Sermons divers

3 mar 1861 Nîmes
Informations générales
  • Sermons divers
  • Carême prêché en 1861 à St-Charles de Nîmes
    Troisième dimanche de Carême: *Du Pape docteur*.
  • GO 1, p.239-275; Ecrits du P. Bailly, 18, p.207-215.
Informations détaillées
  • 1 APOSTOLAT
    1 CARACTERES DE L'EGLISE
    1 CONCILE DE TRENTE
    1 CONCILE OECUMENIQUE
    1 CORPS MYSTIQUE
    1 DIVINITE DE JESUS-CHRIST
    1 DOCTRINE CATHOLIQUE
    1 DOGME
    1 DROIT COUTUMIER
    1 EUCHARISTIE
    1 FOI
    1 FONCTIONNAIRES
    1 GALLICANISME
    1 GOUVERNEMENTS ADVERSAIRES
    1 HERESIE
    1 IMMACULEE CONCEPTION
    1 INCARNATION DE JESUS-CHRIST
    1 INFAILLIBILITE PONTIFICALE
    1 JESUS-CHRIST DOCTEUR
    1 JESUS-CHRIST NOURRITURE DES AMES
    1 MARTYRS
    1 MISERICORDE DE DIEU
    1 MISSIONNAIRES
    1 PAPE
    1 PAPE DOCTEUR
    1 PAPE SOUVERAIN
    1 PAROLE DE DIEU
    1 PECHE ORIGINEL
    1 PHILOSOPHIE MODERNE
    1 PROTESTANTISME
    1 RATIONALISME
    1 REVOLUTION ADVERSAIRE
    1 ROI DIVIN
    1 SACERDOCE DE JESUS-CHRIST
    1 TRADITION
    2 ARIUS
    2 BERENGER DE TOURS
    2 CAPRARA, JEAN-BAPTISTE
    2 CART, JEAN-FRANCOIS
    2 CONSALVI, ERCOLE
    2 HENRI VIII
    2 IGNACE D'ANTIOCHE, SAINT
    2 JOEL
    2 LOUIS XIV
    2 MAISTRE, JOSEPH DE
    2 MARCEL I, SAINT
    2 MATTHIEU, SAINT
    2 NICOLAS I
    2 PAUL, SAINT
    2 PIE IX
    2 PIE VI
    2 PIE VII
    2 PIERRE, SAINT
    2 SUAREZ, FRANCISCO
    2 THOMASSIN, LOUIS
    2 TRAJAN
    3 ALLEMAGNE
    3 ANGLETERRE
    3 ESPAGNE
    3 EUROPE
    3 FONTAINEBLEAU
    3 FRANCE
    3 NICEE
    3 ROME, BASILIQUE SAINT-JEAN DU LATRAN
    3 TIBERIADE, LAC
    3 VALENCE
  • 3 mars 1861
  • 3 mar 1861
  • Nîmes
  • Eglise St-Charles
La lettre

Tu es petrus, super hanc petram aedificabo ecclesiam meam et portae inferi non praevalebunt

Tu es Pierre et sur cette pierre je bâtirai mon Eglise et les portes de l’enfer ne prévaudront pas contre elle (St M.16, 18).

Il y a une pierre angulaire, pierre essentielle, fondamentale, pierre que nulle autre ne peut remplacer, base inébranlable de cet édifice que Dieu est venu fonder sur la terre.

Personne ne peut établir une autre base que celle établie par Dieu même et cette base c’est J.-C., fundamentum enim aliud nemo potest ponere praeter id quod positum est, quod est Jesus Christus

Mais il a plu à Jésus-Christ d’ajouter à cette pierre fondamentale qui est lui-même une autre pierre, afin d’élever vers le ciel un édifice à la gloire de son Père; et c’est ce qu’il fait quand au moment de la vocation des Apôtres il en choisit un plus particulièrement et lui dit: Tu es Pierre et sur cette pierre je bâtirai mon Eglise. Cette pierre c’est Simon fils de Jonas, à qui ni la chair ni le sang mais déjà Dieu le Père céleste avait dire avant la descente du St-Esprit: Tu es vere Christus filius Dei vivi.

C’est sur cette pierre qu’a été bâtie l’Eglise et ébranler cette pierre, c’est ébranler l’édifice tout entier. Sans doute J.-C. est le premier de tous les fondements, mais il en est un autre que lui-même se plaît à disposer et c’est dans l’union de ces deux fondements que se fait l’unité merveilleuse qui constitue le tout universel de l’Eglise. J.-C. est chef de son Eglise comme Pontife, Docteur et Roi et il veut communiquer ce triple caractère à un homme, Pierre. Je m’empare ici d’un point de vue présenté par le célèbre Docteur Philipps; c’est donc avec lui que je dis:

L’Eglise de J.-C. est une école et il en est le Docteur.

L’Eglise de J.-C. est un temple et il en est le Pontife.

L’Eglise de J.-C. est un royaume et il en est le Souverain.

Mais, je le répète, cette qualité de chef à la fois Docteur, Pontife et Souverain, il lui a plu de la communiquer à Pierre et voilà pourquoi Pierre est à la fois lui aussi le Docteur, le Pontife et le Souverain de l’Eglise; ce sont les trois considérations qui feront le sujet des trois instructions de cette semaine. 1ère Instruction, Doctorat de Pierre – 2e Instruction, Pontificat de Pierre et 3e Instruction, Royauté de Pierre.

C’est cette unité qu’une des gloires du clergé français Thomassin a exprimée merveilleusement quand il disait que le Souverain Pontife était la bouche, le coeur et la tête de l’Eglise; il est la bouche et il parle, il est Docteur, il est le coeur et il prie, il est le Pontife, il est la tête et il commande, il est le Roi.

Voici donc ce triple caractère, la merveilleuse unité de cette puissance de St Pierre à qui tant de contradictions et de luttes sont réservées. Quand N.-S. s’adressait à un pauvre pêcheur du lac de Tibériade, celui-ci ne se doutait pas du magnifique apanage de haine que lui attirerait ce titre: Tu es Pierre et sur cette pierre je bâtirai mon Eglise.

Il suffirait, il me semble, du paradoxe apparent de cette prophétie quand elle fut prononcée, pour prouver la divinité de la mission de celui qui la faisait et la vérité de la mission de celui à qui elle était faite. Qui pouvait en effet prévoir à cet instant de la promesse, que l’objet d’une si grande rage et d’une pareille assistance serait ce pauvre ouvrier, ce pauvre pêcheur et que cet homme triompherait de tant d’efforts réunis et que l’enfer lui-même viendrait se briser à cette humble pierre encore alors si inconnue?

Nous nous arrêterons ce soir, comme je vous l’ai annoncé, à cette première considération: De même que J.-C. est docteur dans cette grande école de l’Eglise, de même le Souverain Pontife est docteur de cette même Eglise.

Je demande pour cela, mes frères, toute votre attention; de même que je reviendrai quelquefois sur les principes que j’ai déjà posés dans les précédentes instructions, je reviendrai fréquemment sur ceux que j’établirai aujourd’hui, et il est d’autant plus important de les retenir qu’ils peuvent avoir d’un moment à l’autre une application très immédiate.

Mettons-nous sous la protection de celle [blanc].

Ave Maria.

Veuillez vous rappeler que nous avons déjà établi que l’Eglise une, sainte, catholique et apostolique est la société des intelligences et qu’elle se nourrit de vérité. Mais pour que les intelligences puissent recevoir cette nourriture divine, il faut que quelqu’un la leur apporte et remarquez l’enchaînement magnifique par lequel l’Apôtre des nations St Paul arrive à cette conclusion; il reprend d’abord une parole du prophète (Rom. X, 13-15) Omnis enim quicumque invocaverit nomen Domini, salvus erit (Joel 2,32) et nous montre ainsi comment le salut s’opère par la foi dans l’homme, mais ajoute-t-il: Quomodo invocabunt in quem non crediderunt? Comment invoquer celui auquel on ne croit pas? Le salut consiste à invoquer le Seigneur, mais il faut croire en lui et quomodo credent in quem non audierunt? Comment croiront-ils en lui s’ils n’en ont pas entendu parler? et comment pourront-ils en entendre parler, si personne ne vient prêcher cette foi: Quomodo autem audient sine praedicante?

Vous voyez, mes frères, comment St Paul abat d’un coup les prétentions du philosophisme, du rationalisme et du protestantisme et de tous ceux qui prétendent que la raison seule peut s’élever à la connaissance du Sauveur.

Mais poursuivons l’explication du texte de St Paul. Comment entendra-ton la parole si on ne l’enseigne? et il ajoute: quomodo vero praedicabunt nisi mittantur? Et comment l’enseignera-t-on si une mission n’est pas donnée pour cela? Il faut donc absolument que cette mission existe et c’est cette mission que J.-C. communique à ses Apôtres quand il leur dit: Sicut Pater misit me et ego mitto vos. Ces principes sont, n’est-ce-pas, merveilleusement clairs.

Et s’il a fallu une mission pour les premiers chrétiens, il faut qu’elle se perpétue dans tous les siècles, et c’est là le caractère de l’Eglise catholique, apostolique et romaine, c’est de remonter à J.-C. lui-même.

Voici, mes frères, l’histoire et la raison de la prédication catholique.

Vous comprenez mieux maintenant comment Dieu se fait homme et comme tel empereur de la foi selon la parole de St Augustin, Imperator fidei, et quand il aura fini d’enseigner lui-même, il donnera à d’autres le soin de continuer cet enseignement. Quicumque invocaverit nome Domini salvus erit.

Vous comprenez aussi pourquoi quelques instants après, l’Apôtre ajoute: Fides ergo ex auditu. Il ne dit pas vous recevrez la foi par un livre, par un enseignement écrit, mais par un enseignement vivant, par un enseignement parlé, et qui le donnera? Auditus autem per verbum Christi, cet enseignement vient de Dieu.

Et c’est ici, mes frères, que nous pouvons admirer le merveilleux contraste qu’il y a entre la parole de Dieu et la parole des hommes. La parole de l’homme est comme les flots de la mer qui se poussent et se repoussent et disparaissent les uns sur les autres, la parole de Dieu au contraire c’est l’immuable vérité qui demeure éternellement, Veritas Domini in aeternum (Ps.116).

Mais il faut pour que cette parole divine puisse être proposée à l’homme, qu’elle ait quelque chose de certain, de défini, de précis; aujourd’hui nous croyons ce que certains hommes nous ont appris, mais encore faut-il, pour que nous croyons, qu’ils s’appuient sur un fondement solide. Quand je dis: je crois, je crois à quelque chose, je ne crois pas au néant, je ne crois pas à un songe, aux nuages qui passent; non, je crois à quelques chose de positif; je crois à la lumière, à la vérité, je crois au soleil, je crois à ce qui m’éclaire, aux objets que fixe mon oeil et surtout ceux qui me sont bienfaisants; ainsi je crois au toit qui m’abrite, au vêtement qui me couvre, au breuvage qui me désaltère, mais quelle est donc cette croyance, cette foi qu’auraient nos frères séparés en Dieu par exemple, puisqu’ils ne savent pas bien ce qu’il est, s’il est un ou trine?

Cette foi ne peut suffire, il faut, je le répète, pour croire quelque chose de parfaitement certain, précis, défini, et pour fixer ces bornes divines que l’éternelle vérité se donne, il faut nécessairement une autorité.

Eh bien! mes frères, j’entre ici dans le coeur de la question.

Le doctorat de cet enseignement a été donné à l’Eglise et elle a professé qu’il en était ainsi quand elle a dit: Credo in unam Ecclesiam, et qu’elle s’est définie elle-même par ces quatre termes, unam, sanctam, catholicam et apostolicam.

M. de Maistre en sa qualité d’ancien magistrat, mais non parlementaire, a dit dans son admirable ouvrage sur le Pape: On aura beau faire, une société humaine ne peut pas exister si elle n’agit pas comme infaillible, de même qu’un juge ne peut rendre un arrêt s’il n’est déclaré infaillible; il pourra, il est vrai y avoir une infaillibilité relative, du juge de paix on appellera au tribunal de 1ère instance et à la Cour de Cassation qui pourra renvoyer à un autre tribunal, mais en somme, il faut qu’on arrive à un juge suprême, que ce soit la Cour de Cassation aujourd’hui et autrefois St Louis sous le chêne de Vincennes; et cela est ainsi, quoiqu’il y ait absurdité à croire à des tribunaux vraiment infaillibles, il faut les supposer tels.

Votre fortune est compromise, vous poursuivez vos adversaires devant un tribunal pour la sauver et si ce tribunal déclare que vos prétentions sont vaines, il faut qu’il en soit ainsi, il faut au moins par les résultats que vous reconnaissiez que ce tribunal a bien jugé.

En une Cour d’Assises, vous êtes condamné à mort, une fois votre pourvoi et tous les appels rejetés, vous êtes innocent, je le veux bien, et cependant au nom des intérêts de la société il faut absolument que vous montiez sur l’échafaud.

Sans cette infaillibilité de la loi aucune société humaine ne serait possible; il faut donc l’admettre quand même le législateur reconnaîtrait lui-même qu’il peut se tromper, et certes depuis 50 ans, assez de lois ont été faites et défaites pour qu’aucun législateur ne prétende à une infaillibilité réelle. Cependant nous admettons, je le répète encore, cette infaillibilité, excepté dans certains cas de tyrannie où la résistance devient un devoir, nous l’admettons, dis-je, comme le fondement de tout ordre social, comme une chose sans laquelle toute société seait condamnée à périr.

Quand Dieu est venu lui-même établir sa société, il lui a donc donné ce caractère nécessaire, mais vous reconnaîtrez bien, je pense, que Dieu ne peut ni ne veut se tromper; l’essence même de Dieu exige que, dès qu’il communique avec les hommes, il leur parle de manière à leur donner la vérité tout entière, qu’il n’y ait, en un mot, rien de menteur dans son enseignement.

En effet ou Dieu parlera directement ou par ses intermédiaires.

S’il parle directement il manifestera son infaillibilité par des miracles, et il dira: si vous ne croyez pas à mes paroles, croyez à mes miracles, et s’il parle par d’autres, il faut qu’il garantisse la vérité de leur parole.

Ainsi je conclus en disant qu’il faut établir ou que Dieu n’a manifesté aucune vérité aux hommes, ou que cette vérité a été enseignée infaillible.

Mais il y a entre l’infaillibilité venant des sociétés humaines et l’infaillibilité venant de la société divine cette différence que les premières la supposent et ne peuvent l’établir, tandis que dans la société fondée par Dieu il faut la considérer comme réelle; car on nierait la bonté de Dieu si l’on croyait un seul instant qu’il n’a pas donné aux hommes les moyens de connaître sa vérité. Donc l’Eglise est infaillible et pour me servir d’un terme vulgaire qui résume cette discussion, c’est à prendre ou à laisser.

Vous êtes donc obligé de croire tout ce que l’Eglise propose; je ne veux pas dire que vous soyez obligé de connaître tout ce qui a été déclaré véritable par elle, il suffit que vous connaissiez explicitement trois ou quatre vérités principales; mais il faut que, par un acte de foi, vous déclariez croire tout ce qu’elle enseigne.

Celui donc qui avance que l’Eglise romaine peut errer est hérétique, et voilà une des raisons pour lesquelles l’Eglise romaine est l’objet de tant de fureurs et de haine soit en haut, soit en bas; on veut que cette Eglise puisse se tromper comme une autre, mais la parole de Dieu est là et l’on devient hérétique si on avance qu’elle peut errer.

Or cet enseignement infaillible n’est pas une fiction, il y a pour le diriger un chef, le Souverain Pontife, et c’est à ce Souverain Pontife, pasteur des pasteurs, docteur des docteurs, que N.-S. a dit: Pais mes agneaux et ensuite pais mes brebis; c’est à dire non seulement les fidèles mais encore leurs pères nourriciers de la parole, les pasteurs de l’Eglise universelle.

Mais voici une question que l’on posera:

L’enseignement de ce chef est-il infaillible?

Je réponds: il n’est pas encore de foi que le Souverain Pontife seul soit infaillible, mais je vous dis avec presque toute l’Ecole que celui qui le nie est très proche de l’hérésie; car si nous consultions tous les évêques, l’immense majorité, à deux ou trois près peut-être, il s’en est bien trouvé trois pour nier la divinité de J.-C. à Nicée, l’immense majorité, dis-je, répondrait: Oui, le Pape est infaillible.

Mais objecte-t-on, alors pourquoi cela n’est-il pas encore décrété?

Laissez-moi vous dire, mes frères, que nous assistons à une des phases les plus admirables à laquelle il soit donné d’assister dans les annales de l’Eglise.

L’Eglise a bien des douleurs en ce moment, mais je crois qu’il est vrai de dire pour elle, comme jadis pour la mère des hommes, qu’elle enfantera dans la douleur, et aujourd’hui il semble que cette Eglise dépositaire de la vérité accomplit un de ces merveilleux enfantements et dans la douleur elle met aux jours de nouvelles vérités.

Quoi! Il y a donc des vérités nouvelles?

Non, il n’y a pas de vérités nouvelles, mais il y a des vérités mieux crues, mieux définies et c’est là ce qu’il y a d’admirable. Il entre, mes frères, il entre dans mon enseignement de vous faire voir comment les vérités se définissent dans l’Eglise.

Quand J.-C. dans son Ascension glorieuse est monté au ciel devant ses apôtres et ses disciples, sa divinité par là même fut bien constatée et précédemment elle était suffisamment établie et reconnue par ces paroles de Pierre: Tu es vere Christus filius Dei vivi, et par la réponse du divin Maître: Tu es Petrus qui…

Eh bien! cette divinité de J.-C. si évidente dès les premiers jours du christianisme, ce n’est que 300 ans après la mort du Sauveur que l’Eglise l’a définie à Nicée contre Arius et qu’elle a dit Deum de Deo, lumen de lumine, Deum verum de Deo vero.

Plus tard J.-C.- qui avait dit: Ceci est mon corps, ceci est mon sang, fut attaqué dans le sacrement de son amour par l’hérésiarque Bérenger, il nia la présence réelle dans l’Eucharistie et ce fut alors seulement, c’est-à-dire l’an 1000, que l’Eglise fit un dogme de foi de la présence réelle et l’hérésie de Bérenger disparut comme avaient disparu sous les anathèmes de l’Eglise ces myriades d’hérésies englouties dans les dix siècles qui avaient précédé. Plus tard encore, d’autres hérétiques se lèveront et l’Eglise tout entière, réunie à Trente, définira tout ce qu’il faudra définir et rien que ce qu’il faudra, et c’est ainsi qu’elle laissera deux questions pendantes; à savoir si Marie a été conçue sans péché et si le Pape est infaillible.

Sur la première question l’Eglise avait laissé aux fidèles jusqu’à ces derniers temps la liberté de croire ou de ne pas croire, toutefois St Augustin disait déjà: Quand je parle de péché originel je ne veux pas qu’il soit question de Marie dont la conception s’est opérée aussi merveilleusement que la naissance.

Or voyons comment agit l’Eglise:

D’abord elle permit de discuter la croyance en l’Immaculée Conception, puis après certaines discussions regrettables, elle défendit que l’on enseignât que Marie a été conçue avec la faute originelle, et elle encouragea d’autre part ceux qui soutenaient la conception immaculée. Et c’est ainsi qu’on voit ce dogme faire des progrès comme un soleil qui se lève le matin en se dégageant peu à peu des brouillards qui l’enveloppent et quand le moment est venu et ce moment sonné par la Providence est un moment choisi au milieu d’un siècle matérialiste comme le nôtre; alors Pie IX consulte tous les évêques du monde, quatre seulement déclarent que le temps n’est pas opportun pour la définition du dogme, et alors Pie IX avec son autorité suprême proclame le dogme de l’Immaculée Conception.

L’histoire de ce dogme est l’histoire de tous nos dogmes.

Encore une fois l’infaillibilité de la personne du Souverain Pontife n’est pas encore un dogme de foi, cependant il y a 200 ans, un grand roi ayant ordonné aux évêques de France d’examiner cette question et leur conclusion, selon le désir du monarque, ayant été contre l’infaillibilité, elle fut condamnée par le Souverain Pontife.

Et plus tard l’Eglise s’étant prévalu de cette déclaration au nom d’une odieuse liberté, elle fut cassée et dans ces derniers temps un évêque voisin ayant eu le courage de dire qu’à Rome même on conservait ces traditions, Pie IX s’en émut et dans une encyclique déclara qu’il s’étonnait qu’un homme revêtu de la dignité de l’épiscopat n’ait pas rougi d’avancer une pareille assertion, non erubuit asserere etc., et il termina en déclarant qu’il a ces principes en horreur. Et il a fallu que l’évêque en recevant le pardon fît ses excuses et qu’elles fussent transmises à tout son diocèse.

D’autres théologiens derrière lesquels je ne veux voir aucun évêque soutinrent les mêmes principes dans un livre sur le droit coutumier en France et Pie IX dans une nouvelle encyclique condamna ces principes et déclara qu’il avait déféré le livre à la Congrégation de l’Index, afin qu’elle pût après un examen attentif porter contre lui le jugement sévère qu’il méritait.

Enfin j’ajoute et je ne crains pas de le dire, qu’aujourd’hui aucun évêque de France n’aurait le courage de se déclarer gallican si l’on entend par là le droit de nier l’infaillibilité du Pape; cet évêque serait mis au pilori de l’Eglise universelle.

C’est le lieu de vous communiquer ici un détail intime qui corrobore singulièrement cette vérité.

Il y a 5 ans(1), lorsque je fus envoyé par Mgr Cart porter aux pieds du St-Père le compte-rendu du diocèse comme doivent faire tous les 3 ans les évêques ou leurs mandataires, après l’audience, Pie IX eut la bonté de me dire qu’il me recevrait en particulier un jour où il n’y aurait pas audience publique et dans l’entretien que nous eûmes il eut la bonté de me dire: Mon fils, demandez-moi ce que vous voudrez et je vous répondrai; je l’entretins alors de l’infaillibilité des Souverains Pontifes et lui demandai sa pensée.

Il me répondit: il me semble pourtant que j’ai fait quelque chose pour mon infaillibilité quand en présence de ces 200 évêques réunis à Rome j’ai proclamé de mon autorité avec eux pour témoins seulement, testibus non iudicantibus, le dogme de l’Immaculée Conception. Plusieurs ministres anglicans étaient venus alors à Rome pour être témoins de la protestation qu’ils attendaient de ces évêques et ils ne la virent pas. Que plusieurs évêques de France me demandent positivement de condamner les quatre propositions de l’Eglise gallicane et je m’empresserai de le faire.

Voilà comment nos dogmes se développent en prenant tous cependant leur source dans la tradition apostolique et c’est ce qui fait dire à Suarez que la Tradition est un arbre qui porte des bourgeons et des fruits, le bourgeon croît, la fleur paraît et le fruit devient mûr.Mais nous comprenons facilement qu’il faut qu’il y ait quelqu’un chargé d’enseigner ces dogmes, de les développer et de les soutenir dans leur croissance. Aussi pouvons-nous être certains que, de même qu’on a vu l’Eglise se prononcer à Nicée contre Arius, au concile de Latran contre Bérenger, que de même qu’on a vu Pie IX proclamer le dogme de l’Immaculée Conception, de même on peut presque affirmer que la première proposition de foi qui sera imposée à la croyance des fidèles serra l’infaillibilité du Pape, et voilà pourquoi j’ai dit en commençant que nous traversions une merveilleuse époque.

Si j’ai choisi, mes frères, ces trois dogmes de la Divinité de J.-C. dans l’Eucharistie, de l’Immaculée Conception de la Ste Vierge et de l’infaillibilité du Pape pour étudier la grave question de la définition des dogmes, c’est qu’il y a entre ces trois dogmes une union admirable.

Qu’est-ce que la présence réelle dans le St Sacrement?

C’est la communication d’un même corps à tous afin que nous ne soyons qu’un en J.-C. Voilà le corps de l’Eglise.

Qu’est-ce que l’Immaculée Conception de la Ste Vierge?

C’est l’infinie pureté de la Mère ce Dieu et cette pureté a une corrélation intime avec la pureté de l’Eglise, laquelle pureté, ou intégrité, est conservée par celui qui est appelé l’ami de l’épouse.

Cela posé, voilà bien la figure de tout le christianisme. Un Dieu fait homme et dont le corps est comme le corps de toute l’Eglise.

Une vierge sa mère, nous montrant la sainteté où nous pouvons aspirer, et qui est comme la fin de l’Eglise.

Et enfin la pure nourriture des âmes se communiquant par un infaillible docteur, le Pape.

J’arrive maintenant à une question qu’il faut savoir aborder. Les Papes ont-ils en effet été tous infaillibles dans leurs acte?

Il est vrai qu’il y a eu dans l’histoire des papes des faits qui tiennent de l’homme. Il y en a eu qui ont adoré les idoles comme Marcel qui mourut depuis martyr de J.-C. Il y en a qui ont faibli et fait des concessions qu’ils ne pouvaient faire comme Pie VII à Fontainebleau, Pie VII que l’Eglise mettra peut-être un jour sur les autels. Ce malheureux Pontife sentait bien qu’il avait tort, la vieillesse, la maladie, tout s’unit pour préparer cette triste concession; mais à peine l’a-t-il faite, à peine a-t-il revu ses conseillers, Consalvi et Caprara, qui à genoux à ses pieds lui montrent l’erreur où il est tombé, qu’il se rétracte et comme tous les actes de cette rétractation sont soustraits par ses gardiens il est obligé de les confier à un cardinal qui les emporte cachés sous sa robe; voilà comment cet instant de faiblesse se produisit, voici quelle fut sa durée, et d’ailleurs le Pontife prisonnier avait protesté d’avance contre les décisions qu’on lui arracherait quand il avait répondu: faites de moi ce que vous voudrez, j’ai déposé ma démission entre des mains sûres et la jour où j’aurai céder à vos entraînements, je ne serai plus pape, mais un simple moine.

Je me résume:

Deux doctrines sont en présence, la doctrine de J.-C. fondée sur la foi et une autre doctrine séparée de la foi; il est impossible qu’elles pactisent, laquelle l’emportera? Les philosophes auront leurs sophismes, le Révolution ses émeutes, ses lanternes et ses massacres, les gouvernements auront leurs prisons, les échafauds et la force. Mais en face de toute l’Eglise catholique, apostolique et romaine, en face du Docteur des nations, de quel côté faudra-t-il pencher?

Or vous comprenez bien que ces deux sociétés étant ainsi en présence, la société spirituelle et la société temporelle, si la société spirituelle dit oui et l’autre non, on pourra envoyer ceux qui résistent aux bêtes féroces comme Trajan fit pour St Ignace martyr, ou à la potence comme fit Henri VIII, ou les faire périr sous le knout comme fit Nicolas ou enfin les faire monter à la guillotine comme la Révolution, n’importe; la doctrine restera là, elle subsistera; mais encore faut-il que cette doctrine arrive à ceux qui doivent souffrir pour elle, il faut une voix qui l’enseigne; or je vois un pouvoir dans la société catholique en la personne de celui à qui N.-S. a dit: Je prie pour toi afin que ta foi ne défaille pas. Il entre dans le plan divin que cet homme fasse une chute, mais qu’une fois relevé, il ait mission de confirmer ses frères. Confirma fratres tuos.

Celui-là a les promesses divines, et que ses ennemis s’appellent rois, empereurs, légion populaire, Révolution, protestantisme, peu importe, Tu es Petrus et super hanc petram aedificabo ecclesiam meam.

De là je conclus rapidement que dans l’Eglise romaine se trouve la puissance de l’apostolat; et en passant remarquons-le, tout l’Occident, toute notre Europe a été évangélisée par Pierre, la France, l’Espagne, l’Angleterre et l’Allemagne par St Pierre ou ses successeurs, et c’est cette puissance de l’apostolat catholique qui désole les hérétiques; ils font eux aussi des missions, ils les préparent de longue main, mais la foi n’est pas dans les vestibules, ni sous les sacs d’écus; ce ne sont pas les moyens du missionnaire catholique; il lui suffit, à lui, de se présenter avec sa croix et son bréviaire pour fonder une mission. Il fait son oeuvre silencieusement et quand un jour nos armées triomphent glorieusement dans les empires qu’on croyait impénétrables, les hérétiques sont étonnés de trouver que les missionnaires ont fait tant de choses dans ces régions.

Pour les apôtres catholiques la vérité est le bien le plus précieux, ils portent son témoignage suivant cette parole de N.-S. à ses premiers apôtres: Vous me serez témoins. Pierre sera le premier de tous les témoins et à sa suite une multitude de martyrs, ayant à leur tête pour leur montrer la voie 50 Papes martyrs; la dernière chaire de J.-C. fut la croix et l’échafaud doit être la dernière chaire de ses apôtres.

Mais j’entends qu’on objecte: c’était ainsi autrefois, aujourd’hui il n’y a plus de martyrs; c’est une erreur, avez-vous donc oublié Pie VI mourant martyr à Valence et les 5 ans de captivité de Pie VII; et si Pie IX n’a pas été martyr il y a 12 ans, est-ce la faute des révolutionnaires? Du train d’ailleurs dont vont les choses, quel serait l’homme assez osé pour dire qu’il ne le sera pas?

Il faut donc un Docteur infaillible pour nous enseigner et l’Eglise entière le proclame, c’est Pierre, Os ecclesiae*. Pierre a parlé par la bouche de tous les pontifes qui ont présidé les grandes assemblées de l’Eglise, il parle sans cesse par le Souverain Pontife. Bénissons Dieu, mes frères, de posséder ce docteur qui nous assure la vérité, bénissons-le de ce qu’il nous prépare des événements où l’autorité de ce Souverain Docteur doit puiser une nouvelle grandeur.

Notes et post-scriptum
1. Le P. d'Alzon séjourna à Rome du 10 mai au 10 juin 1855. L'audience qu'il nous raconte ici eut lieu le 30 mai. Le lendemain il en fit le récit à Mgr Doney, évêque de Montauban (*Lettre* 510).