Procès-verbaux du Tiers-Ordre des Hommes

15 nov 1846 Nîmes Tertiaires Hommes
Informations générales
  • Procès-verbaux du Tiers-Ordre des Hommes
  • Cahier des procès-verbaux 1845-1847
    40. Séance du 15 novembre 1846. - La Franchise.
  • Ecrits spirituels, pp. 1296-1298.
  • DI 208-210, pp. 47-51.
Informations détaillées
  • 1 ADORATION DU SAINT-SACREMENT
    1 ASSOCIATION DE L'ASSOMPTION
    1 ATHEISME
    1 BON EXEMPLE
    1 CHARITE APOSTOLIQUE
    1 COLLEGE DE NIMES
    1 ENERGIE
    1 ESPRIT DE FOI A L'ASSOMPTION
    1 EXERCICES RELIGIEUX
    1 FOI
    1 FRANCHEMENT CATHOLIQUES
    1 FRANCHISE
    1 HARDIESSE DE L'APOTRE
    1 JESUS-CHRIST MODELE
    1 LUTTE CONTRE LE MONDE
    1 MAITRES TERTIAIRES
    1 MAUVAIS CHRETIENS
    1 MOEURS ACTUELLES
    1 PAGANISME
    1 PRATIQUE RELIGIEUSE DES LAICS
    1 PROGRES DANS LA VIE SPIRITUELLE
    1 REFORME DU CARACTERE
    1 REGLE DU TIERS-ORDRE
    1 RESPECT HUMAIN
    1 RESTAURATION DES MOEURS CHRETIENNES
    1 SEVERITE
    1 SIMPLICITE
    1 TIERS-ORDRE MASCULIN
    1 VERTU DE FORCE
    2 AUGIER
    2 BLANCHET, ELZEAR-FERDINAND
    2 CARDENNE, VICTOR
    2 CUSSE, RENE
    2 DECKER, FRANCOIS-JOSEPH
    2 DUROZOY
    2 FERRY, FRANCOIS-LEON
    2 GAIRAUD, ABBE
    2 GERMER-DURAND, EUGENE
    2 HENRI, EUGENE-LOUIS
    2 JOVENICH
    2 LAURENT, CHARLES
    2 MONNIER, JULES
    2 PRADEL, ABBE
    2 ROCHER
    2 SAUVAGE, EUGENE-LOUIS
    2 TISSOT, PAUL-ELPHEGE
  • Tertiaires de l'Assomption
  • Tertiaires Hommes
  • 15 novembre 1846
  • 15 nov 1846
  • Nîmes
  • Collège de l'Assomption
La lettre

[40] Séance du 15 novembre 1846.

Présents: M. d’Alzon – MM. Tissot, Eug. Henri, Pradel, Cusse, Blanchet, Cardenne – Jovenich, Monnier – Laurent, Gairaud, Durand, Decker, Sauvage, Ferry, Rocher, Durosoy.

Présidence de M. d’Alzon.

L’ordre des heures d’adoration du St Sacrement est fixé ainsi qu’il suit:

8 heures M. Augier

9 h. MM. Durand, Jovenich

10 h. MM. Pradel, Ferry, Sauvage

11 h. MM. Cusse, Gairaud

1 h. MM. Laurent, Rocher

2 h. MM. Eug. Henri, Decker

3 h. M. Durosoy

4 h. M. Monnier

5 h. M. Blanchet

6 h. M. Cardenne

7 h. M. Tissot

M. d’Alzon continue de discuter les objections faites par quelques membres au sujet des pratiques du T.O.

Objection. Il faut des modèles aux enfants. Nous leur donnerons des modèles exagérés. Nous effraierons leur faiblesse par la sévérité des pratiques. L’objection s’étend également aux rapports extérieurs avec le monde que nos mêmes exagérations éloigneront de nous.

M. d’Alzon, avant de répondre, pose comme une question préjudicielle, l’existence même du T.O. Nous voulons être plus que des chrétiens, moins que des religieux. Si l’on veut faire partie d’un T.O. quelconque, il faut accepter quelque chose de plus que la Règle ordinaire de la vie chrétienne, ou détruire la notion même d’un T.O.

Il examine ensuite la valeur de l’objection proposée et la ramène à cette formule: Il vaut mieux être apôtre sans le paraître. On se ménage ainsi un plus facile accès dans les âmes.

I. Au milieu des mauvaises idées que les Révolutions nous ont faites, un excellent principe de conduite nous a cependant été donné, la franchise. Elle est un besoin actuel du monde dans les relations sociales. Dire aujourd’hui ce que l’on est, sincèrement, sans arrière-pensée, c’est se gagner l’estime et la confiance, sinon la sympathie et l’approbation. Cette franchise convient particulièrement au catholique: c’est son caractère, c’est son devoir. Bénissons Dieu de nous avoir mis en demeure de reprendre cette franchise et cette liberté. Le chrétien peut aujourd’hui manifester sa foi publiquement, sans être soupçonné de servir ses intérêts et de chercher à parvenir, comme on pouvait l’en soupçonner au temps où le pouvoir protégeait la Religion. On ne nous protège plus aujourd’hui. Nous avons au contraire à protéger, à faire respecter notre foi. C’est un devoir sérieux pour nous de nous poser publiquement en chrétiens; c’est une convenance dans l’état actuel des moeurs. Nous devons être franchement et ouvertement catholiques.

Montrons-nous tels. Or, il y a plusieurs manières de se montrer chrétiens. Qui fecerit et docuerit vocabitur magnus. C’est l’avis que nous donne Notre-Seigneur lui-même. Soyons discoureurs, docteurs, professeurs de religion, notre labeur sera stérile, et nous serons infiniment petits devant Dieu: Minimus vocabitur in regno coelorum; et de fort peu de valeur devant les hommes, qui ne verront en nous que des parleurs et des gens à système. Il faut ajouter à la parole la pratique: Qui fecerit et docuerit. Donc nécessité des pratiques. – On admet, mais on ne les voudrait pas extérieures. Il serait, on le croit, plus utile de ne pas les manifester; en un mot on voudrait être apôtre, sans le paraître. Il n’y a qu’une réponse à faire à cette difficulté: restons dans la franchise, pour être de notre temps. La position qui nous est faite nous permet d’agir franchement. Que notre prédication soit franche. Sans doute pas de dévotions minutieuses, pas de pratiques surabondantes, pas de mortifications exagérées: mais des pratiques cependant, et des pratiques fortes, catholiques. Ne soyons pas chrétiens à demi. Montrons-nous tout d’une pièce. Il y a quelques années, les Chevaliers du Saint-Esprit accomplissaient publiquement certaines pratiques de dévotion. Cela ne choquait nullement. Pourquoi ne pas faire de même? – Mais cela est sorti des moeurs? Il faut l’y faire rentrer. C’est précisément là notre entreprise.

La franchise nous replace dans le courage, dans l’action, dans la lutte. Ne déclinons pas cet honneur. En deux mots bien simples: voulons-nous nous traîner à la remorque des moeurs du jour? alors, effaçons de notre front les signes qui révèlent le chrétien. Voulons-nous au contraire ramener les moeurs au niveau du christianisme? montrons-nous chrétiens et faisons aujourd’hui ce qu’il était permis de faire autrefois, reprenons de bonnes habitudes oubliées. Après tout, les exagérations des moeurs antichrétiennes ne nous donneraient-elles pas le droit, en un certain sens, de nous placer dans un excès du bien? Puisque l’incrédulité se précipite à l’extrême du mal, ne pourrions-nous pas très légitimement aller à l’extrême du bien? Ce fut tout l’esprit des premiers temps du christianisme; et si nous interrogeons l’histoire des progrès de la Religion chrétienne, nous trouverons qu’elle a vaincu le paganisme parce que nos pères dans la foi se posèrent franchement en opposition avec les moeurs païennes (1).

Est-ce d’ailleurs la protestation des confesseurs et des martyrs qui nous est demandée? Et qu’ont donc de si énorme les pratiques du T.O.? un office d’1/4 d’heure à réciter, pouvant remplacer la prière habituelle, – 1/2 h. de lecture sérieuse, – un chapitre du N. Testament. – Voilà tout ce qu’imposent les constitutions.

.- Mais il faudrait laisser ces pratiques secrètes – qui vous oblige à en parler?

On me voit réciter un office. – Ne pouvez-vous prier comme il vous plaît? qu’a-t-on à y voir? n’avons-nous pas la liberté des cultes?

Pourquoi s’imposer cette Règle? – C’est votre idée.

II. Ici revient la question préjudicielle de l’existence du T.O. – Faut-il un T.O.? – Peut-on concevoir un T.O. sans pratiques? – Impossible. Que signifient ces pratiques? la marque d’un christianisme plus fort que l’on veut développer en soi. C’est un culte extérieur dont on accepte le lien social. Voulons-nous, oui ou non, l’accepter? – Ces pratiques nous mettent-elles en dehors de l’Eglise? Au contraire, elles nous rattachent à elle plus intimement. – Sont-elles en dehors de la notion d’un T.O.? Sans elles un T.O. n’est rien. – C’est donc une question de choix. Voulons-nous demeurer dans notre vie ordinaire? Restons chez nous. Acceptons-nous les conséquences d’un T.O.? Pourquoi hésiter à nous engager par le lien de quelques pratiques?

Ces pratiques ne dépassent-elles pas notre faiblesse? – Il en faut précisément à cause de cette même faiblesse. Elles lui servent d’appui. C’est donc un engagement pris sérieusement que l’on trouve la force de se soutenir: ainsi les voeux religieux, ainsi le sacerdoce. Plus les engagements sont forts, plus grande est l’énergie communiquée à l’individu par la puissance de l’engagement contracté. Et c’est en ce sens que l’on peut dire: point de pratiques (entendons ce mot dans le sens le plus relevé), point de règle, point d’appui, point de force. Les pratiques sont une action exercée sur nous-mêmes, un empire sur notre volonté. Donc elles sont un élément de puissance morale donné au caractère qui se relève et se fortifie dans cette libre contrainte qu’il s’impose pour se régler et se contenir.

N’en pas trop faire. Gardons en effet la mesure en tout. Mais n’oublions pas le modèle qui nous est proposé dans N.S. Il a résumé en lui toutes les perfections, et dans leur plus haut degré. C’est pourquoi sa doctrine est essentiellement la doctrine du progrès. S’il est Dieu, et à ce titre, infini dans ses perfections, il est homme également, et homme parfait. Or l’humanité se pose devant J.C. Respice et fac, lui dit N.S. Et l’humanité qui, dans son invincible faiblesse, n’atteindra jamais à la hauteur de tant de perfections, regarde et cherche à imiter, sans s’effrayer de la sublimité du modèle. Jésus-Christ passait les nuits en prière. Jésus-Christ jeûnait pendant quarante jours, etc. Imitons J.C. selon la mesure de nos forces, mais enfin imitons-le, et nous accomplirons en nous la loi du progrès.

Nos élèves s’effraieront de nos pratiques. – Pas plus que le chrétien ne s’effraie des perfections de J.C. Après tout ce n’est qu’une question de tact et de prudence; point d’excentricités; de l’habileté. – Tel chrétien s’imposera beaucoup de pratiques, et réussira cependant à se les faire passer; tel autre évitera d’en faire beaucoup et ne fera point accepter le peu qu’il aura réservé. Le défaut n’est pas dans les pratiques, mais dans l’abus; et l’on ne peut pas arguer contre une chose bonne en elle-même de l’abus qu’on peut en faire. La règle est celle-ci: arriver à une plus haute perfection. On peut ensuite prendre dans les pratiques qui aident à s’élever jusqu’à cette perfection ce qui convient à sa mesure.

Mais cette règle, ces pratiques, cet office récité n’ôteront-ils pas aux maîtres leur influence? Quand ils viendront parler religion et piété, ne sembleront-ils pas, comme on le dit du prêtre, faire du métier? Ils sembleront obligés à cette prédication pieuse: dès lors elle sera moins efficace.

L’expérience déjà faite ne peut-elle pas rassurer ces craintes? Nos élèves savent que parmi leurs maîtres les uns récitent en commun un Office, les autres s’imposent certaines pratiques: notre Association leur est déjà même à peu près connue. Les maîtres ont-ils cependant perdu aujourd’hui leur influence sur les élèves? – C’est du reste toujours une question de franchise. Si nos pratiques reposent sur une conviction forte, nous les ferons accepter. Elles n’en feront même que plus d’impression sur l’esprit des enfants parce qu’ils pourront y reconnaître le courage de la franchise et l’énergie de la foi.

Le niveau religieux de la Maison doit s’élever encore, et n’est-il pas avantageux de communiquer aux jeunes coeurs cet esprit de courage, de lutte, de réaction?

Ces scrupules d’ailleurs sur les pratiques et sur l’interprétation que l’on peut en faire, viennent davantage aux personnes pieuses. Ils sont l’écho des préjugés qui, à tort ou à raison, s’étaient répandus dans les esprits, il y a quelques années au sujet de la religion et de la pratique. – Aujourd’hui ces pratiques sont regardées comme l’exercice d’un droit, la liberté des cultes; ce sentiment s’imprime peu à peu dans les esprits les moins favorablement disposés. Il faut savoir s’en servir pour remonter le niveau moral. Puisque nous avons nos coudées franches, agissons avec liberté: nous nous ferons respecter avec ces allures indépendantes. Croyons-le bien. Nous ne serons pas alors d’innocents marguilliers de paroisse éminemment ridicules. Nous nous présenterons avec un caractère guerroyant qui impressionnera sérieusement. Nous nous appuyons sur la science, mais sur la science pratique. Nous ferons respecter notre conviction religieuse parce que nous serons prêts à en rendre compte, et que nous en parlerons bien; et nous en parlerons bien parce que nous pratiquerons franchement, courageusement.

Le reproche de métier s’adresse à quelques prêtres sans doute, mais pas à tous, grâces à Dieu. Ce n’est pour eux qu’une position bien ou mal prise, ce n’est que la différence qui existe entre une voix qui copie, et une voix qui est originale. Qu’on reconnaisse en nous le son primitif, c.à.d. la conviction forte et haute, noble et fière d’elle-même, et nous serons estimés ce que nous nous serons fait valoir. – Nous pourrons tomber dans l’abus, c’est possible. Mais tous nos efforts précisément tendent à lutter énergiquement contre l’abus. Pratiquons faiblement, timidement, on nous donnera tort. Pratiquons énergiquement, virilement, nous nous ferons donner raison.

Du naturel et du courage: c’est là tout. Ramenée à ces termes la question se simplifie. Il s’agit de donner toute sa portée à la notion d’un T.O. C’est une arme puissante aujourd’hui discréditée, parce qu’elle est passée aux mains d’une dévotion timide, banale, sans vigueur. Retrempons-la dans la force, dans la hardiesse, dans le sentiment énergique du droit, dans la conviction. Rendons-lui sa mission d’apostolat, et nous ne paraîtrons pas faire à froid du métier, parce que l’élan de la foi sera toujours visible en nous.

L’homme se fait respecter quand il manifeste hardiment ce qu’il est. Nous serons ce que nous nous ferons nous-mêmes. Est-il donc avantageux de nous faire cette position nette et franche? Oui, incontestablement. Or les pratiques sont les manifestations de notre foi. Les pratiques d’un T.O. n’ont aucune signification si elles ne veulent pas dire que nous voulons être, plus fortement que nous ne l’avons été peut-être, des chrétiens d’action et non pas seulement de parole. Ne reculons pas devant les conséquences. Elles sont toutes dans l’intérêt de notre dignité, de notre liberté, de nos convictions, de notre influence.

Notes et post-scriptum
1. Seule la première partie du texte (dans cette banque de données, TE/20 à 22) est reproduite dans les *Ecrits spirituels*.