Aux Religieuses de l’Assomption

sep 1877 Auteuil RA
Informations générales
  • Aux Religieuses de l'Assomption
  • Retraite - du P. Emmanuel Bailly - attribuée au P. d'Alzon (septembre 1877)
    Troisième jour - Intimité avec Jésus-Christ (Troisième instruction)
  • DQ 352, p.81-89 (cahier d'auditrices anonymes).
Informations détaillées
  • 1 AMES DU PURGATOIRE
    1 AMITIE
    1 AMOUR DE JESUS-CHRIST POUR LES HOMMES
    1 AMOUR DIVIN
    1 AMOUR DU CHRIST
    1 AUGUSTIN
    1 CHARITE ENVERS DIEU
    1 CIEL
    1 CONCORDATS
    1 DON DE SOI A DIEU
    1 EGLISE MILITANTE
    1 EGLISE SOUFFRANTE
    1 EVANGILES
    1 JOUISSANCE DE DIEU
    1 MISERICORDE DE DIEU
    1 PIETE
    1 POSSESSION DE DIEU
    1 PRIMAUTE DU PAPE
    1 REGULARITE
    1 SALUT DES AMES
    1 SENSATION DE PLAISIR
    1 SEPARATION DE L'EGLISE ET DE L'ETAT
    1 SOCIETE
    1 THOMAS D'AQUIN
    1 TIEDEUR
    1 TRAVAIL MANUEL
    1 UNION A JESUS-CHRIST
    1 VIE ACTIVE
    1 VIE CONTEMPLATIVE
    1 VIE DE PRIERE
    1 VIE RELIGIEUSE
    1 VIE SPIRITUELLE
    1 VOLONTE DE DIEU
    2 BERNARD DE CLERVAUX, SAINT
    2 BOSSUET
    2 CICERON
    2 DAVID, BIBLE
    2 LAZARE
    2 MARIE-MADELEINE, SAINTE
    2 MARTHE, SAINTE
    2 PIERRE, SAINT
    2 VINCENT DE PAUL, SAINT
  • Religieuses de l'Assomption
  • RA
  • septembre 1877
  • sep 1877
  • Auteuil
La lettre

« Intravit Jesus in quoddam castellum et mulier quaedam Martha nomine accepit Illum in domum suam. »

Mes chères Soeurs, un des motifs qui contribue le plus à l’impuissance de nos prières c’est, qu’étant obligées par état à avoir des entretiens avec N.S.J.C., ces entretiens ne sont pas tels que N.S. les désire. C’est que nous n’avons pas avec Lui les relations intimes et telles qu’il veut que nous les établissions.

Il y a dans le monde trois catégories d’âmes pieuses. Les 1ères servent Dieu avec mollesse et sans s’imposer aucune peine. Les 2des mettent dans le service de Dieu une certaine exactitude et régularité, mais le fond consiste surtout en un certain formalisme extérieur. Et enfin il y a les âmes zélées et ferventes. Dans la vie religieuse il y a aussi trois dons de soi à Dieu. Le 1er est un don faible, imparfait et quelquefois à peine consciencieux. Le 2d est honnête mais mesuré. Le 3e enfin est complet, c’est le don de soi sans restriction.

Les deux 1ères catégories d’âmes sont nombreuses et très étendues, la 3e, il faut le reconnaître, c’est le petit nombre. Il y a très peu d’âmes qui acceptent l’intimité avec N.S.J.C. Entre J.C. et la société on a établi comme des abîmes le reléguant aussi loin que possible, l’écartant des lois, des institutions. Les concordats des sociétés modernes ont été inspirés par ce sentiment, il a tout envahi, l’ordre social tout entier, et la séparation de l’Eglise et de l’Etat qui est dans l’air comme une menace, n’est pas autre chose que ce travail du temps où nous vivons, qui tend à mettre J.C. le plus loin possible, à l’écarter des sociétés et des nations. Mais cette tendance générale influe sur les tendances individuelles en même temps qu’elle en est le résumé. Elle donne aux âmes le sentiment qu’il faut vivre avec J.C. comme avec un être éloigné, lointain, avec lequel il n’est pas d’intimité possible, elle ne veut pas de cette intimité.

Grâce à Dieu cette intimité avec N.S. existe pourtant encore. Elle s’est réfugiée dans le cloître. C’est là que J.C. la trouve et la cherche, et c’est pourquoi, mes Soeurs, il faut nous examiner si sincèrement et nous demander où nous en sommes dans ces rapports intimes que notre état nous oblige à avoir avec N.S. Comment avons-nous travaillé jusqu’ici à entrer dans cette intimité qu’Il nous demande et qui nous est absolument nécessaire pour rendre notre prière puissante et efficace. Nous devons avoir avec J.C. des rapports intimes p.c.q. N.S. le veut, p.c.q. c’est le besoin de nos âmes, enfin p.c.q. l’Evangile nous en donne l’enseignement et des exemples admirables.

D’abord il le faut, parce que N.S. le veut. Avez-vous observé dans l’Evangile ce moment solennel où J.C., ayant accompli sa mission et prêt à quitter la terre en apparence sans la délaisser en effet, va fonder son Eglise. Quel grand acte accomplit-il et quelles sont ses paroles ? Il s’adresse à Pierre: « Simon, lui dit-il, m’aimes-tu? » Simon, amas me? Quel coup de tonnerre, quelle révélation inattendue que cette parole au monde d’alors. Ah! la société antique, le monde païen, la nation juive elle-même n’en avaient aucune idée. Craindre et adorer Dieu oui, mais pas l’aimer! Cette parole elle était le renversement de tous les systèmes des Sages, de toutes les erreurs de la philosophie païenne orgueilleuse et égoïste. Simon, amas me ? M’aimes-tu ? Et au nom de l’humanité nouvelle, Simon répond à Jésus: « Oui, mon Dieu, je vous aime! » Et quand il a dit à Jésus qu’il l’aime, c’est alors seulement que Jésus va lui communiquer ses privilèges magnifiques, lui donner ses pouvoirs divins pour transformer le monde. Continuer son oeuvre de salut, paître non seulement les agneaux mais les brebis, c’est-à-dire qu’il sera le pasteur universel des âmes, tout cela à cette seule condition de l’amour. Amas me ? Mais de l’amour affirmé, répété jusqu’à trois fois. Trois fois le Seigneur redit à Pierre: « M’aimes-tu ? » » Et quand l’Apôtre attristé de cette demande a répondu à Jésus qu’il sait bien qu’il l’aime plus que les autres, alors Jésus le choisit comme chef à la fois et fondement de son Eglise pour bien nous montrer qu’il veut que la société qu’il établit entre lui et nous, est établie là-dessus et n’a pas d’autre base que l’affirmation, la réitération de l’amour: c’est la 1ère loi qu’il établit.

Mais interrogez l’Evangile à toutes ses pages et cherchez-y l’esprit de J.C., vous y trouverez toujours cet esprit d’amour, de familiarité avec Dieu, inconnu jusque là. Voyez cette parole de la Ste Ecriture « Deliciae meae esse cum filiis hominum ». Il a parlé auparavant du jugement de Dieu, il a parlé du péché mais il arrive à dire ses relations avec l’humanité et c’est un langage dont la délicatesse nous révèle l’ineffable intimité qu’il veut y établir: Deliciae meae, mes délices, mes plaisirs intimes, le bonheur que je cherche, Ah! c’est de me communiquer aux hommes: « Esse cum filiis hominum ».

Ecoutez encore: Desiderio desideravi hoc pascha manducare vobiscum. Car il n’y a pas eu de vérité, d’enseignement sur lequel il ait insisté avec plus de force et avec des paroles plus pressantes. Il semble que dans l’impuissance d’exprimer ce qu’il désire, il multiplie les expressions par la répétition: « Desiderio desideravi » et qu’il nous dise « Votre pauvre langue humaine ne peut rendre le désir de mon coeur ». Desiderio desideravi hoc pascha manducare vobiscum. Manger cette Pâque avec vous, rester au milieu de vous par mon Eucharistie, faire ma demeure parmi vous, et pour en arriver là, s’il faut la toute puissance de mon amour, toutes les merveilles de ma puissance, je les emploierai, car j’ai désiré d’un désir indicible vivre dans l’intimité avec vous.

Ah! mes chères Soeurs, que répondez-vous à ces appels divins, à ce divin vouloir de votre Dieu ? Ne dites pas qu’il est des temps de sécheresse où il semble que vous ne sentez pas ses attraits, des heures de ténèbres où vous ne voyez plus. Ecoutez St Bernard vous disant que les ténèbres ne l’éloignent pas et ne peuvent le cacher aux yeux de l’âme fidèles car :« in media nocte non extinguetur lucerna ejus » Sa lumière ne s’éteint pas dans les lumières de la mort. Ne donnez pas pour prétexte l’éloignement, la distance presque infinie où vous êtes de Lui. N’entendez-vous pas sa voix qui résonne à votre oreille: « Veni, electa mea, et ponam in te thronum meum ». Ah! vous êtes loin de Lui, mais il vous appelle, il vous attire. « Viens âme que j’ai choisie, viens pour que j’entre en toi, et que j’y établisse, non pas un séjour passager, mais que je pose en ton coeur le trône de mon royaume, parce que j’y veux demeurer à jamais pour y régner avec tous mes attributs de Dieu et de Roi. Oh! je sais bien quand on a eu le malheur de vivre, 15 ans, 20 ans dans cette erreur du temps où nous vivons, qui est l’éloignement de J.C, quand on a respiré longtemps cet air glacial, quand on a eu le malheur de se nourrir de ces livres où non seulement notre divin Maître, mais l’Adorable Trinité elle-même est à peine nommée de loin en loin, reléguée qu’elle est bien loin de cette société avec l’homme et avec le monde, quand on a été condamné à recevoir et à subir l’influence et l’impression dangereuses de ce milieu social où l’on a vécu et qui vous a enveloppées comme d’une atmosphère toute remplie d’idées d’antipathie pour le Sauveur du monde, Ah! il est bien difficile, je le sais, d’entrer dans d’autres idées, d’autres sentiments, et de refaire son âme pour la pousser à cette intimité avec Jésus-Christ.

St Vincent de Paul qui avait comme le pressentiment intime de cet effet du Protestantisme et des erreurs qui l’on suivi sur les âmes chrétiennes, de cette froideur que l’on chercherait à établir en elles pour N.S.J.C., St Vincent de Paul disait à ses religieux: « Défiez-vous dans la prière et dans vos rapports avec Dieu de cet esprit pompeux, raide et froid qui commence à devenir de mode ». Et aux personnes du monde il ne cessait de parler du Divin Maître, disant qu’il faut nourrir l’âme du nom de J.C. non comme de celui d’un seigneur et d’un maître, mais comme de celui d’un ami. Il veut notre amitié, c’est Lui-même qui nous le déclare: « Jam non dicam vos servos sed amicos ». Je ne vous appellerai plus mes serviteurs mais mes amis. Et si véritablement, moi, votre Dieu, qui ai voulu descendre jusqu’à vous et enrichir cette pauvre nature humaine de ma divinité avec tous ses trésors, je vous demande votre amitié, convient-il que vous ne me payiez pas de retour et que vous, à votre tour, vous n’aimiez pas souverainement votre Dieu ?

Voilà l’esprit de J.C. comme nous le révèle l’Evangile tout entier. Et cet esprit a été celui de la Ste Eglise dans tous les siècles et dans tous ses saints. Ouvrez notre grand St Augustin, je vous défierais presque de trouver dans ces oeuvres une seule page qui ne soit tout imprégnée de cet esprit de sainte familiarité, d’intimité souveraine avec J.C. N’est-ce pas lui qui s’écriait: « Irrequietum cor nostrum, Domine, donec requiescat in te » Ah! notre coeur est dans l’inquiétude, dans l’agitation, jusqu’à ce qu’il trouve en vous seul son repos et sa joie. Voilà l’intimité, l’abandon que Jésus demande, qu’Il veut. Ecoutez-le encore : « Sto ad ostium et pulso ». Je me tiens à la porte de votre coeur et je frappe, car j’y veux entrer à tout prix; et si vous voulez savoir ma loi, ma volonté sur vous, « Plenitudo legis dilectio ». La loi parfaite, pleine, entière, c’est l’amour et non pas la charité prise d’un sens général, mais un amour de distinction, comme le dit St Thomas, car le mot latin l’indique: dilectio, dilection. Ah! quand il s’agit de Jésus-Christ, il faut que l’amour prenne un caractère d’intimité indicible, il faut répondre à ses tendresses par l’abandon le plus complet, le plus aimant.

Il est en nous le Divin Maître nous demandant cette intimité par des gémissement inénarrables Inenarrabilibus gemitibus ». Il nous conjure de la lui accorder,et n’a-t-il pas tout fait pour cela ? Il a créé son Eglise Ste, l’enrichissant de ses trésors pour nous y trouver. Il a suscité cette famille religieuse à laquelle il vous destinait pour vous y trouver plus sûrement, et tant de grâces, tant d’appels, tant de circonstances qui ont environné votre vie et amené comme nécessairement votre âme où elle en est, n’est-ce pas lui qui a tout fait ? Et l’Esprit de Sainteté qu’il a répandu sur le monde, et ces martyrs de tous les âges qui forment sous ses pas comme un royal chemin de pourpre par où il est venu jusqu’à vous. Et cette retraite enfin où il veut que vous entriez avec Lui en des communications plus parfaites. C’est lui qui vous a appelées, qui vous a amenées, c’est Lui qui vous montre invinciblement qu’il y a chez Lui une volonté perpétuelle d’arriver à vous, et d’entrer dans une intimité très confidentielle avec vous. Oh! Alors, mes Soeurs, comme votre prière prendra un autre cachet et votre concversation avec J.C. un autre caractère. Comme et vos paroles, et vos actions mêmes deviendront tout autres, car si l’on prend comme invinciblement quelque chose de la distinction des personnes avec qui on a des rapports très intimes, est-ce que l’esprit de J.C. s’insinuant dans votre vie ne fera pas de vous comme d’autres J.C., en sorte qu’en voyant passer cette religieuse on pourrait dire: c’est comme un autre J.C. qui passe. Mais si c’est là le désir, la volonté du Divin Maître, ah! j’en appelle à vous, mes Soeurs, votre âme n’en a-t-elle pas besoin ?

Interrogez les Sts et voyez comme ils ont parlé de ce besoin du coeur humain de l’amitié de Dieu. Entendons St Augustin, ce grand docteur, lui qui avait comme les deux extrêmes du bien et du mal, vous dire qu’il n’y a pas de comparaison possible entre les jouissances que donne la loi divine et celles qu’offrent les plaisirs du monde. Non narrant mihi delectationes sicut lex tua. Notre âme a tellement besoin d’aller vers Dieu et de jouir de Lui, que les jouissances de la terre, je ne dis pas les jouissances purement matérielles et grossières qui souillent nos âmes, non, mais les plaisirs purs et légitimes eux-mêmes, plaisirs de l’esprit ou jouissances du coeur, ah! ils laissent l’âme vide et inquiète et ne peuvent se comparer aux jouissances qui l’inondent quand elle entre dans l’intimité de son Dieu. Non narrant mihi delectationes sicut lex tua, et Bossuet nous dit qu’il est étrange que l’homme veuille prétendre que la nature puisse avoir plus de charmes que Celui qui l’a faite, et parce que, dit-il, vous ne connaissez pas mon Dieu et ses charmes infinis, vous viendrez faire cette objection à mon âme ? Non, non, mon âme a besoin de l’amabilité de Dieu, elle a besoin de se remplir de Lui. Elle s’écrie comme David: In terra invia et deserta et inaquosa, sitivit anima mea. Dans la terre sèche et déserte et aride je n’ai pas trouvé ma vie, mais votre face divine m’est apparue, Seigneur: Aperuisti ante faciem tuam; et quand j’ai senti les atteintes de votre Beauté souveraine, mon coeur s’est élancé vers vous et j’ai compris que tout le reste n’était que néant: misericordia tua super vitas. Ah! quand on a savouré les charmes de votre Bonté, Seigneur, on ne peut plus goûter d’autres attraits. Les charmes terrestres ne sont plus à l’âme qu’aridité et sécheresse; l’âme n’y trouve pas son terme, elle ne sait plus aimer, elle ne sait plus goûter que les charmes divins. Ouvrez les Psaumes et entendez David célébrer à chaque page les puissants attraits de Dieu: Gustate et videte quoniam suavis est Deus. Goûtez et voyez combien le Seigneur est doux et les créatures si belles qu’elles soient, ne pourront plus vous satisfaire. St Vincent de Paul que je citais tout à l’heure disait à chaque instant: Quid nunc Christus? Que veut de moi J.C.? Et quand on lui demandait quelle était l’occupation de son âme au milieu des travaux et des souffrances: « Je ne me complais qu’en J.C. » Et St Augustin qui s’était délecté dans les livres des Sages et des savants de ce monde, se sentait pris d’un dégoût souverain à la fin de sa lecture. Et il ouvre le discours de la Sagesse, l’Hortensius de Cicéron. Mais son âme n’était pas satisfaite. Enfin il prend un livre chrétien, il tombe sur le nom de J.C. et voici le rassasiement et la joie qui entrent dans son âme, il a trouvé ce qu’il cherchait.

Voilà, mes Soeurs, voilà le besoin que votre âme a de J.C., et ne le sentez-vous pas au-dedans de vous-mêmes ? Quelle est la source de vos tristesses les plus fréquentes, sinon le sentiment que vous n’êtes pas arrivées à l’intimité avec J.C. ? Et dans cette retraite même, quelle est votre crainte, sinon de ne pouvoir entrer pleinement et pour toujours dans cette intimité divine ? C’est là votre tourment, votre tristesse la plus profonde, quand vous sentez que vous ne pouvez contracter avec votre Dieu ces rapports intimes que réclame votre coeur. Ce sera jusqu’à la mort la grande souffrance de votre âme, car poursuivant toujours cette intimité et ce rassasiement de ses désirs les plus chers, elle ne l’atteindra que quand viendra l’heure de son union parfaite avec Jésus en son éternité.

Voilà, mes Soeurs, l’appel pressant et irrésistible, l’appel réciproque de votre âme et de J.C. Ah! Dépouillez-vous encore une fois de tout ce qui serait de nature à refroidir vos sentiments envers le Divin Maître. Dépouillez-vous des idées fausses qui tendraient à vous éloigner de Lui. Dans les âges de foi, les Sts le voyaient en tout et partout. Un St François d’Assise sortant de l’oraison invitait tous les êtres inanimés à chanter et à aimer avec lui le Sauveur Jésus. Et ainsi font tous les Sts, l’amour de J.C. les accompagne partout. Faites de même, mêlez cette pensée de l’amour de J.C. à tout ce que vous faites, dans vos travaux, dans vos fonctions extérieures, mettez l’amour de Jésus-Christ. Mettez-le en tête de votre vie: In principio erat Verbum. Comme dans le saint Evangile, qu’il commence toutes choses, et en Lui et par Lui accomplissez toute chose. Et qu’il ne soit pas seulement dans votre esprit, mais dans votre coeur par un élan d’amour; que vous lui disiez sans cesse: je reste en union avec vous, mon Dieu, je fais ces choses pour vous, par amour pour vous; et c’est en faisant ainsi que vous développerez toujours plus dans vos âmes l’amour intime avec N.S.J.C.

Mais pour en arriver aux exemples que nous donne le saint Evangile, je reviens au texte de cette instruction pour l’étudier avec vous. Il est dit que Jésus entra dans un village et qu’une femme nommée Marthe le reçut dans sa maison. Marthe, c’est la vie active qui prépare le lieu où veut reposer Jésus. Elle est empressée, elle agit, elle se plaint même à N.S. de ce que Marie, la vie contemplative, tout adonnée à la prière, ne l’aide pas et reste sans se déranger aux pieds du Sauveur. Marthe, c’est si vous le voulez, la Soeur converse qui se plaint qu’elle n’a pas assez de temps pour prier. Marthe, c’est la Soeur de choeur qui tout employée à des fonctions extérieures, se plaint de n’avoir pas le temps nécessaire pour se recueillir. Mais il faut bien préparer le lieu où doit loger N.S., il faut faire ce travail extérieur, et il le faut faire sans s’inquiéter, puisque cette action extérieure est le commencement et la préparation de la prière.

Et ainsi il ne faut pas que Marthe se plaigne de Marie, ni Marie de Marthe. Il ne faut pas que l’action se plaigne de la prière et veuille lui enlever le temps voulu qui lui appartient, ni que la prière se plaigne de l’action. Mais que toutes deux convergent vers le même but. Que Marthe et Marie vivent d’accord dans vos âmes, et ne désespérez jamais d’arriver à l’intimité que J.C. veut de vous. Il faut la préparer dans l’action; le recueillement dans l’action n’est pas le même que dans la prière, mais, comme nous le disions tout à l’heure, l’action devient prière par la soumission, la docilité de l’âme qui accomplit la volonté de Dieu. Ainsi nous devons allier ces deux choses; le récit évangélique ne nous est donné que pour nous faire comprendre comment, et dans la prière, et dans l’action Jésus veut que nous agissions en une grande intimité avec Lui. Marthe l’interroge familièrement, Marie en l’adorant parfume les pieds divins et au milieu des préoccupations douloureuses qui devaient remplir son âme à la veille de sa Passion, il n’a pas cru que ce fût déroger à sa Majesté divine que de recevoir ces témoignages d’amour et de prendre lui-même la défense d’une humble femme.

Mais dans cette intimité avec N.S., vous contenterez-vous de lui parler de vous-même ? Souvenons-nous de cet autre récit du Saint Livre où Marthe va trouver Jésus pour lui dire: Maître, celui que vous aimez est malade. En effet il était mort quand Jésus vint et dit à Marthe: Où l’avez-vous mis ? Ubi posuisti eum ?. Vos frères et vos soeurs ce sont les âmes. N’oubliez pas dans la prière de lui parler d’autres que de vous. Et quand vous parlerez d’autres âmes à Jésus, vous verrez peut-être en Lui ce frémissement divin, signe qu’il veut les ressusciter. Il se laissera conduire par votre prière au tombeau spirituel de ces morts et il dira la parole de résurrection: Lazare veni foras. Lazare sors dehors!

Parlez souvent des âmes à J.C., vous irez au devant de ses désirs. Mais priez surtout pour ces âmes qui vous sont chères, auxquelles bien des liens vous attachent et que vous craignez à juste titre n’être devant Dieu que des sépulcres blanchis. Que pour elles aussi votre prière fasse violence au Seigneur dans la ferveur intime de vos rapports avec Lui. Enfin priez pour les morts, pour les âmes du Purgatoire qui languissent loin de Lui dans l’impuissance de mériter. Ainsi vous prierez pour l’Eglise souffrante et pour l’Eglise militante. Vous hâterez l’accomplissement des désirs les plus chers au Coeur de J.C. qui pense à tout cela et qui attend de vous que votre prière obtienne de lui parole de résurrection et de vie.

Bienheureuse l’âme qui pratiquera ainsi l’intimité avec J.C. dès ce monde. Plus grande aura été cette intimité dans sa vie d’ici-bas, plus grande et mille fois plus douce sera-t-elle dans les joies de l’éternité. Plus les liens de l’âme avec Dieu son Sauveur et son Epoux, auront été étroits en ce monde, plus haut montera-t-elle au milieu des phalanges célestes, élevée à l’égal des Séraphins, parce qu’ayant cherché Dieu plus intimement ici bas, elle aura mérité d’entrer plus avant dans la jouissance et la possession de son Dieu.

Notes et post-scriptum