Aux religieuses de l’Assomption

aug 1872 Auteuil RA

Les quatre conditions pour bien faire une retraite: le silence, le recueillement, l’esprit de foi et la volonté de correspondre à la grâce.

Informations générales
  • Aux religieuses de l'Assomption
  • Retraite prêchée à Auteuil, août 1872
    Première instruction - Conditions pour bien faire la retraite
  • Cahiers d'Alzon, VIII, p.15-25
  • CZ 96.
Informations détaillées
  • 1 AMOUR DE DIEU POUR SA CREATURE
    1 APOTRES
    1 AUGUSTIN
    1 CONVERSION SPIRITUELLE
    1 DECADENCE
    1 DETACHEMENT
    1 DISPOSITIONS AU PECHE
    1 ESPERANCE
    1 FIDELITE A LA GRACE
    1 FOI
    1 IMITATION DE JESUS CHRIST
    1 INSENSIBILITE
    1 LUTTE CONTRE LE MONDE
    1 MISERICORDE DE DIEU
    1 ORGUEIL DE LA VIE
    1 REFORME DE L'INTELLIGENCE
    1 REFORME DE LA VOLONTE
    1 REFORME DU COEUR
    1 RETRAITE DES RELIGIEUX
    1 SCRUPULE
    1 SOLITUDE
    1 TENUE RELIGIEUSE
    1 UNION A JESUS-CHRIST
    1 VERTU DE FORCE
    1 VIE DE SACRIFICE
    1 VOCATION RELIGIEUSE
    1 VOIE UNITIVE
    2 ETIENNE HARDING, SAINT
    2 ISAIE, PROPHETE
    2 PAUL, SAINT
  • Religieuses de l'Assomption
  • RA
  • Du 18 au 25 août 1872 (1)
  • aug 1872
  • Auteuil
La lettre

Venez dans un lieu à l’écart, et reposez-vous un peu(2)

Par ces paroles, notre divin Sauveur disposait ses disciples à faire leur retraite. Je ne crois pas que les retraites se fissent alors avec le régularité et le silence qui les accompagnent de nos jours dans les Communautés, mais enfin c’était un temps de recueillement pendant lequel les Apôtres se disposaient à recevoir les communications du Saint-Esprit.

En venant prêcher quelques jours parmi vous, je vous inviterai d’abord à vous mettre à l’écart: il est très important de se retirer à l’écart dans certaines circonstances. « Venez dans un lieu à l’écart et reposez-vous un peu. »

Je voudrais vous expliquer d’abord quatre conditions nécessaires pour bien faire une retraite. Le Saint-Esprit pourra vous en suggérer bien d’autres et, s’il le fait, vous en profiterez; mais j’ai besoin de vous exposer ces quatre conditions qui me sont absolument nécessaires pour agir un peu sur vous.

1. Le silence

a) extérieur, relatif

Entendons-nous sur ce point, je n’exige pas que vous ne parliez pas du tout, du commencement de la retraite à la fin. J’ai observé, (et ici je parle surtout pour les plus jeunes) que souvent les arcs trop tendus partent sans qu’on le veuille. Je me rappelle une pauvre petite religieuse chez qui un silence trop absolu avait eu pour résultat des convulsions nerveuses. Enfin, c’est votre Supérieure qui déterminera la mesure dans laquelle vous devez garder le silence: mais, qu’elle vous permette de parler et vous l’ordonne même en certaines circonstances, je vous dirai encore: répandez l’édification par votre tenue silencieuse et recueillie. Pourquoi cela?

b) intérieur, complet

Il est nécessaire ici que je vous dise bien clairement le but de ma retraite. Que je vous parle avec ordre ou sans ordre avec ou sans éloquence, tout ce que je vous dirai reviendra à cette proposition: vous dépouiller du monde, du péché, et de vous-même pour vous unir, par Jésus-Christ le plus intimement possible à Dieu. Ce but proposé et signalé, je dis que le silence est nécessaire pour cela afin de faire taire les passions, les inquiétudes et les scrupules. Si quelqu’une d’entre vous était portée aux scrupules, je lui dirais d’aller les jeter, au moins pour ces huit jours, dans la pièce d’eau là-bas. Qu’elle se tienne dans le calme, dans le silence, qu’elle laisse tomber toutes les imaginations. Je demanderais volontiers que les bonnes imaginations disparaissent, à plus forte raison les mauvaises. Le moindre mal qui en résulte est le temps perdu, c’est ce qu’on appelle la rêverie. Il se rencontre parfois des religieuses rêveuses: si vous aviez quelque tendance de ce côté, laissez tomber tout cela. Imitez saint Etienne de Molesme: il avait beaucoup de préoccupations, mais en entrant à la chapelle, il disait à toutes ses distractions: « Demeurez à la porte pendant que je vais m’entretenir avec Dieu. » Imitez-le, faites silence. Il y a une belle parole d’Isaïe: « Votre force consistera dans le silence et dans l’espoir(3). » La force, telle est donc la disposition d’une religieuse qui se retire en elle-même, qui s’enfonce dans l’intime de son coeur, qui laisse tomber les plaintes, les murmures, les bavardages, les vains désirs. Mais il faut lutter pour cela, d’où il résulte que la retraite est un combat.

Tâchez donc de vous débarrasser de toutes les ficelles – pardonnez-moi la familiarité du terme – dans lesquelles vous êtes embarrassées. Pour cela, observez le silence, dans le sens que je vous indique, ni trop ni trop peu. Votre Mère déterminera cela, c’est-à-dire une personne qui connaît vos besoins, car n’allez pas vous adresser pour cela à un confesseur qui ne vous a jamais vues.

Mais il faut bien comprendre ce que c’est que le silence intérieur, ce silence que n’observe pas une religieuse qui ne pouvant parler aux autres se parle à elle-même. Saint Augustin expliquant ce qu’il entendait par Soliloques dit: Ma raison et moi causions ensemble. Vous pouvez dire aussi: ma raison et moi causons ensemble, mais causons de choses surnaturelles, et non pas de choses inutiles, de sentiments humains qui vous occupent et vous poursuivent jusqu’aux pieds du Saint Sacrement.

2. Le recueillement

Le silence ne suffit pas, le silence est en quelque sorte quelque chose de négatif. Après avoir fait table rase des pensées inutiles, des préoccupations, des imaginations, des craintes, des désirs, vous vous recueillez.

Qu’est-ce que le recueillement? « J’écouterai ce que le Seigneur mon Dieu me dira au fond du coeur(4). » Que fait le recueillement? Tu as rompu mes liens(5). – Et pourquoi, Seigneur, romprez-vous mes liens? C’est pour monter plus haut, afin que je me recueille, et c’est là le travail, la peine, la fatigue.

Il n’y a pas certainement parmi vous de grandes pécheresses, vous n’avez pas commis de péchés mortels; peut-être de véniels, nous l’examinerons ensuite, mais qu’y a-t-il certainement en vous? Il y a une disposition à suivre une bonne pensée quand on l’a; mais quand on ne l’a pas, il faut la désirer, la chercher, et c’est là le travail de la retraite.

– Catégories de retraitantes

Il faut que je vous dise que parmi celles qui font la retraite, il y a trois catégories de personnes:

1. Celles qui font la retraite surnaturellement;

2. Celles qui disent: « La retraite! Eh bien, avant comme après. J’ai déjà fait bien des retraites et je suis toujours la même ». Ces personnes sont comme une maison que l’on lave tous les quinze jours.

Enfin la 3e catégorie est celle des personnes qui ont de la répugnance à faire la retraite. A celles-là je dirai: Ma fille, vous entrez en retraite sans beaucoup de bonne volonté, à la fin peut-être vous voudrez mieux en profiter, mais alors se présenteront à vous ces deux tentations: « Il est trop tard, il ne vaut plus la peine de commencer », ou bien: « J’ai perdu mon temps, je ne retirerai plus de la retraite les fruits que j’aurais pu, je ne fais rien… ». – Ecoutez-moi bien: je vous donne toute la nuit pour entrer dans un rigoureux combat avec vous-même. – Mais je vous entends me dire: Une retraite! mais c’est assommant! au commencement des vacances quand j’aurais besoin de me reposer, quand je suis fatiguée! – Je vous le répète, je vous donne jusqu’à demain pour bien batailler avec vous-même. Vous vous recueillerez donc, ensuite vous vous efforcerez de suivre Notre-Seigneur; vous vous efforcerez d’ouvrir l’oreille de votre coeur afin d’aller à tout ce qui vous sera demandé. – « Mais, me direz-vous, si je réfléchis, je vois qu’il faut me convertir et je veux bien être une bonne petite religieuse, bien douce, bien gentille, mais je ne veux pas être une de ces perfections comme on en voit quelquefois! » – Mes filles, prenez bien garde à ce que je vais vous dire: l’inclination au péché est une inclination à la décadence et à la vulgarité. Prenez garde de devenir des filles vulgaires et vous le deviendrez si vous vous laissez aller à cette pente. Il est dit dans l’Ecriture: « Heureux l’homme qui s’assoiera solitaire parce qu’il s’élèvera au-dessus de lui-même(6). » Dites donc à Notre-Seigneur: Je veux parler avec vous, je veux m’occuper de vous et remettez-vous dans ce sentiment de la présence de Dieu cent fois, deux cents fois, trois cents fois par jour s’il le faut.

3. L’esprit de foi

La troisième condition pour entrer en retraite, c’est l’esprit de foi. Ce qui distingue une religieuse des gens du monde et même des chrétiens ordinaires, c’est l’esprit de foi. L’esprit de foi est ce sentiment qui nous place en présence de Dieu, « en qui, comme dit saint Paul,nous avons le mouvement, la vie et l’être(7). »

La malheur est qu’on n’y pense pas. Dieu veut nous investir de sa substance. L’esprit de foi, c’est donc l’état d’une âme qui se met plus particulièrement, plus intimement en rapport avec Dieu afin d’entrer dans l’ordre des pensées divines. Il n’est pas nécessaire d’être une grande savante pour cela. « Parce que je n’ai pas connu la science de la terre, est-il dit, je suis entré dans la science du seigneur(8). » C’est la disposition d’une âme sur laquelle Dieu veut agir plus particulièrement et à laquelle il veut s’unir. C’est ici un point fondamental et dont il faut vous pénétrer: Dieu est plus présent à vous que vous ne l’êtes à vous-même. Celui qui vous a créé par sa miséricordieuse bonté vous conserve et vous maintient par une bonté non moins grande et il veut entrer en communication avec vous si vous laissez tomber toute autre pensée. Alors vous lui direz: Deus meus et omnia: Mon Dieu et mon tout. Vous comprendrez alors le tout de Dieu et votre néant, ce que Dieu a fait pour vous, ce que vous devez faire pour lui. Vous verrez avec les yeux de la foi ce qu’est le temps que vous avez perdu et comment désormais il faut l’employer. Vous verrez Dieu et vous lui direz: Parlez, Seigneur, votre servante écoute ».

4. Désir de correspondre à la grâce

a) à la grâce générale de la vocation

Enfin, la quatrième disposition est une disposition de correspondre à la grâce. Vous êtes postulante, novice, professe, peu importe, Dieu vous veut, vous appelle, vous pousse à être toute à lui. La preuve qu’il vous a déjà demandé quelque chose, c’est que vous êtes ici. Vous parlerai-je du mensonge des chrétiens qui promettent et qui ne tiennent pas ? Vous, mes filles, vous avez déjà fait des promesses, par votre baptême d’abord puis par les voeux de votre profession. Cette grâce de votre vocation, ce rapport que vous contractez avec Dieu par les voeux, est le fond moral de votre vie. Ce qui constitue l’esprit de foi pour une religieuse, c’est précisément ce rapport intime qui s’établit entre Dieu et son âme. Eh bien! ou vous avez perdu votre vocation, ou vous sentez que l’appel de Dieu n’a pas encore été absolu dans votre âme. Qu’est-ce que Dieu vous demande maintenant? Je n’en sais rien, mais c’est la chose importante qu’il importe infiniment de considérer. Où en êtes-vous des promesses de votre baptême, des voeux de votre profession? Voilà la question générale pour vous toutes.

b) à la grâce d’attrait

Maintenant il y a une autre question. Dieu marque chaque âme d’un cachet spécial, il y a telle vertu que Dieu vous demande spécialement. Comprenez-vous cet appel? Lorsque Dieu vous a demandé quelque chose le lui avez-vous donné et dans toute la mesure où il vous le demandait? C’est ce qu’il faut étudier pendant la retraite et certainement il y aura lutte.

c) aux exigences divines

La retraite n’est pas seulement un combat, elle est aussi une conversion. Souvent, Dieu adresse une parole intime à l’âme et on passe à côté. Bien souvent ne l’avez-vous pas fait? Tout occupée de pensées profanes, vous n’avez pas voulu entrer dans l’intime de votre âme et vous n’avez pas voulu voir ces intimes exigences de Dieu. Vous savez ce qu’on entend quand on dit: c’est un ami intime. Rien de plus intime que l’amitié de Dieu, et vous en avez peur! Car quand Dieu commence à saisir une âme et lui dit: Viens à moi… Mais, Seigneur, où irai-je? je tremble, vous avez des jugements terribles. Je ne parle pas des jugements que vous portez sur les pécheurs, mais de ceux que vous avez sur les âmes que vous avez comblées de vos faveurs et qui sont ingrates. – Car, vous êtes obligées de le reconnaître, vous avez oublié que vous devez ressembler à Jésus dans son Sacrifice. Dieu vous proposait cette ressemblance avec son Fils et vous n’en avez pas voulu. Vous avez fermé l’oreille aux exigences de Dieu et vous n’avez pas permis à Notre-Seigneur de poser sa Croix sur votre coeur. Saint Augustin dit: que ce même Jésus attaché pour nous à la croix soit cloué, attaché tout entier dans notre coeur. Il faudrait que cela s’accomplît en vous pendant ces jours. Il n’y a pas une partie de votre coeur dans laquelle Jésus ne veuille être crucifié. Il vous dira: Je veux être crucifié dans cette indépendance, dans cette tendresse d’affection, dans ces idées humaines… et il faudra alors lutter, combattre; ce sera dur, très dur parfois.

– Confiance en Dieu

Voilà ce que vous venez demander aux lumières de la foi. Mais dites-vous dès maintenant: Ce que je verrai, je le ferai. Et n’allez pas penser que vous ne le pourrez pas. Dites-vous: je ne suis qu’un grain de sable. Mais ajoutez avec l’Apôtre: « Je puis tout en celui qui me fortifie(9)*. » Je vous ai déjà cité la parole d’Isaïe: « Votre force consistera dans le silence et dans l’espoir ». Espérez doucement, fortement, divinement en Jésus-Christ. Vous lui donnerez le silence et il sera à vous par l’espérance.

Marchez donc dans la confiance; Notre-Seigneur qui veut vous conduire à la perfection vous donnera les moyens d’y parvenir; les germes déposés dans votre âme y fructifieront, vous avancerez dans la voie de la sainteté et vous monterez aussi haut que Notre-Seigneur a le droit de l’exiger de vous.

Notes et post-scriptum
1. Les notes d'audition reproduites ici ont pour titre: "Retraite prêchée par le T.R.P. d'Alzon - Auteuil, 17 août 1872". - La correspondance de la bienheureuse Mère Marie-Eugénie de Jésus nous permet de préciser que la retraite commença le dimanche 18 août au soir, et se clôtura le dimanche suivant, au matin.
Le P. BISSON a publié cette retraite avec une préface de sa plume sous le titre *Mes Soeurs, vos quatre vérités*, Cahiers d'Alzon, VIII, Bar-le-Duc, 1956. Des sous-titres ont été ajoutés par l'éditeur ainsi que la plupart des références des textes scripturaires cités. Il a de plus traduit en français ces citations que le manuscrit de l'auditrice donnait en latin. Nous lui emprunterons ces titres, ces traductions et ces références mais sans signaler à chaque fois l'emprunt. Les titres et sous-titres non annoncés par un chiffre ou une lettre seront précédés d'un tiret (toujours au début d'un paragraphe). - Sur cette retraite voir A.SAGE, *Un maître spirituel*, p.147-148.
Les textes reproduits dans T.D. 291-315 (Orig. ms. BP 4 - dans cette banque de données D01940 à D01960) sont présentés par le "Maître spirituel" comme les canevas du P. d'Alzon pour notre retraite. Ils lui ont certainement servi, mais pas uniquement à elle. Il est même certain que l'un ou l'autre a été conçu d'abord à l'intention de religieux. Notre retraite comporte 15 instructions. Les notes du P. d'Alzon ont 20 titres, et pour certains d'entre eux deux plans, mais deux des instructions données à Auteuil ne s'y retrouvent pas, malgré la ressemblance des titres. Dans les notes du P. d'Alzon les diverses instructions sont inégalement développées, certaines ne consistant même qu'en quelques citations latines.
2. Mc VI, 31. - 3. Is XXX, 15. - 4. Ps LXXXIV, 8.
5. Ps CXV, 7. - 6. Lam III, 28. - 7. Ac XVII, 28.
8. Allusion au Ps LXX, 17. - 9. Ph IV, 13.