Procès-verbaux du Tiers-Ordre des Hommes

3 apr 1854 Nîmes Tertiaires Hommes

De la vulgarité ou de la distinction.

Informations générales
  • Procès-verbaux du Tiers-Ordre des Hommes
  • Cahier des procès-verbaux 1854-1857
    6. Séance du 3 avril 1854
  • Ecrits spirituels, pp. 1378-1381.
  • CE 8-15, p.7-9.
Informations détaillées
  • 1 ANTIPATHIES
    1 BAVARDAGES
    1 BONTE
    1 CHAPITRE DES COULPES
    1 CHARITE ENVERS LE PROCHAIN
    1 COLLEGE DE NIMES
    1 CONNAISSANCE DE SOI
    1 CONVERSATIONS
    1 CRITIQUES
    1 DESESPOIR
    1 DISTINCTION
    1 EDUCATION EN FAMILLE
    1 EDUCATION HUMAINE
    1 EFFORT
    1 ESPRIT ETROIT
    1 FORMATION DES JEUNES AUX VERTUS
    1 FORMATION DU CARACTERE
    1 GRANDEUR MORALE
    1 LIVRES
    1 MAITRES CHRETIENS
    1 ORGUEIL
    1 PROGRES DANS LA VIE SPIRITUELLE
    1 REFECTOIRE
    1 REFORME DE L'INTELLIGENCE
    1 REPRESSION DES DEFAUTS DES JEUNES
    1 SEMAINE SAINTE
    1 SUSCEPTIBILITE
    1 TIERS-ORDRE DE L'ASSOMPTION
    1 TIERS-ORDRE MASCULIN
    1 TRAVAIL DE L'ETUDE
    1 TRISTESSE
    1 VOIE UNITIVE
    2 MONNIER, JULES
    3 NIMES
  • Tertiaires de l'Assomption
  • Tertiaires Hommes
  • 3 avril 1854
  • 3 apr 1854
  • Nîmes
  • Collège de l'Assomption
La lettre

Séance du 3 avril [1854]

Présidence du P. d’Alzon.

Le Père revient sur la vulgarité et sur la nécessité d’en sortir.

I. Dans l’effort même que l’on fait pour en sortir, il y a déjà un acte qui élève précisément parce qu’il mortifie. Il faut se séparer de ses petitesses, et il en coûte. Mais commencer cette séparation, c’est déjà commencer à s’agrandir.

S’appliquer alors à cultiver en soi l’aptitude distinguée. L’âme d’un chrétien a toujours sa distinction. Il n’est pas un seul de nous qui n’ait la sienne. Mais combien l’enfouissent ou la perdent peu à peu, faute de savoir ou de vouloir développer ce germe précieux.

Mais, disons-nous, arriver à la distinction dans les pensées et les sentiments n’est pas aisé. – Oui et non. Il y a des moyens très simples et très pratiques à mettre en usage pour faciliter le travail. Ainsi prenons en gros la vie d’un Maître: que d’occasions pour s’élever! et qui semblent naître d’elles-mêmes. Poser d’abord en principe que nous devons nourrir notre esprit d’études distinguées, comme il convient à des gens qui ont quelque culture d’esprit; s’imposer l’obligation d’arriver à la hauteur où nous pouvons atteindre, comme cela effectivement convient à des Maîtres qui aspirent à élever le niveau des jeunes intelligences.

Or, sur ce chapitre, où en sommes-nous ? – Dans nos classes, dans nos leçons particulières, avec nos élèves, dans notre famille (si nous sommes mariés), quel est l’ordre habituel de nos idées, de nos discours ? La banalité n’y domine-t-elle pas ? Il suffirait de nous interroger sur le matière journalière de nos conversations si nous avions, à cet égard, besoin de renseignements précis. Les cancans, par exemple, peuvent être sans doute une ressource pour les esprits vulgaires, mais sont assurément un signe de décadence pour des esprits distingués. Or, qu’est-ce qu’un maître occupé par état d’études sérieuses ou qui doit l’être, qu’est-ce qu’un maître qui vit de cancans ?

II. Un mot bien compris peut vite nous remettre sur pied. Dominus possedit me. Pénétrons dans le sens de cette parole, et nous verrons bien qu’il faut, qu’il est possible d’aller à Dieu par quelque bout. Il y a là un rappel à l’ordre de tous les instants. Descendons aux occasions les moins apparentes. Nous sommes au réfectoire: pourquoi n’élèverions-nous pas notre pensée à Dieu ? Pourquoi ne pas écouter attentivement la lecture qui se fait ? Un simple verset de l’Imitation de J.C. suffirait à nous élever. Pères de famille, en allant de l’Assomption chez nous, sur le chemin, pourquoi ne dirions-nous pas un mot pieux à notre fils ? A table, ne trouverons-nous rien qui élève notre monde et nous-mêmes, un trait à raconter, un mot à commenter, une oeuvre à conseiller ? En vérité, si nous ne le faisons pas, c’est que nous ne le voulons pas. Nous trouvons cela ennuyeux. Et nous laissons ainsi ces jeunes coeurs, ces jeunes intelligences, séjourner dans des idées communes.

C’est que, pour prendre les choses de haut, il faut s’y exercer. Nos lectures, que nous en reste-t-il ? Comment les digérons-nous ? Nous nourrissent-elles ? Vivons-nous avec une idée qui nous a frappés, avec un modèle qui nous a passé sous les yeux ? L’âme se forge comme le fer. Il faut frapper et refrapper. C’est un métal noble qui doit prendre une forme arrêtée. Elle n’en prendra pas sans nous, et Dieu, d’un autre côté, ne veut pas travailler seul à la faire. Comment nous forgeons-nous ? Peut-être éprouvons-nous de la peine à nous prendre par l’intelligence ? – Prenons-nous par le coeur. Ah! quel riche côté! et là encore que de pauvretés! La délicatesse, la bonté affectueuse, les prévenances, la charité à substituer aux impertinences, aux roideurs, à tout le quant-à-soi, à la personnalité cassante, vive, susceptible, à l’esprit moqueur, surtout aux grandes misères des antipathies. Comme il serait bon et bien, et de bon ton, et de bon goût, de laisser tomber tout cela!

Les conversations! Pourquoi donc ne pas nous frotter à certaines intelligences plus distinguées ? Pourquoi rester dans un certain monde qui ne pense pas, qui ne lit pas ? Pourquoi ne pas chercher à relever les conversations auxquelles nous nous trouvons mêlés ? Pourquoi… C’est toujours la même question et la bonne volonté est toujours prise en défaut. NOus marchandons pour faire un effort, pour prendre sur nous. Nous préférons causer deux à deux, pourquoi pas trois à; trois; non pas seulement ave celui-ci, mais avec ceux-ci et ceux-là ? Nous leur ferions du bien pourtant. Nous sortirions enfin de nous, ce serait charité; ou bien l’on nous sortirait de nous, ce serait tout profit.

III. Ici vient se placer le bouquet spirituel; au lieu de roses, des épines. En se regardant ainsi de près, en s’imposant un effort pour se retirer de son train ordinaire, on arrive promptement à se voir tel que l’on est. Or, s’avouer que l’on est pas quelque chose de distingué, qu’il n’y a pas grand espace, grande largeur dans son coeur pas plus que dans sa tête, c’est très humiliant, très mortifiant. – Tant mieux: la léthargie cesse, quand la piqûre ou la brûlure se fait sentir. Au lieu de se renfermer dans son dépit, dans sa tristesse, l’effort que l’on fait pour se dévulgariser dilate, ouvre, épanouit. On allait se désespérer, on se gonflait, on étouffait; on se sent renaître, on se fond, on respire, on a pris de l’air en sa plaçant un peu sur les hauteurs. Le désespoir d’ailleurs n’est qu’une niaiserie d’orgueil. Si bas, si terre à terre que l’on soit, on peut arriver, on peut monter quand on le veut.

Prenons donc cette résolution, c’est une excellente mortification à mettre en pratique pendant la Semaine Sainte et, avec elle, nous ferons un bon chemin de la croix.

La séance est levée après la coulpe.

Le Président:|Le Secrétaire: J. Monnier.
Notes et post-scriptum