A des dames ou jeunes filles

sep 1863 Nîmes
Informations générales
  • A des dames ou jeunes filles
  • Retraite à Saint-Maur en 1863
    Cinquième instruction - Combattez généreusement
  • BZ 9, pp. 91-103.
Informations détaillées
  • 1 AMOUR DES AISES
    1 ANEANTISSEMENT
    1 APATHIE SPIRITUELLE
    1 AUGUSTIN
    1 AUSTERITE
    1 BEAUTE DE DIEU
    1 BIEN SUPREME
    1 BONTE
    1 CHARITE ENVERS DIEU
    1 CIEL
    1 CONNAISSANCE DE SOI
    1 DEVOTION AU CRUCIFIX
    1 EFFORT
    1 ENERGIE
    1 ENNUI SPIRITUEL
    1 ESPRIT FAUX
    1 ETUDE DES PERFECTIONS DE DIEU
    1 EXAMEN DE CONSCIENCE
    1 FAIBLESSES
    1 FAUTE D'HABITUDE
    1 GRAVITE
    1 HABITUDE DU PECHE VENIEL
    1 HABITUDES DE PECHE
    1 IGNORANCE
    1 IMITATION DE DIEU
    1 INCONSTANCE
    1 INSENSIBILITE
    1 LEGERETE
    1 LUTTE CONTRE LE MONDE
    1 LUTTE CONTRE LE PECHE
    1 LUTTE CONTRE SOI-MEME
    1 MAL MORAL
    1 MISERICORDE DE DIEU
    1 MORT
    1 PERSEVERANCE
    1 RECHUTE
    1 REFORME DU COEUR
    1 RESISTANCE A LA GRACE
    1 RETRAITE SPIRITUELLE
    1 ROUTINE
    1 SOUFFRANCE ACCEPTEE
    1 THOMAS D'AQUIN
    1 VANITE
    1 VERTU DE FORCE
    1 VICTOIRE SUR SOI-MEME
    1 VIE DE PRIERE
    2 BONAVENTURE, SAINT
    2 CATHERINE DE SIENNE, SAINTE
  • Du 15 au 20 septembre 1863
  • sep 1863
  • Nîmes
La lettre

Combattez généreusement, constamment et virilement; une défaite se répare par un triomphe, une victoire.

Si, pendant ces jours qui vous sont donnés pour travailler au salut de votre âme, si, dis-je, vous vous êtes aperçues dans l’examen sérieux que vous avez déjà fait ou commencé de faire, vous vous êtes aperçues que vous n’aviez éprouvé jusqu’ici que des défaites, ne vous découragez pas; et comme le prophète je vous dirai: combattez toujours généreusement, constamment et virilement, une défaite se répare par un triomphe, une victoire. Ne vous laissez pas aller au découragement, relevez-vous toutes les fois que vous avez eu le malheur de tomber dans quelque faute; vous trouverez toujours dans Dieu un Père bon et tendre qui vous recevra dans les bras de sa miséricorde, si vous revenez à lui; vous tomberez encore; hélas! la vie n’est qu’un tissu de fautes, mais que vos chutes soient promptement réparées; combattez avec générosité ce penchant qui vous entraîne au mal, combattez constamment, mais avec cette force, cette virilité qui convient aux âmes vraiment chrétiennes; de tels combats sont méritoires, et vos fautes, loin de devenir pour vous des obstacles à votre avancement, seront au contraire des causes de nouveaux triomphes, de nouvelles victoires qui viendront accroître vos mérites.

Cependant, il y a des causes qui produisent ces chutes, presque journalières, vers lesquelles vous vous sentez entraînées, et aujourd’hui je veux vous les faire connaître ainsi que les remèdes qu’on peut y apporter.

Les causes de vos chutes sont:

1° l’ignorance;

2° la légèreté;

3° l’habitude des chutes;

4° la somnolence.

Nous péchons et nous tombons si souvent parce que nous ignorons toute la malice du péché; nous n’avons pas assez étudié la grandeur de Dieu, et par conséquent nous ne pouvons comprendre tout l’outrage que le péché fait à cette majesté infinie. Nous craignons même de faire pénétrer dans notre esprit cette céleste clarté qui, en nous dévoilant la suprême beauté de Dieu, nous ferait également connaître combien est grande l’injure que la plus petite de nos offenses fait à Dieu; nous nous plaisons, pour ainsi dire, dans cette ignorance qui ne met aucun obstacle à satisfaire nos désirs et nos penchants. Ah! que cette ignorance est coupable, et combien de personnes souffrent maintenant en enfer des supplices effroyables pour avoir vécu dans une ignorance volontaire, tandis qu’elles avaient à côté d’elles un flambeau qui aurait pu les éclairer et les empêcher, en leur montrant l’abîme dans lequel elles allaient se précipiter, de commettre telle ou telle faute dont elles gémiront plus tard. Elles rejettent la lumière et se plaisent dans une obscurité qui ne leur découvre qu’à demi toute l’énormité de leur faute, etc.

A l’ignorance j’ajouterai une seconde cause: c’est la légèreté. On passe trop rapidement sur certains points, on n’examine pas assez et avec sérieux les véritables motifs qui nous ont portés à faire telle ou telle action. On regarde trop comme une bagatelle l’occupation la plus sérieuse de la vie, le salut. On ne pense pas assez sérieusement au grand ouvrage de la sanctification de l’âme. Tout occupé des plaisirs des sens, on passe rapidement sur ce qui pourrait nous préoccuper tant soit peu. Je ne veux pas aujourd’hui vous parler de cette légèreté que le monde même a en horreur; mais je veux vous démontrer celle qu’une jeune personne, même pieuse, peut avoir sous le rapport de son avancement spirituel, c’est-à-dire de cette légèreté spirituelle, si je peux ainsi la qualifier. Vous, mes chères filles, vous avez, je crois, un peu ce défaut, et cette légèreté est la cause de vos chutes; vous ne vous en apercevez pas, parce que vous ne réfléchissez pas, ou plutôt vous ne voulez pas réfléchir. Vous ne vous occupez pas assez sérieusement, comme je vous l’ai déjà dit, de la sanctification de vos âmes; vous êtes de bonnes filles, mais un peu légères quand il s’agit de votre salut. Je vous ai déjà parlé de cette inconstance si nuisible à l’âme. Eh bien! la légèreté est un satellite de l’inconstance; elle vous fait passer trop légèrement sur certains motifs qui bien examinés, bien combattus, vous en comprendriez toute la fausseté et vous en seriez bientôt victorieuses, etc. Je ne m’étends pas là-dessus, je le laisse à votre réflexion.

Sous le rapport même de la vertu, vous êtes trop légères, c’est-à-dire que vous abandonnez trop facilement une vertu parce que la pratique vous sera devenue ennuyeuse, pénible; vous en prendrez une autre, et au bout de quelques jours vous ferez comme de la première, de sorte que cette inconstance, cette légèreté, loin de vous conduire au bien, sera pour vous une cause de chute. Ah! combattez virilement cette légèreté, si naturelle à votre âge, prenez du sérieux et travaillez sans relâche à votre salut.

La troisième cause de vos chutes, c’est l’habitude même de vos chutes. Vous péchez tous les jours, et même plusieurs fois par jour. Vous contractez avec vos fautes une espèce d’habitude qui fait que vous les commettez presque sans vous en apercevoir. Vous vous faites une espèce de routine, et vous la suivez tous les jours sans vous émouvoir; vous vivez habituellement dans le péché, je ne dis pas le péché mortel, mais dans ces fautes qui sont devenues comme naturelles, c’est une habitude que vous avez prise de laquelle vous vous déferez difficilement. Vous comptez pour rien ces petites fautes que vous commettez si facilement tous les jours; vous auriez horreur de commettre une faute grave, et vous ne rougissez pas de vivre dans l’habitude du péché véniel. Ce sont ces chutes habituelles qui causent ces chutes scandaleuses dont malheureusement nous n’avons que de trop fréquents exemples. Rappelez-vous ce que dit le St Esprit: celui qui méprise les petites choses tombera infailliblement dans les grandes. Ah! mes chères filles, pendant ces jours de grâces, pensez sérieusement à ces fautes dans lesquelles vous tombez le plus souvent, et si vous avez à déplorer une malheureuse habitude dans le péché, prenez la ferme résolution de sortir de cette malheureuse habitude, habitude qui vous conduirait insensiblement à un terme malheureux où vous reconnaîtriez, mais trop tard, tout le mal que vous vous êtes fait. Ah! je vous en conjure, défaites-vous de ces habitudes de péché, sortez de cette apathie, de cet assoupissement intérieur dans lequel se trouve votre âme; fuyez cette somnolence, quatrième cause de vos chutes; ne vous endormez pas dans cette espèce d’indifférence, ne vous laissez pas aller à ce sommeil que je pourrais appeler léthargique, et dont le réveil pourrait être si funeste à votre âme. Soyez énergique, prenez à coeur votre sanctification, et quels que soient vos combats, vos défaites, combattez toujours; une défaite se répare par une victoire, un triomphe; combattez virilement, n’écoutez pas la nature, toujours portée à se laisser aller à ses penchants; ne vous endormez pas au chant de ces sirènes si nombreuses dans le monde, traversez rapidement ces endroits si périlleux pour vous, et quand vous vous serez aperçue de vos fautes, loin de vous décourager, combattez avec courage, soyez, je vous le répète, énergiques, et la victoire vous appartiendra.

Il y a à ces causes que je viens de vous expliquer, des remèdes; car à côté du mal Dieu a toujours placé le bien. Les quatre remèdes, ou plutôt les quatre vertus à opposer aux quatre causes dont je viens de vous parler sont:

1° l’étude de Dieu et de soi-même;

2° le sérieux de la vie et du coeur;

3° la réparation;

4° les efforts.

A l’ignorance opposons l’étude de Dieu et de nous-mêmes. Quoi de plus beau, de plus intéressant et de plus capable d’émouvoir nos coeurs, que l’étude de Dieu? C’est la science des sciences, c’est à cette étude que les saints ont puisé cette science profonde qui a fait de tout temps l’admiration de tous les savants. Demandez à St Thomas d’Aquin, à St Bonaventure, ces lumières de l’Eglise, où ils ont puisé ces traits lumineux, cette science que je pourrais appeler divine, cette profonde connaissance des choses spirituelles, demandez-leur où ils ont appris à connaître ces vertus dont ils donnaient de fréquents exemples, et ils vous répondront: dans l’étude de Dieu et de nous-mêmes. Oui, Dieu a été le lieu où ces grands docteurs ont puisé ces belles et magnifiques pages qui nous ravissent, qui nous étonnent et qui nous transportent. C’est au pied du crucifix qu’ils ont puisé ce courage, cette énergie, avec lesquels ils ont combattu leurs penchants. Oh! ils ont étudié, et dans cette étude, ils ont connu la bonté, la beauté, la grandeur, la souveraine amabilité de leur créateur et de leur maître; cette connaissance a étendu leur amour; ils ont aimé parce qu’ils ont mieux connu l’objet de leur amour. En effet, plus on connaît quelqu’un, plus on l’en aime; en l’aimant on cherche à l’imiter. C’est ce qu’ont fait les saints. Ecoutez l’évêque d’Hippone s’écrier: « Seigneur, faites que je vous connaisse, et que je me connaisse; que je vous connaisse pour vous aimer, et que je me connaisse pour me haïr et me mépriser. »

Cette prière de St Augustin, nous devrions la répéter souvent. Apprenons à connaître Dieu et à nous connaître nous-mêmes. Ces deux connaissances seront très utiles à notre salut. D’un côté, nous ne verrons que pureté, perfection, et de l’autre que péché et misère; d’un côté l’infini nous apparaîtra dans toute sa splendeur, et de l’autre le néant avec toutes ses imperfections. Cette étude nous apprendra ce qu’est Dieu et ce que nous sommes. Et à la vue de tant de majesté et de grandeur, nous verrons avec une certaine indignation que cette petite créature, cette vile poussière, ou s’élever et résister à son Dieu, nous verrons et nous comprendrons beaucoup mieux l’outrage que le péché fait à N.S., et nous le commettrons avec beaucoup moins de facilité. Hélas! mes chères filles, si vous saviez ce que vous êtes, vous auriez horreur de vous-mêmes. Vous n’êtes rien, un peu de poussière que le vent emporte et que les passants foulent aux pieds.

Un jour que Ste Catherine de Sienne traversait une rue de sa ville natale pour se rendre à l’église, elle fut ravie en extase. La sainte s’adressant à N.S. lui dit: Qui êtes-vous? « Je suis, répondit N.S., celui qui est, et tu es celle qui n’est pas ». Réponse qui fut pour Catherine un motif de plus de se convaincre qu’elle n’était qu’un vil néant. En effet, qu’est-ce que nous sommes? En réalité rien. Que le souffle divin, c’est-à-dire cette âme qui nous anime, sorte de notre corps, que restera-t-il? un cadavre qui deviendra bientôt la pâture des vers et qui sera promptement réduit en cendres. Si l’on comprenait bien ce que l’on est véritablement, que de fautes on éviterait! Eh bien! mes chères filles, que votre plus douce occupation soit l’étude de Dieu et de vous-mêmes. En connaissant Dieu vous l’aimerez, en l’aimant vous l’imiterez. En vous connaissant vous-mêmes, vous vous haïrez, vous vous mépriserez, vous vous quitterez vous-mêmes pour ne vous attacher qu’à N.S.

Ces deux connaissances vous conduiront infailliblement au second remède que vous opposerez à la légèreté: le sérieux de la vie et du coeur. Il est inutile que je m’étende sur ce remède, dont vous comprenez vous-mêmes toute l’excellence et toute la nécessité.

Jusqu’ici vous avez vécu en jeunes personnes occupées des vaines futilités de la terre; vous n’avez pas apporté assez de sérieux dans vos rapports avec le monde. Il est temps aujourd’hui que vous traitiez sérieusement avec vous-mêmes, que vous vous occupiez à régler, avec calme et sans trouble, cet intérieur si porté à s’étourdir par les vains amusements du monde; vous avez besoin de mettre du sérieux dans votre coeur, jusqu’ici, peut-être, trop penché vers les créatures. Ce sérieux, loin de vous ôter cette amabilité extérieure qui fait le charme des personnes qui vous entourent, ajoutera, au contraire, un nouveau cachet qui sera tout à votre avantage. Prenez donc la résolution de mettre dans toutes les activités de votre vie, dans tous les sentiments de votre coeur, plus de sérieux, et vous corrigerez, par là, cette légèreté qui a pu vous être si nuisible.

Le troisième remède que nous opposerons à l’habitude des chutes, c’est la réparation, c’est-à-dire que lorsque vous aurez le malheur de tomber dans quelque faute, quelconque, vous ne devez pas perdre courage, mais au contraire réparer, par une victoire, la défaite que vous aurez essuyée; relevez-vous pour combattre avec plus de force et d’énergie, hâtez-vous de réparer promptement la brèche que le péché a pu faire à votre coeur, afin de ne pas donner le temps au démon d’y pénétrer par cette ouverture. Ne dites pas: c’est une habitude que j’ai prise, je ne pourrai jamais m’en corriger. Non, un tel langage ne peut convenir à des chrétiennes; il faut, dès que vous avez commis un péché, que vous vous hâtiez d’en faire réparation, quelque pénible que cela peut être. Qu’est-ce qui pourra vous retenir dans cette malheureuse habitude du péché? Ah! je vous l’ai déjà dit: c’est cette criminelle somnolence, oui, je dis criminelle, car elle l’est réellement pour votre âme, cette criminelle somnolence, cet assoupissement de l’âme qui s’endort au bord d’un précipice. Eh bien, à cette léthargie intérieure opposons les efforts. Oui, efforcez-vous de sortir de cette apathie spirituelle, faites des efforts pour combattre et pour vaincre, faites des efforts pour résister aux penchants de la nature; faites des efforts pour rompre avec le péché; ne sommeillez pas quand il s’agit de lutter contre vos défauts; armez-vous courageusement de la prière; luttez, combattez généreusement; faites effort sur vous-mêmes, et je vous promets la victoire.

En terminant, je vous répéterai les mêmes paroles par lesquelles j’ai commencé: « Combattez généreusement, courageusement et virilement; une défaite se répare par un triomphe ». Oui, mes filles, combattez; vous savez que l’honneur du combat appartient au général qui a su organiser son régiment et aux ordres habiles qu’il a su donner. De même, commandez à votre coeur, et que cette lutte dure toujours, jusqu’à l’heureux jour où vous irez dans le ciel recevoir la couronne promise au vainqueur.

Notes et post-scriptum