à présent, est-ce la faute de Dieu? Depuis votre première communion, que d’appels, que d’avertissements! Qu’avez-vous fait de cette communion, de ces avertissements et de ces appels? Pardonnez-moi l’impression terrible que j’éprouve quand je songe à la manière dont Dieu prodigue ses dons et à l’indifférence que l’homme met à les recevoir: il refuse, il dédaigne, il veut jouir ici-bas. Au moins, mes frères, vous ne vous plaindrez pas de Dieu. Ainsi avertis par ma bouche, vous ne direz pas que vous n’êtes point appelés. Acceptez donc la grâce que Dieu vous donne, mais souvenez-vous qu’un acte d’adhésion ne suffit pas, il vous faut continuer l’oeuvre de Dieu en acceptant les sacrifices qu’il vous demande.

Quand un homme se résoud à se donner à Dieu, il y a pour lui, un moment sublime, inexprimable, c’est celui où, prosterné devant le tout-puissant, il promet de changer sa vie et de travailler à devenir meilleur. Alors s’accomplissent ces merveilles qui nous font dire: a Deo factum est istud. Alors s’échappent du coeur ému et converti des accents de reconnaissance et d’amour. Dans de pareils moments, vous avez souvent tenu un semblable langage. Qu’en est-il résulté? Avez-vous été fidèles à vos résolutions? Demandez encore une fois cette grâce qui fortifie le coeur, pousse à la pénitence, exhorte au repentir et entraîne avec rapidité sur la route de la perfection. Mais hélas! Même après avoir demandé cette grâce, on cherche à s’y soustraire et de même que le pécheur hésite pour se convertir, on hésite à s’avancer dans les âpres sentiers du bien, on résiste à l’action impétueuse de l’Esprit-Saint et sans écouter cette voix qui dit: qui sanctus est, sanctificetur adhuc, on refuse d’aller plus loin qu’on ne s’était d’abord proposé.

Ce n’est point ainsi qu’il faut agir. Nul ne peut dire à quel degré de perfection il arrivera s’il est fidèle. C’est là le principe de la perfectibilité humaine dont l’Eglise catholique a fait un dogme et par lequel elle renverse tous les systèmes. La religion en effet faisant dépendre tous les hommes du péché originel d’Adam notre premier père, et d’autre part nous ramenant tous au pied de la croix pour recevoir les mérites universels de J.C., nous propose le véritable type de la perfection dans l’imitation du Sauveur et donne une pratique bien supérieure à toutes les théories.

Il resterait, mes frères, à vous montrer comment la grâce s’empare d’un coeur consacré à Dieu et lui ménage certaines luttes, où, tantôt vaincu tantôt triomphant, il puise l’humilité et la force, mais je dois m’arrêter ici pour examiner ce que Dieu daigne mettre à notre disposition comme moyen d’arriver jusqu’à lui. C’est un secours tel que par lui vous pouvez échapper à toutes les embûches, à toutes les attaques, au démon, à vous-même. Par la grâce vous pouvez acquérir toutes les vertus et leur dernière récompense qui est le ciel. Par elle vous pouvez accomplir la loi de Dieu et mériter la gloire car elle nous prépare à la vie future et devient pour nous cette colonne demi-obscure et demi-lumineuse qui conduisait Israël. Enfin c’est une déification de notre être que Dieu fait participant de sa divinité et cela ne doit point nous étonner car, au dire de saint Paul, le terme de la grâce c’est l’union intime avec Dieu. Tendons-y par tous nos efforts, aspirons sans relâche vers cette possession ineffable de la grandeur, de la puissance, de la lumière infinie. Ecoutons Dieu qui nous parle et observant dans nous le travail intérieur de la grâce, ne désespérons jamais de notre salut. Celui qui fut assez puissant pour changer tout à coup des hommes tombés bien bas, peut aussi nous transformer si nous le méritons par nos efforts. Abandonnons-nous aux secrets avertissements de Dieu et à ses mouvements intérieurs. Tièdes, impies, qui que nous soyons, le bon Père nous convoque tous à ses pieds. Tournons nos regards vers lui, l’auteur de la grâce nous attend. Ne soyons pas trop ingrats, fortifions notre âme, encourageons ses efforts et hâtons-[nous] de la porter, toute souillée encore et gémissante à Dieu qui la demande pour la purifier, la guérir et lui donner la vie éternelle.

Notes et post-scriptum
1. Ce sermon daté du 15 mars 1849 appartient au carême prêché par le P. d'Alzon à la cathédrale de Nîmes en 1849 (Mercredi des Cendres = 21 février - Pâques = 8 avril). Les notes du P. d'Alzon lui-même pour une quinzaine des 21 conférences de ce Carême ainsi qu'un "enchaînement des 12 premières instructions" sont conservés (T.D. 51, 162-210; D01658 à D01673). - Sur ce Carême voir *Notes et Documents*, IV, pp. 463-471.