Aux religieuses de l’Assomption

aug 1872 Auteuil RA

Le but de l’oraison est de nous unir à Dieu en lui parlant et en écoutant dans son Verbe ses secrets d’amour – Il importe de nous y préparer par la purification, par le silence et par le sang de Jésus-Christ; d’écouter avec attention et générosité le Verbe incarné et d’en conserver les fruits par l’action de grâces et par le souci de faire de toutes nos occupations une prière.

Informations générales
  • Aux religieuses de l'Assomption
  • Retraite prêchée à Auteuil, août 1872
    Dixième instruction - Sur l'Esprit d'oraison
  • Cahiers d'Alzon, VIII, p.123-135 et Ecrits spirituels, 1155-1163
  • CZ 106.
Informations détaillées
  • 1 ACTION DE GRACES
    1 ADORATION
    1 AUGUSTIN
    1 CRUCIFIEMENT DE L'AME
    1 DETACHEMENT
    1 DON DE CRAINTE
    1 DROITS DE DIEU
    1 EFFORT
    1 ENERGIE
    1 ENFANTS DE DIEU
    1 EPOUSES DU CHRIST
    1 ESPERANCE
    1 FIDELITE A LA GRACE
    1 FOI
    1 IMITATION DE JESUS CHRIST
    1 INGRATITUDE ENVERS DIEU
    1 JESUS-CHRIST AUTEUR DE LA GRACE
    1 JESUS-CHRIST DOCTEUR
    1 LUTTE CONTRE LE MONDE
    1 ORAISON
    1 OUBLI DE SOI
    1 PURGATOIRE
    1 PURIFICATION
    1 SACREMENTS
    1 SAGESSE DE DIEU
    1 SAINTE COMMUNION
    1 SANG DE JESUS-CHRIST
    1 THOMAS D'AQUIN
    1 TIEDEUR
    1 UNION A JESUS-CHRIST
    1 VIE DE PRIERE
    1 VIE RELIGIEUSE
    1 VISION BEATIFIQUE
    1 VOIE UNITIVE
    2 ABRAHAM
    2 PAUL, SAINT
    2 PIERRE, SAINT
  • Religieuses de l'Assomption
  • RA
  • Du 18 au 25 août 1872 (1)
  • aug 1872
  • Auteuil
La lettre

« Il faut toujours prier et ne jamais se lasser(2). »

Dans la vie d’oraison, il y a bien des âmes qui n’arrivent pas au but, et de même que le Juifs disaient à Notre-Seigneur: « Ces paroles sont dures à entendre(3)« , de même on trouve des religieuses pour lesquelles l’oraison est pénible et qui viennent aux heures d’oraison pour se distraire, se reposer, je ne dirai pas pour dormir! Et c’est ainsi qu’un temps consacré aux communications avec Dieu devient un temps perdu s’il n’est pas un temps coupable.

– But de l’oraison – Nous unir à Dieu en lui parlant, en écoutant dans son Verbe ses secrets d’amour

Puisque le but de la vie religieuse est l’union avec Dieu, quelle plus magnifique préparation à cette vie que l’oraison? Et qui peut dire les progrès que l’âme peut faire dans ses relations avec Dieu? Saint Augustin dit qu’il y a [une] foule de choses qu’on croit sans les avoir vues, l’amitié, par exemple. Vous ne voyez pas l’affection qu’une personne vous porte; vous ne pouvez pas non plus lui montrer celle que vous lui portez. Mais ôtez la foi à l’amour et toutes les amitiés de ce monde sont renversées. De même, ajoute le même docteur, que nous révélons à ceux qui nous aiment les secrets de notre coeur, de même il est très convenable que la sagesse divine se manifeste dans les esprits, dans les intelligences, dans les âmes qui sont dignes de la recevoir, par la parole intérieure, puisque cette manifestation est autant que possible la manifestation de Dieu lui-même, et il est très convenable qu’elle soit appelée la parole de Dieu.

Donc, le terme de l’oraison est que nous parlions à Dieu et que Dieu nous parle. Voyez donc ce qu’on veut de vous à l’oraison. C’est que vous soyez une âme digne d’écouter la Sagesse éternelle. C’est pourquoi il faut une préparation. Pour écouter la Sagesse, il faut de l’attention, et quand la Sagesse a parlé, il faut conserver les fruits de cette parole.

I. Se préparer à l’oraison

Comment devons-nous nous préparer à écouter cette sagesse qui nous manifeste les secrets du Père? Dans quelle situation doit être une âme quand elle entre en communication avec Dieu, et quels fruits doit-elle retirer de cette manifestation des secrets de Dieu? – Etudions d’abord ce que doit être ma préparation à l’oraison.

– Une préparation de purification

1° à l’exemple des âmes du Purgatoire qui se disposent à la vision

Vous croyez au Purgatoire? C’est un lieu dans lequel l’âme juste se prépare à voir Dieu et à entrer dans l’union parfaite avec lui. Voilà la purification, la préparation que la justice de Dieu est en droit d’exiger d’une âme juste mais qui ne s’est pas suffisamment préparée à cette communication avec Dieu sur la terre.

Les relations de l’âme avec Dieu dans le temps et dans l’éternité n’ont que cette différence du plus au moins. Dieu se communique à l’âme au ciel et sur la terre, seulement ici-bas, elle le reçoit par la foi et là-haut elle le recevra dans la claire vision. Saint Thomas dit que la foi est le commencement de la gloire. Mais lorsque sur la terre l’âme ne s’est pas suffisamment préparée à voir Dieu, il y a entre le temps et l’éternité une purification effrayante qui se fait en purgatoire. Ceci nous dit quelle pureté Dieu exige pour que l’âme entre en communication avec Lui.

Par cette notion du Purgatoire, nous arrivons à cette conclusion. Comment dois-je purifier mon âme ici-bas afin de pouvoir m’unir à Dieu pendant l’éternité. Or, le moment où cette union commence ici-bas pour moi, c’est surtout l’oraison et la communion, et dès lors, puisque je parle de l’oraison, comment ma vie doit-elle être une préparation à l’oraison pour purifier mon âme?

2° par le silence, le désir, la crainte

Il faut d’abord une préparation de silence en faisant taire les créatures; une préparation de désir puisque le terme de mon bonheur c’est Dieu, enfin une préparation de terreur puisque je dois me reconnaître indigne d’entrer en communication avec la perfection incréée. Voilà la vérité. Et maintenant, qu’est-ce que cette religieuse qui va, qui vient, et qui, à un moment donné, entre à la chapelle, se met à genoux, croise les mains et suppose se mettre en présence de Dieu? Est-ce là l’oraison?

Maintenant laissant de côté la justice éternelle de Dieu qui prépare par le feu du Purgatoire l’âme juste à l’union du Paradis, rendons-nous compte comment Dieu veut que nous évitions ce terrible châtiment.

3° par le sang de Jésus-Christ

Il y a un moyen incontestable, c’est Jésus-Christ Notre-Seigneur, c’est son précieux sang. Je puis me couvrir tout entière du sang de Jésus-Christ et ce sang peut me purifier; je l’ai déjà reçu au baptême, puis à la pénitence, puis dans l’Eucharistie. Mais comment ai-je traité le sang de Jésus-Christ dans ces deux sacrements? Comment ai-je reçu ce sang divin dans tant de confessions et de communions où la grâce vient tomber sur moi comme une rosée bienfaisante et purificatrice? – Je suis investie du sang de Jésus-Christ à quelques moments solennels par les sacrements et à chaque instant par la grâce comme une pluie incessante. Comment est-ce que j’aime ce sang? Comment est-ce que je l’estime, comment est-ce que j’aime Celui qui l’a répandu pour moi? Comment est-ce que j’entre en communication avec le Médiateur entre Dieu et les hommes? Comment est-ce que j’entre en communication avec l’humanité de Jésus-Christ pour arriver à la divinité elle-même? Qu’est-ce que je fais des trésors, des dons de Jésus-Christ? Comment est-ce que je m’adresse à cette sainte humanité de Jésus-Christ pour que ce divin Sauveur, comme homme, soit mon introducteur auprès de la divinité? Quelle est ma reconnaissance pour ce divin Sauveur qui s’est fait homme, afin de m’amener à son Père? Comment est-ce que je m’applique à me purifier par les mérites de ce sang divin? Le sang de Jésus-Christ est plus puissant pour me purifier que toutes les flammes du Purgatoire mais à une condition c’est que j’en userai et que je le traiterai avec tout le respect convenable.

II. Ecouter le Verbe incarné

Il faut que vous trouviez dans vos communications avec Jésus-Christ le moyen de vous laisser conduire à Dieu et pour en revenir au texte de saint Augustin, si Jésus-Christ est la parole, il faut l’écouter.

1° avec attention et générosité

Quelle attention donnez-vous à Jésus-Christ dans vos âmes? Jésus-Christ vous prend et vous soulève mais vous ne voulez pas être soulevées. Il y a bien des âmes qui disent comme saint Pierre: « Seigneur, il fait bon ici »… Mais si Notre-Seigneur leur dit: « Montez plus haut » elles répondent: « Non, je suis très bien ici, vous me faites trop d’honneur, j’aime mieux rester dans ma petite vie calme, paisible!… » Est-ce là la vie d’oraison? – Voilà pourquoi vous ne faites plus de progrès dans la vie intérieure. En suivant Jésus-Christ vous auriez eu sans doute quelques consolations mais vous auriez eu aussi des épreuves, et c’est là que l’âme fidèle trouve le grand moyen de se purifier. Une âme qui s’est rendu compte des flammes du Purgatoire, du prix du sang de Jésus-Christ, cette âme se prépare à l’oraison par le déchirement. Elle déchire ce qui est imparfait; elle se prépare à l’oraison par la considération des grandeurs de Dieu et de son néant; elle s’y prépare par la fidélité à écouter la parole de Dieu, en entrant dans les sentiments de foi, et ainsi elle se dispose à recevoir une intelligence plus haute et plus grande des grandeurs de Dieu.

Et par là, quelles que soient les ombres d’ici-bas, l’âme s’avance dans la connaissance de Dieu, à la condition de se laisser purifier et conduire par Notre-Seigneur. Une âme qui se tient dans cet état et qui attend ces heures bénies où Dieu se communique plus intimement à elle, cette âme se tient toujours prête et Dieu alors pour la récompenser l’envahit en venant à elle.

Qu’est-ce qui se passe alors dans l’oraison? Nous parlons à Dieu et Dieu nous parle. Saint Augustin montre comment la Sagesse du Père qui nous fait connaître ce Père très caché et très mystérieux s’appelle la Parole. Cette Parole se fait entendre au fond de notre coeur et nous avons beau être dans les ténèbres… « La lumière luit dans les ténèbres. » Il est vrai que saint Jean ajoute: « Et les ténèbres ne l’ont pas reçue… Il vint chez lui, et les siens ne le reçurent pas. Mais à tous ceux qui le reçurent il donna pouvoir de devenir enfants de Dieu(4). »

2° en acceptant d’être l’enfant de Dieu

Donc cette Sagesse est le Fils de Dieu qui nous donne la puissance de devenir enfants de Dieu: et remarquez ceci: nous recevons Jésus-Christ, pour que Jésus-Christ nous donne à son Père. Cette adoption commence au baptême, mais nous devons avancer tous les jours dans cette filiation; de sorte que, introduits au pied du trône de Dieu par Notre-Seigneur Jésus-Christ dans l’oraison, nous ne nous trouvons plus devant un roi, devant un créateur, mais devant le meilleur des pères et ce sont des relations de père à enfant qui s’établissent entre Dieu et nous. Et dire qu’il ne dépend que de nous de devenir chaque jour de plus en plus enfants de Dieu par l’oraison en recevant le Verbe de Dieu!…

Et rendez-vous compte du dégoût que doit éprouver Notre-Seigneur pour certaines âmes à qui il dit: Je t’autorise à devenir mon enfant, je le veux, et qui répondent: Je veux bien le devenir, mais pas trop.

Comprenez-vous pourquoi tant d’âmes sont arrêtées à la porte de ce beau royaume de l’oraison?… C’est qu’elles ne veulent pas devenir enfants de Dieu, elles ne comprennent pas le Verbe, parce qu’elles ne veulent pas recevoir la lumière. Il y a une parole très secrète, très intime, « silence éloquent et harmonieux » dit saint Augustin, qui tombe dans nos âmes, et quelquefois au moment où nous n’y pensons pas, mais à une condition c’est que nous soyons dans un état de dépendance et d’adoration.

3° en adorant

Après toutes les avances du Créateur, l’âme doit s’établir dans un état d’adoration; c’est la reconnaissance du domaine suprême de Dieu: c’est le bonheur d’être la créature de Dieu. « J’étais néant et vous m’avez donné l’être, j’étais fille de colère et vous m’avez faite votre fille, et plus que votre fille, votre épouse! Votre parole se fait entendre à moi; ce n’est d’abord qu’un souffle, mais qui peu à peu se proportionne à mon infirmité. C’est le Verbe qui arrive à moi, la même parole qui a créé le monde, qui crée Jésus-Christ en moi, qui habite en moi!… » Et nous ne l’adorerions pas! Et nous ne comprendrions pas la sublime vocation qui nous est faite?… Notre vocation c’est l’union la plus intime avec Dieu. Or, l’oraison n’est pas autre chose que le moyen d’arriver à cette union. Pourquoi dans l’oraison n’arrivons-nous pas jusque là? Jésus-Christ le veut, il le permet, il est jaloux de se manifester à vous, il veut se faire votre maître, votre docteur et rendre votre intelligence plus pure et plus capable de cette union.

4° en acceptant l’immolation

Et puis l’on entend dire: l’oraison est ennuyeuse: – Vous avez raison, mais remarquez que vous êtes en dehors de l’oraison. L’oraison est crucifiante, je l’accorde, mais si vous avez le courage d’accepter le crucifiement, vous vous approcherez du divin Crucifié et par Lui vous vous approcherez davantage de Dieu. Et voyez l’admirable position que tient Jésus-Christ à l’oraison entre l’âme et son Père, et comme il est nécessaire de s’unir à Jésus-Christ, de s’appuyer sur Jésus-Christ, de vivre de la vie de Jésus-Christ pour arriver un jour à vivre de la vie de Dieu. Aucune langue humaine ne peut raconter ce qui se passe entre l’âme et Jésus-Christ à l’oraison. Mais à une condition, c’est que l’épouse comprendra que les sacrifices, l’immolation d’elle-même, sont les seuls moyens pour mériter cette divine union.

III. Conserver les fruits de l’oraison

Arrivons à la 3e considération. – « Ce n’est pas seulement celui qui dit Seigneur, Seigneur qui entrera dans le royaume des cieux, mais celui qui fait la volonté de mon Père qui est dans les cieux(5). »

1° remercier Dieu

Vous pouvez vous livrer aux plus sublimes contemplations et être encore très imparfaites. Il faut de plus l’action de grâces. Saint Paul dit: « En toutes choses rendez grâces à Dieu ». L’évangile nous parle de la guérison des dix lépreux. Un seul vient remercier Notre-Seigneur et les neuf autres s’en vont; ils ont leur affaire, et qu’ils remercient ou non, peu leur importe. De même vous avez fait votre oraison, mais vous ne vous croyez pas obligées de remercier. On s’imagine souvent que les grâces de Dieu nous sont dues. L’absence de reconnaissance est une faute énorme, plus on remercie Dieu, plus il accorde de grâces. C’est pourquoi si la vie d’une religieuse doit être une oraison perpétuelle, elle devrait être aussi une perpétuelle action de grâces.

2° Continuer l’oraison au milieu de ses occupations

Vous avez communié, fait votre oraison, votre adoration, et en sortant de là, comment conservez-vous les grâces reçues? – Au lieu de cela on dit, passons à autre chose. Et ainsi on coupe sa vie et on n’établit pas une liaison entre un point et un autre. Tout devrait se rapporter à Dieu dans la vie d’une religieuse. Au milieu de ses occupations elle doit continuer son oraison. Dieu a dit non seulement à Abraham, mais encore bien mieux à ses épouses: « Marche devant ma face et sois irréprochable(6)« . Il faut que votre vie soit une continuelle exécution des résolutions prises à l’oraison, car si vous n’en rapportez pas quelqu’une des vertus chrétiennes, on peut dire que votre oraison est une oraison d’imagination. A quel degré de sainteté arriverait une religieuse qui s’occuperait toujours à se rapprocher de Dieu et qui continuerait à développer le long du jour dans son âme les grâces que Dieu y aurait déposées le matin! Pourquoi les choses ne se passent-elles pas ainsi? Hélas! Le royaume de cieux est semblable à un roi qui fait des invitations pour les noces de son fils. Il fait dire que tout est prêt, et voilà que chacun des invités s’excuse et ne se rend pas. Vous avez aussi vos excuses pour ne pas vous rendre aux invitations de Dieu. Ce ne sont pas de graves affaires; ce sera un rien, un petit arrangement de cellule, un lien formé dans votre coeur, ce n’est qu’un fil, mais ce fil vous empêche d’aller à Dieu, vous êtes prisonnière.

– La générosité condition des progrès dans l’oraison

Pour aller à Dieu dans l’oraison, il faut de la générosité. C’est à cause de votre lâcheté que vous ne faites pas de progrès à l’oraison. Il est dûr de s’entendre accuser de lâcheté et cependant si nous nous plaçons en face des bienfaits, des avances, des miséricordes de Dieu, nous sommes des lâches si nous n’avançons pas dans l’oraison.

Mais si nous prenons une ferme résolution de nous préparer à l’oraison, d’avancer dans les profondeurs de l’oraison, par l’adoration, l’attention, la dépendance, l’action de grâces, nous montrerons que nous savons profiter des communications de Dieu avec nous et que nous voulons nous en rendre de moins en moins indignes.

Ah! mes chères filles, si un certain nombre d’entre vous pouvaient prendre la résolution de devenir des filles d’oraison, votre Congrégation, je ne crains pas de le dire, prendrait une vie toute nouvelle. Entrant dans cette vie d’oraison, ne refusant plus rien à Jésus-Christ et lui donnant tout, vous mériterez alors que Notre-Seigneur vous donne tout aussi. Non seulement en cette vie par sa grâce, mais aussi dans le ciel, dans son amour et dans sa gloire. Amen.

Notes et post-scriptum
1. Voir E00541, n.1.
2. Lc XVIII, 11. - 3. Jn VI, 61. - 4. Jn I, 11-12.
5. Mt VII, 21. - 6. Gn XVII, 1.