- Aux Religieuses de l'Assomption
- Retraite - du P. Emmanuel Bailly - attribuée au P. d'Alzon (septembre 1877)
Huitième jour - Imitation de la Sainte Vierge (Méditation) - DQ 352, p.169-178 (cahier d'auditrices anonymes).
- 1 ACCEPTATION DE LA VOLONTE DE DIEU
1 AMOUR DE LA SAINTE VIERGE A L'ASSOMPTION
1 AMOUR FRATERNEL
1 ANNONCIATION
1 CONTRITION
1 CROIX DE JESUS-CHRIST
1 DOULEUR
1 EPREUVES
1 FIDELITE
1 FOI
1 GRACE
1 IMITATION DE LA SAINTE VIERGE
1 MIRACLES DE LA SAINTE VIERGE
1 NOTRE-DAME DE LOURDES
1 PARESSE
1 PASSION DE JESUS-CHRIST
1 PECHES
1 PELERINAGES
1 PERFECTION
1 PLAN DE DIEU
1 PROGRES DANS LA VIE SPIRITUELLE
1 SANG DE JESUS-CHRIST
1 SOUFFRANCES DE JESUS-CHRIST
1 THOMAS D'AQUIN
1 VERTU D'OBEISSANCE
1 VERTUS DE LA SAINTE VIERGE
1 VIE DE SILENCE
1 VIE RELIGIEUSE
2 BAILLY, EMMANUEL
2 BAILLY, VINCENT DE PAUL
2 FRANCOIS DE SALES, SAINT
2 HERODE I LE GRAND
2 JEAN, SAINT
2 JOSEPH, SAINT
2 MARIE-MADELEINE, SAINTE
2 MILLERET, MARIE-EUGENIE
2 PICARD, FRANCOIS
3 LOURDES
3 NIMES - Religieuses de l'Assomption
- RA
- septembre 1877
- sep 1877
- Auteuil
Dilectus meus mihi et ego illi.
Mes chères Soeurs, je voudrais vous parler ce matin de la Ste Vierge. Or le meilleur culte que nous puissions lui rendre, ce n’est pas d’exciter dans vos coeurs un vif amour pour elle, vous n’avez pas besoin d’y être excitées, ce n’est pas même de vous prêcher une grande confiance en elle, il ne vous est pas difficile de développer en vous cette confiance et cet amour en songeant à toutes les preuves d’amour que vous recevez d’elle, à ces miracles nombreux qu’elle vient d’accorder aux pèlerinages de l’Assomption (1). Le culte que je viens vous engager à rendre à cette bonne Mère, c’est un culte d’imitation.
Déjà je vous l’ai proposée comme modèle dans la manière de recevoir la grâce et dans le dévouement à la Ste Eglise. Ce matin elle vous demande de l’imiter dans sa fidélité à la grâce, dans la délicatesse de cette fidélité qu’elle garde à son Dieu. Fidèle à Dieu le Père, dont elle est la fille, fidèle à Dieu le Fils, dont elle est la mère, fidèle à Dieu le St Esprit, dont elle est l’épouse. Nous considérerons ensemble le caractère de la fidélité de la Ste Vierge: caractère d’une constance qui ne se démentit jamais, caractère de désintéressement absolu, caractère d’une activité incomparable. Puis nous insisterons sur la délicatesse de cette fidélité: fidélité discrète, fidélité silencieuse, fidélité courageuse qui va jusqu’au martyre.
D’abord c’est une fidélité constante. Vous venez de prendre des résolutions, mes Soeurs, il faut les tenir, et pour apprendre la persévérance, étudiez et imitez la fidélité de la Très Ste Vierge. A peine l’Enfant Jésus est né, les Anges chantent dans les cieux, les bergers et les mages l’adorent; puis soudain tout change, des ordres et des contre ordres se succèdent, voici le sang qui coule sous le glaive des persécuteurs de l’Enfant divin. La Mère et l’Enfant s’enfuient dans la terre d’exil, et les voici condamnés à subir les chances et les périls d’un long exil. Marie se soumet et suit les ordres de Dieu. Sans discuter et sans hésiter, elle ne doute pas un instant de la protection divine, elle accepte les ordres tels qu’ils lui sont donnés; puis la voilà revenue à Nazareth, l’Enfant-Dieu grandit dans le silence et l’obscurité, rien ne trahit sa mission divine; les années passent, et il reste pauvre ouvrier inconnu, comme s’il n’était pas venu ici-bas pour autre chose; Marie accepte toute cette conduite mystérieuse, elle accepte toutes les circonstances, telles que Dieu les lui impose, elle est fidèle d’une fidélité inqualifiable ne doutant pas un instant dans son coeur et n’interrogeant jamais. L’Enfant-Jésus est devenu un homme mûr. Il va se livrer à la prédication et aux travaux apostoliques. Il quitte sa mère, il faut que cette mère disparaisse. Elle se retire. Elle reparaîtra pourtant un jour, à l’heure des grandes douleurs, sur le Calvaire et sa fidélité est caractérisée par ce mot du St Evangile: « Stabat juxta crucem ». Elle était debout, fidèle, dans une constance inébranlable, fidèle jusqu’au bout, fidèle à Jésus mourant, comme elle l’avait été à Jésus naissant.
Mes Soeurs, au sortir de cette retraite, où Jésus a voulu prendre en vous une nouvelle naissance, attendez-vous à des difficultés, à des tentations, attendez-vous à ce que Satan vous persécute pour vous arracher à J.C., pour lui arracher votre âme. Attendez-vous à ce que Dieu lui-même semble prendre sa part de ces persécutions et de ces épreuves. Il vous faudra suivre Jésus dans ces exils intérieurs, dans ces exils de l’âme où il semble que le chemin de la perfection se dérobe et que le terme s’éloigne et disparaît. Il faudra condamner votre coeur à les subir avec courage; il faudra persévérer malgré les ordres quelquefois contradictoires, malgré les peines, les épreuves, les douloureuses tribulations sur lesquelles vous n’aviez pas compté. Soyez fidèles, soyez constantes dans votre fidélité. Et quand Jésus-Christ montera au Calvaire et s’étendra sur la croix, allez avec Lui, sachez souffrir avec Lui; attendez-vous à souffrir et ne reculez pas; attachez-vous à Jésus dans une fidélité que rien n’étonne; et dites toujours: « Mon Bien-Aimé est à moi et moi je suis à Lui ».
La fidélité de Marie est encore désintéressée, elle a été saluée par l’Ange Mère de Dieu, elle répond: Ecce ancilla Domini, je ne suis que la petite servante du Seigneur. Elle ne fait pas attention aux hommes, aux dignités inouies qui lui sont offertes. L’Ange poursuit: Vous êtes bénie entre toutes les femmes , et l’humble vierge n’a pas d’autre réponse: Je ne suis que la servante du Seigneur.
Mes chères Soeurs, pendant cette retraite la grâce a opéré en vos âmes; gardez avec soin ses divines opérations; elle a fait en vous des merveilles peut-être, et vous êtes obligées d’admirer ces merveilles, mais ne vous admirez pas dans ces merveilles. La retraite finie, au bout de quelques jours vous sentirez de nouveau votre faiblesse, vous tomberez peut-être en quelque faute, ne vous en étonnez pas, ne vous en troublez pas, ne vous en chagrinez pas. Votre bonheur n’est pas que vous soyez des saintes, mais que Dieu soit avec vous, et si dans votre fidélité vous ne vous recherchez pas vous-mêmes, Dieu ne vous échappera pas. Vous pouvez tomber et retomber encore, mais Jésus ne sera pas perdu pour vous. N’ayez pas, mes Soeurs, cette ambition de vous trouver des saintes, cherchez plus à servir Dieu qu’à vous servir de Dieu pour vous complaire en Lui. Ne pensez pas beaucoup à vos progrès, laissez à votre directeur le soin de discerner ceux que vous faites, pour vous ne vous en inquiétez pas. Répétez souvent : « Je suis rien, je ne peux rien, je ne vaux rien, je ne suis que l’humble servante du Seigneur. Si je tombe et que je pèche, ce n’est pas étonnant et tout n’est pas perdu. Pour Dieu seul je me suis convertie, pour Dieu, je me relèverai. Parce que je suis tombée dans un défaut, je ne Lui ai pas pour cela soustrait mon être tout entier, et je n’ai pas renoncé à lui appartenir, parce que j’ai eu un moment de faiblesse. Je veux m’oublier et aller à ce qu’il veut, à ce qu’il demande de moi. Dilectus meus mihi et ego illi. »
La fidélité de la Ste Vierge est de plus une fidélité active. Soyez fidèles assez sincèrement pour aller jusqu’à l’accomplissement de tous vos bons désirs, ne tombez pas dans des terreurs qui paralysent vos efforts. La Ste Vierge était très humble, mais elle était en même temps très active, rapide à accomplir la volonté de Dieu sur elle. Voyez comme elle entoure son divin enfant d’une sollicitude non pas endormie mais empressée et vigilante. St François de Sales dit qu’il y a des degrés dans la foi: d’abord la foi qu’il appelle « informe », la foi informe qui ne suffit même pas à donner la vie à nos oeuvres, puis la foi commençante, et enfin la foi vivante, ardente, qui nourrit l’amour. Ayez cette foi très vivante de la Ste Vierge. Ne dites pas, sous prétexte de vos défauts, que vous ne pouvez rien entreprendre, non, non, allez à votre Bien-Aimé malgré vos faiblesses, malgré votre fragilité, allez avec un empressement très humble et sans lui faire une seule objection puisée dans l’abîme de vos misères qu’Il connaît mieux que vous. N’ayez pas de paresse dans l’ordre spirituel, cela ne peut convenir à des épouses de J.C. « Le paresseux, dit l’Ecriture, veut et ne veut pas, et enfin il est tué par des désirs qui n’aboutissent pas ». N’ayez pas de ces désirs stériles, écoutez votre divin Epoux et soyez-lui fidèle dans une activité courageuse et sans retardement. « Dilectus meus mihi et ego illi. »
Mais j’ai ajouté que la fidélité de la Ste Vierge a été pleine de délicatesse. Voyez comme elle est discrète, St Joseph la soupçonne, d’un mot elle pourrait se disculper, elle se tait, elle garde le secret de Dieu et laisse le soupçon planer sur elle. Dieu lui a parlé, cela lui suffit; quand il voudra, il parlera pour elle. Voyez comme elle se soumet sans mot dire à une condition incompatible en apparence avec la dignité de Mère de Dieu. Discrétion et silence, voilà deux qualités de notre fidélité. Marie a été saluée par l’Ange Mère de Dieu, et voilà que quand ce Dieu est né, ce n’est pas elle qui reçoit les ordres du ciel sur la conduite à tenir sur cet Enfant divin, c’est St Joseph qui est chargé de les lui donner. Elle les accepte sans mot dire, elle ne demande rien, elle ne dit pas : « Quoi! c’est ce charpentier, cet homme grossier, qui vient me transmettre les ordres de Dieu, à moi sa Mère! » Elle ne demande pas à Dieu pourquoi il se sert d’un intermédiaire indigne d’elle, elle respecte les desseins de Dieu, elle s’y soumet avec une fidélité aussi prompte qu’elle est discrète et silencieuse. Que de choses cependant n’aurait-elle pas à dire! Comment ne pas éclater en plaintes contre les persécuteurs de son Fils et de son Dieu! N’avait-elle pas le droit de se récrier, et les vivacités et les impatiences ne semblaient-elles pas légitimées par l’animosité de la persécution aveugle et implacable qui poursuivait le Fils de Dieu ? Elle se tait, elle adore, elle suit la volonté de Dieu dans ses arrangements et jusque dans ses caprices divins.
Soyez aussi, mes Soeurs, respectueuses envers les desseins de Dieu. Votre Epoux divin a une volonté sur vous, mais pour l’accomplir il rencontrera des instruments infirmes, il se servira de volontés humaines qui ne vous paraîtront pas en harmonie avec les lumières surnaturelles que vous avez reçues. Aimez votre Epoux d’un amour de respect; vous lui appartenez, il a droit d’en user avec vous comme bon lui semble et sans que vous ayez besoin de savoir ni pourquoi ni comment ses volontés doivent s’exécuter. Soyez discrètes, silencieuses. Abscondere secretum Regis bonum est. Il a parlé à votre âme, ce Roi divin, enveloppez dans le silence ses communications célestes, soyez fidèles à les garder dans un recueillement profond, par une vie intérieure toute retirée en Dieu. L’Evangile ne cite plus une seule parole de Marie après les paroles dites à l’Ange. Elle se tait, elle s’enveloppe d’obscurité et de silence. Le silence de la maison de Nazareth, voilà le silence qui doit planer dans la demeure des Epouses de J.C. Le silence de Marie soupçonnant le soupçon de Joseph si injurieux pour elle; le silence de Joseph soupçonnant Marie sur des apparences si légitimes et ne proférant pas un reproche. Soyez discrètes, silencieuses si vous apercevez une apparence de défaut dans vos Soeurs, taisez-vous, ayez la fidélité de la charité à vous taire au dehors et au dedans. Ne jugez pas, laissez ce mystère des défauts que nul ne peut sonder que celui qui sonde les coeurs. Ce qui semble un défaut n’est pas toujours tel qu’on le pense. Comme il en arriva pour St Joseph. Qu’entre vous règne cette charité silencieuse et pleine d’égards. Aimez-vous, respectez-vous les unes les autres comme Marie et Joseph; acceptez la volonté de Dieu, même quand elle paraît incompréhensible, sur vous et sur les autres. Respectez les miracles de la grâce dans les âmes, respectez le mystère de la grâce les unes dans les autres. Si vous entendez parler de persécutions, d’agitations dans le monde, retirez-vous dans le sanctuaire comme Marie et Joseph fuient Hérode et s’exilent de leur patrie. Et comme en fuyant, ils priaient pour les persécuteurs et pour les mères qui pleuraient leurs enfants égorgés, priez aussi pour le monde. Si la persécution s’aggrave et menace de troubler votre vie et d’envahir vos retraites, allez sans crainte où Jésus vous conduit.
[Les pages qui suivent dans le cahier DQ 352, à savoir les pages 175 et 176, sont blanches. Puis le texte reprend mais l’écriture n’est pas le même. Appartient-il à la même instruction ? à la même retraite ?]
Mes chères Soeurs, nous avons poursuivi pendant cette retraite, dans les différentes instructions, l’explication de la définition de St Thomas sur la vie religieuse, à savoir: que la vie religieuse c’est la perfection de l’amour poursuivie par la perfection du sacrifice. Si vous avez trouvé dans l’indication des divers moyens que je vous ai signalés pour atteindre à la perfection, si vous avez trouvé des difficultés bien grandes pour votre faiblesse, si vous ressentez un certain effroi en présence de tous ces devoirs qui vous ont été prescrits, je viens vous dire aujourd’hui que toutes ces difficultés disparaîtront, que toutes les terreurs s’évanouiront si vous donnez à Dieu l’acte par excellence, l’esprit de repentir ou pour parler théologiquement l’acte de contrition véritable.
Je viens vous conjurer de laisser de côté toute pensée de crainte, de défiance, en vous rappelant, quelles que soient vos fautes et vos misères,la parole du grand pénitent, du grand ami de Dieu, David: Cor contritum et humiliatum Deus non despicies. Vous ne mépriserez pas, Seigneur, un coeur contrit et humilié devant vous.
En quoi doit consister pour vous cet esprit de repentir ? Il doit être d’abord un esprit de grande douleur, de souffrance – cor contritum -, puis un esprit d’humiliation – et humiliatum – et enfin un esprit de joie – Deus non despicies.
Ce doit être d’abord un esprit de douleur. Considérez, mes Soeurs, J.C. attaché à la Croix, la grande victime de nos péchés, le modèle divin du repentir. Le sang qu’il a répandu pour laver tous nos crimes ne pouvait tomber sur la terre coupable sans passer par de grandes souffrances, par des souffrances telles que jamais homme n’en endurera de semblables. Mais Jésus était Dieu, direz-vous, il avait à expier les crimes du monde entier, il avait à les laver d’un déluge de larmes et de sang, il avait à réconcilier les hommes avec son Père, une telle oeuvre demandait une douleur et de telles souffrances.
Mais abaissez vos regards au pied de la Croix et considérez Madeleine la pécheresse repentante aux côtés de Marie, la Vierge toute pure et de Jean le disciple de l’amour. Quand le sang rédempteur tombe sur Madeleine, voyez dans quel état se trouve cette repentante sublime, comme elle est brisée de douleur et comme abîmée sous le poids de ses péchés. C’est encore une loi établie par J.C. que la rémission des péchés qui lui a tant coûté ne s’opère jamais sans souffrance, et lorque son sang précieux tombe sur Madeleine pour la purifier, il rencontre sa douleur immense s’unissant à celle de Jésus et son coeur tellement brisé par le repentir qu’elle n’a plus de larmes à répandre tant elle en a versé. Certes la Passion de N.S. est surabondante et suffit pleinement à l’expiation de tous les péchés des hommes; mais encore une fois, pour que cette surabondance nous soit appliquée, pour que le sang de J.C. soit efficace en nos âmes, il faut que nous y mêlions nos larmes et nos souffrances. Et voilà pourquoi l’esprit [cetera desunt] (2).
2. La retraite du P. Emmanuel. - Nous savons par la correspondance de Mère M.-Eugénie de Jésus qu'elle commença le 1er septembre et fut suivie par une centaine de religieuses, professes, novices ou postulantes. - Mère M.-Eugénie avait présenté le P. Emmanuel à ses religieuses comme "celui de nos Pères qui prêche le mieux" ou encore "un Père qui a ravi les soeurs de Nîmes, on dit qu'il a le talent du P. d'Alzon". - Dès le 9 septembre elle parle au P. d'Alzon de "la magnifique retraite du P. Emmanuel", auquel, écrit-elle "rien ne manque : il a la doctrine, l'onction, la clarté, l'amour de la perfection. L'éloquence arrive sans qu'il la cherche. Son enseignement est propre à l'Assomption, c'est l'esprit de St Augustin, son amour, sa confiance". - Les Pères Picard et Vincent de Paul font chorus : "Le P. Emmanuel fait grand bien", "C'est de l'enthousiasme" (Picard). "Il a le même succès qu'à Nîmes", "On dit qu'il a une voix de paradis" (Vincent de Paul).