Aux Religieuses de l’Assomption

sep 1877 Auteuil RA
Informations générales
  • Aux Religieuses de l'Assomption
  • Retraite - du P. Emmanuel Bailly - attribuée au P. d'Alzon (septembre 1877)
    Cinquième jour - Sur la Perfection (Deuxième instruction)
  • DQ 352, p.124-131 (cahier d'auditrices anonymes)
Informations détaillées
  • 1 ACCEPTATION DE LA VOLONTE DE DIEU
    1 ACTION DE GRACES
    1 AUGUSTIN
    1 CHARITE ENVERS DIEU
    1 CRAINTE
    1 DON DE SOI A DIEU
    1 EGLISE
    1 ENERGIE
    1 ESPERANCE
    1 FIDELITE A LA GRACE
    1 FOI
    1 GRACE
    1 HUMILITE
    1 IDEES DU MONDE
    1 JOIE SPIRITUELLE
    1 LIBERTE
    1 MIRACLE
    1 PERFECTION
    1 REVOLTE
    1 SAINTETE
    1 SAINTS
    1 SATAN
    1 THOMAS D'AQUIN
    1 VIE DE SACRIFICE
    1 VIE RELIGIEUSE
    1 VOCATION RELIGIEUSE
    1 VOIE UNITIVE
    1 VOLONTE
    1 VOLONTE DE DIEU
    2 BOSSUET
    2 FRANCOIS D'ASSISE, SAINT
    2 ISRAEL
    2 JACOB
    2 PAUL, SAINT
    2 VINCENT DE PAUL, SAINT
  • Religieuses de l'Assomption
  • RA
  • septembre 1877
  • sep 1877
  • Auteuil
La lettre

Estote perfecti sicut et Pater vester perfectus est.

Mes chères Soeurs, après vous avoir indiqué les moyens d’arriver à la perfection en vous parlant de la prière, de la grâce, et de cette dépendance absolue où votre volonté doit être de celle de Dieu, il faut dépasser tous ces moyens pour arriver à la conclusion, et c’est Jésus-Christ lui-même qui la pose. Après avoir parlé à ses disciples des différentes obligations qu’il venait leur imposer, il ajoute: Estote perfecti, Soyez donc parfaits comme votre Père céleste est parfait.

Et n’est-il pas étrange de nous faire un tel commandement ? n’est-il pas étrange pour notre faiblesse? Ce n’est pas une indication, un conseil, c’est un ordre, une volonté. Estote perfecti, Soyez parfaits, sicut Pater meus caelestis perfectus est, comme votre Père céleste est parfait. Comment pouvons espérer d’arriver à une pareille perfection et de devenir parfaits comme Dieu est parfait ? Mes chères Soeurs, St Augustin nous fait observer que ce besoin de perfection est inhérent à notre être, tellement que dans l’orgueil lui-même, il y a encore comme une poursuite de la perfection divine, poursuite perverse, mais réelle. Et, comme le dit encore St Augustin, Satan tombant du ciel sur l’homme pour l’entraîner, le précipite dans le sens de sa chute, tombant des hauteurs célestes sur l’homme comme sur un édifice qu’il ruine et qu’il renverse et dont il disperse les ruines dans le sens de sa chute propre « unde decessit, inde dejecit ». Et p.c.q. le crime de ce 1er des révoltés avait été de vouloir se faire égal de Dieu, d’atteindre à la perfection même de Dieu, il a imprimé dans l’homme cette tendance, tendance perverse, tendance mauvaise, tendance révoltée, mais tendance très réelle à se faire égal aux perfections divines.

Or, mes Soeurs, il convient d’examiner en quoi nous devons faire consister cette perfection, quelles sont les notions que nous en avons et que nous devrions en avoir. Nous verrons ensemble que trop souvent on se fait de la perfection des idées vagues, d’autrefois des idées minutieuses et incomplètes par leur minutie même, et enfin nous chercherons les moyens d’y arriver.

D’abord on se fait de la perfection des idées trop vagues. Rappelez-vous, mes Soeurs, la manière dont les gens du monde envisagent la perfection. Oh! disent-ils, cela est admirable, merveilleux, mais ce n’est pas de la terre, c’est bon pour les Sts, ce n’est pas de ce monde de vivre de cette façon, c’est impraticable! Voilà leurs dires. Mais laissons ce monde de côté et rentrons dans le couvent. N’y a-t-il pas dans la vie religieuse un certain danger de partager cette opinion du monde ? Nous lisons les Vies des saints, les traités ascétiques. N’arrive-t-il pas que nous traitons parfois cet ensemble de perfection morale comme les mondains traitent les miracles par exemple ? Le miracle est une oeuvre de la puissance divine, mais une oeuvre exceptionnelle qui dépend uniquement de la volonté de Dieu, mais qui n’en est qu’une manifestation exceptionnelle en dehors des lois ordinaires. Ne vous surprenez-vous pas à traiter la perfection de même, comme une abstraction vague, hors des lois communes et ordinaires de notre vie ? C’est là une notion qui n’est pas chrétienne; elle nait d’une foi incomplète, de cette foi que St Thomas appelle « fides informis », une foi informe, vague, qui ne croit pas à l’efficacité de la grâce. Elle est encore le fruit d’une fausse humilité qui, sous un vain prétexte d’impuissance, nous fait éviter les saintes violences qu’il faudrait faire à notre nature, de cette humilité fausse et vague tout ensemble qui, quand la grâce nous visite, nous fait reculer, et fait que nous avons peur de nous jeter dans la volonté de Dieu.

J’irai plus loin, mes Soeurs. Il y a deux choses à considérer ici pour vous dans la perfection: l’état de perfection où vous êtes constituées par votre vie religieuse, et la sainteté particulière que Dieu attend de chacune de vous. Il n’y a pas deux âmes que Dieu conduise absolument dans la même voie et par la même manière, et il ne suffit pas d’être fidèle à la grâce, de vous contenter de vivre dans votre état de perfection et d’observer les lois générales de la vie religieuse, il faut étudier quelle est la volonté de Dieu sur votre âme et votre appel particulier et tendre à la sainteté spéciale que Dieu attend de vous. C’est parce qu’on se laisse aller sur la perfection à des notions insuffisantes et vagues, que tant d’âmes ne se préoccupent pas assez de cette sainteté individuelle qui est cependant le cachet de Dieu sur leur vie et qui devrait être leur plus importante occupation. Il faut donc prendre des idées plus justes et nous débarrasser de tous ces vains prétextes qui, je le répète, ne sont autre chose au fond qu’une peur de notre faiblesse, une sorte de timidité fausse qui redoute d’être entraînée vers Dieu au prix de certains sacrifices qu’elle pressent.

La perfection n’est pas non plus un ensemble vague et général, un idéal qui plane bien loin au-dessus de nos têtes, rien n’est à la fois plus pratique et plus proche de nous. C’est une chose immédiate et que nous pouvons pratiquer à chaque instant, dans chaque action de nos journées. Ce n’est pas une théorie belle à entendre et à considérer, c’est un élément qui doit pénétrer chacun de nos actes pour le rendre parfait. De même que dans l’Eucharistie, si vous prenez une parcelle de l’Hostie Ste, fût-elle presque imperceptible, cette petite parcelle contient Dieu tout entier, avec tout son amour et toute sa sainteté, ainsi dans chacun de vos actes, vous donnez à Dieu votre volonté tout entière, votre âme tout entière, vos faculté toutes entières. Que la perfection envahisse de telle sorte tous les détails de votre vie, que, p.c.q. vous ne mettez pas de mesure dans le don de vous-même, à chacune de vos actions la nature tout entière soit jetée aux pieds de Dieu. Voilà la notion vraie de la perfection. Qu’elle vous accompagne partout.

Mais défiez-vous encore d’une minutie exagérée dans vos idées et vos désirs de perfection. Pendant la retraite vous dites sérieusement: « Je veux me convertir, je suis décidée à m’y mettre, je veux aimer Dieu comme je ne l’ai jamais aimé, je veux me donner toute à Lui. Mais comment m’y prendrai-je? Où chercherai-je les moyens d’arriver à ce que je veux ? » Mes chères Soeurs, Bossuet a dit une parole qui s’applique admirablement au sujet dont je vous parle; il dit qu’il y a des choses dont le moyen de les faire est de les faire sans autre moyen. Et St François appliquant plus directement cette pensée nous dit: « Le grand moyen d’aimer Dieu, c’est de l’aimer ». Et notre grand Augustin, cette lumière d’Hippone, résume cette dévotion en trois mots: « Ama et fac quod vis », Aimez et puis prenez les moyens que vous voulez. C’est là l’esprit de notre Patriarche, esprit qui est tout particulièrement le vôtre dans vos rapports avec Dieu, esprit de foi dans la puissance de la grâce et qui a moins à chercher les moyens humains qu’à s’appuyer sur la volonté divine, esprit de liberté qui, sans se préoccuper de tel ou tel moyen tend directement à Dieu, sans s’astreindre à une multitude de moyens qui donnent à l’âme quelque chose d’étroit, de resserré dans ses rapports avec la grâce. Non, il ne faut pas vous tourmenter, il faut vouloir et faire ce que Dieu veut et le vouloir fortement. Ah! fortement, me direz-vous, c’est justement là que je vous attends. Comment voudrai-je fortement, moi, dont la volonté est si faible et qui tant de fois déjà ai voulu sans persévérer ?

Mes Soeurs, il faut vouloir fortement dans la confiance en Dieu. Ecoutez St Paul vous dire qu’il faut vouloir fortement en celui qui opère en nous le vouloir et le faire. Ah! voilà la doctrine tout entière et par dessus Bossuet, St François de Sales et St Augustin, allez à l’Apôtre qui vous a donné l’enseignement de la perfection. Confiez-vous en Dieu qui opère en vous le vouloir et le faire et dites avec lui: Omnia possum in eo qui me confortat. Il ne me reste pas d’excuse, c’est Dieu qui a mis en moi le pouvoir et le vouloir. En Lui je puis tout: Omnia possum. Dieu est en moi pour me donner la force, et si je ne puis pas, c’est que je n’ai pas assez de confiance.

Mais encore, si vous voulez des moyens, n’en êtes-vous pas encombrées dans la vie religieuse, n’en êtes-vous pas comme envahies par tout ce qui vous entoure et qui est comme un moyen de vous porter à Dieu ? Et si vous éprouvez encore des craintes au milieu de tout cela, attachez-vous au Christ; c’est Lui qui est le grand moyen toujours à votre disposition. Vous voulez offrir un sacrifice au Seigneur ? La victime c’est vous, l’autel c’est votre coeur, et la flamme quelle sera-t-elle ? Ah! la flamme, c’est le Christ qui descendra du ciel pour consumer la victime et brûler votre coeur tout entier des ardeurs de sa charité. Quel moyen autre que celui-là chercherez-vous ? Quel moyen plus puissant, plus efficace et à la fois plus à votre portée à tout instant puisqu’il est en vous-même ? Il n’y a qu’un obstacle, c’est la nature qui ne veut pas qu’on lui fasse violence.

Cependant c’est cette sainte violence qu’il faut vous faire pour Dieu qui a fait tous les Sts; un acte, un seul acte important est au principe de toutes leurs grâces et commence leur sainteté. St Vincent de Paul, à 12 ans, fait un acte héroïque de charité et il commence à recevoir de Dieu les grâces qui l’ont rendu le héros de la charité. St Augustin fait un acte de repentir, mais de repentir tel que son coeur est changé et qu’il devient capable de recevoir toutes les grâces divines. St François d’Assise donne aux pauvres tous ses biens dans un détachement parfait, et il devient la merveille de pauvreté et d’amour de son siècle. St Thomas d’Aquin fait un acte énergique de pureté, et c’est là le commencement de sa perfection. C’est toujours ainsi, mes Soeurs, et c’est un acte que je vous demande et que Dieu vous demande au plus intime de vos âmes. Renoncez donc à toute crainte, faites en la puissance de la grâce, un acte de foi et de confiance absolus. Qu’il n’y ait en vous pas d’hésitation, pas de réserve. Dites à Dieu: Seigneur, ce que vous voulez, je le veux, p.c.q. c’est vous qui donnez à mon âme le vouloir et le faire. Estote ergo perfecti sicut et Pater vester perfectus est. Voilà comment vous devez envisager le désir, l’ordre même qui vous est donné par le Maître de vos âmes.

Si cependant il faut aider notre nature par quelques autres moyens, je vous dirai d’abord que vous devez exciter en vous le désir, l’enthousiasme de la perfection. Vous ne me démentirez pas si je dis que dans le passé, la vie religieuse vous a charmées par ses attraits, et que si vous avez délivré vos âmes de certaines misères du monde, vous avez trouvé là les plus grandes joies que vous ayez connues. Que votre âme s’écrie en songeant à cette vocation sainte: « Qu’il est doux d’habiter sous le tabernacle du Seigneur ». Quam pulchra sunt tentoria tua Jacob, et tabernacula tua Israël Vous sentez que c’est là vraiment le jardin des délices où le Seigneur vous a conviées dans sa bonté et où vous vivez plus près de Dieu. Ah! ne soyez pas tristes comme ceux dont l’Apôtre a dit qu’il vivent sine spe, sine affectione, sans joie, sans affection, ne voulant voir dans les choses les meilleures que le côté défectueux par où se fait toujours sentir l’humanité, ces événements ou ces misères impossibles à éviter, au lieu de voir ce côté où tout est beau et merveilleux.

Pour vous, contemplez avec amour ces merveilles, savourez la beauté de votre vie religieuse et rendez-en de continuelles actions de grâces à Dieu, Semper gratias agentes, le remerciant de ce qu’il vous a prévenues de tant de grâces, vous délectant dans ses dons divins et dans le don par excellence de la vie religieuse, pour couronner tous les autres. Goûtez-en les charmes tout à loisir et de plus en plus car, de même qu’au ciel on avance de clarté en clarté dans la béatitude de la possession de Dieu, ainsi de jour en jour en s’enfonçant plus avant dans cette vie bienheureuse, vous y goûterez des délices nouvelles dans des rapports plus parfaits avec Dieu. Ah! jouissons, mes chères Soeurs, jouissons sans crainte du bonheur et de la beauté de notre vie religieuse. Sortons de notre torpeur, reconnaissons que nous vivons de la vérité, et qu’il est meilleur vraiment de vivre avec Dieu qu’avec le monde, de préférer Dieu et de le servir que de s’attacher aux vanités du monde, et remercions sans cesse celui qui nous a fait cette grâce et cet honneur en nous demandant avec une indicible reconnaissance en quoi nous avons mérité que son choix divin s’arrêtât sur nous de préférence à tant d’autres qu’il a laissés dans ces vanités.

Vous qui n’êtes qu’au seuil pour ainsi dire, de la vie religieuse, vous ne comprenez encore qu’à demi ces choses, comme le chrétien sur la terre ne ressent que comme un avant-goût du Paradis. Mais celles d’entre vous qui ont déjà vécu plus longtemps dans cette vie, et qui en savent les secrets, ah! elles m’accorderont que j’ai dit leur pensée intime et qu’elles ne parleraient pas autrement. Non, non, toutes les fois que votre âme a parlé en liberté, toute seule avec Dieu, s’élevant au-dessus des faiblesses et des misères de toute vie humaine, elle a proclamé bien haut que cette vie a été pour vous toute pleine de charmes, que vous ne voudriez l’abandonner pour aucune autre, qu’elle a dépassé tout ce que votre coeur en avait espéré de douceur et de joie dans ses premières aspirations, que vraiment elle a été pour vous la meilleure part, et que votre héritage est le meilleur parmi tous ceux des enfants de hommes.

Ah! mes chères Soeurs, vivez dans ces idées, nourrissez-les dans votre âme, chassez bien loin toute tentation de tristesse, d’amertume qui ternirait la candeur de votre vie religieuse et goûtez sans réserve le bonheur d’être appelées à la perfection. Que vous sentiez la douleur de n’être pas encore arrivées à cette perfection, c’est là l’oeuvre de la nature, c’est le monde qui parle en vous. Ne l’écoutez pas, méprisez-le et réjouissez-vous d’être appelées à vivre de la vie la plus excellente, de la vie religieuse qui est la vie divine ici-bas.

Nous faisons appel encore à un autre sentiment: vous êtes à Dieu, et nous avons vu hier les droits qu’il a sur vous par un consentement entier et sans réserve, mais vous êtes encore à l’Eglise. Qui vous a donné, mes chères Soeurs, cette vie religieuse dont nous disions les douceurs, sinon l’Eglise catholique ? C’est elle qui l’a formée et inspirée, c’est elle qui vous y a conduites. Depuis la grâce de votre baptême, jusqu’aux grâces de plus en plus abondantes, de plus en plus intimes, qui vous ont amenées au pied du sanctuaire, c’est elle qui vous a tout donné. C’est elle qui a été pour vous l’intermédiaire de tous les dons divins dans votre âme. Ah! Pas un seul jour n’oubliez que vous appartenez à l’Eglise catholique, que vous en êtes la portion choisie et privilégiée. Elle compte sur vous, elle veut par vous enrichir les âmes des trésors de votre abondance qui iront par ce grand privilège de la Communion de Sts déborder sur les âmes des pauvres de la grâce, de ceux qui ne pratiquent pas même le nécessaire dans les vertus chrétiennes. Ne trompez pas [inachevé]

Notes et post-scriptum