Aux religieuses de l’Assomption

aug 1872 Auteuil RA

Sans une grande réserve dans ses relations extérieures, une religieuse s’expose à perdre l’esprit de pauvreté, de chasteté et d’obéissance – Le remède: causer avec Notre-Seigneur.

Informations générales
  • Aux religieuses de l'Assomption
  • Retraite prêchée à Auteuil, août 1872
    Sixième instruction - Dangers de relations avec le monde
  • Cahiers d'Alzon, VIII, p.78-85
  • CZ 102.
Informations détaillées
  • 1 AMOUR DU CHRIST
    1 AMOUR-PROPRE
    1 BAVARDAGES
    1 CONVERSATIONS
    1 CRITIQUES
    1 DECADENCE
    1 EMPLOI DU TEMPS
    1 INSTITUTS RELIGIEUX
    1 LAICAT
    1 LITURGIE
    1 LUTTE CONTRE LE MONDE
    1 MONIALES
    1 PARESSE
    1 PARLOIR
    1 PRATIQUE DE LA PAUVRETE
    1 RELIGIEUSES
    1 SURVEILLANCE PAR LE SUPERIEUR
    1 UNION A JESUS-CHRIST
    1 VERTU D'OBEISSANCE
    1 VERTU DE CHASTETE
    1 VERTU DE PAUVRETE
    1 VOEU DE PAUVRETE
    1 VOEUX SOLENNELS
    1 ZELE APOSTOLIQUE
    2 ANTOINE, SAINT
    2 BASILE, SAINT
    2 BENOIT, SAINT
    2 DOMINIQUE, SAINT
    2 EPHREM, SAINT
    2 FRANCOIS D'ASSISE, SAINT
    2 FULCRAN DE LODEVE, SAINT
    2 JACQUES, SAINT
    2 PAUL ERMITE, SAINT
    2 VINCENT DE PAUL, SAINT
    3 ALLEMAGNE
    3 ANGLETERRE
    3 AUTEUIL
    3 CESAREE
    3 LODEVE
  • Religieuses de l'Assomption
  • RA
  • Du 18 au 25 août 1872 (1)
  • aug 1872
  • Auteuil
La lettre

« Ne savez-vous pas qu’un peu de levain fait lever toute la pâte(2). »

En abordant le sujet que je vais traiter devant vous, j’ai besoin d’entrer dans quelques explications pour vous montrer comment la décadence entre dans les ordres religieux par les relations extérieures. Je vous parlerai plus tard du bien qu’une religieuse peut faire au parloir, aujourd’hui nous en verrons seulement les inconvénients.

– Aperçu historique

Il est certain que la vie religieuse peut aller avec le monde. Les apôtres et la Sainte Vierge, les premiers et les plus parfaits des religieux, vécurent dans le monde. Plus tard, saint Paul, saint Antoine se retirèrent au désert. Cela dura cent cinquante ans et la déchéance entra dans ces solitudes malgré la surveillance des Supérieurs. Saint Benoît vint aussi se réfugier dans la solitude, mais il acceptait qu’on vînt l’y trouver. PLus tard les religieux sortirent des déserts. C’est aux religieux d’Angleterre et d’Allemagne qu’au Ve et au VIe siècle les papes s’adressaient pour convertir les peuples. Nous voyons les religieux de saint François d’Assise et de saint Dominique se mêler encore plus à la société. Mais ce qui est curieux, c’est qu’en même temps que les religieux se mêlent au monde, les religieuses commencent à se cloîtrer. L’Eglise n’accorde les voeux solennels aux femmes qu’à la condition qu’elles soient cloîtrées. Nous avons vu saint Vincent de Paul dire à ses filles: « Il faut que la vertu soit votre voile… » Il n’en est pas moins vrai que les Soeurs de Charité ne font que très rarement des voeux perpétuels. Quand on a la rue pour cloître on est bien exposé à y rester.

Cela dit, je vais au fond de la question et j’établis qu’une religieuse qui ne sait pas mettre une grande réserve dans ses relations extérieures est exposée à perdre l’esprit de pauvreté, l’esprit de chasteté, l’esprit d’obéissance et enfin, l’esprit religieux.

– Danger de perdre l’esprit de pauvreté au milieu des nécessités des oeuvres

Quant à l’esprit de pauvreté, remarquez que Notre-Seigneur recommande à ses apôtres d’aller avec une seule tunique.

Faut-il être pauvre? Oui, mais voici une question: Comment? Pratiquer la pauvreté avec une maison, un jardin comme ceux d’Auteuil? – La réponse est facile: les religieuses ayant le but que vous avez doivent aussi avoir les moyens pour arriver au bien qu’elles se proposent, et pour cela ces choses sont nécessaires.

Il est dit que saint Ephrem venant à Césarée pour voir saint Basile fut bien surpris de le trouver dans son église environné de toute la pompe épiscopale; il était presque scandalisé. Mais lorsque après l’office il vit l’évêque se dépouiller de ses habits sacerdotaux et revêtir simplement une tunique, il se jeta à ses pieds en disant: Vous êtes vraiment l’homme de Dieu. Cet exemple vous prouve qu’on peut user des biens extérieurs sans manquer à la pauvreté. Mais il n’en est pas moins vrai qu’il y a là un danger. Il faut toujours aimer et pratiquer la pauvreté et la pauvreté la plus grande. Pour cela une religieuse ferait bien de demander à sa Supérieure la permission de faire quelques pratiques particulières de pauvreté pour combattre cet espèce de luxe dont vous êtes obligées d’être entourées.

Les parloirs sont un écueil pour l’esprit de pauvreté. On a entendu parler d’un certain luxe, de certaines satisfactions, de certaines douceurs et quand on rentre dans sa cellule on se demande: Que suis-je venue faire ici? – Il est curieux d’examiner les petits sentiments de jalousie, de susceptibilité que l’on rapporte du parloir à cet égard. Vous considérez le plus ou moins de blancheur de votre guimpe, de votre voile; vous souhaitez une robe moins fanée et voilà comment on perd l’esprit de pauvreté.

– Voeu de pauvreté et bavardages

Et que dire de tant de conversations inutiles. Ah! ces vierges! « ces veuves, non seulement oisives, mais encore bavardes, indiscrètes(3)« . Est-ce que l’oisiveté n’est pas contraire au voeu de pauvreté? Le temps qu’on perd en paroles et en pensées inutiles, n’est-ce pas contraire au voeu de pauvreté? Il m’est arrivé de rêver à ce que je ferais si j’avais des millions!… Je ne les aurai jamais ni vous non plus; mais je puis faire des saints; voilà des richesses que Notre-Seigneur nous donne: un « Dieu vous bénisse » vaut mieux que cent écus d’or. Notre-Seigneur met à notre disposition des trésors et nous n’y pensons pas.

– Perte de l’esprit de chasteté aux parloirs

L’esprit de chasteté se perd aussi au parloir. Saint Fulcran, évêque de Lodève, mérita que son coeur demeurât intact pendant huit cents ans. Il avait pour devise, brodé sur ses gants: Flos castitatis, Fleur de chasteté, parce que les mains de l’évêque qui consacrent les prêtres et les vierges sont des fleurs qui exhalent un parfum précieux. Mais croyez-vous que cette chasteté qui a eu une si grande puissance sur le coeur de saint Fulcran aille avec toutes les divagations qu’amènent les conversations du parloir? On écoute ces conversations: peu à peu on y prend goût; il ne se dit rien de mal, mais on reste dans l’ordre du sentiment, et le lendemain dans sa méditation on ne trouve pas Dieu, comme on l’aurait trouvé la veille; la méditation est moins bien faite, et à la messe, entre la Sainte Victime et vous, il y a un nuage qui passe, qui repasse et dans le fond duquel vous retrouvez une forme indécise, parfois très caractérisée, très accentuée. – Examinez ce que les parloirs ont produit en vous à ce sujet et voyez quelle est la vigueur de l’amour que vous portez à Notre-Seigneur après certaines conversations.

La vertu de chasteté est une vertu négative; elle ne devient positive que lorsqu’elle se rapporte à un but. Or le but du coeur d’une religieuse c’est Notre-Seigneur Jésus-Christ. Vous me diriez que vous aimez autant Notre-Seigneur en sortant du parloir qu’en y entrant, je ne le croirais pas. – Faut-il donc ne plus y aller? – Non, il faut y aller avec toutes les précautions que vos Supérieures auront soin de vous indiquer. Quand une imagination s’est animée au parloir, la calmer est très difficile. Il suffit parfois de traverser une plage à certains moments, sous certaines influences, pour y prendre les accès de fièvre maligne, de même une conversation dans telles ou telles dispositions peut devenir une cause de mort pour une âme.

Je voudrais vous parler maintenant de la puissance d’une âme qui, s’entourant de la sainteté de Jésus-Christ, ne permet jamais à une parole qui pourrait la troubler de tomber dans son oreille, qui la repousse dès qu’elle en entend le son. Mais ce serait une question trop longue. Un autre jour je vous parlerai du bien qu’une religieuse peut faire au parloir. Nous appellerons alors ces parloirs des parloirs apostoliques.

– Perte de l’esprit d’obéissance au parloir

Que vous dirai-je maintenant de l’esprit d’obéissance perdu au parloir? – Qu’êtes-vous venue faire au couvent? vous dira-t-on. La vie religieuse est stupide; autrefois vous aviez une opinion, maintenant vous n’en avez plus. Elargissez donc tout cela… Et après avoir entendu ces conversations, on se redit: « Que suis-je venue faire ici? » Et puis on commence à dénigrer ses Supérieures, on est jalouse de telle ou telle soeur; et c’est ainsi que l’esprit d’obéissance se perd. Car parfois le diable, pour vous tenter, peut bien prendre la forme, non d’un serpent, mais d’une personne au parloir. Comment voulez-vous ne pas avoir l’esprit occupé de ce que vous avez vu et entendu? Vous avez plus de distractions à l’oraison; le matin vous mettez plus de soin à votre toilette, votre coeur est préoccupé dès votre lever; la journée ainsi commencée n’ira pas mieux; la messe est entendue de travers; vous communiez, vous n’y pensez guère; l’action de grâces est ennuyeuse; vous allez aux enfants, vos préoccupations vous y suivent et le soir à votre examen vous trouvez que tout va fort mal. Pourquoi cela? – Un peu de levain fait lever toute la pâte.

Et que dire de la religieuse qui rapporte dans les conversations de la communauté les idées du parloir? … Saint Jacques fait observer que la langue qui est un tout petit instrument, est la source de toutes sortes d’iniquités, et il observe encore que, comme le gouvernail qui est le plus petit instrument du navire dirige tout le vaisseau, de même la langue, le plus petit membre de notre corps, nous dirige et nous conduit. Et lorsque la langue du dehors prend l’influence sur la langue du dedans, l’esprit religieux disparaît bientôt.

– Remède: Causer avec Jésus-Christ

Etudiez bien cette question. Si vous n’êtes pas obligées à voir les personnes du dehors, ayez avec elles le moins de rapports possibles. Prenez votre édification sur les personnes du dedans. Causez entre vous, causez de Notre-Seigneur Jésus-Christ; causez surtout avec Notre-Seigneur Jésus-Christ. Aimez ce divin Sauveur par dessus toutes choses, et alors vous aurez moins d’attrait pour les créatures que vous rencontrerez au parloir: alors elles ne vous feront rien perdre et vous éviterez un écueil terrible: car sachez bien que la vertu ne consiste pas à lutter contre le péril, mais à l’éviter, et que celui qui aime le danger y périra.

Plaise à Notre-Seigneur de vous donner un goût spécial pour la conversation qu’il veut avoir avec vous, et que cette conversation divine soit le prélude et le gage de la conversation éternelle que vous devez avoir avec le Verbe de Dieu.

Amen.

Notes et post-scriptum
1. Voir E00541, n.1.
2. 1 Co V, 6. - 3. 1 Tm V, 13.