Aux religieuses de l’Assomption

aug 1872 Auteuil RA

Le désir d’étendre le règne de Jésus-Christ implique le respect et l’amour des âmes – Le travail qu’une religieuse, spécialement une enseignante, doit leur consacrer.

Informations générales
  • Aux religieuses de l'Assomption
  • Retraite prêchée à Auteuil, août 1872
    Quatorzième instruction - Relations d'une religieuse avec les âmes
  • Cahiers d'Alzon, VIII, p.166-176
  • CZ 109-110.
Informations détaillées
  • 1 AMOUR DE JESUS-CHRIST POUR LES HOMMES
    1 AMOUR DU CHRIST
    1 AMOUR DU PROCHAIN SOURCE DE L'APOSTOLAT
    1 AMOUR FRATERNEL
    1 APOSTOLAT DES RELIGIEUX
    1 BON EXEMPLE
    1 CARACTERISTIQUES DES ASSOMPTIONNISTES
    1 CHARITE ENVERS DIEU
    1 DESINTERESSEMENT DE L'APOTRE
    1 EGOISME
    1 ENFANTEMENT DES AMES
    1 ESPRIT DE COMMUNAUTE
    1 EXTENSION DU REGNE DE JESUS-CHRIST
    1 FORMATION DE JESUS CHRIST DANS L'AME
    1 FORMATION DES AMES DES ELEVES
    1 IMITATION DE JESUS CHRIST
    1 IMITATION DE LA SAINTE VIERGE
    1 MAUVAIS PRETRE
    1 OUBLI DE SOI
    1 PERSECUTIONS
    1 PRUDENCE DE LA CHAIR
    1 REDEMPTION
    1 SALUT DES AMES
    1 SOEURS CONVERSES
    1 SURVEILLANCE DES ELEVES
    1 TIEDEUR
    1 TRAVAIL MANUEL
    1 TRAVAUX SCOLAIRES
    1 VIE RELIGIEUSE
    2 PAUL, SAINT
    2 TERTULLIEN
  • Religieuses de l'Assomption
  • RA
  • Du 18 au 25 août 1872 (1)
  • aug 1872
  • Auteuil
La lettre

« Je vous donne un commandement nouveau: que vous vous aimiez les uns les autres(2). »

Un des caractères de l’Assomption étant l’extension du règne de Jésus-Christ, j’aurais voulu vous adresser trois instructions pour vous montrer le bien qu’une religieuse peut faire à ses soeurs, aux personnes du monde et aux enfants(3). Puisque le temps me manque, je suis obligé de restreindre mon sujet, de le résumer.

– But de ces relations – Etendre le règne de Notre-Seigneur

Je traiterai des relations d’une religieuse avec les âmes et je tâcherai d’y voir comment elle doit chercher à accomplir son désir d’étendre le règne de Jésus-Christ dans les âmes, en imitant Notre-Seigneur donnant son sang pour le salut des âmes.

La religieuse qui se dévoue aux âmes doit voir Jésus-Christ qu’elle fera naître dans ces âmes suivant ces paroles de saint Paul: « Mes petits enfants, j’ai éprouvé pour vous les douleurs de l’enfantement jusqu’à ce que j’aie formé en vous Jésus-Christ(4)« .

Y a-t-il dans le monde un travail plus magnifique, plus admirable? Il faut que la religieuse qui se dévoue selon sa position et la mesure de ses forces au salut des âmes, se rende compte du but qu’elle se propose, qu’elle voie ce qu’elle a à faire sur elle-même; il faut qu’elle s’èlève, qu’elle quitte les choses de la terre, qu’elle se place non dans le ciel où ne sommes pas encore, mais comme Notre-Seigneur sur la Croix, qu’elle se place entre le ciel et la terre, tendant toujours à s’élever vers les choses d’en haut.

Nous prouverons ceci par trois considérations:

1° le respect qu’on doit aux âmes;

2° l’amour qu’on doit aux âmes;

3° le travail qu’on doit consacrer aux âmes.

I. Le respect dû aux âmes

1° impose le désintéressement

a) au profit de toutes les âmes

Examinons dans quelles dispositions nous devons nous occuper des âmes. Si nous n’y faisons pas attention, peu à peu nous nous occuperons de nous. Vous êtes dans le couvent, c’est bien, vous vous occupez des soeurs; mais n’auriez-vous pas un certain désir d’avoir de l’influence, de dominer… Ou bien, par prudence, on se tient en dehors de tout: est-ce là le respect des âmes? Non, c’est se traiter soi-même avec considération. Si vous êtes venues dans la religion avec un sentiment de foi, vous devez vous rendre compte du prix des âmes de vos supérieures, de vos égales, de vos inférieures qui sont toutes des âmes rachetées par le sang de Jésus-Christ. Que peut-il y avoir de plus respectable qu’une réunion d’âmes cherchant toutes la perfection. Mais une petite religieuse qui cherche en tout ce qui lui est avantageux est bien loin de comprendre cette parole de saint Paul: « Je cherche non ce qui m’est avantageux mais ce qui est utile au plus grand nombre(5)« . C’est la première condition du respect que cette disposition à faire bon marché de soi, ne tenant compte ni de son égoïsme, ni de sa personnalité.

b) au profit de la communauté

Examinez maintenant si dans vos relations avec vos soeurs, vous n’avez pas apporté cet égoïsme qui fait rechercher non ce qui est utile à plusieurs, mais ce qui est agréable à soi-même. Quoi de plus affreux à voir qu’une communauté de vingt personnes qui ne songent qu’à elles?… On obéit parce qu’il le faut, parce que c’est la Règle. Et qu’est-ce alors que cette obéissance, sinon la pure obéissance des casernes? On reçoit un ordre désagréable, on garde à part soi sa mauvaise humeur et si on ne peut pas parler, on soupire… Est-ce une manière respectueuse de traiter l’obéissance?

c) au profit des enfants

Et avec les enfants?… Une soeur est de mauvaise humeur parce qu’on ne lui a pas donné la classe qu’elle souhaitait, parce qu’on lui a ôté telle enfant qu’elle aimait. Comment cela se passe-t-il? Les enfants s’en ressentent, elles sont traitées plus sévèrement, elles essuient la mauvaise humeur de la maîtresse. « On m’a grondée, je gronderai, on m’a traitée injustement, je serai injuste »… Et de la sorte, les enfants ne reçoivent pas l’éducation chrétienne pour laquelle on les a mises au couvent; et voilà comment la mauvaise humeur d’une soeur peut paralyser l’influence qu’on pourrait avoir sur le pensionnat. Le respect repose sur un sentiment de foi. Vous avez des relations avec les enfants pour les pétrir, pour les mouler à l’exemple de Jésus-Christ. Vous devez respecter vos soeurs, vous devez respecter les enfants. Et pourquoi? – Parce que Notre-Seigneur vous respecte beaucoup et que je ne puis vous offrir un meilleur modèle.

2° impose l’édification en communauté

Vous étiez bien fervente le jour de votre profession, et maintenant placez-vous en face de votre communauté et dites-vous comment vous êtes? – Vous vous êtes engagée envers Dieu, mais aussi envers vos soeurs qui ont bien voulu vous recevoir en leur société. Avec quel respect les traitez-vous? – Quelle édification leur apportez-vous? Si on vous a reçu dans une Congréfgation apostolique, c’est à la condition que vous soyez apôtre, que vous édifiiez votre prochain, sinon par vos paroles, au moins par vos actes. Au lieu de cela, qu’avez-vous cherché à obtenir au parloir, dans vos lettres, dans vos relations avec vos familles? Quelle est votre influence? Si vous vous examinez là-dessus, peut-être aurez-vous à vous accuser de n’avoir pas assez respecté les âmes.

II. L’amour qu’on doit aux âmes

1° à l’exemple de Notre-Seigneur

Vous devez traiter les âmes avec amour. Je ne puis vous présenter de plus beaux modèles que Jésus-Christ et la Sainte Vierge qui ont aimé les pécheurs, qui sont allés au-devant des pécheurs. Une religieuse doit apporter pour les âmes les mêmes sentiments que Jésus-Christ a apportés lorsqu’il est venu répandre son sang sur la Croix. La manière dont on répand ce sang sur les âmes, c’est le sentiment qui a présidé à l’effusion de ce sang divin: Le plus grand amour!…

S’il y a dans l’Eglise une décadence que nous constatons avec douleur, c’est que les prêtres ne savent pas aimer les âmes comme Jésus-Christ le désire et que les religieux et les religieuses ne savent pas aussi les aimer comme Jésus-Christ le voudrait. Autrefois il y avait plus de saints, et remarquez que c’étaient les persécutions qui étendaient et fortifiaient la foi… « Le sang des martyrs est une semence de chrétiens« , disait Tertullien. Aujourd’hui où sont les hommes apostoliques pleins d’ardeur? Il y a plus de quinze cents religieux ou religieuses, où sont les traces de leur zèle? Où est l’amour de Jésus-Christ, cet amour dont saint Paul disait: « La charité de Jésus-Christ me presse(6)« .

2° dans un ardent amour de Dieu

Où sont les âmes tourmentées du désir de faire aimer Jésus-Christ et de sauver les âmes? – On met ses mains dans ses manches, on se met en présence de Dieu, on a des désirs, de soupirs, mais ces soupirs n’aboutissent à rien selon l’expression du prophète: « Il n’y a pas de force pour enfanter(7)« . Croyez-vous que des religieuses vraiment embrasées de l’amour de Dieu n’attireraient pas comme une éruption de grâces sur ce pays? Vous n’aimez pas assez Jésus-Christ, vous n’aimez pas assez les âmes. Mais alors pourquoi vous êtes-vous faites religieuses? Il faut toujours en revenir à ce texte de saint Paul: « Je cherche non ce qui m’est utile, mais ce qui est utile à beaucoup« . Ce sera toujours une cause de décadence pour des religieuses que de s’aimer et de se rechercher soi-même. Quand on s’aime tant on n’a plus le temps d’aimer Dieu et le prochain. Examinez si vous aimez vraiment Notre-Seigneur et demandez-lui de vous donner cet amour des âmes.

III. Le travail qu’on doit consacrer aux âmes

1° Enfanter le Christ dans les âmes

Que dire maintenant du travail qu’il faut faire pour les âmes? Ce travail, vous le savez, est un travail d’enfantement. La vierge chrétienne est mère de toutes les âmes qu’elle amène à Jésus-Christ et c’est la plus belle maternité, l’imitation la plus parfaite de la Sainte Vierge, vierge et mère à la fois, l’imitation la plus parfaite de l’Eglise, vierge et mère en même temps. Vous aussi, par votre dévouement aux âmes vous pouvez être vierges et mères et souffrir les douleurs de l’enfantement. « Mes petits enfants pour qui j’éprouve de nouveau les douleurs de l’enfantement jusqu’à ce que le Christ soit formé en vous(8)« , disait saint Paul aux Galates. Vous pouvez enfanter les âmes à Jésus-Christ par votre bon exemple, par votre influence. Vous pouvez enfanter l’âme de cette soeur à laquelle vous êtes tenue de faire d’autant plus de bien que peut-être vous lui avez fait plus de mal. Mais c’est surtout aux enfants que vous devez dire: « Chères petites filles, que je dois enfanter pour Jésus-Christ avec un amour maternel »…

2° Surveiller avec clairvoyance

Et parce que ces âmes vous sont confiées, il s’ensuit qu’il y a là un travail de différente sorte. La préoccupation qu’apporte les enfants est énorme. Telle religieuse verra un abus de fort loin, telle autre ne voit rien, n’entend rien et si elle voit et entend, elle n’ose pas parler et j’ai malheureusement remarqué que les maîtres qui manquent le plus des qualités nécessaires pour surveiller ou enseigner sont souvent les plus difficiles à se laisser gouverner.

3° Préparer son enseignement

Je connais les maîtres les plus instruits et les plus expérimentés qui préparent tous les matins leur classe. Il y a des personnes au contraire qui croient qu’une inspiration soudaine du Saint-Esprit va descendre du ciel pour favoriser leur paresse, et leurs classes ne sont jamais préparées. Est-ce là le respect des âmes? Il est très facile d’avoir la science en gros et très difficile de l’avoir en détail; les classes non préparées sont des classes ennuyeuses, où les enfants s’endorment.

4° Ne négliger aucun des travaux ménagers

Autour de l’enseignement, il y a une foule de détails et de travaux matériels: l’éducation ne consiste pas seulement à apprendre le calcul, le français, l’histoire: l’éducation se compose d’une foule de détails. Je m’adresse ici aux soeurs converses. Si pendant que la classe va bien, la cuisine va mal, si les dortoirs sont mal faits, il y a des mécontents, et quand les enfants sont de mauvaise humeur, les classes s’en ressentent vite. Tous ces détails constituent l’ensemble de l’éducation; il n’y a donc pas de soeur, pour si humble que soit son emploi, qui n’ait sa part de responsabilité dans le bien à faire aux enfants.

Une congrégation est un corps moral dans lequel tous les membres doivent concourir au même but.

5° Edifier

Vous voulez que les enfants ne vous jugent pas, – (et souvent les soeurs ne se jugent pas entre elles aussi finement que les enfants jugent leurs maîtreses) – effacez vos imperfections non par hypocrisie, mais afin que les enfants ne perdent pas le respect qu’elles vous doivent. Traitez vos élèves avec respect, elles vous traiteront avec confiance. Vous avez un travail de surveillance de tous les instants à faire sur vous-mêmes: travaillez-y beaucoup, et croyez que vous avez des surveillantes qui observent tout. Si vous n’êtes pas personnelles, vous obtiendrez des enfants tout ce que vous voudrez: oubliez-vous beaucoup dans vos relations avec les enfants. C’est un travail très pénible que cette charité aussi oublieuse d’elle-même, mais c’est une vocation magnifique. Notre-Seigneur ayant voulu sauver les âmes vous a fait un grand honneur quand il vous a appelées à devenir ses auxiliaires dans ce travail; dévouez-vous à cette oeuvre envers vos soeurs, envers les enfants autant que vous le pourrez et que vous le devrez. Croyez qu’il n’y a rien de plus beau qu’une religieuse qui s’oublie elle-même dans le respect, la charité et le travail pour arriver à gagner des âmes à Jésus-Christ.

– Exhortation

Chacune de vous, à un point de vue particulier, a une part dans cette action; même celles qui n’ont pas une influence directe sur les enfants, peuvent travailler par l’édification qu’elles procurent. Toutes, vous pouvez gagner des âmes à Jésus-Christ, à une condition,, c’est que vous comprendrez le prix des âmes et que vous irez puiser votre zèle dans l’amour de Jésus-Christ. Aimez beaucoup Notre-Seigneur; aimez-le conversant avec les hommes et disant: « Mes délices sont d’être parmi les enfants des hommes(9)« . Non pas des délices naturelles, mais des délices surnaturelles. Aimez les âmes comme Jésus-Christ. Soyez ses véritables imitatrices, de cette manière vous vous conduirez vraiment en Epouses et Notre-Seigneur vous réservera une récompense particulière parce que ceux qui auront gagné le plus d’âmes à Dieu seront plus abondamment récompensés. Amen.

Notes et post-scriptum
1. Voir E00541, n.1.
2. Jn XIII, 34.
3. Ce sont là en effet les titres de trois des canevas du P. d'Alzon (D01952, D01953 et D01954) que nous ne retrouvons pas dans cette retraite.
4. Ga IV, 19. - 5. 1 Co X, 33. - 6. 2 Co V, 14.
7. Es XXXVII,3. - 8. Ga IV, 19. - 9. Pr VIII, 31.