Aux religieuses de l’Assomption

aug 1872 Auteuil RA

Le sacrifice est une réparation de l’âme et un témoignage d’amour du Christ – Il conserve l’âme et la préserve.

Informations générales
  • Aux religieuses de l'Assomption
  • Retraite prêchée à Auteuil, août 1872
    Onzième instruction - Sur l'esprit de sacrifice
  • Cahiers d'Alzon, VIII, p.136-146 et Ecrits spirituels, 1163-1170
  • CZ 107.
Informations détaillées
  • 1 ADORATION
    1 AMOUR DE JESUS-CHRIST POUR LES HOMMES
    1 AMOUR DU CHRIST
    1 CHATIMENT DU PECHE
    1 COMMUNION DES SAINTS
    1 CORPS MYSTIQUE
    1 DROITS DE DIEU
    1 EPOUSES DU CHRIST
    1 FIDELITE A LA GRACE
    1 IMITATION DES SAINTS
    1 INSTITUTS RELIGIEUX
    1 JESUS-CHRIST MODELE
    1 LUTTE CONTRE LE CORPS
    1 LUTTE CONTRE LE MONDE
    1 PASSION DE JESUS-CHRIST
    1 PECHE ORIGINEL
    1 RECHERCHE DE LA PERFECTION
    1 REGNE
    1 SACRIFICE DE JESUS CHRIST
    1 SAINTE VIERGE
    1 SALUT DU GENRE HUMAIN
    1 SOUFFRANCE ACCEPTEE
    1 TIEDEUR
    1 UNION A JESUS-CHRIST
    1 VIE DE SACRIFICE
    1 VIE RELIGIEUSE
    2 CATHERINE DE SIENNE, SAINTE
    2 JEAN-BAPTISTE, SAINT
    2 JEAN, SAINT
    2 JEREMIE
    2 MARIE-MADELEINE, SAINTE
    2 NOE
    2 PAUL, SAINT
    2 ROSE DE LIMA, SAINTE
    3 JERUSALEM
    3 MIDI
    3 NORD
    3 OCCIDENT
    3 ORIENT
    3 ROME
  • Religieuses de l'Assomption
  • RA
  • Du 18 au 25 août 1872 (1)
  • aug 1872
  • Auteuil
La lettre

« Offrez des sacrifices justes et confiez-vous en Dieu(2). »

La nature humaine est déchue, mais elle a été renouvelée et ce renouvellement a eu lieu par le sacrifice. Nous avons été régénérés par le sacrifice de Jésus-Christ. Ce sacrifice suffisait pour purifier tous les péchés du monde et cependant saint Paul ajoute: « Ce qui manque aux souffrances du Christ, en ma propre chair je l’achève pour son corps, qui est l’Eglise(3)« . Saint Paul ne voulait pas dire par là que rien manquât à la passion de Notre-Seigneur, ce serait un horrible blasphème, mais Notre-Seigneur a voulu nous donner la loi de son exemple: « C’est un exemple que je vous ai donné, pour que, comme je vous ai fait, vous fassiez vous aussi(4)« . Il disait cela au moment où il venait de laver les pieds à ses disciples et où il allait accomplir son sacrifice au Calvaire. Ainsi Jésus-Christ nous a donné l’exemple et il veut que nous l’imitions. Nos sacrifices sont agréables au Père si nous les unissons au sang de son Fils.

Ces principes posés, examinons trois principaux points de vue du sacrifice.

1° La réparation de l’âme par le sacrifice;

2° La conservation de l’âme par le sacrifice;

3° La préservation de l’âme par le sacrifice.

I. Réparation de l’âme par le sacrifice

Il n’y a pas de vie religieuse sans le sacrifice. Voulez-vous être des filles de sacrifice, dans quelle mesure voulez-vous l’être? Toute la question religieuse est là.

Voulez-vous être des filles faisant bon marché d’elles-mêmes? qui comprennent quelque chose au mystère de la Croix, qui comprennent la nécessité du sacrifice? Si vous voulez cela alors mes paroles auront un sens pour vous. Ce que je vais vous dire est difficile, mais la difficulté n’est pas dans l’intelligence, elle est dans le coeur.

1° Réparation personnelle

a) pour vos péchés

Il faut embrasser le sacrifice à deux points de vue: à votre point de vue et au point de vue de l’Eglise. A votre point de vue vous êtes une pécheresse. Vous avez sans doute le sang de Jésus-Christ pour vous purifier, mais s’il plaît à Jésus-Christ que vous ajoutiez quelque chose de vous-même, dans quelle mesure devez-vous ajouter aux expiations de Notre-Seigneur Jésus-Christ? Considérez Jésus-Christ expirant sur la croix, et demandez-vous dans quelle mesure vous devez entrer dans son expiation.

Les premiers principes de la foi vous disent que comme simples chrétiennes vous devez entrer dans le sacrifice pour l’expiation de vos propres péchés. Toutes, quelque pure qu’ait pu être votre vie, vous avez à expier. Vous avez chacune vos expiations personnelles et comme sainte Madeleine, comme saint Paul, vous avez une vie d’expiation à mener. Je crois, à vrai dire, que si vous avez un lien de coeur et de grandes fautes à vous reprocher, il y aura là un aiguillon qui fera de vous des filles d’expiation, de sacrifice; surtout s’il y a en vous un peu de cet amour qui attira le pardon de sainte Madeleine.

b) pour votre médiocrité

Ce que je redouterais le plus, ce serait que vous fussiez une bonne fille, faisant des fautes légères, sans passion pour le monde, mais sans tendresse pour Jésus-Christ, en un mot, vivant dans une honnête médiocrité. Si vous êtes dans cet état, le sacrifice vous est nécessaire, mais vous n’y arriverez qu’avec effort parce que vous en sentirez moins le besoin et la nécessité. Les Supérieures doivent exciter ces âmes au sacrifice; elles manquent d’élan, or, il en faut dans la vie religieuse et je ne connais rien qui en donne de meilleur que l’esprit de sacrifice.

c) comme témoignage d’amour du Christ

Je vous suppose maintenant aussi pure que la sainte Vierge, saint Jean ou Jérémie. Les natures d’une grande pureté éprouvent le besoin de souffrir, de se donner. En effet, quel homme a souffert comme Jérémie? Quel homme a été plus mortifié que saint Jean-Baptiste, et quelle créature a été plus admirable dans les souffrances que Notre-Dame des douleurs? …

Ici, je touche à un mystère: certaines âmes éprouvent la joie, le bonheur de la souffrance au point de redouter ce bonheur. Si vous en étiez arrivées là, vous comprendriez qu’il n’y a rien de meilleur que de souffrir. Dieu a tant aimé le monde qu’il lui a donné son fils et Jésus-Christ a tant aimé les siens qu’il est mort pour eux.

L’âme saisie des chastes embrassements de Jésus-Christ éprouve le besoin de se sacrifier, de s’immoler, et avant de s’unir à Dieu, au ciel dans le bonheur, elle s’unit à Jésus-Christ sur la terre dans la souffrance et le sacrifice. Il y a des mystères qu’on n’ose sonder. Il y a là des trésors, des richesses que Dieu réserve aux âmes généreuses. Ce qui se passe dans ces âmes, nul ne peut le dire. Jésus-Christ, l’Epoux céleste se plaît à prendre ses victimes et à les poser sur son autel, chacune d’une manière différente. Pour vous en convaincre lisez la vie de ces vierges qui n’ont été martyrisées que par l’amour, qui n’ont pas donné leur cou au bourreau ni leur corps au chevalet, mais qui ont travaillé à s’unir à Dieu dans la solitude. Voyez sainte Catherine de Sienne consumée par les flammes de l’amour, et qui dira les mortifications de sainte Rose de Lima?

Toutes ont été des filles de sacrifice. Il est vrai que lorsqu’on entre dans cette voie on ne sait pas quand on s’arrêtera, mais une fille généreuse ne craint pas de se donner tout entière.

2° Réparation comme victime pour le corps mystique du Christ

Maintenant, prenons le sacrifice au point de vue de l’Eglise. Où en est le monde de nos jours, où en est le royaume de Jésus-Christ? Voyez l’abandon de l’Eglise et les complots tramés pour enlever à Dieu la terre qu’il s’était réservée. Jésus-Christ n’a plus Jérusalem, peut-être bientôt n’aura-t-il plus Rome. En face de ses faits que nous reste-t-il à faire? L’action apostolique ne suffit pas; Jésus-Christ a prêché trois ans sur la terre, mais ces années de prédication ne sont rien auprès des quelques heures qu’il a passées sur la Croix. C’est l’effusion de son sang qui constitue le but de sa descente sur la terre et c’est en cela que consiste la perfection de sa vie. Pour vous, ses Epouses, est-ce que la perfection ne consistera pas aussi dans une vie de sacrifice? Un saint disait: « Mon Dieu, faites mes affaires, je ferai les vôtres ». – Voyez l’amour désintéressé d’une âme qui s’oublie entièrement pour ne vivre que pour Jésus-Christ, et qui, bien que sentant son impuissance, se remet entre les mains de Jésus-Christ pour faire tout ce qu’il voudra. Elle voit Jésus-Christ sauver le monde par sa passion et elle dit: « Mon Dieu, prenez-moi, me voilà tout entière comme victime, et puisque le moment le plus solennel de votre vie humaine a été l’heure du sacrifice de la Croix, que comme vous, je travaille sans doute, mais que comme vous surtout, je tende au sacrifice et à l’immolation ». Voyez alors comme votre sacrifice uni à celui de Jésus-Christ prendra une immense dilatation. Notre-Seigneur veut aussi des instruments. Par les mérites acquis par vous en union avec Jésus-Christ vous sauverez des âmes. C’est là le travail de la communion des saints et de la réversibilité des mérites, par lesquels non seulement les prêtres, mais encore les vierges chrétiennes héritières des saintes femmes au pied de la croix, prenant une coupe et la remplissant du sang de Jésus-Christ, la répandent sur les âmes; et si le sang de Jésus-Christ vient à manquer, elles y mettent le leur, se donnant et s’immolant tout entières.

Voilà le sacrifice, voilà la beauté morale où tout chrétien doit aspirer.

Le moment où Notre-Seigneur a été le plus agréable à son Père, c’est lorsqu’il était un objet d’horreur aux hommes. Dieu regardait son Fils avec plus de complaisance au Calvaire qu’au Thabor. Il disait alors: « Celui-ci est mon Fils bien aimé, en qui j’ai mis mes complaisances(5)« . Et vous aussi, vous deviendrez les filles bien aimées du Père si vous vous unissez au sacrifice de Jésus-Christ.

II. La conservation de l’âme par le sacrifice

1° Disparition de certaines institutions monastiques

Tous les êtres créés ont le temps de la croissance; un moment ils restent stationnaires, puis la décadence arrive. Quand la plante a donné sa fleur, elle sèche, et l’arbre séculaire des forêts tombe à son tour. Il en est de même de l’homme. Parmi les corps moraux, seule l’Eglise a des promesses d’immortalité; c’est un arbre qui monte toujours, mais les ordres religieux qui en sont les branches se dessèchent et tombent à leur tour. Les solitaires qui avaient produit tant de merveilles ont disparu. Tant de monastères où les moines se livraient à des mortifications dont le récit nous fait frémir ont disparu peu à peu. Mais comment donc s’opposer à cette décadence religieuse? – En s’attachant à Jésus-Christ qui a dit: « Je suis la voie, la vérité et la vie(6)« . – Il faut s’attacher à la vie éternelle, vie qui s’est manifestée surtout sur l’arbre de la Croix, puisque c’est là qu’elle a détruit la mort… « Je serai ta mort, ô mort(7). »

2° L’adoration: sacrifice conservateur et sainteté

Il faut offrir à Dieu des sacrifices de conservation pour éviter la mort. Ce qu’on oublie le plus généralement, ce sont les droits de Dieu, la reconnaissance de son domaine, de son pouvoir et pourtant il n’y a pas de sacrifice plus conservateur de la sainteté que l’adoration. Notre nature est tellement pétrie, imprégnée de mensonge qu’il y a beaucoup de choses factices dans nos rapports avec Dieu. Le meilleur moyen d’arriver à la réalité c’est l’adoration par laquelle nous reconnaissons le souverain domaine de Dieu sur nous. Or l’acte d’adoration le plus parfait, c’est le sacrifice, l’holocauste: l’holocauste c’est la destruction de la victime. Le sacrifice de Jésus-Christ a été un sacrifice d’holocauste; pour nous ce sera l’adoration qui rétablira la réalité dans nos rapports avec Dieu. Elle nous fera voir comment celui qui nous a tirés du néant peut nous y replonger. Nous comprendrons la providence de Dieu envers un pauvre être, un pauvre esclave affranchi par une miséricorde infinie, et nous nous abandonnerons d’une part pour réparer nos fautes, de l’autre pour adorer.

3° L’Holocauste: conservateur de sainteté

Je ne crois pas qu’il y ait de moyen de conservation plus puissant que l’holocauste. Quand une âme périt, c’est que Jésus-Christ s’en retire, car Jésus-Christ est l’âme de l’humanité régénérée. Quand la vie de Jésus-Christ se retire aussi des sociétés, elles périssent, mais il y a un moyen de l’y faire revivre, c’est le sacrifice, en vous d’abord et autour de vous par l’exemple. Une communauté qui offrirait l’exemple du sacrifice, de la règle, de la prière, de l’adoration… hostiam laudis… attirerait des grâces immenses, et cette vapeur de sacrifice s’élevant au-dessus de la terre, Dieu l’appliquerait à l’Orient, à l’Occident, au Nord et au Midi; nul ne le sait, mais il y aurait là une source de mérites incontestables.

III. Préservation de l’âme par le sacrifice

– Se préserver soi-même – Préserver les autres

La religieuse doit d’abord se préserver elle-même par le sacrifice, puis elle doit préserver les autres. « Mais, pendant que les gens dormaient, son ennemi vint, sema à son tour de l’ivraie au milieu du blé et s’en alla(8). »

Vous êtes bien ferventes, vous avez reçu avec amour la parole de Dieu, mais la parole de Satan viendra à son tour, et comment vous en préserverez-vous? – Par le sacrifice, par le retranchement si utile à la vierge chrétienne. – Il y a pour l’âme tant d’occasions de se souiller: vous êtes entourées de périls, de dangers; le meilleur moyen de vous en préserver c’est de rester toujours attachées à l’arbre de la Croix. La colombe lâchée par Noé revint dans l’arche, revenez à la Croix comme à votre lieu de refuge. Il y a pour l’âme religieuse généreuse comme un plaisir à venger Notre-Seigneur en balayant en elle jusqu’aux moindres vestiges de la vie des sens. C’est ennuyeux, c’est pénible. La colombe aussi était fatiguée, et cependant elle vola jusqu’à ce qu’elle fut rentrée dans l’arche. Vous qui êtes obligées à des rapports avec le monde, les enfants, les personnes du dehors, malheur à vous si vous ne rentrez pas bien vite dans l’arche. Je ne crains pas de le dire, vous devez être des religieuses d’autant plus sacrifiées que vous êtes exposées à des dangers plus grands. Voyez maintenant ce que vous devez donner à Dieu: Est-ce tout ou seulement quelque chose?

Il est certain que parmi vous quelques-unes seront dans huit jours ce qu’elles étaient auparavant; d’autres iront peut-être pendant deux mois, trois mois avec un certain élan; mais combien y en aura-t-il qui prendront cette résolution ferme, énergique d’une sanctification continuelle par le sacrifice? Celles-là seront heureuses, elles seront véritablement épouses, véritablement saintes!…

Plaise à Notre-Seigneur que ce soit le grand nombre. Vous pouvez toutes être ferventes, soyez-le pour le sacrifice et l’immolation. Que votre sacrifice monte comme un encens agréable d’odeur devant le trône de Dieu.

Laissez Jésus-Christ, victime et sacrificateur, faire son oeuvre en vous. Comme victime, il sera votre modèle; comme sacrificateur, abandonnez-vous à ses coups divins. Plus vous agirez ainsi et plus vous augmenterez son amour pour vous; plus aussi vous l’aimerez, plus vous goûterez l’excellence de cette immolation qui vous fera à un moment donné ressusciter avec la victime du Calvaire selon la parole de saint Paul: « Dieu nous a ressuscités avec le Christ, pour nous faire asseoir avec Lui dans la gloire(9)« . Amen

Notes et post-scriptum
1. Voir E00541, n.1.
2. Ps IV, 6. - 3. Col I, 24. - 4. Jn XIII, 15. - 5. Mt XVII, 5.
6. Jn XIV, 6. - 7. Os XIII, 14. - 8. Mt XIII, 25. - 9. Ep. II, 6.