Aux Religieuses de l’Assomption

AUG 1861 Auteuil RA
Informations générales
  • Aux Religieuses de l'Assomption
  • Retraite aux Religieuses de l'Assomption d'Auteuil en août 1861
    Première instruction - Formation du Christ dans les âmes
  • Cahiers d'Alzon, XI, pp. 7-19.
  • CZ 91, pp. 1-5 (Cop. dactyl. des notes de Soeur M.-Antoinette d'Altenheim).
Informations détaillées
  • 1 ACTION DE DIEU DANS L'AME
    1 ANGE GARDIEN
    1 ANGELUS
    1 ANNONCIATION
    1 AUGUSTIN
    1 CHAPELET
    1 CHARITE ENVERS DIEU
    1 CHEMIN DE LA CROIX
    1 COMMUNION FREQUENTE
    1 CONVERSION SPIRITUELLE
    1 CRAINTE
    1 DEFAUTS
    1 DON D'INTELLIGENCE
    1 EFFORT
    1 EPOUSE DU SAINT-ESPRIT
    1 EUCHARISTIE
    1 FAUTE D'HABITUDE
    1 FIDELITE A LA GRACE
    1 FORMATION DE JESUS CHRIST DANS L'AME
    1 GRACE
    1 GRACES
    1 IMITATION DE LA SAINTE VIERGE
    1 INCARNATION DE JESUS-CHRIST
    1 LEGERETE
    1 LUTTE CONTRE SOI-MEME
    1 MERE DE DIEU
    1 NOUVEAU TESTAMENT
    1 ORAISON
    1 PAROLE DE DIEU
    1 PERES DE L'EGLISE
    1 PERFECTION
    1 PREDICATION
    1 REFLEXION
    1 RESISTANCE A LA GRACE
    1 RETRAITE SPIRITUELLE
    1 SOUMISSION DE L'ESPRIT
    1 SPIRITUALITE TRINITAIRE
    1 TEMPLE DU SAINT-ESPRIT
    1 VERTUS RELIGIEUSES
    1 VIE DE SACRIFICE
    2 ALTENHEIM, MARIE-ANTOINETTE D'
    2 BOSSUET
    2 GABRIEL, SAINT
    2 LAURENT, SAINT
  • Religieuses de l'Assomption
  • RA
  • Du 17 au 23 août 1861(1)
  • AUG 1861
  • Auteuil
La lettre

Avis préliminaires.

Avant de commencer à vous suggérer les réflexions qui doivent faire le sujet de nos méditations pendant cette retraite, vous me permettrez de vous faire quelques observations.

Et d’abord, les idées d’un homme suivant toujours à peu près le même cours, il est évident que vous pourrez entendre les mêmes considérations que l’année dernière; si vous vous les rappelez et qu’elles vous aient déjà fait du bien, elles ne pourront que vous en faire encore; si elles ne vous ont fait aucun bien une première fois, peut-elle vous en feront-elles cette fois-ci: la terre qui reçoit plusieurs labours n’en est que plus propre à porter du fruit… Vous avez déjà fait plusieurs retraites… dans celle-ci, je ne suivrai pas l’ordre accoutumé; d’ordinaire, on examine d’abord les obstacles à la perfection, puis la perfection elle-même, ce qu’elle est, les moyens pour y arriver, etc. Vous êtes dans une vie où vous n’avez pas tant besoin de conversion du mal au bien que du bien au mieux. Je vous parlerai d’abord du mieux, c’est là le point de vue où je me placerai.

Je vous indique pour votre retraite les mêmes moyens que ceux que je vous ai indiqués l’année dernière: le chapelet, le chemin de la croix, le Nouveau Testament. C’est surtout avec Notre-Seigneur que vous ferez votre retraite: vous ferez vos méditations avec lui, car c’est sur lui que nous méditerons.

« L’Esprit-Saint viendra sur vous, et la vertu du Très-Haut vous couvrira de son ombre: c’est pourquoi l’enfant qui naîtra de vous sera saint; il sera appelé Fils de Dieu(2). »

Voulant vous parler de Notre-Seigneur, c’est par ces paroles de l’Ange que je veux ouvrir ces exercices; et tout d’abord, remarquez la situation dans laquelle je vous mets. Supposez que je sois, moi, cet Ange; c’est certainement un grand honneur que je me fais, mais je ne vous en fais pas un moindre, puisque je suppose que vous êtes cette Vierge très pure et très sainte en laquelle doit s’accomplir une seconde fois le mystère de l’Incarnation.

L’Ange, en saluant Marie, lui demanda son consentement afin que le Fils de Dieu vînt accomplir son oeuvre, l’oeuvre de la régénération du genre humain; et moi, je vous propose un traité d’alliance avec la Trinité… voyez quel est l’honneur qui vous est fait: je vous offre de participer au mystère d’un Dieu qui veut s’incarner dans votre âme. Il vous aidera par la surabondance de ses grâces, à arriver à toute sainteté, d’après la manière dont il vous plaira d’accueillir le Saint des saints.

La question étant ainsi posée, aurez-vous le courage de dire: il me répugne de travailler à devenir une sainte, il me répugne de tout donner à qui donne tout?…

Incarnations de Notre-Seigneur.

Il y a, d’après les Pères et saint Augustin en particulier, plusieurs incarnations de Notre-Seigneur Jésus-Christ. Celles d’entre vous qui comprennent le latin pourront voir dans les leçons de l’Office sur saint Laurent que Jésus-Christ y est représenté torturé dans saint Laurent: comment le Christ demeure-t-il en saint Laurent? Il y demeure jusqu’à la tentation, jusqu’à la menace la plus amère, jusqu’au martyre.

Notre-Seigneur s’est incarné une première fois dans la Sainte Vierge; une seconde fois par l’Eucharistie (la première fois au Cénacle et depuis, tous les jours); il y a une troisième et perpétuelle incarnation de Jésus-Christ dans l’humanité régénérée, dans cette portion des élus qui est l’Eglise; et enfin, il y aura une autre incarnation dans la gloire.

Incarnation dans les âmes par la prédication, l’Eucharistie, la grâce.

L’incarnation de Jésus-Christ est double dans vos âmes quand vous entendez la parole de Dieu. Jésus-Christ a dit: « Heureux plutôt ceux qui écoutent la parole de Dieu et la gardent(3). » Pourquoi? c’est qu’à cette incarnation, il y a un travail intime de grâce par l’action du Saint-Esprit; c’est cette double incarnation que je vous propose aujourd’hui. Celles d’entre vous qui ont lu les sermons de Bossuet auront remarqué cette incarnation de Notre-Seigneur dans l’Eucharistie et dans la parole du prêtre, à l’autel et dans la chaire; et Bossuet se demande lequel il doit le plus respecter ou Jésus-Christ incarné dans ce pain divin… ou incarné par la parole du prêtre dans le coeur des fidèles, qui est un véritable autel? Il y a une autre incarnation dont tous les fidèles reçoivent le germe dans le baptême; puis comme Jésus-Christ a été formé dans le sein de la Vierge par le plus pur de son sang, de même il s’est formé dans l’âme par le plus pur du sang de cette âme. Si vous voulez, examinez attentivement s’il vous convient de donner ce qu’il y a de plus pur, de plus délicat dans votre être, pour qu’il se forme encore une fois en vous; alors commencera ce travail merveilleux à l’imitation de celui qui se fit dans les chastes entrailles de Marie.

Vous me demanderez: « Comment cela se fera-t-il? » Je vous réponds par les paroles de mon texte: « L’Esprit-Saint viendra sur vous et la vertu du Très-Haut vous couvrira de son ombre » et je vous prie de faire attention, « Esprit-Saint et vertu du Très-Haut ». C’est pourquoi j’ai eu raison de dire qu’il se fait un contrat entre vous, pauvre créature, pauvre pécheresse et la Très Sainte Trinité. Celui qui vient, Dieu le Fils, aidera à l’accomplissement de ce prodige; Celui dont l’action échauffera votre âme, c’est le Saint-Esprit; Celui dont ce prodige est le terme, c’est Dieu le Père.

L’Incarnation du Christ dans les âmes est l’oeuvre de toute la Trinité.

Tout d’abord je voudrais que vous vous rendissiez compte de vos relations avec la Trinité. Que devez-vous, pour entrer dans ces communications intérieures, apporter à Dieu le Père, qui est la puissance même? Vous laisser investir par son ombre. Les physiciens font observer que les corps opaques ont une ombre ténébreuse et les corps lumineux une ombre lumineuse… l’ombre du Très-Haut sera la lumière même… C’est donc dans la lumière de la Très Sainte Trinité que vous devez vous établir; vous devez vous laisser investir par cette lumière qui opèrera en vous ce qu’elle jugera à propos d’opérer.

Se regarder dans la lumière du Très-Haut.

Veux-je accepter cette lumière très pure afin de regarder dans mon être et d’y voir mes défauts? Ne sentirez-vous pas un certain frisson? Moi, je l’avoue, j’éprouve ces terreurs… et, si j’entre dans certains détails, ce n’est pas dans vos coeurs que je les lis, je ne les connais pas… mais dans le mien; je vous demande la permission de penser tout haut quelquefois… Un frisson parcourt tout mon être… qu’est-ce que je vais voir de mes misères, de mes imperfections, de mes souillures? que se passera-t-il dans mon âme, quand j’y verrai tout ce que je n’ai pas vu ou tout ce que je n’ai pas voulu y voir jusqu’à présent? c’est un jugement anticipé… Cette puissance très lumineuse, très céleste pénétrera en moi; elle m’y découvrira d’affreuses misères, mais je les verrai pour avoir le courage de les laisser changer, transformer…

Le Saint-Esprit aidera… et d’abord, qu’est-ce que le Saint-Esprit? C’est la sainteté de Dieu qui vient agir dans votre âme afin que Jésus-Christ se forme… comment cela se fera-t-il? Ah!… il faut s’arrêter là… les trois personnes de la Très Sainte Trinité agiront: le Père, le Fils et le Saint-Esprit. Où adorerai-je?… au plus profond de mon coeur… « L’enfant qui naîtra de vous, sera saint; il sera appelé Fils de Dieu. »

But de la retraite: Formation du Christ dans l’âme.

Jésus-Christ formé dans le sein de la Vierge devait, au bout de neuf mois, apparaître au monde; Jésus-Christ formé dans le sein de l’âme religieuse, reste là: il n’y a qu’un petit mot à changer; au lieu de « ce qui naîtra de vous » mettez « ce qui naîtra en vous »… Quel sanctuaire voulez-vous préparer à cette chose sainte qui veut venir se former dans vos âmes? Ai-je fait tout d’abord suffisamment comprendre ce triple rapport, autant que le peut la parole humaine aidée de la grâce divine… je serai appelée la fille du Très-Haut, l’épouse du Saint-Esprit… la mère de Dieu. Veux-je apporter le concours de toutes mes facultés afin qu’en moi naisse cette chose sainte? Voilà les prodiges sur lesquels je vous invite à méditer pendant ces huit jours; vous voyez d’un seul coup le travail que je veux vous aider à faire.

Conditions de cette formation.

1. Ecouter.

Pour arriver à quelque chose de pratique, une question se présente naturellement; pour que ces choses s’accomplissent en moi, que faut-il? Trois conditions: écouter, réfléchir, obéir.

Ce qu’il y a de plus affreux dans la vie religieuse, c’est qu’on n’écoute pas. Dieu parle, et on n’écoute pas… il parle au lever: voici le Bien-Aimé qui vient à vous avec les cheveux tout humides de rosée… il vient de bonne heure, il vient nous apporter ses grâces, on n’écoute pas… Dieu parle dans l’oraison et on ne l’écoute pas… Il parle dans le Saint Sacrifice, et on ne l’écoute pas… dans l’Eucharistie, et nous ne l’écoutons pas davantage!

Permettez-moi de vous adresser une question: depuis la dernière retraite, vous avez communié bien souvent. Chaque communion devait être un pas dans la perfection, avez-vous écouté Notre-Seigneur en chaque communion? Ce divin Sauveur veut s’incarner en nous, nous n’écoutons pas… Voilà un effort que je vous demanderai: écouter. « J’écouterai ce que dit le Seigneur(4). » J’écouterai ce que me dira ce Dieu incarné, ce que me dira le Saint-Esprit venant opérer en moi, ce que me dira Dieu le Père venant m’investir de sa lumière, j’écouterai les prodiges que veut opérer la vertu du Très-Haut; je laisserai le Saint-Esprit maître d’agir, « J’écouterai ce que dit le Seigneur en moi. » Je passerai ces huit jours sous l’action de la très sainte et très adorable Trinité, afin qu’elle s’empare entièrement de moi et que je sois entièrement – écoutez bien – sans résistance sous son action. Voulez-vous appliquer votre être à cette action, mais, et c’est là le prodige… la Sainte Trinité a un tel respect pour l’âme religieuse qu’elle ne veut pas agir seule, elle laisse la puissance d’action à cette âme, et comme le caractère de l’âme est d’être intelligente, il faut user de l’intelligence dans le travail; c’est pourquoi, sans doute vous êtes pleines des grâces de Dieu, mais il faut laisser agir ces grâces et correspondre comme Marie.

2. Réfléchir.

A la première salutation, Marie est troublée… et elle réfléchit. Qu’il y ait trouble en vous, c’est tout simple: on vous annonce que le Fils de Dieu veut s’incarner en vous, que le Saint-Esprit viendra en vous et que la Vertu du Très-Haut vous couvrira de son ombre… vous devez aussi être troublées. « Elle se demandait ce que signifiait cette salutation(5). » J’admets très fort que vous soyez dans un état de trouble, d’anxiété jusqu’à ce que par la réflexion, vous voyiez où Dieu veut que vous arriviez. Le trouble de Marie venait-il de ce que, par une permission divine, elle ne saisissait pas le mystère? Il y a différentes opinions là-dessus… et là il y a une différence entre votre trouble et celui de la Sainte Vierge… Ce qui pourrait être le vôtre, pour entrer dans les considérations que je vous présente, c’est qu’il faut faire effort, et cela vous ennuie; il faut réfléchir et vous n’en avez pas l’habitude; voir des choses désagréables, et cela vous répugne; vous prévoyez certaines conclusions pratiques et vous ne voulez pas; il se passe un certain trouble…

3. Obéir.

Si vous laissez agir le Saint-Esprit, la vertu du Très-Haut, il est très évident qu’au bout d’un certain temps, il se passera en vous certaine disposition qui vous forcera à vous soumettre. Voilà le drame admirable…

Lorsque l’Ange lui annonce ces trois choses, Marie prend la parole, et que dit-elle? « Voici la Servante du Seigneur, qu’il me soit fait selon votre parole. » Peut-être n’avez-vous pas prononcé cette parole ou ne l’avez-vous prononcée que parce que vous ne saviez pas ce que vous disiez. Pour mon compte, je suis épouvanté quand je songe que nous récitons l’Angélus trois fois par jour et que trois fois par jour nous disons ces paroles. Je sens fort bien qu’il y a des moments où je n’obéis pas à Dieu comme je le dois.

Si votre âme se sent disposée à tous les sacrifices… la retraite est faite… mais il y a un état intermédiaire, et je suppose que c’est celui où vous êtes: nous avons envie de faire la volonté de Dieu; mais nous avons un peu oublié ce que cet Ange nous demande, nous avons négligé d’accomplir dans leur perfection, les détails de ces commandements de Dieu: il faut revenir sur ces commandements.

Je sais très bien que Dieu peut vous donner une parole plus efficace que celle que l’Ange adressa à Marie; il peut, d’une seule parole, vous toucher, vous transformer, faire de vous de nouvelles créatures; cependant, en général, c’est un travail qui se fait lentement… Vous allez pendant huit jours, écouter attentivement cette parole de Dieu, vous exercer à former en vous Jésus-Christ, selon les dipositions les plus pures de votre coeur. Dans quelle intimité de coeur, avec quelle obéissance et quelle obéissance pleine d’amour, ne direz-vous pas comme la Sainte Vierge: « Voici la servante du Seigneur. » J’apporte certaines fatigues, certaines répugnances, certaine légèreté, certaines objections… je ne sais, mais cela ne me plaît pas; j’éprouve de la difficulté… je sens que quelque chose ne me va pas… Il faut que je me mette dans la disposition d’entrer une bonne fois dans un combat sérieux contre moi-même, dans une soumission absolue… tout ce que Dieu me demandera, je le ferai… C’est terrible mais voyez à quelle hauteur vous vous trouvez placée: vous répondez à l’Ange: « Voici la servante du Seigneur » et, derrière l’Ange, vous répondez à la Sainte Trinité, à Jésus-Christ formé en vous par le saint baptême, par les communions que vous avez faites, par les grâces que vous avez reçues… Je vous abandonne à ce travail jusqu’à ce soir. Placez-vous en face de la Très Sainte Trinité, et formez la résolution d’obéir, en tout… Vous aurez le temps de réfléchir, nous verrons si vous voulez entrer dans cette disposition d’une humble et amoureuse obéissance, non seulement de fille, mais d’épouse, par rapport à tous les défauts dont on vous demande la victoire, à toutes les vertus dont on vous demande l’acquisition…

Placez-vous en face de Notre-Seigneur Jésus-Christ, priez la Sainte Vierge d’être à côté de vous: elle est votre Mère, elle vous instruira de la manière dont vous devez dépendre de Dieu; elle est la Mère de Dieu, elle vous apprendra comment vous aussi, vous deviendrez en quelque sorte mère de Dieu. Elle vous aidera à lutter contre vous-même pour tendre à la perfection. Tenez-vous près de votre Ange gardien, le priant d’être pour vous l’Ange Gabriel, la puissance de Dieu, qui annonça à la Sainte Vierge les grandes merveilles qui allaient s’accomplir en elle. Il trouva la Sainte Vierge bien disposée: Dieu avait, il est vrai, préparé lui-même ces dispositions en Marie: qu’elles se forment en vous de la même manière.

Jésus-Christ, votre Epoux, veut être votre Fils… imitant Marie, écoutez l’Ange, et, vous laissant conduire vous arriverez à cette perfection qui formera en vous le Fils de Dieu. « L’enfant qui naîtra de vous sera saint; il sera appelé Fils de Dieu. » Ainsi soit-il.

Notes et post-scriptum
1. Le P. d'Alzon donna deux instructions par jour, sauf le dernier jour où il n'y en eut qu'une. Titres et sous-titres sont de l'éditeur qui a également traduit en français les textes cités en latin.
2. Luc, I, 35.
3. Luc, XI, 28.
4. Ps., LXXXIV, 8.
5. Luc, I, 29.