Aux Religieuses de l’Assomption

sep 1877 Auteuil RA
Informations générales
  • Aux Religieuses de l'Assomption
  • Retraite - du P. Emmanuel Bailly - attribuée au P. d'Alzon (septembre 1877)
    Ouverture de la Retraite
  • DQ 352, p.1-10 (cahier d'auditrices anonymes).
Informations détaillées
  • 1 ACTION DU CHRIST DANS L'AME
    1 AMOUR DE DIEU SOURCE DE L'APOSTOLAT
    1 AMOUR DE L'EGLISE A L'ASSOMPTION
    1 APOSTOLAT DE L'ENSEIGNEMENT
    1 APOSTOLAT DE LA PRIERE
    1 ATHEISME
    1 BIEN SUPREME
    1 CHATIMENT DU PECHE
    1 CONFESSION FREQUENTE
    1 CONGREGATION DES RITES
    1 CONNAISSANCE DE SOI
    1 CONSEQUENCES DU PECHE
    1 CONTRITION
    1 CONVERSION SPIRITUELLE
    1 DON DE CRAINTE
    1 DON DE SOI A DIEU
    1 DROITS DE DIEU
    1 ENFANCE SPIRITUELLE
    1 ENFANTS
    1 ENNEMIS DE L'EGLISE
    1 ESPRIT DE L'ASSOMPTION
    1 ESPRIT SURNATUREL A L'ASSOMPTION
    1 EXTENSION DU REGNE DE JESUS-CHRIST
    1 FIDELITE A LA GRACE
    1 FILLE DE L'EGLISE
    1 GENEROSITE DE L'APOTRE
    1 GRACE
    1 HISTOIRE DE L'EGLISE
    1 INFIDELITE
    1 JESUS-CHRIST MODELE
    1 LACHETE
    1 LARGEUR DE VUE APOSTOLIQUE
    1 LIBERTE
    1 MAUX PRESENTS
    1 MISERICORDE DE DIEU
    1 MORT MYSTIQUE DE L'AME
    1 NEGLIGENCE
    1 PAIX DE L'AME
    1 PERFECTIONS DE DIEU
    1 RECHERCHE DE LA PERFECTION
    1 RESPECT
    1 SAINT-ESPRIT
    1 SOUMISSION SPIRITUELLE A JESUS-CHRIST
    1 TEMOIN
    1 TRISTESSE
    1 UNION DES COEURS
    1 VERTU DE FORCE
    1 VIE DE FAMILLE
    1 VIE DE RECUEILLEMENT
    1 VIE DE SACRIFICE
    1 VOCATION SACERDOTALE
    2 ALZON, EMMANUEL D'
    2 BAILLY, EMMANUEL
    2 BAILLY, EMMANUEL SENIOR
    2 BOUGAUD, LOUIS-VICTOR
    2 DERAEDT, DESIRE
    2 FRANCOIS DE SALES, SAINT
    2 JUDAS
    2 LAMENNAIS, FELICITE DE
    2 LECHAT, JEAN-GABRIEL
    2 MARIE DE LA SAINTE FAMILLE, RA
    2 MILLERET, MARIE-EUGENIE
    2 PIE IX
    2 SAGE, ATHANASE
    2 THERESE, SAINTE
    2 TOUVENERAUD, PIERRE
    3 MONTPELLIER
    3 NIMES
    3 PARIS
  • Religieuses de l'Assomption
  • RA
  • septembre 1877
  • sep 1877
  • Auteuil
La lettre

« Ecce creo coelos novos et terram novam, et non erunt priora in memoriam, neque ascendunt super eos »

« Voici que je crée des cieux nouveaux et une terre nouvelle, et les choses passées disparaîtront, et elles ne monteront plus pour oppresser mon coeur. » Ces paroles, mes chères Soeurs, résument le travail de la retraite en chacune de vos âmes. Vous allez pendant ces jours créer des rapports nouveaux avec Dieu et avec la terre, effacer tout ce qui peut dans le passé attrister votre mémoire et vous délivrer de ces fardeaux qui pèsent sur votre coeur afin de marcher sous le regard de Dieu dans une vie toute nouvelle. Ste Thérèse disait à ses filles: « Je voudrais que chacune de vos actions fût une action héroïque ». Je ne vous en demanderai pas tant, mais que du moins cette retraite soit une action héroïque. Tous les motifs les plus pressants s’unissent pour vous demander de faire de ces quelques jours des jours d’efforts héroïques: et la sainteté de Dieu, et la sanctification de vos âmes, et le but sacré de votre vocation: tout cela se présente à vous sous cette grâce de la retraite. Ouvrez-y donc votre âme toute entière.

La retraite doit d’abord créer en vous des rapports nouveaux avec Dieu. Les relations de votre âme avec Dieu sont-elles ce qu’Il attend de vous ? Hélas, depuis votre dernière retraite où vous avez pris avec Lui des engagements pleins de ferveur, où en êtes-vous ? Soit par la pente naturelle de la faiblesse humaine, soit par la dissipation comme nécessitée par le grand entraînement des oeuvres, n’avez-vous pas cessé d’entretenir avec Dieu ces rapports intimes et fervents que vous avez établis dans vos résolutions de l’an passé ? Il faut revenir sur ce point, il faut considérer l’importance de cette retraite pour rétablir les droits de Dieu sur votre âme.

Et d’abord, mes Soeurs, vous vous devez à Dieu, parce que Dieu est. Le malheur des temps acrtuels, c’est qu’il y a dans le monde comme une négation infinie de Dieu. Pour vous, mes Soeurs, vous êtes appelées par état à affirmer Dieu, vous êtes une affirmation vivante de Dieu par votre vie toute entière. Mais c’est à la condition que vous vous pénétrerez profondément des droits divins que doit exercer sur votre être l’Etre de Dieu. Dieu est, et il est infiniment parfait, infiniment puissant. Dès lors toutes les craintes personnelles disparaissent. Je suis vouée à la perfection. Comment y ai-je été fidèle ? Que devrais-je être et que suis-je ? N’ai-je pas de sérieux reproches à me faire ?

Mes Soeurs, je ne viens pas dans cette retraite multiplier vos terreurs; non, le travail à faire est un travail de réconciliation, et si vous devez éprouver un regret sincère de n’avoir pas répondu aux exigences de votre sainte vocation,, il ne faut sous aucun prétexte laisser envahir votre âme par la terreur au souvenir de vos fautes, par l’effroi ou la crainte qui conduisent au désespoir de Judas. La crainte salutaire, c’est celle des enfants envers leur père, celle de Jésus, vis-à-vis de son père céleste. C’est celle-là seulement qui doit entrer dans votre coeur pendant cette retraite. Cette crainte filiale relève le courage, elle fait aller au devant des sacrifices qui se présentent, elle les fait accepter avec amour. Alors l’âme sans s’effrayer de ses faiblesses, se met à l’oeuvre avec résolution, elle s’appuie sur Dieu dans une parfaite dépendance de son être souverain. Elle affirme ainsi les droits de Dieu; de Dieu, infiniment parfait, infiniment beau, infiniment saint; elle est comme une preuve vivante des attraits qu’il exerce sur le coeur qui se donne à Lui. Elle se livre et se donne à cet être de Dieu infiniment adorable, et auquel elle ne veut plus soustraire une parcelle de son être et de sa vie d’emprunt, et dès lors Dieu se communique à elle et par elle; elle devient ici-bas comme le rayonnement de Dieu, et nous sentons en cet âme comme la chaleur et le resplendissement de l’amour divin.

Cet amour de Dieu, cette bonté souveraine, elle a pris un nom nouveau, depuis que par notre péché, nous avions provoqué sa justice. La bonté de Dieu vis-à-vis des pécheurs ce n’est pas seulement de l’amour, c’est la Miséricorde! Nom infiniment touchant, mes Soeurs, et qui semble dire les plus intimes tendresses du Coeur de Dieu. Oh! comme il convient pendant une retraite de considérer l’attribut divin de la Miséricorde! Comme à toutes les raisons fausses et timides que nous suggère la vue de nos misères et de notre impuissance, il convient d’opposer ce principe qui doit être comme la base de notre retraite: Dieu est tout amour et toute miséricorde et il est en même temps toute perfection et toute puissance. S’il veut que je crée entre Lui et mon âme des rapports nouveaux que craindrais-je ? Sa miséricorde m’attire et me pardonne, sa perfection souveraine et sa puissance infinie ont en moi des droits imprescriptibles et ne me laissent pas l’ombre d’un prétexte pour me rejeter dans ma faiblesse et dans mon impuissance.

Mais il faut encore dans la retraite créer des rapports nouveaux avec le monde. Et d’abord avec ce monde intérieur qui est mon âme. Il y a dans vos âmes du bien et du mal. Si ce n’est pas un mal très grave, si vous n’avez pas à vous reprocher des fautes grièves, que de négligences, que d’omissions, que d’infidélités volontaires, quelle montagne d’imperfections s’est peut-être amoncelée sur votre âme et constitue un mal réel en face de toutes les grâces reçues, de toutes les prévenances de l’amour de Dieu. Combien de fois peut-être n’avez-vous pas désiré la retraite pour pleurer ces fautes plus longuement, plus sincèrement, pour pouvoir dans le silence et le repos porter votre coeur à Dieu tout à loisir, et réparer aux pieds de Dieu tout cet amas d’infidélités qui pesait si lourdement sur votre âme.

Un des effets du péché, c’est d’affamer l’âme: elle est vide de Dieu, elle a besoin de la grâce pour l’attirer en elle, elle a besoin de se repentir profondément, de pleurer à loisir, de demander pardon à son aise, si je puis dire ainsi, d’exhaler sa contrition et sa douleur sans être limitée par le temps, ni distraite par les oeuvres et le travail qui l’absorbent. Ces confessions, si fréquentes, qui ramènent si souvent l’énumération des mêmes fautes, il faut y revenir; non pas sur l’aveu, mais sur la contrition qui aurait dû l’accompagner, et que l’entraînement d’une vie active a rendu trop superficielle et trop passagère. Il faut donner à votre âme une plénitude de repentir qui rachète tout le passé, afin qu’allégée par cette contrition profonde et remise en paix avec Dieu et avec elle-même, elle puisse se remettre aux oeuvres avec un élan nouveau et meilleur.

Il faut aussi songer au bien qui est en votre âme, mes chères Soeurs. En toute âme il y a du bien et il est nécessaire d’en profiter autant que Dieu l’attend de vous. D’abord l’être même de votre âme, ses facultés, don magnifique de la libéralité de Dieu. Puis le don suréminent de la grâce qui est venu s’ajouter au premier et dont les flots pressés ont inondé votre âme depuis qu’elle a la conscience d’elle-même. Enfin une certaine expérience du bien, acquise par des voies différentes, mais expérience réelle, que toute âme possède dans une mesure. Il faut examiner tout cela devant Dieu, le peser à ses pieds, car l’Esprit Saint nous menace de grands maux si nous ne réfléchissons sérieusement sur nous-mêmes. « Desolatione desolata est terra quia nemo est qui recogitat corde. »Donc regardez votre âme à la lumière de Dieu, constatez cette expérience que lui ont apportée les années précédentes, expérience des oeuvres, expérience des grâces de Dieu, expérience de nos chutes, surtout de notre faiblesse et qui nous a révélé notre besoin extrême de Dieu.

Tout ce bien qui est en nous comment le ferons-nous fructifier ? Comment en laisserons-nous la grâce en tier tout le parti possible ? Il ne s’agit donc pas de se plonger dans une tristesse vague, de s’exhaler en plaintes sur ses misères, de tourner à la mélancolie en ne ne voyant en vous que du mal et un mal irrémédiable. Songez, mes Soeurs, à la présence de Jésus en votre âme, à l’activité de son amour qui veut agir en vous, détruire le mal, féconder le bien, et sans crainte comme sans trouble, interrogez sa volonté sur vous. Voici l’heure et le moment de la transformation qu’Il veut opérer dans votre âme; il veut la recréer, en faire une créature nouvelle et transfigurée. Laissez-le faire et livrez-vous à son action toute puissante.

Mais il y a en outre le monde extérieur. Votre vie d’apostolat vous crée avec ce monde des relations immenses, et ceci, je ne l’entends pas seulement de vos oeuvres extérieures, de vos rapports avec le monde au parloir, dans vos correspondances, je l’entends surtout de la prière. Vous êtes des filles apostoliques, et à cause de cela vous devez beaucoup aux âmes, vous leur devez votre prière, vos sacrifices, vous devez être dans vos rapports avec elles comme un lien entre elles et le monde surnaturel; vous leur devez de saints exemples, des conversations pleines d’esprit de foi. Et aux âmes des enfants que ne devez-vous pas de dévouement, de sanctification personnelle, de sacrifice de vous-même ? Tout cet ensemble de relations extérieures par où vous touchez au dehors constitue un monde que vous devez travailler à relever vers Dieu par l’influence que vous exercerez sur lui. Les communautés religieuses sont par état chargées d’édifier, de sanctifier, de répandre l’esprit surnaturel. Quelle nouvelle source d’examen pour vous ?

Enfin, en dehors de ce monde extérieur, mais qui nous touche, il y a l’Eglise, la Sainte Eglise catholique dont vous êtes les filles. L’Eglise qui voit germer dans son sein une si magnifique floraison d’oeuvres saintes, tandis qu’au dehors elle est en butte aux plus violentes persécutions. Mes Soeurs, par votre état encore vous êtes chargées d’aimer la Sainte Eglise, de la soutenir de vos prières, de lui donner vos sacrifices, votre dévouement. Elle vous supplie de prier pour les âmes de ses enfants qui se perdent, de la dédommager par votre ferveur de tant d’outrages qui lui sont faits tous les jours. Comme religieuses votre responsabilité sous ce rapport est immense. Elle grandit en proportion des malheurs et de l’impiété des temps où Dieu vous fait vivre.

Je termine en vous disant que vous vous devez encore à votre Congrégation, ce petit monde de choix, cette famille surnaturelle à laquelle vous vous êtes attachées librement. Mes Soeurs, vous en avez tout reçu. Toutes les grâces les plus éminentes que Dieu ait versées sur votre âme, vous sont venues par ce canal béni. Vous devez vous rendre totalement et sans réserve à elle. Une âme qui pendant une retraite ne songerait pas assez à ses devoirs envers la famille religieuse à laquelle elle appartient, n’attirerait pas sur elle la grâce de Dieu. Comment avez-vous été dévouées à vos oeuvres ? Comment avez-vous exercé l’apostolat qu’elle vous a confié, apostolat intérieur de la prière, apostolat extérieur de l’éducation et des oeuvres ? Vous devez être au milieu d’elle comme un canal pour répandre la grâce; peut-être par vos infidélités et vos négligences avez-vous été un obstacle à la grâce ?

Ah! mes chères Soeurs, que de motifs pressent vos âmes en ce moment! Donnez-vous donc à cette retraite avec la volonté de tout renouveler dans votre vie. Devenez saintes pour les âmes, pour l’Eglise, pour votre Congrégation, pour Dieu enfin et pour sa gloire. Entrez en retraite dans cette bonne volonté sans crainte, sans terreur encore une fois, mais dans la confiance, dans l’abandon le plus entier aux opérations de la grâce.

Celles de vos soeurs qui vous ont précédées au ciel nous ont toutes donné cette consolante assurance qu’à l’Assomption on meurt dans le calme et dans la joie de Dieu: c’est une grâce du beau mystère auquel vous êtes consacrées. Mes Soeurs, la retraite c’est une mort aussi, qu’elle soit dans la paix et dans le calme. Enfermez-vous dans le recueillement avec le Seigneur; vous ne le trouveriez pas dans le trouble « non in commotione Dominus ». Prenez pour devise la parole du prophète « In silentio et spe erit fortitudo ». Votre force sera dans l’espérance et dans le silence. Et puisque c’est le cachet de l’Assomption d’expirer dans le calme et la paix, que cette mort mystérieuse de votre âme soit marquée à ce sceau, ensevelissez votre âme dans le silence et dans la paix. Allez à Dieu avec une immense confiance. La grâce agit dans le calme et le recueillement: soyez paisibles et recueillies. Et dans cette disposition mettez-vous à l’oeuvre de votre réforme intérieure avec toutes l’énergie dont vous êtes capables, et dites à Dieu que, si jusqu’ici vous n’avez pas été tout ce qu’il voulait que vous soyez, si vous avez refusé de laisser faire sa grâce et de répondre aux légitimes exigences de son amour, vous voulez qu’après cette retraite, Il soit le maître absolu de votre âme, et que pour cela vous lui donnerez pendant ces jours bénis tout ce qu’il vous demandera.

Notes et post-scriptum
I. - NOTE DU P. PIERRE TOUVENERAUD
Ce cahier fut remis par le P. LECHAT aux archives de la congrégation à Rome le 15 octobre 1974. "Il avait été à l'usage de sa tante, Sr Marie de la Sainte-Famille, une des anciennes Religieuses de l'Assomption".
Il s'agit d'une copie inachevée et de différentes mains d'une retraite donnée par le P. d'Alzon, à Nîmes du 10 au 18 septembre 1877, aux Religieuses de l'Assomption de Nîmes et de Montpellier. Le P. A. Sage, dans *Un Maître spirituel*, p.183, signale le contexte de cette retraite et pense devoir lui attribuer, mais avec des réserves, deux sermons épars du P. d'Alzon. Car il ignore le plan et le texte de cette retraite, dont on n'avait aucune trace en nos archives.
Il est vrai que la copie ne porte aucune allusion précise pour en déterminer l'auteur et la date. Il y est question des souffrances et des persécutions de l'Eglise, et plus précisément, du manque de prêtres au service de l'Eglise : "Voilà la grande souffrance de l'Eglise : les prêtres diminuent, déclare le P. d'Alzon (p.151) qui ajoute : C'est là la grande douleur qui fait pleurer Pie IX, qui fait gémir les évêques d'un bout de la France à l'autre." En 1878, l'abbé Bougaud écrit un livre sur *Le grand péril de l'Eglise de France au XIXe siècle*. Par ailleurs, le P. d'Alzon, dans une lettre du 13 septembre 1877, écrit à Mère M.-Eugénie de Jésus qu'il va "prêcher une instruction sur la Règle". De fait, le 4e jour à la 3ème instruction "Sur la dépendance et l'abandon", il parle de l'obéissance à la Règle. Enfin tous les thèmes abordés sont des plus familiers au P. d'Alzon et notamment l'esprit d'union pour qualifier l'esprit de l'Assomption. Cette dernière insistance trouve sa raison d'être dans le contexte difficultueux signalé par le P. A. Sage.
Des instructions de cette retraite, centrée sur la définition de la vie religieuse donnée par saint Thomas : "la perfection de la charité poursuivie par la perfection du sacrifice", la 3ème instruction du 7ème jour, consacrée à *l'amour de sa congrégation*, mérite d'être relevée en raison de la théologie de la vie religieuse qui s'y exprime.
Avant de dire ce qu'une personne doit sacrifier à sa Congrégation : son esprit, son coeur, son corps, son âme, sa vie, pour être disponible, comme pierre vivante entre les mains de Dieu, à l'exemple de ce qu'il en est dans l'Eglise, le P. d'Alzon parle de ce qu'est une Congrégation: "Une expression de ce qu'est l'Eglise, la maison de Dieu en vérité"; et si "l'Eglise sur la terre, c'est Dieu avec nous", "votre Congrégation c'est aussi et d'une façon toute particulière, Dieu avec vous". Comme dans l'Eglise, "il s'y manifeste la beauté de l'esprit de Dieu qui a ravi votre coeur", "une expression admirable de l'Esprit de Dieu". Aussi, "se soumettre à l'esprit de sa famille religieuse, c'est se soumettre à l'Esprit de Jésus-Christ qui y règne"; car "votre congrégation c'est Jésus-Christ vivant pour vous ici-bas". Plus loin le P. d'Alzon dira que la physionomie d'une Congrégation, c'est "la physionomie spéciale de Jésus-Christ qu'il a voulu manifester au monde et sous laquelle il s'est révélé à votre coeur en vous appelant à l'Assomption."
Comme dans l'Eglise, on doit y respirer la liberté spirituelle dans la diversité des grâces personnelles, comme des fonctions et des activités communes. "L'attrait particulier", nous dirions le charisme des personnes,- ces "libertés secrètes", ces grâces toutes personnelles, doit d'harmoniser avec "le grand attrait de la Congrégation", nous dirions le charisme de l'Assomption, la grâce de fondation reçue dans l'Eglise et pour l'Eglise. Et le P. d'Alzon d'avouer "qu'il est peu de familles religieuses où l'on trouve (comme à l'Assomption) tant de largeur pour laisser les individus suivre les attraits spirituels que Dieu leur donne. On vous respecte comme Jésus-Christ respecte les âmes. Mais à cause même de cette largeur, de cette générosité, ajoute-t-il, soyez vous-mêmes d'autant plus généreuses à sacrifier ce qu'il conviendrait de sacrifier : que vos sacrifices puissent égaler en quelque sorte cette largeur d'esprit de la Congrégation à laquelle vous appartenez."
C'est donc fonder l'union des esprits et des coeurs "dans le seul attrait d'obéir et de plaire à Jésus-Christ". "Cet esprit d'union est le vôtre; soyez-y fidèles; attachez-vous-y comme à un bien suprême. Dieu bénit, Dieu aime cet esprit; il est la force de l'Eglise catholique, il a été votre force jusqu'ici."
Alors on entre dans une famille et on y demeure dans la reconnaissance et dans la joie. Car toujours à l'exemple de l'Eglise notre Mère, la Congrégation est aussi notre mère: Non seulement "un enfant bien né ne discute pas avec sa mère", mais il honore ses frères et soeurs qui l'ont précédé dans le Seigneur et revient avec coeur aux origines de sa famille, tout comme il est soucieux de son avenir. "Une religieuse de plus, c'est une source de gloire pour Dieu et de grâce pour l'Eglise"; "un couvent de plus c'est une extension du règne de Jésus-Christ".
A l'image paulinienne de la construction du Corps du Christ qui ouvrait l'instruction, le P. d'Alzon joint, en conclusion, l'image augustinienne du cortège joyeux des premiers chrétiens vénérant les tombeaux des martyrs, et la main dans la main, avançant du vestibule du ciel qu'est l'Eglise, vers la Jérusalem céleste. Ainsi, dit-il, les religieuses vont-elles dans la joie et l'entraide spirituelles, à la suite du Christ qui les attire et les entraîne, dans le sillage de leur fondatrice et de leurs aînées, par cette odeur divine : "le caractère distinctif de cette famille sainte où (chacune) est entrée", sa grâce de fondation, son charisme propre, reçu en Eglise et pour l'Eglise. - Pierre Touveneraud +1979 - ACR, DQ 351.
II. REMARQUES
1. La retraite contenue dans le cahier DQ 352 forme bien un tout: de nombreux renvois internes ("hier", "ce matin" etc.) en donnent la preuve. Les instructions du 7e jour (cahiers DQ 354 à 356) et de clôture pourraient cependant appeler certaines réserves.
2. La date de la retraite : Entre le 19 juillet 1877 (Décret de la Congrégation des Rites donnant le titre de Docteur de l'Eglise à saint François de Sales) et le 7 février 1878 (mort de Pie IX).
En effet, à la p.55 du cahier (E00569, TE/10) il est question de St Fr. de Sales qui vient d'être proclamé Docteur de l'Eglise, et à la p.151 (E00581, TE/6) on parle de Pie IX comme d'une personne vivante.
3. L'auditoire est sans aucun doute constitué de Religieuses de l'Assomption: il suffit d'ouvrir le cahier pour s'en convaincre.
Nous avons dès lors le choix entre deux retraites:
- celle de Nîmes que prêcha le P. d'Alzon du 11 au 19 septembre 1877 : c'est l'opinion du P. Touveneraud.
- celle d'Auteuil qui fut donnée par le P. Emmanuel Bailly et qui débuta le 1er septembre : c'est ce que nous pensons.
4. La retraite du P. d'Alzon à Nîmes
Les arguments avancés pour voir dans notre retraite celle du P. d'Alzon sont peu convaincants :
- L'allusion au manque de prêtres au service de l'Eglise : le P. d'Alzon n'est pas le seul à se préoccuper de cette question.
- "Tous les thèmes abordés sont des plus familiers au P. d'Alzon" : certes, mais ils le sont aussi à tous ses disciples et ils doivent l'être spécialement au P. Emmanuel Bailly qui a pratiquement toujours vécu avec lui à Nîmes. Il en est de même des nombreux appels à saint Augustin et à saint Thomas.
- Le 13 septembre, le P. d'Alzon écrit à Mère M.-Eugénie de Jésus : "Je vous dis adieu pour aller prêcher une instruction sur la Règle". Et en effet, note le P. Touveneraud, il est question de l'obéissance à la règle dans la 3e instruction du 4e jour (c'est-à-dire, notons-le, le 14 ou le 15, et non le 13 ). Mais le P. d'Alzon continuait : "[une instruction] où je mettrai de vos observations tout ce que je n'ai pas mis dans les instructions précédentes". Or nous avons les observations de Mère M.-Eugénie (envoyées le 11 septembre) et nous n'en retrouvons rien dans les instructions du 13 septembre ni ailleurs dans cette retraite.
Nous avons encore d'autres raisons de penser que cette retraite n'a pas été prêchée par le P. d'Alzon (ni à Nîmes, ni ailleurs) :
- s'adressant à ses auditrices, le prédicateur dit "mes Soeurs", "mes chères Soeurs" (sauf une fois où il dit "mes chères filles") ce qui indique un prêtre plus jeune et moins intime avec son auditoire que le P. d'Alzon qui, lui, s'adressant aux RA emploie les deux formules mais avec une nette préférence pour "mes filles", "mes chères filles".
- à la p.94 du cahier (E00574, TE/10), le prédicateur évoque un souvenir: "Je me rappelle que Lamennais disait un jour à mon père qu'il ne croyait plus au mystère de la transsubstantiation [...]. Depuis le jour où j'ai pris la résolution de me séparer de Rome [...] j'ai perdu le pouvoir de croire, je ne crois plus". "Mon père" peut-il être le vicomte d'Alzon ? Nous ne le croyons pas, car ce dernier quitta Paris avec sa famille en mai 1830 et n'eut dès lors plus de contacts avec Lamennais, dont les vraies difficultés avec Rome commencèrent après cette date.
- quelques remarques de style pourraient aussi être avancées mais avec prudence : c'est ainsi que l'exclamation "ah!" est beaucoup plus fréquente dans notre retraite que dans des retraites dont l'attribution au P. d'Alzon ne fait pas de doute : dans le seule 3e instruction du 2e jour (E00570) nous avons compté 10 "Ah!" sur 14 paragraphes, or dans un ensemble de trois retraites du P. d'Alzon nous n'en avons relevé que 19 pour 193 paragraphes.
5. La retraite du P. Emmanuel Bailly à Auteuil (du 1er au 9 septembre) est-elle bien la nôtre ?
- L'auditoire contient un certain nombre de jeunes religieuses, postulantes ou novices (v. par ex. p.112 et p.129, soit E00576, TE/20 et E00578, TE/14), ce qui est en faveur d'Auteuil, où la retraite fut d'ailleurs suivie de professions.
- Les raisons pour lesquelles nous croyons que le P. d'Alzon n'est pas l'auteur de notre retraite, militent au contraire en faveur du P. Bailly : "mes Soeurs", "mes chères Soeurs" (voir plus haut) et aussi la confidence de Lamennais : le père du prédicateur, pourrait en effet bien être Emmanuel Bailly (1793-1861), qui, par les oeuvres et le journalisme, avait entretenu des rapports suivis avec Lamennais et peut avoir reçu de lui cette confidence. (D. Deraedt, 2 avril 1998).