Aux Religieuses de l’Assomption

sep 1877 Auteuil RA
Informations générales
  • Aux Religieuses de l'Assomption
  • Retraite - du P. Emmanuel Bailly - attribuée au P. d'Alzon (septembre 1877)
    Septième jour - Dépendance de Notre-Seigneur (Méditation)
  • DQ 354 (cahier de 16 pages).
Informations détaillées
  • 1 ACTION DU CHRIST DANS L'AME
    1 ADORATION DU SAINT-SACREMENT
    1 ANEANTISSEMENT DE JESUS-CHRIST
    1 ANGES
    1 APOSTOLAT DE LA CHARITE
    1 COMPASSION DE LA SAINTE VIERGE
    1 DIEU LE PERE
    1 DON DE SOI A DIEU
    1 EGLISE EPOUSE DU CHRIST
    1 ESCLAVAGE
    1 EUCHARISTIE
    1 IMITATION DE JESUS CHRIST
    1 LIBERTE
    1 MORT DE JESUS-CHRIST
    1 PASSION DE JESUS-CHRIST
    1 SOUMISSION SPIRITUELLE A JESUS-CHRIST
    1 TABERNACLE
    1 THOMAS D'AQUIN
    1 VIE RELIGIEUSE
    3 JERUSALEM
  • Religieuses de l'Assomption
  • RA
  • septembre 1877
  • sep 1877
  • Auteuil
La lettre

Formam servi accipiens – Il a pris la forme d’esclave.

Mes chères Soeurs, il convient de revenir encore sur Jésus-Christ dans l’Eucharistie pour voir de quelle façon il nous y enseigne la perfection du sacrifice. « Il a pris la forme d’un esclave ». Cette parole s’applique à l’Incarnation et à la Passion.

Dans son Incarnation, N.S. revêt sa Divinité du vêtement de notre nature, et l’emprisonne sous la forme humiliante du serviteur révolté et déchu. Pendant sa passion, Il est lié comme un esclave, traîné par les soldats qui se jouent de Lui au prétoire, garrotté comme un malfaiteur, sa face a été voilée par dérision, sa tête douloureusement emprisonnée par une couronne d’épines en telle façon que le moindre mouvement lui causait des douleurs cruelles. On le lie, on le traîne dans les rues de Jérusalem, plus loin on le lie sur la Croix, on y cloue ses mains et ses pieds et le voilà condamné à la servitude et à l’immobilité de la Croix, sans que le ciel ni la terre lui offrent ni secours ni repos. Mais il a voulu aller plus loin et subir la servitude du tombeau; ses membres ont été enveloppés de bandelettes, Il a accepté cette servitude si humiliante de la sépulture des mortels, et après avoir passé 33 années dans la captivité de la chair et des douleurs humaines, il a voulu subir le silence et l’humiliation du tombeau.

Voilà comment l’Incarnation et la Passion ont été une série de captivités pour le Fils de Dieu.

Jésus dans l’Eucharistie poursuit sa vie de servitudes et de captivités, servitudes plus grandes, captivités et servitudes publiques mais secrètes aussi. D’abord servitudes publiques. Pourquoi Jésus-Christ est-Il sur l’autel ? La liberté qu’Il demande c’est de pouvoir pénétrer dans les âmes. Eh! bien, entrez dans l’une de nos églises, voyez-y le Saint-Sacrement exposé, et en voyant la solitude qui l’entoure, demandez-vous s’il est au monde un esclave, un indigent tel que Jésus-Christ ? Examinez comment on lui accorde cette liberté d’entrer dans les âmes, la seule qu’Il réclame, voyez dans combien d’âmes il demande à entrer et comme on lui répond par l’indifférence, écoutez les refus qu’on lui fait presque partout, et voyez cependant: Il reste là dans l’immobilité et le silence volontaire qu’Il s’est imposé, dans l’esclavage qu’on Lui inflige en Lui déniant le droit d’exercer la liberté qu’Il demande. Ah! en vérité, il n’y a pas d’esclave aussi esclave que Jésus dans l’Eucharistie.

Quand vous adorez Jésus-Christ dans le Tabernacle, contemplez-le attaché encore à la Croix sur le Calvaire de nos autels, réduit à une sorte d’impuissance parce qu’Il a voulu dépendre de la volonté des hommes. Il est la loi éternelle, la parole incréée, et on Lui refuse la droit de parler. Il est le roi du monde, et Il est réduit au silence, dédaigné, méprisé. Tant d’autres imposent à la société leurs volontés capricieuses et iniques, et Jésus-Christ ne peut pas imposer sa volonté divine et sainte, on Lui refuse l’exercice de sa liberté.

Voilà l’état social où s’est réduit Jésus-Christ. Mais il a à souffrir des captivités secrètes, des servitudes intimes, ce sont celles que lui infligent les âmes saintes, ses serviteurs fidèles, ses prêtres eux-mêmes. Il veut descendre entre les mains du prêtre, Il veut s’y incarner encore pour racheter le monde et le sauver et les prêtres manquent à ses désirs, ou s’il s’en trouve, ils ne sont pas tels que son Coeur les désire. – Il descend dans les âmes et il n’y trouve pas la liberté d’agir, on refuse de le laisser régner, de se livrer à Lui quand Lui se donne tout entier.

Examinez, mes Soeurs, toutes les captivités, toutes les servitudes que vous avez imposées à Jésus-Christ. Combien de fois avez-vous refusé de l’entendre, fermé l’oreille à ses sollicitations pressantes! Quand descendu dans votre coeur il vous disait: « Accorde moi cette liberté, laisse-moi agir en toi de telle façon. – Non, non, Seigneur, vous me demandez trop, vous n’aurez pas cette liberté, vous êtes mon captif, et je ne vous délivrerai pas des chaînes de mes caprices, de la servitude de ma volonté perverse. » Et par l’ingratitude la plus monstrueuse, au moment même où il vous comble de ses grâces et de son amour, à l’abri de ce secret connu de vous seul, vous le tenez captif, vous le condamnez à ce supplice de vouloir et de ne pas pouvoir agir!

Ah! ces servitudes secrètes, il n’y a point d’âme qui n’en ait accablé Jésus-Christ, car il n’y en a point qui ait répondu pleinement aux exigences de son amour, et qui lui ait laissé cette liberté d’action qui, si on la lui donnait, conduirait rapidement l’âme à la plus haute sainteté.

Cependant, mes chères Soeurs, si N.S. se condamne à poursuivre cette forme d’esclave, Il ne peut pourtant cesser d’être maître. Il est enchaîné des liens les plus étroits et Il est souverainement libre. Il est le serviteur et l’esclave de l’homme, et il est le Seigneur et le Roi des Anges, et dans ces divines antithèses ce sont autant de victoires qu’il remporte. Les Anges le conjurent de ne pas s’abaisser ainsi, de ne pas exposer sa divine Majesté à de tels mépris, à de telles humiliations, ils le supplient de se retirer de ces temples où il est délaissé, offensé, dédaigné, et de remonter au ciel où l’attendent leurs adorations et leurs louanges, et Jésus-Christ inflige aux Anges un refus et reste volontairement sur la terre: Il est victorieux des Anges. La nature étonnée est forcée de concourir aux servitudes qu’Il s’impose, Il l’appelle et elle obéit; les apparences d’un peu de paix et de vin, voilà les bandelettes dont elle liera son Créateur. Il s’en entoure comme de liens qui le retiennent prisonnier. Nos tabernacles, nos autels, nos églises, voilà les prisons où il se délecte, où il se plaît à rester captif.

Il est victorieux de la nature tout entière, il est encore victorieux de son Père. Son Père céleste ne lui en demandait pas tant, il ne lui demandait qu’une goutte de sang et Jésus l’a versé par torrents et le verse sans cesse avec une divine profusion. Il dépasse toutes les bornes de l’expiation, toutes les mesures qui eussent été mille fois suffisantes à la justice de Dieu et il inflige à son Père cette grande victoire qu’il remporte dans la liberté de son amour, car son Père en l’acceptant comme sauveur des hommes ne lui a pas refusé d’exercer ce salut comme Il lui plaît.

Mais il remporte une autre victoire sur sa Mère. Marie au pied de la Croix avait tout pressenti, elle savait l’étendue du sacrifice auquel elle consentait sur le Calvaire, elle voyait qu’il se perpétuerait tous les joiurs dans tous les siècles et que tout ce qu’il renfermait de douleurs, de hontes, d’ignominies pour son divin Fils, s’accomplirait de nouveau chaque jour sur nos autels; et dans son amour maternel, elle priait Jésus de ne pas aller si loin, de sauvegarder l’honneur de sa Majesté sainte, de ne pas se livrer ainsi à la merci de bourreaux sans cesse renouvelés. Jésus n’a pas entendu les réclamations de sa Mère, il a été sourd à ces supplications de l’amour maternel, il est allé aux excès les plus prodigieux, il a vaincu les Anges et la nature, il a vaincu son Père, il a vaincu l’amour de sa Mère, voilà ce qu’il a fait pour attirer notre âme et gagner notre amour.

Mes chères Soeurs, il faut limiter et nous aussi nous devons aller à l’excès dans le don de nous-mêmes. C’est pénible de se dire : « J’entre dans la captivité, dans la servitude de mes résolutions. Par le recueillement je condamnerai mes sens et ma nature à un enchaînement perpétuel qui est une véritable servitude ». C’est pénible d’affronter ces morts divines, car il faut mourir pour imiter Jésus-Christ; il faut affronter l’amertume de ces morts; Il goûte le silence et la nuit du tombeau, il faut aller au devant de ces mortifications de ma volonté, me laisser envelopper comme d’un linceul, couvrir de bandelettes et condamner mes sentiments, mon indépendance, mes jugements à une servitude complète; c’est pénible, mais je le ferai, j’ai résolu de faire trêve à jamais avec ce qui déplaît en moi au divin Maître. Et que de sentiments il faut alors condamner à l’impassibilité! J’aurai toujours ma nature, je ne puis la détruire, J.C. dans cette captivité où il l’a réduite n’a pas détruit son corps; il en a fait l’instrument de notre Rédemption en le réduisant aux humiliations, aux souffrances, à la mort, mais il ne l’a pas détruite; moi aussi j’aurai toujours ma nature, ce sera mon instrument en même temps que mon fardeau, il faudra la crucifier, l’étendre sur la Croix de J.Ch., que de clous il me faudra enfoncer pour la réduire enfin à cette servitude parfaite; à cette captivité absolue où la veut N.S.

Mais, mes Soeurs, souvenez-vous que St Thomas nous avertit que si l’on veut distinguer l’état de perfection de autres états, il y a une chose à considérer, surtout à savoir: que l’état de perfection est un état de liberté et les autre états sont des états de servitude. Tandis en effet que les mondains et les ambitieux sont sujets à des servitudes incomparables, dans l’état de perfection seul, que vous avez choisi, se trouve la liberté complète des enfants de Dieu. Quand vous n’êtes plus esclave que de Dieu, vous commencez à être vraiment libre. Si Veritas liberavit vos, vere liberi eritis. St Augustin nous le dit: l’eclavage qui est embrassé volontairement et par nécessité, l’esclavage qu’on veut et qu’on choisit par amour, c’est une liberté, et si par amour pour Dieu, vous vous mettez à le servir parfaitement, vous avez trouvé la liberté parfaite.

J.C. vous donne des preuves de liberté, au milieu de ses servitudes, par les victoires toutes célestes qu’il remporte sur son Père, sur sa mère, sur les anges, sur la nature. Vous aussi quand vous aurez engagé votre âme tout entière dans ces liens mystérieux, dans cette captivité glorieuse, vous apparaîtrez victorieuses et vraiment libres entre les morts. Quand Jésus était enfermé dans le tombeau, les saints livres nous disent que deux anges brillants de lumière veillaient sur ce tombeau divin. Lorsque vous serez enfermées dans ce tombeau de la vie intérieure et réduites à cette captivité mystérieuse, auprès de vous, mes Soeurs, les Anges descendront, tout éclatants de lumière, pour vous apporter les inspirations de Dieu, et pour vous inonder de clartés nouvelles et merveilleuses. Votre intelligence, votre âme, tout se transformera; vous aurez trouvé le secret de dominer la nature et de produire des oeuvres excellentes. Parce que vous aurez pratiqué un sévère recueillement en assujettissant vos pensées et vos sentiments aux pensées et aux sentiments de Jésus, vous verrez s’applanir devant vous les difficultés de votre sanctification. Une tête qui se mortifie dans la prière et qui, comme la tête de J.C., se couronne d’épines, est une tête qui se façonne aux pensées divines et qui prépare sa couronne de gloire; une âme qui endolorit ses sens et ses membres à la façon de J.C. devient la maîtresse du monde et arrive à être victorieuse d’elle-même et de toutes choses, car dans son esclavage apparent elle prépare des victoires pour elle et pour les autres.

Examinez ce qui se passe au tabernacle. Jésus y est captif, Jésus y est esclave, mais est-ce une immobilité léthargique et impuissante ? Non, non, il y a dans son amour captif une telle puissance et une telle liberté que c’est là que Jésus livre ses plus grands combats; il lutte dans l’Eucharistie, il travaille à conquérir les âmes et dans cette lutte il triomphe des hésitations de ses fidèles serviteurs eux-mêmes, il triomphe de la timidité, de la torpeur de ses enfants et il couvre le monde de miracles de sainteté et de miséricorde. Pourquoi la Sainte Eglise s’épuise-t-elle, dans une émulation de tous les siècles avec J.C., à produire une telle quantité de confesseurs, de vierges, d’apôtres, de pontifes, pourquoi verse-t-elle toujours les larmes de ses pénitents et le sang de ses martyrs ? Sinon parce qu’elle est sans cesse provoquée par le travail silencieux d’amour qui se fait au Tabernacle. Jésus excite son zèle, il demande toujours en même temps qu’il se donne et l’Eglise veut lutter d’amour avec Lui. S’il s’humilie et s’il se sacrifie tous les jours, l’Eglise veut répondre à cette provocation divine et Lui rendre amour pour amour, sacrifice pour sacrifice. O Jésus, lui dit-elle, vous m’êtes un époux de sang. Sponsus sanguinem mihi es, vous me demandez toujours mon sang, parce que le vôtre coule sans cesse de vos divines blessures que je ne puis fermer; vous voulez le mien, je vais vous rendre sang pour sang, substance pour substance, vie pour vie.

Jésus dans l’Eucharistie entretient dans l’Eglise le zèle des oeuvres; si nous les voyons germer autour de nous avec une fécondité merveilleuse, c’est l’activité divine du sang de J.C. dans les âmes qui est la source de tant d’oeuvres sans cesse renaissantes et qui donnent au monde le salut et la vie. Ce n’est pas seulement le sang des martyrs qui est une semence de chrétiens, les gouttes du sang divin de Jésus en tombant sur les âmes y provoquent une germination magnifique d’oeuvres divines. En inondant vos âmes il vous provoque à lutter d’activité avec J.C., dans cette servitude où il vous retient, il vous invite à une immobilité apparente pour vous entrer dans un travail immense, pour vous faire produire des oeuvres merveilleuses.

O Jésus, lui-direz-vous, vous m’avez tout donné, vous m’avez sollicitée averc trop d’amour et provoquée avec trop de générosité pour que je vous refuse ce que vous demandez de moi, je l’ai fait trop souvent, hélas! A quel esclavage ne vous ai-je pas réduit dans mon coeur, quelle indigence ne vous ai-je pas imposée. Vous descendiez dans mon âme et je vous ai fait esclave, condamnant votre puissance miséricordieuse à l’inaction. Vous vouliez accomplir en mon coeur un travail d’amour et de sanctification et j’ai dit: Non, non, plus tard, plus tard. Ces liens que vous vouliez briser, ma volonté perverse les a resserrés pour vous faire souffrir davantage et vous avez gardé le silence et vous ne m’avez pas fait de reproche.

O Jésus, vos esclavages ont été un miséricordieux calcul d’amour, vous étiez content de les laisser s’accumuler comme un poids énorme sur votre âme afin de hâter le jour où, comme accablé du sentiment de mon ingratiue et le coeur gros de repentir et de reconnaissance, je viendrais enfin me jeter à vos pieds et les arroser de mes larmes. Ah! votre miséricorde était trop grande! C’était un calcul plein de divine tendresse que vous faisiez avec moi, et dans ce travail d’amour que vous accomplissiez dans mon âme, vous agissiez vraiment en Dieu. O mon divin Maître, il est temps que votre triomphe soit complet, il est temps que ces calculs d’amour et de miséricorde triomphent de mes résistances coupables. – Vous viendrez à moi pour y être libre et souverainement libre et mon âme entrera pleinement dans la captivité que vous venez lui imposer. Vos demandes si pressantes ne seront plus rejetées, vous serez tout à moi et je serai tout à vous. Dilectus meus mihi et ego ille.

Qu’il en soit ainsi, mes Soeurs, si Jésus a été longtemps captif de vos oublis, de vos négligences, de votre tiédeur, soyez maintenant les captives de son amour. Et à votre tour captivez-Le dans cette retraite, le faisant votre prisonnier par le don sans réserve, de tout vous-même qui l’attirera et l’unira totalement à vous. Et si les humiliations et les souffrances sont le chemin qu’Il vous trace pour en arriver là, entrez-y sans hésitation et sans retard. Que la grande victoire de cette retraite soit la victoire de Jésus sur votre âme, qu’elle devienne sa captive volontaire et sans réserve et par là vous remporterez aussi une victoire glorieuse sur Jésus-Christ, car vous l’aurez tellement enchaîné par votre amour et la générosité de votre sacrifice, qu’Il sera votre esclave pour toujours.

Notes et post-scriptum