Procès-verbaux du Comité catholique de Nîmes (1875-1876)

12 apr 1875 Nîmes
Informations générales
  • Procès-verbaux du Comité catholique de Nîmes (1875-1876)
  • Séances destinées à préparer les travaux du Congrès
    Séance du 12 avril 1875
  • CC 6, pp. 26-35.
Informations détaillées
  • 1 DIVORCE
    1 ENNEMIS DE L'EGLISE
    1 ETERNITE
    1 FAMILLE
    1 FOI
    1 GRECS
    1 INDIFFERENCE
    1 ITALIENS
    1 JUIFS
    1 LAICISME
    1 LIBRE PENSEE
    1 LOI CIVILE
    1 LOI DIVINE
    1 LOI HUMAINE
    1 MARIAGE
    1 PAGANISME
    1 PEUPLES DU MONDE
    1 PHILOSOPHIE MODERNE
    1 PROTESTANTISME ADVERSAIRE
    1 SACREMENT DU MARIAGE
    2 AGRIPPINE
    2 ARTMANN
    2 BISMARCK, OTTO VON
    2 BOISSIER
    2 BOUET, LAURENT-MARIE
    2 CLAUDE, EMPEREUR
    2 COULET
    2 DEBUSSI, MAXIME
    2 GAIUS
    2 GOUBIER, LOUIS-GUSTAVE
    2 LEVI
    2 MAHOMET
    2 MOISE
    2 MONTESQUIEU
    2 PIE IX
    2 RENE, ABBE
    2 SARA
    2 TOBIE, BIBLE
    2 VICTOR-EMMANUEL II
    2 VITELLIUS
    2 ZOROASTRE
    3 FRANCE
    3 GRECE
    3 INDE
    3 NICARAGUA
    3 NOUVELLE-ZELANDE
    3 PRUSSE
    3 ROME
    3 TIBET
    3 VANIKORO
  • 12 avril 1875
  • 12 apr 1875
  • Nîmes
La lettre

M. l’abbé René, MM. de Bussy, Boissier, Coulet, Goubier, Bouet se sont réunis à l’heure habituelle sous la présidence du R.P. d’Alzon. Le procès-verbal de la dernière conférence a été lu et adopté. La parole a été donnée à M. Bouet qui devait rendre compte de ses premières recherches sur le mariage civil. Des occupations pressantes ne lui ont pas permis de creuser jusqu’aux dernières profondeurs de cette matière. Il sera heureux de recevoir toutes les communications que la bienveillance des membres de la réunion lui fera parvenir. Aujourd’hui, il exposera la question et rappellera de quel intérêt pratique elle se recommande; il annoncera la division de son travail, et s’engagera dans la première partie de sa tâche.

L’Eglise et l’Etat professent à l’égard du mariage les doctrines les plus opposées. Dans l’enseignement catholique, le mariage est un contrat dont les époux sont les parties, et un sacrement, dont ils sont les ministres. Le prêtre n’est qu’un témoin, mais un témoin nécessaire. Investie de la surveillance des choses sacrées, l’autorité ecclésiastique a seule le pouvoir de déterminer les conditions du mariage et en particulier les empêchements dirimants qui s’y opposent (cf Lettre de Pie IX au roi de Sardaigne, 1852). Au contraire, le Code civil, dans ses art. 75 et 165, proclame l’indépendance du mariage, relativement aux cérémonies religieuses, et la nature purement civile du lien conjugal. C’est un contrat, dont les parties sont les époux et, peut-on ajouter, la société. La loi civile en régit les formes, les conditions, les effets. Dieu n’y a point de place. Le Code pénal lui interdit de prendre le pas sur la société (art. 199 et 200). Son intervention est indifférente, quand la société a reçu la promesse des futurs conjoints.

Il faut choisir entre ces deux théories. Les lois humaines, dit Montesquieu, varient à mesure que les volontés des hommes changent. Au contraire, les lois de la religion ne varient jamais. Or il importe que la famille, pierre angulaire de l’édifice social, soit régie dans son principe constitutif par des lois immuables qui lui communiquent un caractère de stabilité.

Du reste, peut-on hésiter entre la doctrine qui réduit le mariage aux proportions d’un contrat ordinaire, et celle qui l’élève à la hauteur d’un acte religieux et à la dignité d’un sacrement? La première de ces théories n’est-elle pas:

1° injurieuse pour Dieu;

2° contraire au sentiment général de l’humanité;

3° incompatible avec les principes philosophiques de la matière;

4° née d’une fausse idée de la liberté de conscience et du système foncièrement inexact du contrat social.

Après cette quadruple réfutation, il importera de formuler des voeux pour obtenir un changement législatif, et, en attendant, de préciser les moyens qui permettent, dans l’état de la législation actuelle, de pallier aux inconvénients qu’elle présente.

L’institution du mariage civil est injurieuse pour Dieu. Dieu est l’auteur de la nature. C’est lui qui a déposé dans le coeur humain ce sentiment qui porte l’homme au mariage, pour assurer le développement régulier de la famille dans la permanence et la régularité de l’union. Dieu est aussi l’auteur de la grâce. C’est lui qui attacha au contrat matrimonial cette vertu sacramentelle qui le rend si auguste. Pourquoi donc refuser à Dieu la surveillance de son coeur, et soustraire l’institution aux lois de son fondateur?

L’humanité, dans l’épanouissement universel et spontané de ses sentiments et de ses croyances, malgré les passions que le caractère sacré du mariage comprime et irrite, l’humanité dans tous les temps et sur toutes les plages, a hautement affirmé la nécessité de faire intervenir la divinité dans la formation du lien conjugal: « Que Dieu lui-même vous unisse! », avait dit, dans la nation sainte, le père se Sara à sa fille et à Tobie. Cette bénédiction paternelle et religieuse n’était pas sans écho parmi les gentils. Zoroastre voyait dans le mariage l’accomplissement d’un devoir religieux: il menaçait de l’enfer la jeune fille qui refusait de se donner un époux. C’est avec le concours des Lamas et l’assistance de leurs prières que les Thibétains se marient. Les cérémonies grossières des mariages hottentots noirs présentent comme un fait habituel la présence du prêtre à la célébration. C’est de Dieu que Mahomet prétend tenir toutes les lois qui se rapportent au mariage. Au Nicaragua, les prêtres allumaient un feu sacré devant les époux et leurs familles. Dans l’île de Vanikoro, le grand-prêtre doit consentir au mariage projeté. Dans la Nouvelle-Zélande, le mariage est une sorte de consécration mutuelle des époux. Mais c’est surtout dans la race indo-germanique que le mariage présente un caractère profondément religieux. Les poètes nous disent que les dieux faisaient eux-mêmes les mariages de leurs héros. Le même mot servait, en Grèce, pour exprimer le mariage et les cérémonies sacrées (Exdos). Des temples s’ouvraient aux fiancés qui venaient s’embrasser devant l’autel d’Iollas. Mais passant sur tous ces détails où la multiplication des dieux célestes et l’invasion toujours croissante de superstitions nouvelles apportent une véritable confusion, si nous remontons aux époques reculées où la pureté des moeurs, la foi vive dans la religion paternelle, la discipline des esprits et des coeurs se traduisaient en des usages et des coutumes qui exprimaient nettement les croyances des peuples primitifs, nous verrons les cérémonies nuptiales se diviser en trois phases et la religion présider à chacune d’elles. C’est d’abord l’egguesis des Grecs, la traditio des Romains, ou consentement donné au mariage par le père de la fiancée après un sacrifice offert aux dieux domestiques. C’est ensuite le passage de la jeune fille dans la maison conjugale. Les Grecs l’appellent Pompe et les Romains deductio in domum. Des chants religieux se font entendre dans le cortège de la jeune fille. Enfin, chez le mari, la cérémonie se termine par le Tilos ou la confarreatio. Des prières, des aspersions d’eau lustrale, un gateau sacré mangé par les deux époux, voilà ce que laissent apercevoir, dans cette troisième partie de la cérémonie nuptiale, les récits des historiens et les chants des poètes. On a retrouvé chez les Hindous des solennités analogues.

C’est que pour ces divers peuples le mariage était plus que l’union de deux personnes. C’était un déplacement de protection divine, et la jeune fille, en quittant son père, désertait l’autel de ses ancêtres pour se consacrer au culte des aïeux de son mari. A ceux qui n’avaient pas de dieux domestiques, de religion privée, le droit au mariage était impitoyablement refusé. Pour eux il n’y avait, à l’origine, que des relations sexuelles, ritu ferarum vulgate!

Dans un tel esprit, le mariage devait être indissoluble. Nous savons en effet que le divorce fut longtemps inconnu à Rome.

Mais les croyances religieuses s’affaiblissant, le culte des ancêtres faisant place à de puériles superstitions ou à l’indifférence, le mariage perdit de son austérité, le lien conjugal put être interrompu avec facilité, les cérémonies que nous avons décrites furent souvent omises et méconnues. Néanmoins le mariage religieux ne fut jamais regardé comme semblable en tous points au mariage qui se parachevait solo consensu. Seul, il pouvait, aux yeux des Romains, préparer la naissance des prêtres de leurs grandes divinités. Les lois qui déterminaient les conditions de l’union conjugale ne furent pas laissées à la discrétion du Sénat ou des empereurs. Il y eut sans doute un senatusconsulte rendu sous Claude et légitimant le mariage de ce prince avec sa nièce Agrippine. Mais, dans la tourbe des courtisans impériaux, il ne trouva qu’un homme disposé à l’appliquer, en suivant l’exemple de Claude. Le peuple de Rome était épouvanté à la pensée de cette innovation: il redoutait un châtiment céleste. Et pourtant Vitellius avait dit au Sénat que nul texte de loi ne prohibait de telles unions. Ce qui les défendait, c’était la coutume, usage antique, perdu dans la nuit des temps, fixé dans les vieilles tribus italiotes sous l’influence des idées religieuses et des préceptes des législateurs regardés comme divins. Aussi Gaius devait-il appeler sacrilèges les mariages incestueux.

M. Bouet achève le tableau des résultats où l’ont conduit ses premières recherches, en citant les paroles du grand ennemi de la France et de l’Eglise, M. de Bismarck. Cet homme d’Etat s’élevait en 1849 avec beaucoup d’énergie contre un projet de loi qui tendait à introduire en Prusse le mariage civil, et, au nom des principes et de l’histoire, il suppliait la chambre prussienne de repousser cette institution « toute française« . La suite de ce travail montrera que si la France a donné au monde le scandale de la consécration législative d’une pareille théorie, c’est la Réforme et la Philosophie du XVIIIe siècle également chères à la Prusse, qui ont imaginé, combiné et vulgarisé ce système. D’ailleurs que notre patrie, aujourd’hui repentante et mieux éclairée, apprenne aux autres nations comment on répare ses fautes et l’on revient de ses erreurs!

Le R.P. d’Alzon présente trois observations.

1° Chez les Juifs, dit-il, le père de famille était le pontife de la cérémonie nuptiale. Car il était prêtre aux temps de la vie patriarcale, et quand Moïse eut confié aux membres de la tribu de Lévi le ministère sacerdotal, le père de famille conserva le droit de bénir l’union de sa fille avec l’époux qu’il lui donnait.

2° M. le président croit que chez les Anciens le mariage se réduisait à un contrat, mais que tout contrat important impliquait le serment et par suite une intervention de la divinité. – M. Bouet demande si, à raison des effets spéciaux du mariage antique au point de vue religieux, il ne faut pas y voir quelque chose de plus qu’un serment ordinaire.

3° Le R.P. d’Alzon désire que M. Bouet explique les expressions au moyen desquelles il a comparé au caractère sacramentel du mariage chrétien la nature toute particulière du mariage indo-germanique. M. Bouet déclare que dans sa pensée, il n’y a tout au plus entre ces deux mariages qu’une lointaine et vague ressemblance; qu’il a fait cette comparaison pour mieux faire ressortir l’idée des Anciens qui voyaient en effet dans le mariage plus qu’un fait dont les conséquences seraient renfermées dans la sphère de l’ordre naturel, puisqu’il donnait à la femme d’autres dieux et d’autres protecteurs.

Le R.P. d’Alzon recommande un travail paru dans l’Univers. C’est l’analyse d’un ouvrage où Artmann, protestant d’origine, montre que le protestantisme conduit à la libre pensée. Ce qui distingue les catholiques des protestants, dit M. le président, c’est le degré de leur croyance à la vie future. Cette espérance, ferme et précise, donne à leur caractère de la gravité, à leur courage de la constance, à leurs désirs de l’élévation.

L’ordre du jour de la prochaine séance comprend deux parties: 1° Conférence de M. l’abbé René sur la Propagande catholique; 2° Discussion sur la proposition de créer des conférences pour la jeunesse catholique.

La récitation du Sub tuum a clos la séance, comme l’invocation au St Esprit l’avait ouverte.

Nous nous sommes retirés à dix heures.

Notes et post-scriptum