Aux Oblates de l’Assomption

7 MAY 1875 Oblates

Le détachement des choses de la terre.

Informations générales
  • Aux Oblates de l'Assomption
  • Instructions de 1874-1875 aux Oblates de l'Assomption
    Instruction du 7 mai 1875
  • CN 17, pp. 87-88.
Informations détaillées
  • 1 AMOUR DU CHRIST
    1 AMOUR-PROPRE
    1 ANTIPATHIES
    1 CRITIQUES
    1 DETACHEMENT
    1 DISSIMULATION DE RELIGIEUX
    1 ENERGIE
    1 ETERNITE DE DIEU
    1 FRANCHISE
    1 IDEES DU MONDE
    1 MALADIES MENTALES
    1 PARESSE
    1 RECHERCHE DE DIEU
    1 RECHERCHE DE LA PERFECTION
    1 REFORME DE LA VOLONTE
    1 ROUTINE
    1 SAINT-ESPRIT SOURCE DE LA CHARITE
    1 SAINTETE
    1 SAINTS DESIRS
    1 SOUFFRANCE ACCEPTEE
    1 TEMPLE DU SAINT-ESPRIT
    1 VANITE
    1 VERITE
    2 BAILLY, EMMANUEL
    3 ROME
  • Oblates de l'Assomption
  • Oblates
  • 7 mai 1875
  • 7 MAY 1875
La lettre

Mes chères filles,

Notre divin Sauveur montant au ciel nous donne la meilleure leçon, l’enseignement le plus certain, le plus clair, le plus véritable, sûr, de ce que nous avons à faire pour atteindre cette perfection qu’il attend de nous. Jésus s’élevant dans le ciel a brisé tous les liens qui le retenaient à la terre. A son exemple, nous devons: 1° nous détacher de tout ce qui est sur la terre. Il est triste de penser que des religieuses, des âmes consacrées à Dieu aient encore des attaches sans nombre qui les retiennent captives loin de leur divin Epoux! Ce qu’il faut faire, mes filles, ce qu’il faut extirper d’abord de votre coeur, ce sont ces mille pensées humaines; vous devez toutes travailler pour vous instruire chacune dans la mesure que cela vous est demandé mais ce que vous devez faire aussi c’est d’arracher de votre coeur ces plaintes, ces murmures, ces antipathies qui sont comme autant d’obstacles à la grâce de Dieu. Si votre âme était dégagée de ces liens, elle se trouverait bientôt remplie de l’Esprit consolateur qui est aussi l’Esprit de vérité et qui viendrait faire en vous son temple. Examinez un peu dans quelle mesure vous êtes encore sous l’empire de ces pensées toutes terrestres, de ces vues toutes humaines. Est-ce que le matin, en vous levant vous ne murmurez pas de ce qu’il vous faille lever si tôt malgré vos fatigues, votre paresse peut-être. Est-ce qu’à la méditation vous n’êtes pas préoccupées de mille et une choses auxquelles vous ne devriez pas même songer; et pour vos emplois, vos travaux de chaque jour comment les remplissez-vous?

Que dirai-je des sentiments? Mes chères filles, on dit beaucoup de mal des vieux garçons, on peut en dire autant des vieilles filles. Eh bien, je prétends que les couvents semblables à ces fourneaux qui activent l’éclosion des oeufs, développent à leur tour les germes qui se trouvent en nos âmes. C’est que replié sans cesse sur soi-même on se renferme dans des sentiments personnels. Est-on de mauvaise humeur, on va se cacher dans sa cellule pour n’en plus sortir. Imaginez-vous, mes enfants, que j’ai connu une religieuse qui ne se levait pas pour faire enrager sa supérieure. Tels sont les fruits de certains sentiments personnels, de certaines vues toutes humaines, qui feront naître en nous un profond sentiment de tristesse, de dépit, parce qu’on ne vous admire pas assez. Cette après-midi j’écrivais à Rome à propos d’un archevêque et disais: ou il est fou ou son état approche de l’imbécillité (1). Et cependant c’est un savant mais, hélas, que lui sert sa science si sa cervelle est partie. On a remarqué que le nombre des fous était dix fois plus grand dans les pays protestants que chez les catholiques, il y a donc une cause morale. Mais revenons à notre sujet et rendez-vous compte du dommage que peut vous causer la paresse de l’esprit, un pieux entêtement et une grande faiblesse. Le grand principe de la santé de l’âme c’est l’énergie pour vous et pour les autres; et alors on régularise ses sentiments et l’on peut s’écrier avec l’Apôtre: Ordinavit caritatem, le Seigneur a ordonné tous mes sentiments dans la charité. Après avoir sacrifié mes pensées, mes sentiments, il faut aussi me détacher de mes habitudes; elles ne sont point mal en soi mais il ne faut pas qu’elles dégénèrent en culpabilité. Monseigneur me parlait d’un prêtre qui avait tellement l’habitude de prêcher qu’il le faisait tout en dormant, je vous laisse à penser avec quelle ardeur il devait le faire? C’était une sorte d’habitude machinale et vous, mes filles, vous devez vous détacher de ces habitudes machinales de vous lever, d’aller à la chapelle, de vous confesser, de communier; il faut faire un effort suprême pour vous défaire de cette routine qui n’est point le propre des âmes ferventes. Je vous engage à aller trouver demain le Père Emmanuel et à vous accuser humblement d’être une religieuse routinière. Voyez, je vous prie, la différence qu’il y a entre une fille dévote et une fille pieuse et comprenez aussi pourquoi tous les Pères de la vie spirituelle souhaitent des souffrances à ceux qui veulent avancer. Ce que je vous prêche est très dur sans doute mais désirant faire de vous des saintes et de très grandes saintes je ne pourrai jamais vous en demander trop.

Hélas! si je descendais dans le coeur de ma chère fille, qu’y trouverai-je? Dans l’endroit le plus reculé, le plus profond, le plus caché je découvrirais peut-être une idole; c’est une petite figue qui pourrait bien être votre figuier et c’est à cette idole qui vous est plus chère que la vertu, que vous allez offrir vos adorations. Votre petite personne est si aimable, si digne d’admiration! Mais Notre-Seigneur est encore plus aimable que vous et c’est mille fois mal de votre part de lui ravir ainsi ce qui lui est dû.

Nous allons voir ces jours-ci dans quelle mesure vous allez vous détacher. Ce soir, prenez ce sujet de méditation: Veux-je me détacher de moi, de mes idées, de mes sentiments et quelle sera la limite de mon amour. Mais il faut avoir quelque chose qui élève votre âme au-dessus d’elle-même et l’attire en haut; cet aimant divin, ce sera le désir du ciel, désir plein d’élan et d’ardeur de posséder Dieu, de le voir et de l’aimer à jamais. L’amour du Saint-Esprit sera le gaz qui par sa chaleur et sa légèreté, montant, montant vers Dieu vous entraînera à sa suite. Ma méditation, ce matin a été sur cette pensée: l’être de Dieu dans la vérité qui est Jésus-Christ. Notre-Seigneur qui est la vérité même a horreur de ces petits mensonges. On use de certaines habiletés pour se faire valoir, apprécié, pour se faire accorder certaines permissions. Eh bien! mes filles, laissez-moi vous le dire, rien n’est plus vulgaire que le mensonge et la cause de la vulgarité d’une communauté ce sont justement ces petites habiletés dont on se sert quelquefois pour arriver à ses fins. Soyez franches, mes filles, soyez-le même à vos dépens. Rendez-vous compte comment vous resterez terre à terre si vous ne voulez généreusement aller à Dieu dans une grande franchise. Certainement le plus beau don que l’homme ait reçu est celui de la parole et cependant, qu’est-ce que la parole? Cette parole qui est la plus belle des choses est dite et ce qui est dit est passé et ce que nous allons dire n’existe pas encore. Et pour notre être c’est la même chose, le présent est un instant qui passe aussitôt qu’il existe. Aussi écoutons Dieu nous dire: Fixe-toi en moi qui suis Eternel, car je suis celui qui suis.

Je dois donc avoir le désir du ciel. Je me détacherai des choses de la terre et n’aspirerai plus qu’à jouir du bonheur de la céleste patrie. Toutes les souffrances de la terre m’aideront à acquérir les biens du ciel et les joies d’ici-bas ne seront plus rien pour mon coeur. Soyez dans ces saintes dispositions, mes filles, et vous verrez alors que toutes les choses pénibles venant du monde, de vous, de vos supérieurs ne seront plus pour vous qu’un moyen tout nouveau de prouver votre amour à Notre-Seigneur.

Notes et post-scriptum
1. Voir *Lettre* 5290 à Mgr Mercurelli. - Il est question ici de Mgr Jacques-M.-Achille Ginoulhiac (1806-1875), archevêque de Lyon depuis 1870. - Il touche au terme de sa vie (17 novembre).