Aux Religieuses de l’Assomption

sep 1877 Auteuil RA
Informations générales
  • Aux Religieuses de l'Assomption
  • Retraite - du P. Emmanuel Bailly - attribuée au P. d'Alzon (septembre 1877)
    Deuxième jour - Sur la patience avec soi-même (Deuxième instruction)
  • DQ 352, p.50-60 (cahier d'auditrices anonymes).
Informations détaillées
  • 1 AMOUR-PROPRE
    1 ASCESE
    1 BIEN SUPREME
    1 BON PASTEUR
    1 COLERE
    1 DESESPOIR
    1 DESIR DE LA PERFECTION
    1 DIRECTION SPIRITUELLE
    1 DIVIN MAITRE
    1 ECRITURE SAINTE
    1 EPREUVES DE L'EGLISE
    1 ERREUR
    1 ETUDE DES PERFECTIONS DE DIEU
    1 EVANGILE DE JESUS-CHRIST
    1 FOI
    1 GLOIRE DE DIEU
    1 GRACE
    1 HONTE
    1 HUMILITE
    1 IDEES DU MONDE
    1 ILLUSIONS
    1 IMITATION DES SAINTS
    1 INTEMPERIES
    1 JEUDI SAINT
    1 LACHETE
    1 LUTTE CONTRE LE PECHE
    1 MALADIES
    1 MANQUE DE FOI
    1 MIRACLES DE JESUS-CHRIST
    1 MISERICORDE DE DIEU
    1 NATURALISME
    1 NATURE
    1 ORGUEIL
    1 PATIENCE
    1 PECHE
    1 PENITENCES
    1 PERSEVERANCE
    1 PEUR
    1 PIETE
    1 POSSESSION DE DIEU
    1 PROGRES DANS LA VIE SPIRITUELLE
    1 PURIFICATIONS SPIRITUELLES
    1 RECHERCHE DE DIEU
    1 RESISTANCE A LA GRACE
    1 SAINTETE
    1 SCRUPULE
    1 SIMPLICITE
    1 SOUFFRANCES DE JESUS-CHRIST
    1 SUFFISANCE
    1 SUPERIEUR
    1 TENTATION
    1 TRIOMPHE DE L'EGLISE
    1 TRISTESSE
    1 VERTU D'OBEISSANCE
    1 VOLONTE DE DIEU
    2 ADAM
    2 BOSSUET
    2 FRANCOIS DE SALES, SAINT
    2 JEAN, SAINT
    2 PIERRE, SAINT
    2 THERESE, SAINTE
  • Religieuses de l'Assomption
  • RA
  • septembre 1877
  • sep 1877
  • Auteuil
La lettre

In patientia vestra possidebitis animas vestras.

Un jour N.S. fut conduit chez la belle-mère de saint Pierre, nous dit le St Evangile, et Il la trouva en proie à la fièvre: « erat jacens », elle gisait là incapable de se mouvoir ni d’agir sous le coup de cette fièvre qui la dévorait. Jésus lui prit la main, et en la touchant il chassa la fièvre; elle se leva et le suivit.

Cette fièvre, mes Soeurs, est l’image de la fièvre qui nous poursuit dans le travail de la sanctification. Je ne veux pas vous parler ce matin du dehors qui nous échappe avec le prochain, et au sujet des choses extérieures, mais de cette impatience envers nous-mêmes, de cette impatience avec laquelle nous voulons notre sanctification, et qui est un des plus grands obstacles après le péché et l’esprit naturel dont je vous ai parlé hier. Nous chercherons ensemble quelles en sont les causes et quels en doivent être les remèdes.

Les causes sont au nombre de trois principales: la précipitation, l’amour-propre et l’idée que nous nous faisons de la sainteté à laquelle Dieu nous appelle.

Et d’abord la précipitation. Nous nous précipitons vers le résultat aussitôt que nous commençons à travailler, nous voulons atteindre le but à peine l’avons-nous entrevu. Aussitôt que nous avons résolu d’arriver à l’union parfaite avec Dieu, nous y voudrions être sans tenir compte de l’immense étendue des vertus et des efforts que cette union demande. Nous voulons les atteindre en un jour et sans délai. Et cette activité naturelle embarrasse notre course au lieu de la hâter, elle épuise nos forces et nous fait tomber de lassitude sur le chemin. Cette précipitation nous trompe et nous fait poursuivre l’éclat de la sainteté plutôt que la sainteté elle-même. La grâce nous sollicite, nous désirons la perfection et nous mettons la main à l’oeuvre, mais voici que la nature s’en mêle et vient nous embarrasser de ses désirs inquiets et empressés, nous voudrions n’avoir plus de défaillance, d’obscurités, nous cherchons non plus la sainteté elle-même mais l’éclat de la sainteté.

Et cependant quel est notre but, mes chères Soeurs? Ah! ce n’est pas la sainteté pour elle-même, non c’est Dieu seul. La sainteté c’est la route, le moyen, mais le but, c’est Dieu, c’est Dieu seul! Dieu veut la sainteté dans une âme, parce que c’est le moyen de l’attirer à Lui, mais c’est à Lui seul qu’elle mène. Les saints n’ont pas été saints pour être saints, mais pour être à Dieu. Ils ne cherchaient pas telle ou telle vertu pour elle-même mais parce que Dieu la leur demandait, et ils ont atteint la sainteté parce que Dieu le voulait pour procurer sa gloire et faire sa volonté. Les hommes de ce monde vivent dans la précipitation parce qu’ils veulent non seulement prendre des moyens mais jouir d’un but. Ils épuisent toutes leurs forces pour arriver vite, vite à la jouissance qui doit suivre leur travail. Et parce que l’homme poursuit sans cesse de nouveaux désirs, il est obligé d’accumuler ses réalisations dans un temps trop court et il se hâte, il n’a pas un but éternel, il faut qu’il arrive en ce monde. Mais l’âme religieuse ne poursuit pas un but temporel qu’elle puisse atteindre en ce monde. « Elle n’a pas à se hâter » car la jouissance lui est réservée pour l’éternité. Pourquoi donc se livrerait-elle à cette précipitation basée tout entière sur des idées humaines et naturelles ?

La seconde cause de nos impatiences, c’est l’amour-propre. L’amour-propre dans la vie intérieure a deux enfants, les hontes et les peurs. Les hontes d’abord, on se propose de devenir parfait, on veut sincèrement le bien, et voilà une chute, une défaillance; alors on s’irrite, l’amour-propre s’agace, on ne veut plus reprendre ses efforts; les défauts paraissent insurmontables; on dit: c’est difficile, je ne pourrai jamais. La peur envahit l’âme, et c’est ainsi que l’amour-propre est une source de tristesse, de découragement, de désespoir. N’avez-vous pas senti en vous-même et chez d’autres cette cause d’impatience, ces tristesses presque infinies, ces hontes, ces peurs qui paralysent l’âme ? Pour une petite misère, pour une imperfection on se décourage, on ne veut pas endurer d’humiliation.

Bossuet a dit avec grande raison: « Un grand défaut dans les âmes religieuses, c’est le trop vouloir, le trop agir ». On veut trop et trop vite arriver au but, on ne peut souffrir de se voir imparfait et ces désirs orgueilleux irritent l’âme et l’impatientent contre les retardements de Dieu, contre les retranchements qu’il juge nécessaires pour purifier nos oeuvres. « Tempus putationis advenit ». Il est un temps où l’arbre étant encore couvert de fleurs même brillantes, il faut en retrancher une partie, sans quoi la sève se perdrait et les fruits seraient insignifiants. Ainsi dans le noviciat ou après, l’âme semble couverte de fleurs, et cependant il faut faire des retranchements dans cet épanouissement où elle trouve tout au moins le danger de se complaire en elle-même. Il faut vous laisser faire, il faut faire taire l’amour-propre. Vous tenez à vous voir telle vertu et voici que Dieu semble vous l’ôter pour vous jeter sur une autre. C’est dur, il le faut: vous aviez peut-être déjà un commencement de complaisance en vous-même. Laissez faire Dieu, acceptez de tomber, acceptez d’être tombée, surveillez l’impatience par la mortification de votre amour-propre.

Mais j’ai hâte d’arriver à la troisième cause de notre impatience, qui est l’idée erronée que nous avons souvent de la sainteté à laquelle nous sommes appelées. On ne peut assez dire combien d’âmes ont perdu un temps précieux pour ne pas avoir suivi ce que leurs supérieurs et leurs directeurs leur ont dit touchant la direction de leurs efforts vers la perfection. Chacune a pour ceci une tendance particulière. Je ne veux pas parler ici de l’esprit général de la Congrégation à laquelle vous appartenez. Je suppose qu’il est accepté. Mais en chaque individu il y a une manière d’envisager la perfection avec des idées préconçues et propres à chaque nature. On vous dit : non, cela ne vous convient pas, ce n’est pas ainsi qu’il faut vous y prendre. Et on garde ses méthodes, ou si vous l’aimez mieux ses tendances et l’on n’avance pas. Dans l’une c’est un rigorisme excessif envers elle-même, chez une autre un formalisme minutieux. Celle-ci se repliera continuellement sur elle-même, se nourrissant de la vue de ses faiblesses et de ses misères. Et en attendant que la lumière se fasse et détrompe l’âme, que de temps perdu, que de résistances à la grâce, que de perfections auraient dû se développer dans l’âme et qui ne l’on pas fait. On trouve dans le monde des âmes obstinées à considérer la piété à leur propre point de vue. Dans la vie religieuse ce défaut est aussi trop fréquent. Et qu’en résulte-t-il ? Des regrets amers et profonds quand on voit le temps que l’on a perdu. Car [qu’est-ce] qui peut irriter et impatienter davantage une âme qui sait le prix du temps, pour acheter l’éternité.

Maintenant considérons quels sont les remèdes à opposer à ces causes d’impatience, remèdes d’une efficacité souveraine. D’abord à la précipitation il faut opposer la résignation aux lenteurs de la grâce. La nature veut aller vite, la grâce va lentement. St François de Sales, qui vient d’être proclamé Docteur de l’Eglise, et qui semble surtout le Docteur des âmes dont nous parlons, parce que de son temps c’était le défaut commun de beaucoup d’âmes, saint François de Sales nous avertit que le travail de la perfection se fait peu à peu. Ste Térèse nous dit de même que nos désirs et nos oeuvres ne peuvent se mettre de niveau qu’avec beaucoup de temps. Et St François de Sales dit encore: « Oh! le grand travail que de toujours vouloir et de ne presque jamais pouvoir! » On veut le bien, on le veut ardemment, on s’y élance, et on sent une impuissance, une faiblesse, une défaillance de forces qui arrête. Il en résulte des contorsions de l’âme, des souffrances, des désespoirs, parce que l’on a voulu aller plus vite que la grâce. Donc il faut se résigner aux lenteurs, aux retardements de Dieu, ne pas chercher par des moyens humains à se débarrasser de ses misères, ne pas murmurer de nos chutes, mais nous relever, et comme le dit St François de Sales: « Allez lentement, mais allez toujours ». Oh! la grande parole: lentement mais toujours. A la fin de cette semaine, que la 1ère semaine il y ait un petit progrès, que la 2e semaine s’en ajoute un autre. Allez toujours sans gaspiller le temps en précipitations et en agitations et que de terrain gagné!

Le remède à l’amour-propre, c’est l’humilité dans les chutes. On tombe et on croit tout perdu. Comme un général qui, parce qu’une aile de son armée a plié, déclare la bataille perdue et fait sonner la retraite. Il faut accepter de tomber et de pouvoir tomber encore. Et combien cette humilité dans les chutes fera-t-elle faire de rapides progrès ? Mais après tout, la Ste Eglise de Dieu, cette âme du monde, ce parfait modèle de la vie de nos âmes, ne subit-elle pas des moments de défaites apparentes, de faiblesse, d’épreuve où tout semble perdu, et cependant elle se relève toujours, elle marche toujours et elle sauve le monde.

Votre âme ne doit pas désirer être traitée autrement que l’Eglise, autrement que J.C. lui-même qui dans sa vie mortelle a souffert les calomnies, les alternatives de victoires et de défaites, d’honneur et de mépris. Vous ne pouvez pas passer par un autre chemin. Ayez donc une grande et sincère humilité dans vos chutes, sans cela il vous arrivera ce que dit le bon St François de Sales de ces âmes embarrassées de leur amour-propre qui se dépitent d’être tombées, et puis se fâchent de la fâcherie qu’elles ont eues de s’être fâchées, et il en résulte un entortillement de l’âme d’où elle ne sait plus sortir. Comme une pierre que l’on jette dans l’eau forme des cercles qui se succèdent à l’infini, ainsi du travail de l’amour-propre. L’humilité au contraire apaise et simplifie l’âme et fait taire ces irritations, ces agacements orgueilleux, elle dit avec le Psalmiste: « Bonum mihi quia humiliasti me, ut discam justificationes tuas » Il m’est bon d’être humilié, afin de mieux connaître vos volontés.

Cependant il ne faut pas s’arrêter à cela, ne pas considérer trop longtemps cette nature mauvaise de peur que la tentation ne s’élève de nouveau, « ne forte perissem in humilitate mea », mais en sortir, egredere, sortir de soi, de peur de périr dans sa faiblesse. Accepter ses misères, mais ne pas les regarder, il est meilleur de contempler Dieu et ses perfections divines. La vue de nos misères ne donne pas de force. Après le repentir, que notre âme se détourne et se relève vers l’infinie Bonté de Dieu. Que peut-elle gagner à se considérer elle-même et qu’y peut-elle voir que la misère ? Ame pleine d’Adam, dit Bossuet, que peux-tu trouver en toi autre que toi et tes misères, que tu ne peux changer parce que tu oublies de te jeter en Dieu.

Mais à l’humilité, à la résignation, il faut ajouter un dernier remède contre cette idée erronée que nous nous faisons sur notre perfection, et c’est de nous laisser guider par les pensées et les directions conformes à l’obéissance. C’est une docilité parfaite, pleine de foi, sans commentaire qui vous rende toute prête à accepter la direction de ceux et de celles qui tiennent pour vous la place de Dieu. Puis-je indiquer dans une direction générale la voie que vous devez suivre ? Evidemment non, ce n’est pas l’office du prédicateur. Il donne le principe. C’est à vous d’examiner avec grand soin ce qu’on vous dira de changer à vos manières de voir, de rompre tout attachement à vos idées propres et de vous laisser conduire avec foi et obéissance.

N.S. vous donne un exemple de ceci dans l’Evangile. Nous y lisons que Jésus s’était retiré sur la montagne pour prier, et les Apôtres laissant aller leurs barques à la dérive, s’endorment. Les flots s’élèvent autour d’eux, ils ne s’éveillent pas, quand, vers la 4e heure de la nuit, Jésus vient à eux en marchant sur les flots soulevés. Ils s’éveillent et tout effrayés s’écrient : « C’est un fantôme ». St Jean le reconnaît et dit « Dominus est ». Alors Pierre dans son ardeur s’élance de la barque et demande à Jésus de l’appeler à Lui. Il marche sur les eaux car Jésus accepte l’empressement de l’Apôtre, mais bientôt le vent souffle avec violence, Pierre effrayé sent qu’il s’enfonce dans l’abîme, il crie à Jésus de la sauver. Et le divin Maître qui voulait éprouver sa foi, lui tend la main et raffermissant ses pas le ramène à la barque. C’est bien là l’image d’une âme impatientée et immortifiée, elle s’endort dans ses efforts mal réglés, elle s’expose à des négligences, à des obscurités, à des ténèbres. Elle ne les évite pas, et ils ne suffisent pas à la réveiller. Jésus s’approche d’elle; troublée par ses idées propres, elle ne le reconnaît pas, elle a peur. Elle n’a pas la lumière de St Jean, la lumière de l’amour, et quand la voix de l’autorité lui dit: C’est le Seigneur, elle n’a que des empressements. Après s’être effrayée de la perfection et avoir dit: Ce n’est pas pour moi! elle la veut tout de suite avec la précipitation de l’amour-propre. Aussi au moindre vent qui s’èlève, au moindre obstacle, elle a peur, elle faiblit. Elle a marché sur l’eau parce que son désir était sincère, et que Dieu était avec elle. Mais il veut donner une leçon à son immortification, à son impatience, elle enfonce, elle perd pied. Heureuse si elle crie vers Jésus, si elle met sa main dans la main qu’Il lui tend, si à chaque faiblesse, à chaque hésitation, elle va chercher la force de N.S. dans les personnes qui le représentent. Alors elle n’aura que de petites chutes à déplorer, de courts moments de défaillance; elle s’appuiera sur Jésus, et confiante en Lui, elle marchera sans crainte. Comme Jean, l’Apôtre de l’amour, l’Apôtre bien-aimé, reposait à la Cène sur le Coeur de Jésus, et bien qu’il entendît toutes les angoisses divines de ce Coeur sacré, qu’il pressentît les trahisons, les douleurs infinies du lendemain, Jean reposait sur la poitrine du Sauveur, laissant les Apôtres s’agiter autour de lui. Etait-ce indifférence ? Oh non! son amour était ardent mais comme celui du divin Maître il était humble et patient, et sachant que tel était alors le bon plaisir du Maître, il faisait taire toute préoccupation pour fixer son âme tout entière sur un seul attribut de son Dieu: la bonté!

Donc, mes Soeurs, résolvez-vous à la patience avec les lenteurs de la grâce. Courage et patience car le temps est court, quelque long qu’il semble parfois à notre impatience, et le ciel n’est pas loin. Appropinquabit in vos regnum Dei. Et dans le ciel vous aurez enfin la plénitude et la fixité de tout bien. Patience et courage. Allez lentement et vous irez vite, parce que Dieu s’approchera toujours de plus en plus de vos âmes, et que vous trouvant toujours résignée à ses divines lenteurs, pleine d’humilité et de patience, il fera lui-même son oeuvre en vous.

Notes et post-scriptum